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Interview confession de personnalités politiques et médiatiques sur des sujets environnementaux

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00:00 [Musique]
00:24 [Sonnerie de téléphone]
00:29 Bonjour Natacha ! Bonjour !
00:31 Vous allez bien ? Très bien, merci !
00:33 Natacha Polony, à la tête de la rédaction du magazine Marianne, est agrégée de lettres modernes.
00:38 Cette ancienne enseignante est devenue une figure incontournable du journalisme, spécialisée dans les questions sociétales et éducatives.
00:45 Reconnue pour son engagement en faveur du souverainisme, elle a fondé le comité "Les Orwelliens",
00:50 visant à défendre l'héritage social et politique basé sur la souveraineté populaire.
00:54 Elle défend une écologie de bon sens, en faveur du nucléaire français. Son parcours et son travail témoignent de sa passion pour la transmission des idées
01:02 et de sa volonté de promouvoir le pluralisme dans les médias. Bienvenue dans "Le Déclic".
01:07 Est-ce que vous vous souvenez de votre déclic ?
01:10 Alors mon déclic, c'est assez difficile, je ne suis pas certaine qu'il y ait un déclic précis.
01:15 Mon souvenir, c'est quand je m'engage en politique, donc en 2002, avant de devenir journaliste,
01:21 j'y vais sur d'autres questions, sur les questions d'éducation.
01:24 Mais je me retrouve très rapidement sollicitée pour prononcer des discours.
01:29 C'est toujours pareil en politique, ils ont besoin de femmes, ils ont besoin de jeunes, je sais parler en public, on me dit "hop, un discours".
01:35 Et là il faut que je choisisse un thème d'intervention.
01:37 On est donc chez les chevennementistes, c'est-à-dire une gauche républicaine plutôt industrialiste.
01:43 Et là, c'est ça, automne 2001, je décide de faire un discours sur les questions écologiques au sens large,
01:53 c'est-à-dire tous les sujets qui viennent de bouleverser un peu la société,
01:58 c'est-à-dire l'affaire de la vache folle et toutes les angoisses que les gens peuvent ressentir face à ce type d'affaires, de bouleversements.
02:06 Autant dire que j'étais en terre de mission, j'étais pas en terrain conquis.
02:12 Mais il me semblait que c'était très important de faire entendre ce discours-là à ce moment-là.
02:17 Je saurais pas expliquer pourquoi exactement j'ai eu cette sensibilité-là.
02:23 Non mais c'était à un instant une situation et vous aviez envie de l'évoquer.
02:27 On va démarrer par un petit quiz. Que rêviez-vous de devenir enfant ?
02:32 Je rêvais d'être Antoine de Saint-Exupéry, d'être écrivain.
02:38 Votre premier geste écolo ?
02:41 Je dirais faire pousser un jardin dans une espèce de petit bout de serre.
02:49 Je m'occupais de faire pousser des arbres, des plantes, je faisais paysagiste.
02:54 A contrario, est-ce que vous avez un péché en écologie ?
02:58 Comme tout le monde, j'en ai beaucoup. J'ai des limites.
03:03 Autant je fais attention à ma consommation, et je pense qu'on va en parler,
03:09 mais pour moi c'est le sujet essentiel.
03:12 Je me préoccupe de la question de l'eau qui est la question cruciale.
03:17 Mais après j'ai comme tout le monde des limites.
03:20 Par exemple, je sais pas pour déconner, mais les toilettes sèches c'est ma limite absolue.
03:27 Les couches lavables, j'ai testé, c'est aussi ma limite absolue.
03:31 Il y a plein de trucs, je peux pas.
03:34 Est-ce qu'il y a une invention, une loi, un moment où vous aimeriez être le père, la mère,
03:41 quelque chose que vous souhaitiez porter ?
03:45 Ce qui me vient à l'esprit, parce que je m'y retrouvais, et ça n'a pas été voté,
03:49 tout le monde l'a signé, mais après tout le monde s'est assis dessus,
03:51 c'était le pacte écologique de Nicolas Hulot en 2006.
03:54 Quand j'ai vu ça, je me suis dit, là il y a quelque chose de vraiment révolutionnaire,
03:59 dans le sens où pour la première fois en France, il y avait quelqu'un qui parlait d'écologie
04:04 en pensant la dimension économique de l'écologie, c'est-à-dire en expliquant très clairement
04:09 qu'il allait falloir changer l'urbanisme, changer les modes de vie, agir sur le libre-échange.
