Avec Laurence Dézélée, auteur de "Pardon Maman pour ce qu’ils t’ont fait", aux éditions Plon
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NewsTranscription
00:00 Merci François Germain pour ce flash actu.
00:02 Bonjour, vous êtes sur Sud Radio, si vous nous rejoignez à l'instant, nous sommes ensemble jusqu'à 13h30.
00:16 Vous pouvez nous joindre au 0 826 300 300.
00:19 Nous attendons vos appels parce que nous allons parler d'un sujet terrible.
00:23 Il s'agit du charnier de l'université Paris-Descartes avec notre invité Laurence Déselé
00:29 qui a écrit un livre "Pardon maman pour ce qu'ils t'ont fait"
00:31 à la recherche du corps de sa mère qui avait légué son corps à la science.
00:36 Et on découvre tout simplement qu'il y a là un business des corps,
00:39 tragique, dans des conditions absolument hideuses, en plein cœur de Paris.
00:44 On en parle tout de suite.
00:46 Bonjour, dans ce face à face, ou plutôt côte à côte parce qu'on ne peut être qu'avec vous,
00:57 Laurence Déselé, notre invitée, bonjour.
00:59 - Bonjour.
01:00 - Vous avez écrit un livre, témoignage, choc, "Pardon maman pour ce qu'ils t'ont fait"
01:05 pour parler du respect du corps humain et de ce qui est arrivé à votre mère
01:10 qui avait légué son corps à la science.
01:12 Et malheureusement, il y avait à l'époque une unité qui s'occupait de la préparation des corps
01:17 pour les dissections, les caravans, etc.
01:19 à l'université Paris-Descartes dans des conditions calamiteuses
01:23 avec même un trafic de corps humains, de bouts de corps humains.
01:27 Est-ce que vous pouvez nous raconter en quelques mots ce scandale ?
01:31 - En quelques mots, il en faut au moins 200 pages, comme dans mon livre.
01:36 Mais oui, rapidement, j'ai découvert cette affaire par la presse en 2019, en novembre,
01:42 par une journaliste qui s'appelle Adjoan et qui a révélé tout ce qui se passait depuis au moins 30 ans
01:48 au centre du don des corps de la fac de médecine au 5ème étage de la rue des Saint-Père,
01:52 donc un endroit très prestigieux, une fac de médecine magnifique,
01:56 soit disant le temple européen de l'anatomie.
01:58 Et bien, elle avait photos à la puille, preuves à la puille,
02:02 elle nous a révélé tout ce qui se passait, c'est-à-dire des corps qui n'étaient pas conservés
02:07 dans des conditions dignes, avec des frigos qui ne réfrigéraient plus,
02:10 des corps qui étaient rongés par des rats, des souris qui venaient se servir,
02:14 des préparateurs de corps qui devenaient fous pour certains, alcooliques pour d'autres,
02:18 qui découpaient les corps à même le couloir, qui démembraient.
02:22 Certains faisaient du trafic le samedi matin quand la fac était fermée,
02:25 revendaient sous le manteau des morceaux de corps.
02:27 Il y a des médecins qui m'ont parlé de corps qui partaient dans des coffres de voiture
02:31 clandestinement sans qu'on sache où ça partait.
02:34 Voilà, tout ça pendant des années.
02:36 - C'est une vision de l'enfer, quand on voit les photos et qu'on lit le livre,
02:40 on parle d'un 5ème étage qui ressemble à une porte de l'enfer,
02:44 avec une odeur pestilentielle, ces frigos qui ne fonctionnent pas,
02:47 des préparateurs qui jouent au foot avec les têtes des morts,
02:51 des trafics de membres de corps humains,
02:55 et un non-respect total du corps avec, comme vous le dites,
02:59 des préparateurs qui étaient au bord de la folie, puisque les conditions de travail étaient affreuses.
03:03 Certains étaient alcooliques, ils sentaient la mort toute la journée,
03:07 avec une certaine omerta finalement sur ce qu'il s'y passait,
03:11 puisqu'il y a eu des lanceurs d'alerte pendant ces 30 années
03:15 qui ont sonné la porte des responsables de l'université Paris-Descartes au cœur de Paris
03:21 pour dire qu'il y avait vraiment quelque chose qui ne fonctionnait pas,
03:24 et à chaque fois, les dossiers ont été enterrés et il ne s'est rien passé.
