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00:00 France Culture, les matins d'été, Quentin Laffey.
00:05 7h14, la question du jour, le placement d'étention provisoire d'un policier suspecté de violence
00:10 envers un homme de 21 ans lors des émeutes au début du mois de juillet a provoqué un
00:15 mouvement de contestation dans les rangs de la police.
00:18 Partant de Marseille, celui-ci continue de s'étendre dans le reste du pays, rencontrant
00:22 des soutiens jusqu'à Frédéric Vaud, le directeur général de la police nationale.
00:27 Or les policiers n'ont pas le droit de grève tenu à un régime particulier.
00:31 Alors quel mode de contestation ont-ils utilisé par le passé ? La mobilisation prend-elle
00:36 une tournure particulière aujourd'hui ? Pour en parler, je reçois ce matin Jacques
00:40 Demayer.
00:41 Bonjour.
00:42 Bonjour.
00:43 Vous êtes politiste, directeur du CESDIP, le Centre de Recherche Sociologique sur le
00:46 droit et les institutions pénales.
00:48 Vous êtes également professeur à l'Université de Versailles Saint-Quentin et vous venez
00:52 de faire paraître police et société en France aux presses de Sciences Po.
00:57 Et pour commencer, est-ce que vous pouvez nous rappeler l'origine du mouvement de mobilisation
01:02 de la police qu'on connaît aujourd'hui et surtout son ampleur concrète dans l'ensemble
01:05 du pays ?
01:06 Son ampleur concrète est difficile à mesurer parce que la police nationale communique très
01:12 peu sur le nombre de fonctionnaires qui se mettent soit dans des congés maladie, soit
01:18 ce qui s'appelle le code 532 qui est une sorte d'attente pause où les policiers ne
01:23 font plus de travail d'intervention, de travail proactif, d'initiative.
01:28 Ce que l'on constate c'est que ça touche visiblement un certain nombre de commissariats
01:33 du sud de la France et que par tous ces réseaux sociaux, boucles WhatsApp, ça touche également
01:42 sans que ça se traduise nécessairement aujourd'hui encore par un mouvement d'ampleur, des
01:48 commissariats dans d'autres régions que le simple sud-est.
01:53 Comment ça se manifeste concrètement ? C'est-à-dire comment les policiers manifestent leur désapprobation
01:58 aujourd'hui ?
01:59 Alors, vous le disiez en commençant, les policiers comme les gendarmes, comme les militaires,
02:06 comme les magistrats judiciaires, comme l'administration pénitentiaire font partie de ces fonctionnaires
02:10 qui ont un statut spécial et du fait de l'exercice de leur mission ne peuvent pas se mettre en
02:17 grève.
02:18 C'est le cas des policiers dans l'ensemble des polices occidentales.
02:21 En contrepartie, ils ont un certain nombre d'indemnités, indemnités de suggestions
02:27 spéciales qui sont en quelque sorte la contrepartie de cette interdiction du droit de grève.
02:33 Donc du coup, quand les policiers veulent manifester leur mécontentement, leur revendication,
02:42 ils peuvent le faire de plein de façons.
02:43 De la manifestation, bien évidemment, ou des manières détournées qui sont plus ou
02:48 moins spectaculaires.
02:49 Parfois, en 2016, il y a eu un mouvement important des policiers en colère où ils avaient manifesté
02:57 pendant leurs heures de travail, certains d'entre eux cagoulés.
03:00 Là, ce qu'ils ont décidé de faire pour l'instant, c'est des congés maladie déposés
03:10 en argant de l'épuisement, ou ce code 562 qui est en fait une façon d'être au bureau
03:17 en ne répondant qu'aux appels en urgence, notamment le 17.
03:22 Le minimum du service public pour bien comprendre pourquoi les policiers, ni les CRS, ni ces
03:27 autres professions que vous venez de citer, Jacques Demeyer, pourquoi n'ont-elles pas
03:32 le droit de grève ?
03:33 - Vous pouvez imaginer que si jamais l'administration pénitentiaire se mettait en grève, ça poserait
03:41 un certain nombre de problèmes dans le fonctionnement des prisons.
03:43 Pour ces professions-là, si jamais des magistrats judiciaires se mettaient également en arrêt,
03:50 ça poserait toute une série de problèmes dans le fonctionnement, dans les rouages de
03:53 service régalien sur lesquels on a une continuité du service public.
03:57 Donc, on a eu quelques grèves en France au début des années 20, enfin au début du
04:06 XXe siècle, aux États-Unis, à Boston, en Angleterre également, dans le cadre d'un
04:13 contexte extrêmement tendu, de la peur rouge où des policiers étaient mis en grève.
04:17 Et aujourd'hui, c'est quelque chose qui est proscrit.
04:23 Donc, vous avez toute une série de moyens qui sont moins, comment dire, moins brutaux,
04:31 mais qui permettent aux policiers d'exprimer leur mécontentement sans que ça prenne la
04:34 forme d'une grève.
04:35 - Vous avez commencé à le dire également, Jacques Demeyer, les policiers ont le droit
04:39 de manifester, sous quelles conditions ?
04:41 - Là, ils sont dans le registre, je dirais, très ordinaire des autres citoyens.
04:51 Ce qui fait la spécificité de cette mobilisation, c'est qu'ils le font dans le cadre de leur
04:59 travail.
05:00 Et donc, ils suspendent, en quelque sorte, pour un certain nombre d'entre eux, leurs
05:04 activités ordinaires.
