Quelques jours après le séisme qui a fait plus de 2.000 morts au Maroc, Sonia Devillers reçoit Karine Meaux, responsable des urgences à la Fondation de France, ainsi que l'écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-11-septembre-2023-1658796
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00:00 France Inter, le 7/10.
00:03 Il est 7h48, Sonia Deviller, deux invités ce matin pour évoquer le drame que vit depuis
00:09 vendredi soir la population marocaine.
00:11 Karine Mo, bonjour.
00:12 Vous êtes responsable des urgences à la Fondation de France.
00:15 Et ce qui est intéressant, c'est que la Fondation de France, en fait depuis 10 ans,
00:18 avait déjà ciblé 7 régions précisément au Maroc pour intervenir.
00:22 Oui, tout à fait.
00:23 Sur des actions de renforcement des associations de jeunes, de femmes qui travaillent dans
00:28 ces zones montagneuses, souvent les plus isolées et les plus vulnérables.
00:32 Les plus vulnérables.
00:33 Et en ligne avec nous, Leïla Slimani, bonjour.
00:37 Bonjour.
00:38 Bonjour Leïla, je rappelle que vous êtes écrivaine franco-marocaine, que vous êtes
00:43 née à Rabat, où votre mère réside toujours.
00:46 Et que vous aviez un mot justement pour ceux que peut ressentir cette foule immense des
00:53 Marocains qui vivent loin de chez eux, et qui vivent le drame loin de chez eux.
00:58 Oui, je fais partie de la diaspora marocaine qui est nombreuse aujourd'hui.
01:04 Presque 15% de la population marocaine vit hors du Maroc.
01:08 Et c'est difficile de vivre ces tragédies à distance parce qu'on voudrait se rendre
01:14 utile, on se sent impuissant.
01:16 Mais je crois qu'aujourd'hui, qu'on soit en France, au Canada ou en Belgique, le cœur
01:21 de tous les Marocains, il est à Mismis, il est à Tahnout, il est à Marrakech, il est
01:26 partout où ces vies sont détruites, où ces familles sont décimées, où on s'inquiète
01:32 énormément pour l'avenir et même pour l'hiver qui va arriver.
01:35 Qui va arriver très vite.
01:37 C'était des régions fragiles, des régions enclavées, difficiles d'accès et économiquement
01:44 défavorisées, Karine Mau vient de le dire.
01:46 C'est des régions qui ont été durement frappées par le Covid, Leïla Slimani.
01:51 Oui, qui ont été très durement frappées, où ça a été difficile d'apporter les
01:55 vaccins, de faire que les gens soient soignés, soient évacués vers les hôpitaux.
02:00 C'est des régions où il est difficile de soigner, où il est difficile d'éduquer,
02:04 d'électrifier, d'apporter de l'eau potable, de venir en aide aussi aux populations les
02:08 plus vulnérables.
02:09 Vous en parliez tout à l'heure, c'est-à-dire les enfants, les femmes.
02:12 Et là, tous les progrès qui ont été faits ces dernières années, qui ont été ralentis
02:16 déjà par le Covid, là on a le sentiment qu'il va y avoir encore peut-être un retour
02:21 en arrière.
02:22 Donc c'est vraiment des populations qui souffrent, d'autant que le tourisme est une des activités
02:26 principales de cette région et que là il y a une très très grande inquiétude sur
02:31 l'avenir de cette activité touristique qui est très importante pour cette population.
02:34 Et une solidarité propre à la société civile marocaine qui vous a frappé, Leïla Slimani,
02:41 et qui vous a pas surprise d'ailleurs.
02:43 Oh non, elle m'a pas surprise.
02:45 Et d'ailleurs pendant le Covid, ça avait été le cas aussi.
02:49 Vraiment une entraide et une solidarité extraordinaire.
02:52 Je voyais des images de jeunes garçons de 18-19 ans qui portent des vieilles dames sur
02:59 leur dos.