03:28 - Bien sûr, ça a rangé certainement beaucoup de gens.
03:30 Donc effectivement, il y a eu des sociétés d'audit qui sont venues,
03:34 il y a eu des médecins qui sont passés, qui ont dit "attendez, c'est pas possible cette histoire".
03:38 Il y a eu des démissions du coup au comité d'éthique,
03:41 M. Doire qui est parti,
03:43 plusieurs personnes ont dit "nous on ne concionne pas ce qui se passe,
03:47 comme vous ne faites rien, on s'en va".
03:49 Mais tout ça, et alors ?
03:51 Et alors rien. Il ne s'est rien passé.
03:53 Personne n'a rien fait.
03:55 Tout le monde était au courant, parce que de toute façon,
03:57 quand à l'époque j'entendais Axel Kahn qui disait qu'il ne savait rien...
04:00 - Axel Kahn qui était en charge de l'université Paris-Descartes,
04:03 et qui a fait la sourde oreille, il dit qu'il lui n'était pas du tout au courant,
04:07 et il tombait de sa chaise.
04:09 - Et l'odeur était tellement grande dans l'université qu'il ne pouvait pas visiter tous les services.
04:12 D'accord, pourquoi pas ?
04:14 Mais enfin l'odeur était tellement terrible que même les étudiants qui étaient dans les étages en dessous sentaient l'odeur.
04:18 Donc à moins d'avoir le nez complètement bouché, je ne vois pas comment il ne pouvait pas être au courant.
04:22 C'est pas possible.
04:24 - Et il y avait également, je crois, un des anciens médecins de François Mitterrand...
04:28 - Ah oui, le professeur Valencien.
04:30 - Voilà, le professeur Valencien qui lui aussi,
04:32 responsable mais pas coupable d'une certaine façon,
04:34 n'était vraiment pas au courant, alors qu'il y a des preuves qui attestent tout à fait le contraire.
04:38 - Bah oui, puis alors Guy Valencien, il a un problème supplémentaire,
04:40 c'est qu'en plus d'avoir été le directeur du centre du don des corps,
04:45 il avait ouvert sa structure privée dans la fac, son école de chirurgie.
04:49 Donc c'est quand même assez curieux, au même étage en plus.
04:53 Et donc il avait juste à se servir dans les frigos des corps, en payant le tarif réglementaire,
04:58 et après il les refacturait dans son école aux gens qui venaient disséquer chez lui.
05:02 - C'est incroyable. Et sur le trafic organisé, couvert là encore par Paris Descartes,
05:07 là c'était des collectionneurs ou des gens qui achetaient des boucs de corps,
05:13 on ne sait pas vraiment ce qui s'est passé, c'est ça qui est terrible.
05:15 C'est-à-dire qu'il y avait ces allers-retours le samedi matin,
05:19 où on transvasait des corps dans des coffres de voiture, c'est incroyable.
05:25 - C'est hallucinant que ça ait duré si longtemps sans que personne ne dise rien,
05:27 c'est dingue, c'est incroyable cette histoire.
05:29 On ne voit pas comment c'est possible.
05:31 Mais ça s'est fait. Et effectivement, on m'a parlé de rite satanique,
05:35 j'ai aucune preuve, je n'en sais rien.
05:37 Là je vois pas mal de choses qui sortent en ce moment sur ce sujet-là,
05:41 peut-être que c'est vrai, je ne sais pas.
05:43 On m'a parlé surtout de "dissection sauvage".
05:45 - C'est-à-dire pour s'amuser ?
05:47 - Non, de professionnels qui...
05:49 - Ah, qui ne pouvaient pas avoir de corps autrement que par le trafic ?
05:53 - Voilà. Bon, peut-être. Je ne sais pas, ça c'est à la justice de faire la lumière sur toute cette affaire,
05:57 et j'espère que ça va être fait, et que ça va avancer.
06:00 - Justement, la justice, elle en est où ?