04:15 Donc ce qui me semblait cohérent avec une pensée écologique.
04:19 Un accomplissement dont vous serez la plus fière ?
04:23 Vous savez, quand il y a des jeunes gens que je croise, en particulier des jeunes filles,
04:31 et qui me disent, non seulement j'adore ce que vous faites, mais j'ai envie de faire du journalisme,
04:41 de m'engager, parce que je vous ai vus, parce que je vous ai entendus.
04:45 C'est ce qu'on peut vivre de plus beau, c'est cette idée de transmission,
04:50 et l'idée qu'on a pu à un moment donné constituer un modèle pour quelqu'un.
04:56 Et est-ce que vous avez un sentiment d'inachevé ? Quelque chose que vous n'avez pas pu porter, conduire jusqu'au bout ?
05:02 Heureusement que je n'ai que des sentiments d'inachevé, et qu'il me reste encore tellement de choses à faire.
05:09 Je pense que la vie est déjà courte, mais que si on s'arrête, et si on se dit "j'ai accompli", on est mort.
05:18 Déjà, je ne peux pas me satisfaire du monde tel qu'il est, donc de toute façon, il y a toujours des choses à faire,
05:25 des causes à porter, des combats à mener.
05:29 Perico, mon mari, me dit toujours que son père l'a élevé avec cette phrase "trouve-toi une guerre".
05:35 C'est-à-dire, trouve-toi une cause à défendre, quelque chose qui va dépasser le cadre de ta vie.
05:42 Je pense que c'est la meilleure philosophie.
05:45 Pour rentrer dans le thème de l'émission, vous êtes une grande défenseur du nucléaire, de l'indépendance énergétique de la France.
05:56 Comment on traite les déchets ? Est-ce que vous arrivez à comprendre aujourd'hui les gens qui peuvent aussi être craintifs,
06:03 qui peuvent avoir des doutes, qui peuvent se dire "oui, mais le nucléaire, quelque part, c'est dangereux".
06:08 Qu'est-ce que vous leur dites ?
06:09 C'est évidemment dangereux. Vous savez, j'ai très très tôt suivi absolument tous les débats autour du projet d'enfouissement de déchets à Bure.
06:19 Quand je faisais la revue de presse d'Europe 1, je citais tous les articles qui racontaient ce truc vertigineux.
06:24 C'est-à-dire, par exemple, cette réflexion qu'ont porté des scientifiques, des philosophes, des penseurs
06:31 sur la façon dont on allait signaler aux générations futures ce site d'enfouissement.
06:37 Et la question c'était de se dire "mais les déchets, on les a pour 5 000, 10 000 ans.
06:42 Comment on fait pour prévenir l'humanité dans 10 000 ans, quand la mémoire de ce que nous sommes aura disparu,
06:49 qu'à cet endroit-là, il ne faut pas creuser, qu'il y a des déchets ?".
06:51 Donc la question du long terme et du danger des déchets nucléaires, je l'ai pleinement.
06:56 Mais c'est d'ailleurs pour ça que je trouve absolument effarant et absurde d'avoir arrêté le projet Astrid,
07:03 qui est justement un projet qui repose sur l'utilisation des déchets, le traitement qui répond à cette problématique.
07:12 Mais de toute façon, il ne s'agit pas de dire que le nucléaire n'est pas dangereux.
07:15 Le nucléaire, c'est dangereux.
07:17 Simplement, on est face à une problématique qui est que nous avons besoin d'énergie et que les sociétés humaines...
07:25 – Avec un prix maîtrisé aussi.
07:27 – Voilà, avec un prix à peu près correct parce que sinon c'est une vie épouvantable pour les plus pauvres.
07:32 Donc c'est impensable de se dire qu'on va réguler par le prix.
07:36 C'est pas ça. Il faut une énergie abordable qui permette de maintenir un niveau de vie correct, suffisant,
07:45 pour les populations qui existent aujourd'hui.
07:48 Quand je dis un niveau de vie correct, ça veut dire la médecine, ça veut dire des transports.
07:52 – Justement, vous évoquiez aussi précédemment une démocratie, c'est aussi avoir une maîtrise de l'énergie
07:59 et ça permet quelque part d'avoir un équilibre.