03:00 Les gens viennent de Rabat, de Casablanca, parce que souvent les gens de ces villages,
03:04 il y a eu beaucoup d'exode rural, donc vivent maintenant dans les grandes villes.
03:07 Donc tous les enfants, les neveux reviennent dans ces villages pour apporter des couvertures,
03:12 de l'eau, des vêtements chauds pour les enfants.
03:15 Il y a une solidarité, une entraide extraordinaire.
03:18 C'est un pays, le Maroc, où les gens sont extrêmement croyants.
03:20 Il y a aussi une spiritualité qui est très forte, qui porte les gens et qui donne aussi
03:26 une autre image de cette religion, qui montre aussi une image très belle et très spirituelle.
03:32 Ça leur apporte aussi de la force.
03:34 Et c'est la force de la société civile marocaine face aux carences parfois de l'État ?
03:39 Oui absolument, que ce soit sur la condition des femmes, que ce soit sur l'éducation.
03:45 C'est vrai que la société civile a toujours été là, extrêmement active, extrêmement
03:50 efficace aussi.
03:51 D'ailleurs on voit aujourd'hui que beaucoup d'ONG, beaucoup de bénévoles qui ont envie
03:57 d'aider se reposent aujourd'hui sur des associations marocaines.
04:01 Et que l'État d'ailleurs est tout à fait conscient, heureusement que ces associations
04:05 existent, parce que souvent eux-mêmes se sont reposés sur leur expertise et leur capacité
04:10 à aller toucher les populations les plus éloignées, les plus fragiles.
04:13 Alors ces associations de terrain justement, Karine Mosse, ce sont celles que vise depuis
04:19 plusieurs années la Fondation de France.
04:21 Je rappelle que la Fondation de France c'est un réseau philanthropique qui aide des associations.
04:25 Vous ne développez pas vos propres initiatives et vos propres opérations sur le terrain,
04:30 vous venez en aide aux acteurs de terrain et ça, ça change tout.
04:32 Exactement, on le fait aujourd'hui au Maroc, on le fait sur d'autres terrains.
04:37 Récemment, j'étais venue il y a quelques mois vous parler, suite au séisme en Turquie
04:42 et en Syrie, donc on s'appuie sur ces mêmes acteurs dont Leïla vient de faire mention,
04:47 qui sont des citoyens avant tout et qui s'entraident, en particulier dans ces premiers jours de
04:54 catastrophe.
04:55 Et donc comme Leïla l'a indiqué, je discutais hier et avant-hier avec mes partenaires, les
05:00 personnes viennent de Rabat, de Casablanca pour apporter leur aide.
05:04 Il y a beaucoup d'entraide à l'intérieur des villages pour le moment.
05:07 Donc ça signifie que vous, vous avez récolté de l'argent ce week-end, vous pouvez nous
05:11 donner un montant en gros, où vous en êtes de la récolte de dons ?
05:14 Oui, nous avons collecté un petit peu plus d'un million d'euros et nous remercions
05:17 déjà beaucoup Radio France pour son partenariat et tous les Français qui nous font confiance
05:22 comme à chaque fois qu'un coin du monde subit une grande catastrophe.
05:26 Donc ça veut dire que les procédures de transfert de fonds sont déjà au point, il
05:29 n'y a plus qu'à appuyer sur le bouton.
05:33 Ce qui est intéressant, c'est de dire qu'il va y avoir une aide d'urgence et puis il
05:37 va y avoir une aide dans la durée.
05:39 Aujourd'hui, l'argent qui est envoyé va servir à acheter, à manger, à boire, des
05:45 matelas.
05:46 Les gens ont tout perdu, les maisons se sont écroulées.
05:48 Donc ça c'est vraiment la priorité.
05:49 Très vite, il faut qu'on pense à la prochaine étape.
05:52 Leïla a mentionné l'hiver qui va arriver très vite.
05:55 Effectivement, ça n'a pas de sens aujourd'hui, par exemple, de distribuer des tentes qui
06:00 ne seront plus appropriées dans trois ou quatre mois.
06:02 Donc il faut réfléchir au cas par cas.