06:03 Parce que vous, vous avez été vice-présidente de l'association des victimes de Paris-Descartes,
06:08 c'est plus de 200 familles qui se sont mises ensemble pour justement
06:12 alerter les pouvoirs publics et, au-delà de l'enquête journalistique,
06:15 faire qu'il y ait une enquête judiciaire.
06:17 Où en est la justice aujourd'hui ?
06:19 - Alors, en vérité, là, il y a longtemps que je n'ai pas eu accès au dossier d'instruction.
06:23 Je l'ai demandé à mon avocat, qui normalement devrait me le fournir,
06:26 pour que je voie un petit peu si ça a évolué.
06:28 Mais j'ai eu accès en décembre dernier.
06:30 Bon, il y avait eu quelques auditions, mais finalement, très peu de mise en examen.
06:35 Il y en a un, quand même, que j'ai dans mon viseur depuis quelque temps,
06:38 parce que je ne comprends pas que ce monsieur ne soit pas inquiété,
06:40 vous en parliez tout à l'heure, c'est Guy Valencien.
06:42 - Que fait-il aujourd'hui ?
06:44 - Eh bien, vu l'âge qu'il a, je pense qu'il est en retraite.
06:47 Mais il n'y a pas si longtemps, il opérait encore à mon souris, me semble-t-il,
06:50 puisqu'il est urologue. Un monsieur brillant, d'ailleurs, par ailleurs,
06:53 c'est ce qu'on m'a dit. Mais il a quand même quelques grosses casseroles.
06:57 - Parce que lui avait vraiment été au cœur de ce centre
07:02 et a complètement fermé les yeux sur les pratiques des préparateurs, c'est ça ?
07:05 - Oui, un préparateur m'a dit qu'il a été le voir plusieurs fois pour lui signaler
07:08 que des corps disparaissaient de la chambre froide
07:10 et puis réapparaissaient soudainement, sans qu'on sache où ils avaient été,
07:14 et que ce n'était pas normal qu'il fallait faire quelque chose.
07:17 Et monsieur Valencien, apparemment, n'a rien fait.
07:20 - Et vous l'avez rencontré, monsieur Valencien ?
07:22 - Non.
07:23 - Mais vous avez rencontré des préparateurs,
07:25 ceux qui travaillaient dans ces conditions terribles.
07:27 Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?
07:29 Quel était leur témoignage quand vous avez été face à face
07:32 à ces gens qui faisaient, finalement, de l'horreur leur quotidien ?
07:35 - Alors, il n'y en a pas eu des tonnes, déjà.
07:37 Je pense surtout à l'un d'eux, qui m'a donné des témoignages vraiment très précieux
07:42 et qui était bouleversé par tout ça.
07:46 Donc, il a d'ailleurs fini en burn-out, lui,
07:48 et qui est parti de Descartes,
07:50 et qui, avant, avait travaillé dans d'autres structures où c'était correct.
07:53 Et il m'a dit "j'ai compris tout de suite dans quoi je mettais les pieds".
07:56 J'ai essayé d'alerter, de remettre de l'éthique où il n'y en avait pas.
07:59 Je me suis plusieurs fois interposée
08:01 quand il y en avait qui voulaient faire des bêtises avec des corps.
08:04 Et au bout d'un moment, c'était trop, il a lâché.
08:07 - Oui, parce qu'on parle de scènes de foot avec des têtes,
08:11 de préparateurs qui poignardent des cadavres juste pour se défouler,
08:16 de colliers d'oreilles, enfin, mais c'est fou !
08:18 Ces gens-là étaient fous !
08:19 - C'est incroyable !
08:20 - On peut se demander s'ils sont très sains d'esprit.
08:23 C'est pour ça que ça serait bien que les préparateurs de corps aient un diplôme,
08:27 ou un équivalent de diplôme,
08:28 quelque chose qui leur donne un petit peu de valeur,
08:32 qui revalorise leur travail,
08:34 et puis qu'ils aient un vrai apprentissage,
08:36 parce que là, ils se cooptent les uns les autres, ils se forment entre eux.