08:02 Et cet équilibre, justement, c'est la maîtrise du système et du monde dans lequel on est.
08:07 Est-ce que vous pouvez développer, est-ce que vous avez peur quelque part d'une dictature verte ?
08:11 – Méfions-nous des termes "dictature verte", etc.
08:13 Mais de fait, je pense que nous sommes dans un moment où certains ont la tentation de se dire
08:19 "les enjeux écologiques sont supérieurs à tout, c'est une question de vie ou de mort".
08:23 Et dans un moment où il est question de vie ou de mort, on peut suspendre tout ce qui va ralentir les décisions,
08:31 donc on peut suspendre la démocratie. Je crois que c'est la pire façon de faire.
08:34 Mais surtout, j'y insiste. Pourquoi je pense que le nucléaire est une solution ?
08:39 Une des solutions, attention, premier point, nous avons besoin d'une certaine quantité d'énergie,
08:45 on exclut les énergies fossiles qui sont calamiteuses,
08:48 il nous reste les énergies renouvelables et le nucléaire.
08:51 Évidemment que les énergies renouvelables sont plus propres.
08:53 Pour autant, moi je suis attentive à la question de la biodiversité,
08:57 des oiseaux et des chauves-souris qui sont perturbés par les éoliennes,
09:02 je suis attentive à la question esthétique, c'est-à-dire que je n'ai pas non plus envie
09:07 d'avoir des paysages entièrement colonisés par l'homme,
09:11 je veux qu'ils restent sur cette terre, et en France qui est un pays qui est béni du point de vue
09:17 de la beauté des paysages, je veux qu'ils restent des lieux sauvages.
09:20 Mais la question c'est d'avoir un mix parce que sinon ça ne suffira pas,
09:23 ça ne suffira pas pour le développement dont nous avons besoin, encore une fois,
09:28 non pas pour faire n'importe quoi mais pour maintenir une qualité de vie correcte pour les gens.
09:34 A ceci près que je maintiens aussi qu'il va falloir passer par une forme de décroissance,
09:40 c'est-à-dire qu'on ne va pas continuer à consommer de l'énergie comme ça autant qu'on veut et à développer.
09:47 Il faut aussi à un moment donné réfléchir à notre modèle de développement,
09:50 c'est-à-dire limiter la consommation, en finir avec le modèle de capitalisme consumériste.
09:56 Quand je prône l'énergie nucléaire, c'est pour des raisons précises,
10:01 parce que ça permet une grande quantité d'énergie sur un petit espace,
10:06 mais ce n'est pas pour se dire "c'est la fête, on va pouvoir continuer à produire des tas d'objets inutiles,
10:13 on va faire n'importe quoi". Non, on doit absolument réduire parce que sinon on va massacrer la planète,
10:18 nucléaire, pas nucléaire, énergie renouvelable ou non.
10:21 Quel regard vous portez sur l'Allemagne qui, justement, vient de fermer des centrales nucléaires
10:26 et qui réouvre de la production et des mines à charbon ?
10:30 Ça fait des années, je me souviens quand Angela Merkel a quitté le pouvoir,
10:35 nous avons fait à Marianne un article intitulé "Le vrai bilan d'Angela Merkel"
10:40 où l'on expliquait à la fois ses mauvais choix en matière énergétique,
10:44 ses mauvais choix dans le développement du pays, l'absence totale de vision, etc.
10:49 À l'époque, on s'est fait traiter de germanophobe.
10:52 Maintenant, on s'aperçoit qu'en effet, elle a commis des erreurs absolument effarantes.
10:56 Ce sont des choix économiques, là, d'après vous ?
10:58 Bien sûr, mais sauf que là, en l'occurrence, c'est en plus pour des considérations politiciennes,
11:05 mais exactement de la même manière qu'en France, on a commencé à détruire la filière nucléaire
11:11 pour des considérations politiciennes.
11:14 C'est un accord sur un coin de table entre Martine Aubry et Cécile Duflo,
11:19 juste avant la primaire qui a désigné François Hollande comme candidat.
11:24 Il s'agissait d'un accord sur les législatives.
11:26 Et donc, le parti socialiste dit "Oh bah allez, on sacrifie le nucléaire,
11:30 et comme ça, vous êtes contents, on fait un accord avec vous."
