Commission Climat et Finance Durable de l’AMF : les résolutions climatiques [Nicolas Mottis]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Nicolas Mottis, professeur à l’Ecole Polytechnique, pour parler des différentes résolutions climatiques.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Nicolas Motis.
00:09 Bonjour Jean-Philippe.
00:10 Nicolas Motis, vous êtes professeur à l'école Polytechnique, vous êtes administrateur du
00:15 FIIR, le Forum pour l'investissement responsable, et vous êtes membre de la Commission Climat
00:20 et Finances Durables de l'AMF, l'Autorité des marchés financiers.
00:23 Vous venez de coordonner la deuxième édition d'ISR et Finances responsables.
00:27 La finances responsable c'est votre sujet.
00:30 Les résolutions de l'AMF, les résolutions climatiques de la Commission Climat et Finances
00:37 Durables, ça fait du bruit, ça s'appelle le "Say on Climate".
00:40 Alors est-ce que vous pouvez nous en dire deux mots de ce "Say on Climate".
00:44 Alors le "Say on Climate" en fait c'est l'idée que les entreprises cotées, là
00:49 on parle d'entreprises cotées, doivent régulièrement proposer à leurs actionnaires
00:53 une stratégie sur leur orientation climat, en termes d'investissement, de trajectoire,
00:58 de décarbonation, et que cette stratégie elle fait l'objet d'un vote par les actionnaires.
01:03 Donc c'est le "Say on Climate", les actionnaires s'expriment sur la position climat des entreprises.
01:07 C'est ça l'idée générale.
01:08 Le terme "Say on Climate" est à rapprocher d'un terme qui avait beaucoup été utilisé
01:12 sur la question de la rémunération des dirigeants, qui était le "Say on Pay".
01:15 C'est un process qui est assez proche du "Say on Pay".
01:18 Bien sûr, on se souvient que certains dirigeants n'avaient pas apprécié le "Say on Pay".
01:21 Vraiment, non. Ils n'étaient pas forcément très contents qu'on mette sur la table
01:24 les chiffres précis et qu'on demande aux actionnaires de valider leur plan de rémunération.
01:28 Bien sûr.
01:29 Ça veut dire qu'on s'attend à ce qu'ils prennent la parole, les actionnaires, et
01:33 on s'attend à ce qu'ils l'apprennent de quelle façon ?
01:35 Alors, ça marche dans les deux sens en fait.
01:37 Il y a ce qu'on appelle, pour être un poil technique, les résolutions actionnaires.
01:40 Donc ça c'est des demandes des actionnaires eux-mêmes sur ces sujets climat.
01:44 Et puis il y a ce qu'on appelle les "Say on Climate", qui sont les propositions que
01:47 l'entreprise fait aux actionnaires.
01:48 C'est deux types de résolutions qui viennent des actionnaires ou des dirigeants.
01:52 Sur quoi portent ces résolutions ?
01:54 Elles portent sur ce qu'on appelle l'alignement, typiquement, avec les accords de Paris.
01:59 On regarde la stratégie de l'entreprise, son parcours en termes de développement de
02:04 son business, et on donne une sorte de température à cette évolution en essayant de voir quel
02:09 est typiquement le niveau des émissions carbone de l'entreprise sur un horizon assez long.
02:13 Donc beaucoup d'entreprises parlent par exemple du fait d'être net zéro, d'être
02:17 neutre en émissions carbone à un horizon qui est parfois un peu long.
02:20 Et l'horizon dont on parle souvent, c'est 2050.
02:24 Pourquoi finalement on a le sentiment que les entreprises peuvent être réticentes, voire
02:29 bloquées, ces modes d'expression ?
02:32 Parce que c'est s'exprimer sur sa stratégie climat, c'est donner beaucoup d'informations
02:38 sur son business model, et c'est aussi de voir le transformer assez profondément.
02:43 Parce que quand on dit qu'on va être net zéro en 2050, il y a plusieurs façons de
02:47 le faire.
02:48 On peut commencer à faire un très gros effort en 2047, 2048, 2049.
02:51 On comprend bien que ce n'est pas ça qui va régler le problème du climat.
02:54 Ou on peut dire un peu différemment, dès 2025, 2030, 2035, je vais mettre en place
02:59 des investissements, des innovations, des transformations de ma chaîne de valeur qui
03:03 vont avoir un vrai impact sur mes émissions carbone.
03:06 Et donc les investisseurs du RAP, très clairement, vont plutôt pousser pour que les échéances
03:11 soient rapprochées, ambitieuses et sur un spectre large.
03:13 Et donc ça, c'est quelque chose que beaucoup d'entreprises ne sont pas encore aujourd'hui
03:18 capables de faire et n'ont pas forcément envie d'engager extrêmement vite parce que
03:22 ça va contraindre terriblement, typiquement, leur plan d'investissement, voire dans certains
03:26 cas, leur rentabilité à court terme.
03:28 Et alors l'esprit de ces résolutions climatiques de la Commission Climat et Finances Durables
03:32 de l'AMF ?
03:33 Alors, on a travaillé dessus.
03:34 C'est un sujet qui est aujourd'hui...
03:35 Qu'est-ce que vous espérez ? Enfin voilà, quel est l'objectif ?
03:37 C'est un sujet qui est aujourd'hui présent dans beaucoup de débats, pas seulement en
03:41 France, mais également en Europe, beaucoup en Europe, un peu moins aux États-Unis.
