• l’année dernière

Category

🗞
News
Transcription
00:00 La question du jour, bonjour Marguerite Caton.
00:02 Bonjour Guillaume, bonjour à tous et bonjour Stéphane Bonnery.
00:05 Bonjour.
00:06 Vous êtes professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.
00:11 Avec nous dans ce studio pour répondre à une question.
00:13 Les jeunes sont-ils devenus incapables de lire et d'écrire ? Car si l'on en croit
00:18 une tribune récemment publiée dans Le Monde, signée par de grands noms des milieux artistiques
00:22 et intellectuels, leurs enfants, les enfants, malgré ou à cause des dictées quotidiennes
00:27 ne sauraient plus écrire.
00:28 Abruti par les écrans, ils ne sauraient plus lire.
00:30 De là à craindre qu'ils ne sachent plus penser et que bientôt le monde croule, il
00:34 n'y a qu'un pas.
00:35 Faites-vous le constat, vous aussi, d'une baisse de niveau en matière d'écriture
00:38 et de lecture ?
00:39 C'est bien difficile de répondre par oui ou par non.
00:42 Par contre, ce qui est sûr c'est qu'il faut à la fois se méfier du discours catastrophiste
00:50 et du discours "mais non, tout va bien".
00:53 Il y a quand même un décrochage net de la jeunesse sur les lectures.
00:57 En même temps, il y a toujours des jeunes qui lisent des romans.
01:02 Au demeurant, les journées n'ont que 24 heures.
01:05 La concurrence des écrans existe.
01:06 J'ai trouvé la Tribune qui posait des choses intéressantes sur le lien entre le temps
01:11 qu'on passe à apprendre à écrire, à lire à l'école et le manque de profs.
01:16 J'ajouterais que peut-être il faut, c'est aussi le travail des chercheurs que de prendre
01:21 un peu de recul.
01:22 Il faut mettre ça en perspective.
01:24 Il y a certes la concurrence des écrans, mais il n'y a pas que ça.
01:26 Il y a le fait qu'on assiste aujourd'hui à l'arrivée à l'âge adulte d'une génération
01:30 du baby-boom de l'an 2000 qui a été considérablement privée de temps d'enseignement par la suppression
01:36 des classes de deux ans, par la suppression des samedis matins à l'école primaire qui
01:40 équivaut à l'équivalent d'une année scolaire en heure de cours, ça c'était
01:43 l'époque d'Arcos, par la suppression d'heures au collège avec Najat Badlo Belkacem qui
01:47 a été considérable comme suppression, et la même réforme au lycée avec la réforme
01:52 Blanquer qui a supprimé encore des heures de cours.
01:54 Les enseignants et les élèves ne sont pas des magiciens.
01:57 Si on veut conduire les élèves à s'approprier beaucoup de choses, il faut du temps.
02:02 Et là j'ai encore vu une annonce du président de la République, deux heures de sport en
02:05 plus au collège.
02:06 Donc en fait, chaque idée, il faut plus de temps pour l'histoire, il faut plus de temps
02:10 pour les sciences, il faut des maths, il faut de l'écrit.
02:13 Chaque idée en soi est bonne, mais au-delà des effets d'annonce, comment ça forme
02:15 une cohérence, une politique éducative qui ne relève pas de la com et des faits, ça
02:19 y est c'est le sujet à la mode, on en parle un coup et puis on passe à autre chose.
02:21 D'un point de vue pédagogique, comment l'école donne le goût de la lecture ? Comment
02:25 tente-t-elle de le donner ?
02:26 Alors, elle le donne, il faut là encore revenir un peu dans le temps, parce qu'il y a des
02:35 évolutions, il y a des politiques qui ont fait des allers-retours, il y a eu des politiques
02:40 incitatives dans le premier degré qui ont eu des avantages, d'insister dès la maternelle
02:45 sur la littérature, et en même temps ce qu'on demande aux élèves à l'école
02:53 ne relève pas que du récit, il y a des textes explicatifs, démonstratifs, comment on fait
02:58 pour former en même temps à la narration et à l'explication, parce que ce n'est
03:03 pas tout à fait les mêmes textes.