11:32 Justement, comment on peut expliquer aujourd'hui aux gens qui nous regardent,
11:36 on a l'impression qu'on avance, on recule, que les politiques elles-mêmes ne savent pas où elles vont,
11:42 et qu'on n'a quelque part pas de vraie réponse pour cette solution énergétique.
11:46 Parce qu'il n'y a aucune réflexion de long terme, et c'est ça qui est effarant.
11:50 Là, la question qu'on devrait se poser, c'est à échelle de 10 ans, de 20 ans, de 50 ans,
11:57 quel modèle de société nous voulons, comment nous allons financer notre niveau de vie,
12:04 permettre de maintenir les infrastructures indispensables pour que les gens vivent correctement,
12:09 à un prix qui permette une certaine équité entre les populations,
12:14 et qui va faire que les plus pauvres ne seront pas sacrifiés.
12:17 Comment on fait en sorte de rendre ça compatible avec la préservation de la biodiversité,
12:22 la préservation des terres arables, parce que là aussi, ça fait des années qu'on recouvre
12:26 les meilleures terres en France, on se fout complètement, non seulement de la souveraineté alimentaire,
12:31 mais du fait que nourrir l'ensemble de la population mondiale d'ici 10, 20 ans,
12:36 ça va devenir un enjeu absolument énorme.
12:39 Les Chinois achètent des terres, l'Arabie Saoudite achète des terres,
12:42 et nous on les bétonne pour faire des parkings de supermarchés.
12:45 C'est une stupidité, et on bétonne les meilleures terres évidemment,
12:48 puisque ce sont celles qui sont autour des agglomérations.
12:51 Il n'y a aucune réflexion là-dessus, aucune. Enfin, une réflexion écologique,
12:56 lui consistait à se dire "nous allons décarboner, donc nous allons avoir besoin d'électricité,
13:03 donc nous allons réfléchir à la meilleure manière d'en produire de façon à peu près propre.
13:10 Ensuite, nous allons réfléchir à la façon dont nous consommons cette énergie que nous produisons,
13:16 est-ce que réellement nous la consommons correctement, à quel endroit est-elle produite ?
13:20 Un exemple simple, la France s'enorgueille d'avoir des performances en matière de production de gaz à effet de serre
13:27 meilleures que les autres pays, très bien, mais si c'est parce que nous sommes totalement désindustrialisés
13:32 et que nous avons externalisé notre pollution, on n'y gagne rien. Or c'est ça qui se passe.
13:36 Donc, comment on fait pour produire de façon plus propre des produits qui permettent à des gens de vivre ?
13:45 C'est ça la question.
13:46 Donc on relocalise, à nos conditions, c'est-à-dire que les usines qu'on va construire en France doivent être des usines propres,
13:54 des usines qui répondent aux normes qui sont les nôtres, et qui ensuite fonctionnent en circuit court pour recréer des bassins économiques.
14:02 Ça semble la logique. Vous vous rendez compte du temps qu'il a fallu pour arriver à ça ?
14:07 Parce que pendant des années, dès qu'on parlait des industrialisations, tout le monde considérait que c'était ringard.
14:12 Quand on essayait d'expliquer qu'il fallait relocaliser, on nous répondait que le libre-échange c'était formidable et qu'il ne fallait pas…
14:18 Et que c'était impossible de relocaliser.
14:20 Voilà, le protectionnisme, c'était de la xénophobie, c'était de la frilosité. Enfin, on a un peu progressé, mais…
14:26 Il reste encore du sommet.
14:28 Voilà, qu'il gâchit surtout, qu'il gâchit.
14:30 Natacha Polony, on vous définit de réac en matière d'écologie. Comment vous vous qualifiez de souverainiste ?
14:38 J'ai le souvenir un jour d'un article écrit par David Degouy, je ne sais plus, je crois que c'était sur le site Causeur,
14:46 qui me qualifiait de réac de gauche, anard de droite et écologiste tendance à hausser.
14:54 Je trouvais ça assez marrant. Parce que de fait, de gauche, de droite, la question n'est pas tellement là.
15:02 Quand j'émets une proposition, une pensée, je ne me demande pas si elle est de droite ou de gauche.
15:09 C'est un oubli complet de toute l'histoire de la gauche. C'est quand même extraordinaire.
