Fayard, Hachette, Relay : Bolloré champion de l’édition politique ?

  • il y a 5 mois
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00:00 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:01 Ce matin vous allez donc nous parler du monde de l'édition.
00:04 Du tout petit monde de l'édition, de ce microcosme feutré parisien qui tient dans
00:09 un mouchoir de poche entre Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse, mais dont le poids économique
00:13 et surtout politique n'est pas à négliger.
00:15 D'autant plus que le nouveau mastodonte du secteur s'appelle Vincent Bolloré.
00:19 Bonjour Françoise Geoffroy-Bernard.
00:20 Bonjour.
00:21 Vous êtes consultante associée du cabinet de conseil spécialisé dans le secteur du
00:24 livre, le cabinet Axial.
00:26 Merci d'être avec nous ce matin.
00:27 Commençons par dresser un premier panorama de la filière.
00:30 On observe d'abord un fourmillement d'acteurs.
00:33 Oui absolument.
00:34 On recense à peu près 10 000 maisons d'édition.
00:37 Je me permets de dire d'emblée que l'édition ce n'est pas qu'à Paris.
00:42 Puisque nous sommes, au Axial, nous travaillons beaucoup avec l'ensemble des acteurs du livre
00:46 et en particulier avec les structures régionales du livre.
00:48 Et en fait il y a beaucoup d'acteurs en région, de plus en plus.
00:51 Et puis je dirais que l'édition aussi ce n'est pas que de la littérature générale.
00:56 C'est bien d'autres secteurs.
00:59 Bien sûr, mais les grands groupes qui structurent économiquement le secteur se comptent sur
01:04 les doigts d'une main.
01:05 En dehors des grands éditeurs scolaires ou spécialisés, il y a le groupe Médias
01:09 Participation avec son fleuron Le Seuil, Gallimard, le groupe Madrigal, Editis et Achète.
01:16 Ces trois derniers acteurs, François Geoffroy-Bernard, est-ce que vous pouvez évaluer leur poids
01:20 respectif sur le marché ? Qui domine ?
01:22 Clairement Achète Libre, qui est le troisième groupe d'édition mondiale qui a réalisé
01:31 en 2023 2,8 milliards de chiffres d'affaires avec 200 marques.
01:43 C'est un groupe très international aussi, ce qui le caractérise, à savoir qu'il
01:46 ne réalise que 29% de marché d'affaires en France.
01:50 Ce qui est aussi vraiment très spécifique, tandis qu'Editis pèse à peu près 800
01:58 millions de chiffres d'affaires avec aussi de très belles marques, une cinquantaine
02:03 de marques et un peu moins international.
02:07 Et puis, Médias Participation, vous l'avez dit, qui est le troisième du secteur en 2022.
02:15 Il y a à peu près 722 millions.
02:22 Et puis, Madrigal, qui comprend à la fois Flammarion et Gallimard, donc 622 millions.
02:28 Pour donner quelques chiffres en 2022 et 2023.
02:31 Vous parlez de marques, alors pour le grand public, ce qu'on voit, c'est des maisons
02:35 d'édition, en fait, on les voit en librairie.
02:37 Donc, on comprend qu'en fait, ces maisons d'édition, Fayard, Les Éditions de Minuit,
02:40 La Découverte, elles appartiennent toutes à de grands groupes.
02:43 Pourquoi subsistent-elles ? Est-ce que c'est des raisons de marketing ? Parce qu'elles
02:47 constituent des marques, justement, ou est-ce qu'elles ont une indépendance, une autonomie ?
02:50 Alors, je suis spécialiste du marketing appliqué aux livres.
02:52 Alors, je vais vous dire, oui, ce sont des marques éditoriales, au même titre que certains
02:56 auteurs sont devenus des sortes de marques.
02:58 Mais c'est évidemment toute une histoire, en fait.
03:04 Donc, un catalogue qui s'est construit au fur et à mesure, effectivement, et une ligne
03:09 éditoriale.
03:10 Et évidemment, tout l'intérêt d'un groupe d'édition, c'est de capitaliser sur cette
03:15 marque qui correspond, en fait, à un positionnement, justement, pour parler de marketing, sur
03:23 le marché qui lui est propre.
03:25 Et c'est tout l'intérêt, effectivement, d'avoir des marques, souvent, dans le même
03:30 domaine éditorial, mais avec des positionnements différents.
03:32 Au sein du groupe Achète Livre, chez Fayard, précisément, l'une des petites maisons
03:37 d'édition, Mazarin, va devenir entièrement indépendante, a-t-il été annoncé.
03:41 Elle va cependant bénéficier, peut-être, de la marque Fayard sous forme de licence.
03:46 Qu'est-ce que ça signifie, d'un point de vue économique ?
03:47 D'un point de vue économique, je ne saurais forcément vous dire.
03:52 Je n'ai pas forcément compris que ça deviendrait indépendant.
03:56 J'ai compris, quand même, que ça reste au sein du groupe Achète.
03:58 Donc, de toute façon, ça serait un label supplémentaire.