06:04 On est en montagne, ça ne sera pas la même réponse qu'à Marrakech.
06:08 La mise à l'abri, ça peut être dans des centres collectifs, réhabilité, renforcé,
06:14 réaménagé.
06:15 Il faut vraiment regarder au cas par cas.
06:17 Et cette capilarité que nous avons avec l'ensemble des associations avec lesquelles on travaille
06:22 depuis plusieurs années va nous permettre…
06:23 Et associations locales, je le répète, parce qu'il y a évidemment cette inquiétude qui
06:27 monte, c'est-à-dire le Maroc ne fait pas appel à l'aide internationale.
06:31 Donc vous n'êtes pas concerné, justement.
06:32 Vous ne faites pas partie de ces associations qui n'ont pas pu décoller, qui n'ont pas
06:36 pu intervenir sur place puisque vous passez par un réseau local.
06:39 Tout à fait.
06:40 Certaines de ces associations sont appuyées aussi par des ONG françaises qui sont présentes
06:44 sur le terrain, qui l'étaient avant le séisme et qui sont encore pour le travail
06:48 social, le relèvement des populations.
06:52 Les ONG françaises sont tout à fait en capacité d'agir également.
06:55 Qu'est-ce qu'on appelle l'effet fallaise ?
06:56 L'effet fallaise, souvent ce qu'on observe après une catastrophe, un grand élan de
07:02 générosité, les financeurs qui arrivent et puis au bout de six mois, vous voyez, c'était
07:08 la Turquie il y a six mois, un an avant c'était l'Ukraine, les gens oublient, les financeurs
07:13 s'en vont et les associations se retrouvent tout d'un coup sans moyens, au moment même
07:17 où il faut passer au travail le plus coûteux, la reconstruction, la réhabilitation des
07:23 écoles, la relance économique des populations.
07:27 C'est ce qu'on appelle l'effet fallaise et c'est pour ça que l'argent que nous
07:31 collectons, nous en consacrons une partie à l'aide d'urgence immédiate bien sûr,
07:36 mais nous gardons aussi en perspective cette phase où les associations vont avoir besoin
07:42 plus que jamais de notre aide pour penser l'avenir.
07:45 Et où vous ne serez plus dans le feu de la médiatisation et de l'appel permanent
07:50 à la collecte.
07:52 Il y a quelque chose sur lequel vous appuyez fréquemment, vous la Fondation de France,
07:57 c'est l'importance de la santé mentale dans les enjeux de santé publique au moment
08:01 des catastrophes naturelles.
08:03 Effectivement, on s'aperçoit que l'émotion vient souvent dans la visualisation des bâtiments
08:11 effondrés ou des toits envolés, etc. en fonction des catastrophes.
08:14 Donc ce sont des inhumations d'urgence, ce sont des soins médicaux d'urgence.
08:19 Tous les témoignages ces derniers jours, on entend peur, on entend sidération, on
08:24 entend "ce n'est pas croyable, ce n'est pas possible, je rêve".
08:28 Et ça, ce sont des traces qui restent aussi très longtemps.
08:31 C'est pour ça, encore une fois, qu'aujourd'hui, il y a un accompagnement à avoir, de mise
08:35 à l'abri, d'écoute, notamment des enfants qui souvent sont laissés de côté.
08:42 Mais c'est un accompagnement et c'est une écoute qui doivent se faire aussi dans la
08:45 durée.
08:46 L'accompagnement psychologique se fait dans la durée.
08:48 C'est ce qu'on appelle une population traumatisée.
08:50 Exactement.
08:51 Je vous remercie, Karine Mo.
08:53 Je vous rappelle que vous avez tous les coordonnées de la Fondation de France pour faire à votre
08:58 tour un don si vous le souhaitez sur la page du 7-10 de France Inter.
09:02 Et je remercie de tout cœur Léila Slimani pour les quelques mots qu'elle nous a accordés
09:06 il y a quelques minutes.
09:07 Merci Sonia De Villeher.
09:08 Il est 7h57.
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