15:15 Enfin, pardon, mais l'industrialisme, je vous racontais justement que devant l'échevènementiste,
15:21 c'est-à-dire devant la tendance de la gauche du Parti Socialiste, le CRS, qui a gardé le plus longtemps sa référence marxiste,
15:29 j'ai parlé d'écologie. Mais parce que justement, la tradition de la gauche républicaine et du Parti Communiste,
15:36 de toute la tendance marxiste de la gauche, c'était d'être industrialiste. Et donc, pronucléaire.
15:42 Parce qu'il y avait cette idée que c'était une des filières qui nous permettait d'être indépendants.
15:46 Donc, la gauche, ce n'est pas juste les petits oiseaux, les petites fleurs. Non. La gauche, c'est avant tout, pardon,
15:54 mais la gauche, pour moi, c'est, pensez, l'émancipation des individus et l'égalité. C'est-à-dire, comment l'État va permettre
16:07 que les citoyens soient égaux entre eux, qu'ils aient les mêmes chances. Les mêmes chances d'exprimer leur liberté.
16:13 C'est donc cet équilibre entre liberté et égalité, au nom de la fraternité.
16:19 – Vous parlez souvent d'un clivage d'une écologie urbaine via une écologie rurale. Comment vous expliquez cette dichotomie ?
16:26 – Alors moi, je n'emploie pas cette question écologie urbaine ou écologie rurale.
16:31 Mon idée, enfin mon obsession, quand je parle d'écologie, c'est de ne jamais oublier les conditions de production.
16:43 Ce que je reproche à la gauche écologiste, c'est d'avoir trop longtemps fermé les yeux, non seulement sur ce qui,
16:54 dans le système, notamment le système européen, détruisait les droits sociaux, détruisait les ancrages territoriaux,
17:03 détruisait les protections, parce qu'il fallait être européen, parce qu'on était internationaliste, c'était bien.
17:11 Et donc on refusait de voir que l'Europe telle qu'elle était construite, était en fait une Europe néolibérale,
17:16 qui détruisait les classes moyennes et les classes populaires.
17:19 Ça c'est la première chose que je leur reproche.
17:21 Et ensuite, c'est d'avoir oublié la réflexion sur les conditions de production.
17:26 C'est-à-dire qu'expliquer qu'on va faire de l'écologie en disant aux gens "vous ne devez pas prendre votre voiture",
17:32 quand on a conçu un système économique qui les oblige à habiter loin de leur lieu de travail,
17:39 qui les oblige à consommer dans des supermarchés des produits fabriqués à l'autre bout de la planète,
17:45 parce qu'on a trouvé formidable libre-échange avec la division mondiale du travail, moi ça me pose un problème.
17:50 Toutes les classes populaires et les classes moyennes qui ont petit à petit été évacuées des centres-villes,
17:55 qui ont profité de la métropolisation.
17:58 Vous savez, sur les 15 dernières années, 82% des emplois créés l'ont été dans les métropoles.
18:04 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y a des pans entiers du territoire qui se sont désertifiés et appauvris.
18:09 C'est surtout ça la réalité de la France.
18:11 C'est que l'État a cessé de jouer son rôle dont je parlais tout à l'heure d'égalité des chances,
18:17 de rééquilibrage entre les territoires.
18:19 On ne peut pas faire d'écologie si on ne pense pas à ça, à cet aménagement du territoire.
18:23 Pourquoi ? Parce que la métropolisation a une conséquence.
18:28 C'est que tous les emplois sont dans les métropoles, donc les gens ont besoin d'être là.
18:32 Ils ne peuvent pas tous habiter là.
18:34 Donc, crise du logement, extension de l'urbanisme,
18:38 parce qu'il faut bien construire des logements là où il y a du boulot,
18:42 donc on construit des pavillons, des tours, etc.
18:45 Et pendant ce temps-là, vous avez dans toute la France,
18:48 des villages qui se vident de leur population,
18:51 un bâti ancien absolument magnifique qu'on laisse se détruire
18:54 parce qu'il n'y a plus d'emplois à cet endroit-là.
18:56 L'important dans la réindustrialisation, c'est quoi ?
18:59 C'est que vous faites de la réindustrialisation,
19:02 vous faites de la réindustrialisation dans les villes,
19:05 vous faites de la réindustrialisation dans les industries,
19:08 vous la faites justement dans des villes moyennes, dans des zones rurales,
19:12 vous recréez de la vie à cet endroit-là.