03:04 Non mais des outils, on sait le faire, la question c'est est-ce qu'on a le temps
03:09 de tout faire, et quel choix on fait ? On sait le faire, en tout cas il y a des recherches
03:15 qui apportent des avancées, les ministères depuis quelque temps n'ont à peu près
03:19 rien à faire, et encore je suis gentil de ce que disent les chercheurs sur les questions
03:22 éducatives, mais ça c'est notre affaire, mais en tout cas il y a des outils, et ça
03:26 demande du temps de formation des enseignants, ça demande, ils savent déjà faire des choses,
03:30 mais s'approprier des nouveaux outils.
03:32 Et pour former les jeunes à lire il y a aussi plusieurs choses, sous l'angle ils ne lisent
03:38 plus, c'est vrai qu'il y a une partie des jeunes, des ados qui lisent moins, il
03:42 y a une baisse du nombre de très grands lecteurs, en même temps les jeunes lisent, sauf qu'ils
03:47 lisent souvent des mêmes choses, des best-sellers, des héros, etc. et qu'il y a à réfléchir
03:52 entre ce qui est diffusé dans la production, et il y a un gros travail des libraires spécialisés,
03:58 des profs doc, des bibliothécaires, des enseignants sur liser, liser, ce qui est chouette, mais
04:05 beaucoup de récits aujourd'hui sont au présent de l'indicatif, sont à la première
04:09 personne du singulier parce qu'on pense en partie à raison, mais en partie à tort
04:14 que les jeunes ne lisent que pour s'identifier au personnage, ce qui reste à prouver.
04:18 Et donc il y a quand même une relative uniformisation du style d'écriture, or à l'école on
04:26 leur demande pas que d'étudier des trucs à suspense où on prend le lecteur par la
04:29 main pour l'inviter à tourner la page parce qu'il y a du suspense à toutes les pages,
04:33 quand on lit Jules Verne, quand on lit des trucs un peu plus classiques, il y a un peu
04:36 de ça, mais ce n'est pas que ça, il faut aussi se confronter à du passé simple, à
04:41 de l'imparfait, à un narrateur extérieur, à un narrateur qui ne dit pas tout à fait
04:46 ce qu'on doit dire parce qu'on doit le comprendre, ces principes des romans policiers,
04:49 c'est quand même assez intéressant.
04:50 Et donc comment on forme à cette diversité de textes ? Il faut du temps, et pour avoir
04:55 du temps, il faut des heures et il faut des profs.
04:57 - Et en matière d'écriture, la Tribune dénonce une focalisation sur la dictée quotidienne
05:01 au détriment de l'écriture créative, qu'en pensez-vous ?
05:04 - En tout cas, on ne va pas non plus critiquer le fait qu'il y a un effort sur l'orthographe,
05:10 en même temps les recherches montrent que les dictées ce n'est quand même pas l'outil
05:15 le plus efficace pour apprendre l'orthographe, parce qu'en fait les élèves quand ils sont
05:20 dans l'écriture d'un texte à eux ne sont plus dans la posture de la dictée, en fait
05:24 il y a un changement de posture.
05:25 Bon voilà, ceci étant, moi je ne vais pas du tout relativiser les problèmes d'orthographe
05:30 et surtout de syntaxe, parce qu'en fait on dit orthographe, c'est syntaxe, connaître
05:33 les mots compliqués c'est assez secondaire, la dictée de Pivot c'est un peu un accessoire.
05:38 La question c'est comment on fait la différence entre singulier et pluriel, masculin et féminin,
05:44 comment les traces écrites portent du sens sur le fond de la pensée, donc ça c'est
05:49 aussi en écrivant, c'est en écrivant qu'on apprend à lire aussi, et ça les politiques
05:55 depuis 10 ans ont complètement oublié ça.