05:05 - Vous avez établi une comparaison, en tout cas un lien, entre la mobilisation que l'on
05:10 connaît, que l'on traverse aujourd'hui, avec la situation de 2016, on se souvient
05:14 notamment de l'apexe de cette situation lors de la manifestation au Trocadéro, la
05:20 mobilisation au Trocadéro en 2016.
05:22 Est-ce que les deux situations sont comparables ?
05:24 - A beaucoup d'égards, elles le sont.
05:28 Le point de départ n'est pas du tout le même.
05:31 Le point de départ de 2016, c'est des policiers qui sont attaqués dans un véhicule à Viry-Châtillon
05:40 et leur véhicule prend feu et ils vont être grièvement blessés.
05:45 Tandis que là, le point de départ, c'est le contraire.
05:48 En quelque sorte, un policier qui est mis en accusation, mis en examen pour violences
05:54 volontaires aggravées et qui se retrouve en détention provisoire.
06:00 Donc vous voyez, le point de départ n'est pas le même.
06:02 Mais dans les deux cas, ce sont des mobilisations sur fond d'épuisement moral, de sentiments
06:09 de non reconnaissance, de difficultés à donner du sens à leur mission au quotidien
06:13 et qui débordent par le bas les syndicats qui suivent.
06:16 - Dans le cas présent, la hiérarchie policière a rapidement soutenu la mobilisation.
06:22 Frédéric Vaud, le directeur général de la police nationale, a notamment déclaré,
06:26 je cite, de façon générale, avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en
06:30 prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son
06:34 travail.
06:35 Est-ce que cette citation, cette analyse, cette réaction même du directeur général
06:40 de la police nationale vous paraît légitime ? Et comment vous la comprenez du point de
06:46 vue de la mobilisation ?
06:47 - Alors comment on la comprend ? Un sociologue de la police important avait dit que le fonctionnement
06:56 de l'institution policière c'est une hiérarchie renversée.
06:58 C'est-à-dire que les initiatives viennent du bas et ce que fait la hiérarchie c'est
07:02 de confirmer, d'accompagner ces initiatives qui viennent du bas.
07:06 - Quelles initiatives, pardonnez-moi ?
07:07 - Là on le voit très bien avec une illustration qui est assez frappante, c'est que vous avez
07:13 ces mobilisations qui viennent du bas et en fait ce que fait la hiérarchie, ce que font
07:17 les syndicats, ce que fait le directeur général de la police nationale c'est qu'il accompagne.
07:20 Donc en fait il est dans une posture de chef qui en fait suit ses troupes.
07:24 En revanche ça pose des questions très importantes.
07:28 C'est que le directeur général de la police nationale rentre dans une position antagonique
07:34 avec les autorités judiciaires, sans connaître le détail d'une décision individuelle, il
07:39 prend une position sur ce qui aurait dû être fait, donc en méconnaissant en quelque sorte
07:43 un principe fondamental d'un état de droit qui est la séparation des pouvoirs.
07:47 Après il y a une deuxième question plus générale qui est la question de "est-ce que les policiers
07:52 doivent avoir un régime spécifique ?" et qui est quelque chose dont les syndicats policiers,
08:00 que les syndicats policiers réclament depuis un certain nombre d'années.
08:03 - Sur quel fondement ?
08:06 - Sur le fondement qu'ils exercent des missions particulièrement exposées, dangereuses,
08:14 et qu'à ce titre là les risques encourus justifieraient un traitement particulier.
08:18 Ça avait été refusé en 2017 sur le fondement suivant par un rapport, par une magistrate
08:32 Hélène Casocharles, en disant que ça va à l'encontre de l'évolution du droit pénal
08:35 qui est celui de l'assujettissement de l'ensemble des citoyens à une même norme pénale.
08:43 Et donc de ce point de vue là c'est quand même une évolution qui va complètement
08:46 à l'encontre de ce à quoi on a assisté juste là.
08:49 - En quelques mots je voudrais revenir Jacques Demayer sur votre premier point, les initiatives
08:55 viennent du bas, la hiérarchie est inversée dans le sens policier, comment est-ce que
09:01 la notion même d'autorité peut-elle perdurer dans ce cadre là ?
09:05 - C'est vrai que ça pose une question je dirais un peu double.
09:11 La première c'est que vous êtes dans une situation où les policiers de base qui font
09:20 ces missions de police secours, d'intervention, ont globalement une grande fatigue pour beaucoup
09:28 d'entre eux, l'impression d'exercer des missions difficiles et de ne pas être suffisamment
09:34 soutenus par leur hiérarchie.
09:35 Donc on a une sorte de déficit de légitimité de la hiérarchie qui fait qu'ils essaient
09:41 de compenser par ailleurs.
09:42 Ce qui pose quand même un vrai problème dans le fonctionnement d'une institution
09:46 hiérarchique.
09:47 Même si vous avez une logique verticale qui est au principe du fonctionnement des institutions
09:50 policières, quand vous avez des déclarations du principal responsable policier qui consiste
09:55 à dire "je suis à l'écoute de ma base" jusqu'à remettre en cause une décision judiciaire,
10:01 vous êtes dans un problème d'exercice de la responsabilité hiérarchique.
10:04 Merci beaucoup Jacques Demaillard.
10:06 Je rappelle que vous êtes politiste, professeur à l'université de Versailles Saint-Quentin
10:10 et vous avez fait paraître il y a peu "Police et société en France".
10:14 C'est paru aux presses de Sciences Po.
10:16 Vous écoutez France Culture, il est 7h25.