19:15 C'est pour ça qu'il faut penser l'écologie en même temps que la réindustrialisation,
19:22 en même temps que les infrastructures,
19:24 puisque c'est à l'état de fournir les infrastructures
19:26 et à la fois d'aller vite dans cette réindustrialisation,
19:29 mais de préserver l'environnement autour, qu'on ne fasse pas n'importe quoi.
19:33 Il faut penser tout en même temps.
19:36 – Justement, pour appréhender tout ça,
19:39 on est sur des sujets globalement complexes,
19:41 quel est le rôle des médias ?
19:43 Comment on traite ça en tant que journaliste
19:45 pour arriver à donner la bonne information aux bons interlocuteurs
19:48 sur un sujet qui est globalement complexe ?
19:51 – Il me semble que le rôle des médias devrait être justement
19:55 de faire le lien entre tous ces sujets,
19:58 de se confronter à l'exercice que je viens de faire,
20:01 c'est-à-dire de dire, l'écologie, est-ce que c'est seulement
20:05 les gaz à effet de serrer et le climat ?
20:07 Est-ce que c'est seulement la question de l'eau ?
20:09 Est-ce que c'est seulement la biodiversité ?
20:11 Ou est-ce qu'il faut relier ça à la question de l'emploi,
20:13 à la question du logement, à la question du libre-échange ?
20:16 – Vous avez une approche plutôt globale.
20:19 – Je pense qu'il faut en fait lier le local et le global.
20:23 – D'après vous, tous les journalistes peuvent parler d'écologie ?
20:26 Est-ce qu'il n'y a pas une formation ?
20:28 Est-ce qu'il ne doit pas y avoir des compétences particulières,
20:30 d'après vous, pour lutter contre les fake news,
20:32 pour être vraiment précis sur des sujets importants ?
20:34 Est-ce que, pour vous, tous les journalistes peuvent et doivent en parler ?
20:38 Ou, à contrario, il faut que ce soit peut-être sur des journalistes
20:42 plus spécialisés pour traiter des sujets ?
20:44 – Il faut les deux.
20:45 Regardez, à Marianne, on fait très souvent intervenir
20:48 un journaliste spécialiste des questions de l'eau,
20:50 des questions des sols, Frédéric Danhé,
20:52 qui pour moi est quelqu'un qui connaît absolument parfaitement son sujet.
20:57 Il est spécialiste et du coup, il nous apporte des articles absolument passionnants.
21:02 Il avait fait une série d'été sur l'eau il y a trois ans,
21:05 qui était formidable.
21:07 Et puis à côté de ça, vous avez des journalistes
21:10 qui doivent être capables justement de voir de façon synoptique,
21:15 c'est-à-dire de relier la question écologique à la question économique,
21:18 à la question politique.
21:19 On ne peut pas avoir que des ultra spécialistes,
21:22 parce que sinon, on ne voit pas le lien entre les choses.
21:25 En 2006, j'étais avec Jean-François Kahn,
21:29 et on discutait, il me dit, j'étais petite jeune journaliste,
21:33 et il me dit en passant, "Ah bah tiens, vous, qu'est-ce que vous feriez
21:35 comme une de Marianne la semaine prochaine ?"
21:37 Et je lui réponds, "Vous savez, le JDD vient de faire aujourd'hui sa une
21:40 sur la fonte des neiges du Climat de Jarot."
21:43 C'est-à-dire le fait qu'il n'y a plus de neige au sommet du Climat de Jarot.
21:46 Moi, je ferais ça, je trouve que c'est un sujet.
21:49 Et il me dit, "Bah écoutez, c'est une excellente idée, c'est formidable,
21:53 mais en fait, ça n'intéresse pas les gens."
21:55 Et justement, la semaine suivante, Nicolas Hulot a sorti son pacte sur l'écologie,
21:59 et je pense que si, ça intéresse, bien sûr que si, ça intéresse.
22:04 En tout cas, il faut les faire s'intéresser.
22:06 Le rôle des journalistes, c'est d'équilibrer,
22:08 c'est-à-dire d'avoir ce discours pédagogique pour être capable
22:14 d'amener les gens jusqu'à des choses qui, a priori, les intéressent pas forcément.
22:19 Évidemment que là, actuellement, la question, c'est leur pouvoir d'achat.