03:44 On est parti en France pour les travaux de la Commission sur une sorte de paradoxe qui
03:48 est le suivant, c'est que...
03:49 Alors moi, je travaille aussi sur le management de l'innovation dans les entreprises, donc
03:53 plutôt sur le côté interne, innovation, process industriel, etc.
03:56 Et souvent, j'ai entendu des dirigeants qui m'expliquent "oui, moi j'aimerais bien engager
04:00 des plans de transition, mais en fait, je ne peux pas parce que mes actionnaires me
04:03 demandent d'abord de la performance financière".
04:04 Donc il y a souvent cette objection en disant "oui, c'est sympa, vos trucs sur la transition,
04:08 mais en pratique, je n'y arrive pas parce que ma gouvernance est contre".
04:11 Et ce qu'on observe par ailleurs, parce que je travaille aussi sur le côté marché financier
04:15 et finances durables, c'est que quand des actionnaires sont assez ambitieux sur les
04:18 aspects climat, notamment des actionnaires ISR, très engagés sur la finance durable,
04:22 et qu'ils essayent de passer des résolutions, les dirigeants bloquent les résolutions et
04:26 les bloquent à tel point que les résolutions ne sont même pas présentées au vote des
04:30 actionnaires.
04:31 Et ils les bloquent en invoquant un point de droit qui est assez surprenant en France,
04:35 c'est un arrêt de la Cour de cassation de 1946, donc ça remonte à quasiment Mathieu
04:41 Zalem, qui dit que grosso modo, si un actionnaire demande à une entreprise de s'engager sur
04:45 les sujets climat, en fait, un actionnaire qui fait ça empiète sur les prérogatives
04:49 stratégiques du Conseil d'administration, puisqu'en France, selon la loi, c'est le
04:52 Conseil d'administration qui définit la stratégie.
04:53 Et donc les dirigeants de quelques grands groupes, que je n'en parlais pas, mais qu'on
04:57 peut assez facilement identifier, ont déterré ce type de texte de loi pour dire "non, nous,
05:03 ce type de résolution, ce type de demande d'actionnaire, on le bloque et on ne le
05:06 présentera pas au vote des actionnaires et donc ça ne passera pas".
05:11 Par contre, nous, on vous proposera un "see on climate" sur ce qu'on voit, qui est
05:14 en général beaucoup moins ambitieux.
05:15 Et donc, au sein de la commission climat, qui intègre de nombreuses parties prenantes,
05:19 c'est le régulateur, l'AMF, a monté cette commission avec des investisseurs, des ONG,
05:24 on est quelques académiques, des agences de notation, donc c'est très varié, on
05:28 s'est dit qu'il faut quand même qu'on arrive à faire progresser le sujet et qu'on
05:31 sorte de ce paradoxe qui est que des dirigeants qui seraient soutenus par des actionnaires
05:34 pour être ambitieux sur le plan climat bloquent ce type de demande des actionnaires.
05:39 Et donc, on a travaillé sur ce point technique-là en essayant de dire également ce que devait
05:44 contenir une résolution climat d'un point de vue critère technique.
05:47 C'était ça l'idée initiale, faire sauter le paradoxe.
05:49 Faire sauter.
05:50 Vous croyez que ça va bouger tout ça ?
05:52 Alors, pour que ça bouge, il y a un certain nombre de points techniques qui sont déjà
05:56 en partie intégrés par les entreprises.
05:58 Par exemple, les échéances intermédiaires que j'évoquais, ce qu'on appelle le scope
06:03 aussi, est-ce qu'on mesure uniquement au périmètre de l'entreprise ou avec les
06:06 effets que peut avoir le produit de l'entreprise sur les émissions.
06:09 Par exemple, si on est un pétrolier, les émissions générées par les automobilistes
06:13 qui achètent l'essence du pétrolier.
06:14 Donc, ça bouge sur certains paramètres techniques.
06:16 Mais ce qu'on voit bien, c'est qu'à un moment donné, il va probablement falloir
06:20 introduire un changement législatif pour qu'à la fois le droit des sociétés permette
06:25 plus facilement de faire passer ces résolutions, qu'elles ne soient pas bloquées de façon
06:29 un peu court-termiste par les conseils d'administration et puis que le régulateur puisse plus facilement
06:35 intervenir sur le sujet, ce qui est aujourd'hui très compliqué parce qu'aujourd'hui,
06:39 quand des actionnaires demandent à passer ce type de résolution, l'entreprise bloque
06:42 et c'est aux actionnaires d'aller ensuite en justice pour faire valoir leurs droits.
06:46 Et donc, en pratique, ils ne le font pas, c'est très long et ce n'est pas efficace.
06:49 Donc, il y a des changements à la fois réglementaires, législatifs à engager.
06:53 On peut être optimiste et donc on sent bien que ça va dans le sens du progrès, qu'il
06:58 faudra que ça bouge.
06:59 Est-ce que ça va bouger dans les six prochains mois ? Je n'en suis pas sûr, mais dans
07:03 les prochaines années, on a donné les éléments techniques pour le faire en tout cas.
07:07 Décarbonation de l'économie, c'est le grand sujet.
07:09 L'AMF passe à la manœuvre.
07:12 Espérons.
07:13 L'AMF peut jouer un rôle clé.
07:14 Elle pourra le faire si la législation change dans le bon sens.
07:19 Merci Nicolas Motis.
07:20 Avec plaisir.
07:21 Merci.
07:21 [Musique]

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