08:39 - D'où l'aspect mafia et le trafic, pour arrondir les fins de mois, c'est ça ?
08:43 - C'est ça, rien n'est bandé.
08:44 - Parce que c'était eux qui profitaient directement de ce trafic, les préparateurs ?
08:46 - Oui, certains, il y en a un notamment.
08:49 Lui, c'est sûr qu'il s'est fait plein d'argent en trafiquant.
08:52 - C'était le responsable des préparateurs ?
08:54 On sait qui est cette personne ?
08:56 - Il n'était pas responsable, oui, on sait qui il est, tout à fait.
08:59 Ce n'était pas le responsable,
09:00 c'était un préparateur qui a fait une longue carrière à Descartes,
09:02 et qui s'en est mis plein les poches.
09:04 Ça, c'est sûr.
09:05 - Quel est le profil de ces préparateurs ?
09:08 Parce que vous dites qu'il n'y a pas de diplôme.
09:10 Eux arrivaient là, quand on fait 30 ans de ce quotidien de l'horreur,
09:14 on ne le voit plus finalement, ça devient un jeu.
09:17 Dans votre livre, vous parlez de l'odeur, qu'ils ne les quittaient pas.
09:21 Ils sentaient la charogne comme des bourreaux, quasiment.
09:25 - Comme les carabins qui vont du séquer,
09:26 qui vous disent "j'ai pris trois bains, quatre douches,
09:29 et je sens toujours cette odeur sur moi".
09:31 Ça s'imprègne.
09:32 - Quel était l'état d'esprit de ces préparateurs ?
09:34 Quel était leur profil ?
09:36 - Certains qui sont sains de corps et d'esprit
09:39 ne font pas long feu dans ces milieux et partent.
09:42 Et puis, il y en a d'autres qui ne sont pas tout à fait bien, je pense,
09:45 mais qu'on n'a pas décelé à temps pour qu'il y ait des dérives.
09:49 Et puis, ils rentrent dans le système et ils continuent.
09:52 - Un système qui était couvert par la direction.
09:55 Axel Kahn est décédé depuis.
09:58 Lui était vraiment le grand ponte de Descartes.
10:02 Et il a dit n'avoir jamais rien vu.
10:04 - L'un des grands pontes.
10:05 - L'un des grands pontes, bien sûr.
10:06 Mais comment expliquer cette démission
10:10 ou bien ce déni volontaire de la part des responsables ?
10:14 - Un médecin qui le connaissait bien m'a dit,
10:17 Axel était parfaitement au courant,
10:20 et il m'a dit "moi je ne veux pas mettre les mains dans le cambouis".
10:23 - D'accord. Donc pas salir son image, pas toucher un sujet tabou,
10:26 et pas révéler au grand public peut-être ce qui se passait là-bas.
10:29 - Peut-être.
10:30 Ce qui est étonnant, c'est que ce monsieur a écrit un livre sur l'éthique peu après.
10:33 Donc ça, ça m'a beaucoup choquée.
10:36 - C'est assez choquant.
10:37 Mais justement, sur ce sujet,
10:41 l'aigle d'un corps à la science,
10:44 et ensuite la dissection, les études de médecine,
10:47 combien il y a de centres comme ça en France ?
10:50 Est-ce que Descartes était le seul à être cette horreur-là ?
10:53 Ou est-ce qu'il peut y avoir d'autres dérives qu'on va découvrir plus tard ?
10:56 - Alors, comme je l'ai écrit parce qu'on me l'a dit,
10:59 il y a eu d'autres Descartes en France,
11:01 mais c'est pas sorti.
11:03 Alors je ne sais pas où, je ne sais pas quand,
11:05 il semblerait qu'il y ait eu d'autres cas.
11:07 Après, j'ai rencontré des directeurs de centres du don,
11:11 un en particulier qui m'a dit
11:13 "ça arrive toujours qu'il y ait un gars qui fasse des conneries",
11:16 excusez-moi du terme, c'est ce qu'il m'a dit,
11:18 il m'a dit "on le garde pas, quand on s'en aperçoit, on le dégage".
11:21 Mais c'est vrai qu'il y en a qui peuvent être déviants, oui, bien sûr.