22:22 Mais si vous leur expliquez que leur pouvoir d'achat,
22:25 il est lié au fait qu'on est obligé, qu'on leur a expliqué pendant des années
22:30 qu'il fallait acheter le moins cher possible,
22:32 parce que c'était comme ça qu'on allait les aider,
22:34 et du coup, ils ont acheté des produits fabriqués ailleurs,
22:36 ils ont détruit leurs propres emplois...
22:38 - Et que peut-être, il y a demain, des habitudes qui doivent aussi changer,
22:40 et qui préserveront leur pouvoir d'achat, absolument.
22:42 - Voilà. Et cette pédagogie-là, c'est aux journalistes de la faire,
22:46 expliquer les mécanismes, raconter la question de la destruction de la biodiversité,
22:51 et comment vous arbitrez, justement, sur la construction d'un lotissement,
22:55 sur l'extinction...
22:56 - Alors, justement, quand on fait une une, aujourd'hui, d'un journal,
23:00 est-ce que, quand on est sur un sujet écologique,
23:03 on intéresse vraiment les gens, ou d'après vous, c'est un effet de mode
23:07 et il faut faire une une sur de l'écologie et on joue dessus ?
23:10 - Non. Non, non, je pense que ça intéresse vraiment...
23:13 Alors, indéniablement, les sécheresses de l'an dernier ont modifié le regard
23:18 des lecteurs sur ces problématiques-là.
23:21 Je vous disais qu'on avait fait une série sur l'eau, il y a 2-3 ans,
23:25 et on avait fait une une sur la sécheresse.
23:28 Je ne vais pas vous dire que ça avait eu un impact énorme à l'époque.
23:31 - Dès qu'on est concerné, il faut que ça nous soit raconté.
23:33 - Voilà. Mais l'an dernier, les gens ont pris conscience,
23:36 et du coup, là, il y a un peu plus de répondants.
23:39 En fait, c'est une angoisse, et c'est pour ça que l'important,
23:42 c'est aussi de pratiquer un journalisme qui ne va pas seulement être
23:46 un journalisme anxiogène ou un journalisme donneur de leçons,
23:50 mais qui va être un journalisme de proposition, de définition, de solution.
23:56 C'est-à-dire que là aussi, on a une pratique à Marianne,
23:59 où notre idée, c'est que quand on critique un système,
24:01 on doit pouvoir proposer autre chose.
24:03 On critique le capitalisme consumériste, la destruction de la biodiversité, etc.
24:08 Qu'est-ce qu'on a à proposer ?
24:09 Donc, à chaque fois qu'on traite ces sujets-là,
24:11 on se demande ce qu'on ferait à la place des décideurs.
24:14 - Concernant la forêt, vous avez critiqué les voleurs de bois,
24:19 le capitalisme au travers de l'économie du bois, de la forêt, etc.
24:24 Ça vous amène un sentiment d'impunité ?
24:27 - Il y a une forme d'impunité.
24:28 Il y a là aussi une forme de désintérêt de la part des pouvoirs publics
24:33 que je trouve très inquiétante.
24:35 Il y a une forme d'absurdité aussi dans un système qui surproduit.
24:43 Vous voyez, par exemple, l'économie, ce qu'a changé Ikea
24:48 dans l'économie du bois, la pratique des gens, leur vie,
24:53 ça me semble un truc qui n'a jamais été étudié, pardon, mais c'est énorme.
24:57 C'est-à-dire que voir, par exemple, qu'aujourd'hui,
24:59 on va produire à la pelle des copeaux de bois...
25:03 - Des granulés.
25:04 - Voilà, des granulés qui détruisent des forêts.
25:06 On est en train de détruire de façon totalement illégale
25:09 les dernières forêts primaires d'Europe, en Roumanie,
25:12 pour alimenter cette espèce de production, de surproduction
25:17 de meubles vraiment de qualité absolument atroces.
25:22 Et à côté de ça, vous vous apercevez qu'il n'y a plus moyen,
25:26 les meubles anciens, les gens n'en veulent plus.
25:29 On est dans un système absurde.
25:32 La France est en train de devenir, et c'est non seulement
25:35 un problème écologique mais aussi un problème économique,
25:37 est en train de devenir une économie, c'est le plan,
25:40 le commissariat au plan qui l'a dit et de façon tout à fait juste,
25:43 une économie de pays du tiers monde.