04:02 Après, je pense qu'il y a encore pas mal de choses à éclaircir, en ce moment, par
04:10 rapport à cette articulation entre Achète et ses marques.
04:14 Vous avez parlé de la cohérence éditoriale, créée par un catalogue historique, souvent.
04:20 Est-ce que, dans tous ces grands groupes et ces maisons d'édition, il y a de l'autonomie
04:27 sur ces catalogues ?
04:28 Ce que j'observe, c'est vrai que chez Axial, on est en relation permanente avec
04:34 ce microcosme, on peut parler aussi d'écosystème.
04:37 On note toutes les nuances, les interdépendances.
04:41 C'est ce qui nous occupe.
04:43 Effectivement, ce que j'ai remarqué, c'est que chez Achète, il y a plutôt une sorte
04:48 d'agrégation au fur et à mesure d'un certain nombre de maisons qui, jusqu'à
04:54 présent, ont une relative autonomie.
04:56 Et peut-être parce que le groupe Vivendi, qui a changé pas mal de fois d'actionnaire
05:01 et donc de nom, est désormais Editis, avec un nouvel actionnaire, il y a plus de choses
05:09 transversales qui existent.
05:11 Par exemple, il n'y a pas de site Internet par maison d'édition, il y a un portail
05:17 commun qui s'appelle l'Isee, où vous allez retrouver toutes les marques éditoriales.
05:21 Il y a pas mal de pôles qui regroupent certaines marques.
05:27 Il y a plus une structuration qui évolue à chaque nouvel actionnaire.
05:33 Mais il y a des fonctionnements un petit peu différents.
05:38 Par exemple, on s'occupe aussi de recrutement.
05:41 Il y a plus souvent des passages d'une maison à l'autre, me semble-t-il, jusqu'à présent
05:44 chez Editis qu'il y en avait chez Achète.
05:47 Alors ça, c'est des choses qui peuvent effectivement changer.
05:49 Ça, je ne sais pas.
05:50 L'automne a été la saison des grandes manœuvres dans le secteur sous l'œil de la Commission
05:54 Européenne.
05:55 Vincent Bolloré a pu acquérir Achète auprès d'Arnaud Lagardère.
05:58 Pour éviter une trop grande concentration, il a dû se séparer d'Editis, qu'il a
06:02 vendu à Daniel Kretinsky.
06:03 Aujourd'hui, on voit que les deux champions de l'édition, Achète et Editis, sont chacun
06:09 intégrés à deux grands groupes hégémoniques dans le secteur des médias.
06:12 Le groupe Bolloré qui contrôle, on le sait, Canal, Prism Media, Europe 1, Paris Match
06:16 et JDD.
06:17 Du côté de son rival Kretinsky, il y a Editis, mais aussi Elle, Galate, Les 7 jours, Marianne.
06:23 Bref, l'édition et la presse ne sont plus deux entités séparées ?
06:26 Je me suis replongée dans les travaux que je recommande vivement, notamment de Jean-Yves
06:33 Mollier, sur l'historique de la concentration dans le monde du livre.
06:35 Il y a aussi les travaux d'une grande économiste de la culture comme Françoise Benamon ou
06:41 les livres d'André Chiffrin qui analysent bien ce phénomène de concentration horizontale.
06:47 Ça existe depuis le milieu du XIXe siècle.
06:52 Racheter des maisons d'édition concurrente, ce n'est pas terminé d'ailleurs, parce
06:54 qu'il y a de nouvelles maisons à vendre puisque le groupe Humane 6 est en vente depuis
06:58 début février.
06:59 Donc, on peut supposer que la concentration horizontale n'est pas terminée.
07:04 La concentration verticale aussi, c'est ce qu'on observe depuis longtemps.
07:08 Racheter auparavant des imprimés, des papeteries, et maintenant plutôt avoir sa propre structure
07:13 de diffusion-distribution et puis des librairies, comme par exemple le groupe Madrigal qui a
07:17 une très grande librairie.
07:18 Et ce qu'on voit effectivement, c'est ce qu'on peut appeler une concentration plutôt
07:23 conglomérale où on va retrouver des médias, presse, voire d'autres types de médias,
07:31 avec un groupe d'édition.
07:32 Et ça, en fait, dans l'historique, finalement, on peut se reporter… alors ça commence
07:37 à devenir lointain, mais en 1980, quand Jean-Luc Lagardère a fait son OPA sur Hachette,
07:45 il possédait déjà Paris Match, Elle, etc.
07:47 Et la question dans ces conglomérats, évidemment, la diffusion d'une idéologie.
07:53 On avait vu Kretinsky chez Marianne avec la une de Macron, enfin consacrée à Macron
07:56 dans l'entre-deux tours de la présidentielle.
07:57 Et là, on craint peut-être une idéologie d'extrême droite dans ce groupe Bolloré.
08:01 On en reparlera peut-être.
08:02 Merci Françoise Geoffroy-Bernard.
08:03 Je rappelle que vous êtes consultante associée au cabinet Axial.

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