11:24 Il faut juste s'en rendre compte et effectivement les mettre dehors.
11:27 - On a un auditeur qui est avec nous au Standard,
11:30 Emmanuel de Pessac, bonjour.
11:34 - Bonjour Alexis, ou Bajenel !
11:36 - Bonjour !
11:38 - Est-ce que vous souhaitez poser une question à Laurence Desailly,
11:41 qui est avec nous aujourd'hui sur ce sujet ?
11:43 - Oui, bien sûr, alors je vais juste vous faire une petite aparté
11:45 par rapport au fait que je vous suis.
11:47 Alors pour savoir, Bajenel, vous savez ce que c'est,
11:49 évidemment c'est vous qui l'avez donné,
11:51 il faut savoir que l'archet, son surnom c'est "triple sauce".
11:54 Voilà, donc ça c'était juste pour votre prochaine promenade.
11:57 Bref, c'était pas le sujet,
11:59 parce qu'il est beaucoup plus grave là pour le coup.
12:01 Moi je trouve qu'il y a vraiment une déshumanisation complète de la société,
12:05 par rapport au respect du corps,
12:07 par rapport au respect du défunt,
12:09 par rapport au même nous faire transformer en compost.
12:12 Je veux dire, on est vraiment dans le soleil vert quasiment,
12:14 pour ceux qui connaissent le film.
12:16 Même pour les transitions de genre, c'est de la mutilation,
12:19 c'est clair, c'est carrément boucherie Bernard.
12:22 Et on fait ça remboursé, c'est normal.
12:25 Pendant le Covid, pareil, pas de possibilité de se recueillir.
12:28 Il y a vraiment, les enfants c'est la même chose,
12:31 ça devient des objets, en fait on devient des objets, des pièces détachées.
12:34 Évidemment là c'est encore plus horrible,
12:36 quand on a des gens qui ont donné leur corps pour essayer de faire avancer la science,
12:40 et qu'on se rend compte que ça devient vraiment un enfer.
12:43 Et il n'y a plus de sacralisation de rien en fait.
12:45 C'est ça qui me tue, c'est ça qui me rend fou.
12:48 Ni dans l'esprit, je ne parle même pas de spirituel,
12:51 bon, moi c'est mon cas, mais je veux dire,
12:53 même dans le simple principe de respecter le corps d'un défunt.
12:56 Et moi je trouve ça aberrant,
12:58 et surtout ce que je trouve encore plus aberrant,
13:00 c'est qu'il n'y ait aucune sanction,
13:02 et je pense que madame serait révoltée, ça aurait été mes parents, j'aurais été fou aussi.
13:05 C'était juste pour intervenir, pour dire qu'on devient des objets,
13:09 comme disait Attali, tout est marchandise,
13:11 la France est un hôtel,
13:13 et voilà, c'est en gros, il n'y a plus rien qui compte,
13:15 à part peut-être le pouvoir d'achat.
13:17 Dans le pouvoir d'achat, il y a déjà un pouvoir,
13:20 et moi le fait d'avoir un pouvoir, c'est pas d'acheter, c'est d'être.
13:23 Merci beaucoup Emmanuel pour ces propos.
13:27 Oui c'est ça, alors si vous souhaitez, vous pouvez nous joindre au 0826 300 300.
13:32 Ce que disait Emmanuel sur le non-respect du corps du vivant,
13:35 mais aussi du mort,
13:37 c'est effectivement un fait tragique, une dérive sociale majeure.
13:41 Oui, mais c'est vrai que tout est marchandisation,
13:44 on est des, comme disait ce monsieur,
13:46 on devient des pièces détachées, tout se vend, tout s'achète,
13:49 et il n'y a que le fric qui fait fonctionner la société.
13:51 Il n'y a plus de respect, il n'y a plus de respect de rien.
13:53 Alors ça fait vieux dinosaure de dire ça, je le sais,
13:55 c'est pas grave, ça fait rien, j'assume.
13:58 Non, il faut assumer parce que...
14:00 J'assume tout à fait.
14:01 Justement, l'argent qui a été généré par ce trafic de corps,
14:04 est-ce qu'il y a des sommes qui ont été avancées ?