25:45 C'est-à-dire un pays qui produit des matières premières
25:48 mais qui est incapable de les transformer.
25:50 C'est vrai sur le bois, c'est vrai sur la pomme de terre,
25:52 enfin c'est quand même hallucinant, on produit des pommes de terre
25:55 mais on importe nos chips parce qu'on n'a pas d'usine pour les faire.
25:58 Mais c'est pareil, le bois, on l'a cité plusieurs fois dans Marianne
26:01 comme l'exemple type de l'absurdité de la désindustrialisation française.
26:06 C'est-à-dire qu'on pourrait, évidemment, recréer une industrie
26:10 qui du coup respecterait des critères qui réfléchissent
26:15 au risque d'incendie, qui réfléchissent à la gestion des forêts.
26:18 Vous êtes très engagée dans le monde de la littérature.
26:21 Comment cet univers aujourd'hui s'imprègne de la transition énergétique ?
26:26 Comment il participe à une prise de conscience ?
26:29 Je me méfierais beaucoup d'un discours qui consisterait à dire
26:34 que la littérature doit s'engager sur des problématiques comme celle-là.
26:40 En revanche, j'en reviens à ce que je disais à l'instant sur la question du beau.
26:45 L'attention à la beauté, l'attention à l'éphémère de ce monde,
26:51 à la fragilité de ce monde, qui sont au cœur, à mon avis,
26:55 de l'art en général et de la littérature en particulier.
26:59 Une réflexion sur ce qui s'efface, sur la vanité des choses,
27:05 mais aussi sur ce qu'on peut préserver.
27:07 Ça, c'est à partie lié avec l'écologie.
27:10 Pourquoi je pense que j'ai été sensible à la question écologique
27:14 assez tôt et dans un milieu qui n'était pas forcément sensible ?
27:19 Parce que j'ai été sensible très très tôt à la littérature en général
27:25 et à la poésie en particulier.
27:27 Et en particulier à la poésie d'un poète qui s'appelle Yves Bonnefoy,
27:31 sur lequel j'ai fait un mémoire de maîtrise, un mémoire de débat,
27:35 et dont tout le travail était de réfléchir à la façon dont on peut traduire par les mots
27:43 l'émotion qu'on ressent à être vivant ici, maintenant,
27:48 à être incarné dans ce monde avec les odeurs, les lumières qu'on a autour de soi.
27:53 Vous voyez, quand un poète essaye de traduire ça,
27:57 pour moi, il porte une pensée écologique mille fois plus puissante
28:03 que s'il se disait "je vais défendre l'écologie par ma poésie".
28:08 Natacha Polony, c'est la dernière question.
28:12 Est-ce que la transition écologique doit être forcément heureuse ?
28:18 Question extrêmement complexe.
28:21 Alors, pas si complexe que ça.
28:24 Je pense que la transition écologique ne peut pas se faire correctement
28:31 si on ne réfléchit pas à la question du bonheur.
28:35 Je pense que réfléchir à ce que c'est qu'une société qui produit du bonheur,
28:40 c'est déjà remettre en question le consumérisme tel qu'il existe,
28:46 qui produit de l'avoir, de la possession, mais certainement pas du bonheur,
28:50 certainement pas de l'épanouissement.
28:52 Parce que ça veut dire qu'on va s'apercevoir que vous bouffez des cochonneries
28:55 faites de sucre, de gras absolument ignobles, qui détruisent la planète,
29:00 ça ne nous sert à rien et ça ne nous comble pas.
29:02 Donc réapprendre à être comblé par le fait tout simplement de regarder un ciel étoilé,
29:09 d'aimer une odeur, d'aimer l'atmosphère d'une campagne ou d'une ville,
29:15 ça, ça fait partie de ce qui permet ensuite de construire une société vivable.
29:22 Donc je pense que oui, la transition énergétique peut être heureuse
29:26 si on se pose la question de ce que c'est que le bonheur
29:28 et comment un modèle politique et économique, non pas dicte leur bonheur aux gens
29:33 et leur dit "votre bonheur ça va être de faire ça",
29:36 mais se pose la question de savoir comment chacun va pouvoir trouver son épanouissement
29:42 et son bonheur.
29:43 – Et son équilibre.
29:44 Merci beaucoup Tacha Polony.
29:46 – Merci à vous.
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