05:57 Que la Tribune insiste sur le temps pour écrire c'est super, sauf que pourquoi on écrit
06:03 moins à l'école qu'autrefois ? C'est parce qu'on a moins de temps, qu'il faut
06:06 faire plus de choses, et que le plus long c'est de faire écrire les élèves, corriger,
06:12 reprendre avec eux, et là tu as écrit ça, et comment pourrait l'écrire autrement ?
06:15 En fait le problème principal c'est un problème de temps.
06:19 Saskia de Ville : Est-ce que l'écart entre la culture savante enseignée à l'école
06:23 et la culture populaire que vous avez décrite notamment dans la littérature de jeunesse
06:27 s'est agrandi ?
06:28 Thierry Samitier : Oui et non, il s'est agrandi parce qu'à l'école aujourd'hui
06:36 il y a quand même une intégration de modes de raisonnement plus complexes.
06:41 Si je reste sur la littérature, quand j'ai 50 ans, quand j'étais petit on apprenait
06:46 le petit chaperon rouge et le petit poussé à l'école maternelle, parce que ça fait
06:51 partie de la culture commune et qu'il faut aller avoir des référents communs.
06:54 Super, dans les années 90 et surtout 2000 on a introduit des nouvelles choses passionnantes,
07:01 c'est le fait de, moi j'ai vu des choses formidables avec des enseignants super en
07:05 maternelle qui faisaient découvrir ses comptes à tous les élèves, y compris des comptes
07:10 moins connus, les animaux cherchant l'hiver, la chèvre à l'hibiqué qui est moins connue,
07:16 c'est dommage mais c'est comme ça, mais qui faisait identifier aux enfants quel était
07:20 le personnage principal, quel était le méchant même si ce n'est pas le nom de savant, et
07:24 du coup faisait regrouper sur une affiche tous les méchants, le loup, la sorcière,
07:28 l'ogre, ils ont quelque chose de commun et travaillent sur la structure du compte.
07:31 Donc ça c'est super, sauf que pour faire ça il faut un temps colossal, parce que tous
07:36 les élèves ne connaissent pas tous les comptes, pour arriver à avoir un regard en surplomb
07:40 sur chacune des choses, ça veut dire que ça se travaille.
07:42 Si on fait ça, qu'est-ce qu'on ne fait pas à la place ?
07:44 On fait ça dès le premier degré, mais quel parcours de lecteurs sont construits dans
07:50 la suite ?
07:51 En fait ça dépend un peu de là où l'enseignant met le curseur, et il y a une question de
07:56 comment on décide aussi de programmes qui sont faisables pour tous dans le temps, plutôt
08:00 que de dire aux enseignants, ce qui a été fait en 2007 qui est quand même un vrai piège,
08:05 dans le programme on découpe la partie obligatoire qui est le socle commun, officiellement commun,
08:11 et le reste qui est en option.
08:12 Et du coup les enseignants sont tiraillés entre "est-ce que je vise le même niveau
08:16 pour tous, comme dans toutes les écoles, chez les riches, dans le privé et chez moi
08:19 en banlieue, ou est-ce que je fais ce que je peux, là où je suis ?"
08:22 Et moi je pense que ça, ça relève d'une politique et pas seulement de "faites ce
08:26 que vous pouvez, on vous met dans des situations impossibles".
08:29 On vous comprend bien Stéphane Bonnery, du temps, du temps et du soutien aux enseignants.
08:33 Je rappelle que vous êtes professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris 8
08:36 Vincennes Saint-Denis.
08:37 Je signale aux auditeurs votre ouvrage co-écrit avec Florence Elwa.
08:40 Comment la culture vient aux enfants, repensez les médiations.
08:43 En direction de l'enfance, séparé en 2022 aux presses de Sciences Po.

Recommandations