14:06 Est-ce qu'on sait ce qui a été vendu, le prix ?
14:11 Enfin, parce que c'est terrible, mais est-ce que là,
14:13 il y a l'enquête avance aussi pour faire savoir ce qu'il en est ?
14:16 J'espère que l'enquête avance, il y avait des chiffres
14:19 qui étaient donnés par la faculté,
14:21 parce qu'il y avait quand même effectivement des tarifs
14:23 pour venir disséquer à Descartes,
14:25 comme dans, je pense, toutes les facs de médecine.
14:27 Donc on louait la salle de dissection avec un corps
14:31 pour avoir ses étudiants, voilà, d'accord.
14:33 Oui, c'est ça.
14:34 Bon, après, il y a le marché noir, ça c'est autre chose.
14:36 Et là, les prix peuvent s'envoler, effectivement,
14:38 puisqu'il y a des pièces plus ou moins rares, je suppose.
14:40 Donc les prix sont en fonction, ce qui est rare et cher.
14:44 Et alors après, vous pouvez faire un calcul rapide,
14:47 c'est qu'il y avait à peu près 600 corps par an
14:49 qui étaient donnés à Descartes.
14:51 600 corps par an ?
14:52 Et le trafic, enfin, les dérives ont duré au moins 30 ans.
14:57 Au moins, peut-être plus.
14:59 Et le prix d'un corps, justement, vous l'avez ?
15:01 Alors, je suis discalculée,
15:04 donc j'ai un gros problème avec les chiffres.
15:06 C'est dans mon livre, parce que tout y est.
15:09 J'avoue que je n'ai pas les chiffres en tête.
15:11 Il y avait des 900 euros, il y avait des sommes...
15:13 Oui, c'est ça, ça dépend, puisqu'il y avait des trafics de squelettes aussi.
15:16 Oui, oui, toutes les pièces n'avaient pas la même valeur.
15:18 Et oui, effectivement, il y avait une tête, ce prix-là,
15:21 un crâne, un fémur, un squelette entier,
15:24 ce ne sont pas les mêmes tarifs.
15:26 Vous, vous expliquez dans ce livre que
15:28 quand vous réalisez que votre mère,
15:30 qui a fait don de son corps à la science,
15:32 est passée par Paris-Descartes,
15:34 c'est un choc, vous cherchez à savoir,
15:37 et cette quête vous a rendu malade physiquement.
15:40 Vous avez développé une condition cardiaque,
15:42 du fait du stress,
15:44 et pourtant vous avez continué à vouloir savoir la vérité.
15:47 Qu'est-ce qui vous a, à ce moment-là, porté ?
15:49 Comment vous avez fait pour aller au bout de l'horreur ?
15:53 Je continue, toujours maintenant.
15:55 J'ai été opérée d'urgence du cœur deux fois de suite.
15:58 On m'a parlé du stress,
16:01 on m'a parlé du syndrome du cœur brisé.
16:04 Quelque chose qui existe au Japon,
16:06 qui est connu au Japon, on n'en parle pas beaucoup ici,
16:08 mais c'est sur le coup d'un gros choc émotionnel,
16:11 d'une grosse tristesse.
16:13 Et ce qui m'a donné la force de continuer,
16:15 c'est de penser à ma mère, et de me dire qu'elle n'est plus là,
16:17 et qu'il n'y a plus personne pour la défendre,
16:19 parce que je n'ai pas de frères et sœurs.
16:21 J'ai mon papa, mais qui reste en dehors de tout ça,
16:23 parce que je pense que c'est beaucoup trop douloureux pour lui.
16:25 Donc la seule qui peut aller à la guerre, c'est moi.
16:28 Et j'irai jusqu'au bout.
16:30 - Sa mémoire, et celle de tous les...
16:32 - Et de toutes les autres victimes,
16:34 et certains qui n'ont certainement plus de famille pour les défendre, d'ailleurs.
16:36 Donc moi je les prends sous mon aile,
16:38 tous là, et j'y vais.
16:40 J'y vais pour eux.
16:42 - Ce qui ressort aussi du livre,
16:44 c'est quand même que ça devrait être quelque chose de très encadré,
16:46 puisque on voit comme c'est difficile,
16:48 rien qu'une inhumation de corps,
16:50 tout ça est très cadré.
16:52 Là, quand vous avez affaire à Paris Descartes,
16:55 une fois que le corps est passé aux mains de la science,
16:59 il est inhumé, enfin il est...
17:03 - Incinéré.
17:05 - Et on est censé vous dire quand cela se produit,
17:08 et puis il y a un lieu de recueillement qui est possible.
17:11 - A Thiers.
17:13 - Et quand vous demandez la date d'incinération,
17:16 c'est jamais la même date,
17:18 c'est jamais les mêmes circonstances,
17:20 il y a un flou total, en fait,
17:22 il n'y a aucune réglementation autour de ça,
17:24 enfin, du moins en ce qui concerne Descartes.
17:26 - Il devrait y avoir,
17:28 mais la traçabilité n'était pas respectée,
17:31 c'est ce que m'ont dit plusieurs préparateurs.
17:33 Ils m'ont dit déjà que ce n'était pas des petites médailles
17:36 qu'on mettait sur les pièces anatomiques en métal,
17:39 c'était écrit au feutre.
17:41 - Ça peut être changé, ça s'efface.
17:43 - Ça s'efface surtout, avec les dissections,
17:45 les fluides humains, etc. ça s'efface bien sûr.
17:47 Donc, ça fait qu'un corps, de toute façon,
17:49 ne pouvait jamais être incinéré dans son intégralité.
17:52 Ça, c'est pas possible.
17:54 Donc là, le décret qui a été fait à la Vavit en 2022
17:57 pour encadrer le don du corps,
17:59 je l'ai dit dès le départ,
18:01 il y a plein de choses qu'il va falloir aménager sur ce décret,
18:03 parce que, ok, il a été fait très vite
18:05 avant que Mme Vidal s'en aille,
18:07 parce que je pense qu'il fallait qu'elle fasse quelque chose,
18:09 pour qu'elle soit en état,
18:11 et rendre un corps entier aux proches,
18:13 une fois que les travaux de dissection sont terminés,
18:15 c'est pas possible.
18:17 - Et quel est le ministère qui gérait,
18:19 qui chapeaute finalement Paris-Descartes ?
18:21 Est-ce que c'est la santé ?
18:23 Est-ce que c'est l'éducation supérieure ?
18:25 - Alors, je pense qu'il y a la santé,
18:27 et il y a aussi la recherche.
18:29 - La recherche, oui.
18:31 Et aujourd'hui,
18:33 après ce scandale-là,
18:35 est-ce que les dons de corps à la science
18:37 sont fortement baissés,
18:39 justement, par peur de
18:41 voir cette boucherie arriver ?
18:43 - Alors oui, ça a baissé.
18:45 Ça a beaucoup baissé
18:47 dès la révélation du scandale.
18:49 Et là, j'ai eu le responsable
18:51 du centre du don des corps de Tours,
18:53 qui me disait que ça commençait à remonter.
18:55 Ça revient.
18:57 - Donc ça revient parce qu'il y a maintenant
18:59 une gouvernance qui est mise en place, des gardes fous,
19:01 on peut faire confiance
19:03 à la réglementation, à l'administration ?
19:05 - Je ne sais pas si c'est pour ça, mais je pense qu'il y a quand même
19:07 toujours cette volonté de certains Français
19:09 de servir à leur prochain,
19:11 et de servir à quelque chose par-delà la mort,
19:13 et donc de donner. Cette démarche altruiste,
19:15 elle est toujours là. Mais comme je dis à chaque fois,
19:17 il n'y a pas, on en parlait tout à l'heure,
19:19 il n'y a pas des décartes partout.
19:21 Il y a des endroits où ça se passe très bien,
19:23 où les choses sont clean, donc on peut donner,
19:25 il faut juste savoir où on donne.
19:27 - Mais ça, est-ce qu'on peut le décider ?
19:29 - Bien sûr. - De savoir où on donne, oui ?
19:31 - Tout à fait, parce que le don du corps est une démarche
19:33 volontaire, et on choisit le centre
19:35 du don où on veut donner son corps.
19:37 C'est vrai que quand on est à Paris,
19:39 maintenant il n'y a plus qu'un seul centre. Il y a le centre
19:41 de la rue du Fer à Moulins, qui dépend de la
19:43 PHP, et qui,
19:45 de tout ce qu'on m'a dit, était très bien
19:47 tenu. - D'accord. Et vous êtes,
19:49 vous continuez les recherches sur
19:51 ces différents centres ? - Je suis en lien
19:53 avec eux, parce que mon papa veut toujours donner son
19:55 corps. Il est en Seine-Saint-Denis,
19:57 donc il va forcément donner là-bas.
19:59 - D'accord. Et
20:01 sur, justement,
20:03 les incinérations, il était question aussi de
20:05 normalement le corps, une fois
20:07 qu'il a été utilisé, doit être incinéré
20:09 de manière seule. Or là, il était question
20:11 d'incinérer des bouts de corps, des corps,
20:13 enfin tout et n'importe quoi. Là encore,
20:15 zéro réglementation, et
20:17 ça se faisait dans quel cadre ?
20:19 C'était pas au 5ème étage, là, j'imagine ? - Non, non.
20:21 - Donc il y a d'autres services qui sont impliqués dans cette affaire ?
20:23 - Bien sûr. Oui, oui. Normalement, les corps, une fois qu'ils ont
20:25 servi, doivent partir
20:27 dans des cercueils ou dans des caisses,
20:29 au crématorium du père Lachaise,
20:31 et là, ils sont incinérés, normalement,
20:33 individuellement. On s'aperçoit que c'est pas
20:35 vrai. C'était pas fait comme ça.
20:37 Déjà, pour une histoire de traçabilité,
20:39 le corps n'était pas dans son intégralité
20:41 et ils mettaient plusieurs corps ensemble.
20:43 Ce qui est incroyable.
20:45 Enfin, pour nous, les familles, c'est terrible.
20:47 C'est inadmissible. - Le mensonge et le flou
20:49 qui étaient entretenus autour de ça,
20:51 c'est juste insupportable.
20:53 Vous avez rencontré d'autres
20:55 parents de victimes,
20:57 au cours de cette recherche.
20:59 Aujourd'hui,
21:01 où en sont
21:03 les poursuites judiciaires ?
21:05 Où en sont les familles dans
21:07 leur deuil et dans leur combat ?
21:09 Est-ce qu'il y a...
21:11 Parce que ce livre permet de relancer l'affaire
21:13 de Paris Descartes, qui avait été traitée massivement
21:15 par la presse à l'époque, mais très vite,
21:17 on passe à autre chose. Est-ce que,
21:19 au-delà du livre, il y aura d'autres
21:21 étapes, d'autres témoignages
21:23 comme le vôtre, pour continuer
21:25 d'alerter et de mettre les pouvoirs publics
21:27 face à leurs responsabilités ? - J'espère bien.
21:29 J'invite tous ceux qui ont envie de faire ce que j'ai fait
21:31 à faire la même chose. On est tous
21:33 libres de le faire.
21:35 Et puis, le combat continue. Pour la plupart
21:37 des familles, on est toujours
21:39 unis. Ceux que je connais, en tout cas,
21:41 on s'envoie des SMS assez souvent,
21:43 on se tient au courant de ce qui passe dans la presse.
21:45 Voilà, oui, on essaie de
21:47 s'informer. On ne lâche pas. Il y en a
21:49 qui ont lâché parce que leur défunt ne rentre pas
21:51 dans les dates de l'enquête.
21:53 C'est dommage, puisqu'on a des diapos qui datent
21:55 de 88 et qui montrent que ça existait déjà.
21:57 Donc, moi, j'espère que la juge d'instruction
21:59 va élargir la période d'enquête.
22:01 - Merci beaucoup, Laurence Desaillais, pour ce témoignage.
22:03 Pardon, maman, pour ce qu'ils t'ont fait aux éditions
22:05 Plon. On se quitte
22:07 pour aujourd'hui. Merci. - Merci à vous.