Comment l'Itec Boisfleury de Corenc lutte contre les comportements de harcèlement scolaire
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00:00 - Avant ça, c'est l'invité du 6/9 de France Bleue à cette heure-ci avec vous aussi.
00:04 Et nous parlons de harcèlement scolaire ce matin.
00:06 Laurent Gallien.
00:07 - Absolument, un sujet qui rebondit en cette rentrée avec notamment le cas malheureux
00:10 de cet adolescent qui s'est suicidé dans les Yvelines.
00:12 On en parle avec Pascal Jobert.
00:15 Bonjour Pascal Jobert.
00:16 - Bonjour.
00:17 - Vous êtes chef d'établissement, proviseur du lycée Ithèque et Boisfleury à Coran.
00:20 C'est un établissement privé sous contrat.
00:23 Vous avez mis en place des choses pour tenter de lutter contre ces comportements de harcèlement.
00:27 On va en parler à détail avec vous.
00:28 Mais avant, j'aimerais qu'on écoute un témoignage.
00:30 Tout simplement celui de Clémence.
00:32 Elle est en terminale dans un lycée nord-iserois.
00:34 - En fait, le truc c'est que déjà c'est compliqué d'en parler.
00:36 Parce qu'il faut se rendre compte d'abord qu'on est harcelé et oser en parler.
00:39 Une fois qu'on l'a fait, souvent on se prend des remarques en mode tu fais la victime.
00:43 En gros, on minimise en gros tout ce qui nous est arrivé.
00:45 Et c'est vraiment ça qui rend les choses encore plus compliquées.
00:48 Parce que moi j'ai été harcelé plusieurs fois.
00:51 Une fois qu'on en parle, on s'en prend encore plus plein la tête en fait parce qu'on en a parlé.
00:55 Et après on n'a plus du tout envie de demander de l'aide.
00:57 Parce que d'abord on n'en a pas et qu'en plus on se fait encore plus crier dessus.
01:01 Et puis même quand ça arrive aux oreilles de la direction,
01:04 en fait ils ne font pas grand chose à part dire "attention c'est pas bien".
01:07 Mais en fait il n'y a rien derrière.
01:09 - Il y a deux choses dans ce témoignage.
01:11 La difficulté d'en parler de ses comportements quand on est victime ou quand on est témoin.
01:16 Et il y a aussi l'impuissance des adultes à y répondre.
01:19 Quelle réaction ça vous inspire Pascal Jobet ?
01:22 - Je crois que ce qui est important c'est ce que dit cette jeune fille au départ.
01:26 La difficulté d'en parler.
01:27 Et c'est bien cette action qu'on essaye de mener nous dans notre établissement.
01:31 C'est amener ces jeunes à avoir confiance.
01:34 Confiance en l'adulte qu'ils ont en face d'eux.
01:36 Et avoir confiance de la nécessité justement d'en parler.
01:41 Alors en parler soi-même ou en parler pour l'autre.
01:44 Et c'est tout le travail qui est mené.
01:46 - Comment vous avez pris conscience de cette difficulté, de ces situations ?
01:49 Et qu'est-ce que vous avez mis en place justement pour libérer la parole ?
01:52 - Le harcèlement ce n'est pas quelque chose de nouveau.
01:54 On en parle depuis des années.
01:56 Et dans l'établissement on a voulu agir avant que les choses...
02:00 - On est dans la prévention évidemment.
02:02 - On est dans la prévention et l'accompagnement.
02:03 Donc ce que l'on a souhaité avec notre éducatrice spécialisée qui est dans l'établissement.
02:09 C'est pouvoir accompagner tous les élèves entrant à être acteurs de cette prévention.
02:16 Donc il y a tout un travail qui est mis en place avec les équipes pédagogiques.
02:20 Pour déjà mettre des mots sur ce qu'est le harcèlement.
02:23 Et permettre ensuite aux élèves entrant de seconde.
02:27 Et bien de pouvoir exprimer en étant acteur de ce qu'est le harcèlement.
02:32 Et comment surtout on devient, j'allais dire, gardien du bien-être de ses camarades et de soi-même.
02:41 - Vous l'avez fait avec l'aide de quel support ?
02:43 On leur passe des documents, on leur fait des cours de prévention, des ateliers, comment ça se passe ?
02:47 - Alors c'est déjà de l'échange en classe pour mettre des mots.
02:51 Et puis derrière on va demander aux élèves par petits groupes de l'écrire un scénario de court métrage.
02:57 Donc ils vont vraiment mettre en jeu, en parole, en image, ce qu'est le harcèlement pour eux.
03:04 Et encore une fois ce qu'est la prise en charge du harcèlement.
03:07 Et donc ils vont se filmer pour mettre en image et pouvoir diffuser aussi ce message auprès d'autres.
03:15 - Et ils s'interrogent aussi sur leur propre comportement du coup en réalisant ces courts métrages.
03:20 Il y a la sensibilisation des élèves, des lycéens, il y a aussi celle des adultes.
03:25 Puisqu'on l'a entendu, la difficulté derrière c'est qu'on a l'impression qu'il y a une machine qui se met en route
03:29 et puis où le signalement se perd quelque part. C'est un peu l'impression que ça donne.
03:34 - C'est l'écoute des adultes qui doit changer aussi.
03:38 - L'écoute des adultes doit changer. Alors pour ça on a, j'allais dire, un moyen aussi qui est fort et qui est parlant, c'est le Théâtre Forum.
03:45 Dans le cadre de notre travail de prévention sur le harcèlement, ce projet dure plusieurs mois
03:52 et se termine par l'intervention d'une troupe de théâtre, de Théâtre Forum,
03:57 qui vient dans un premier temps rencontrer les acteurs de l'établissement, que ce soit les élèves,
04:03 que ce soit bien sûr les professionnels, mais que ce soit également les parents,
04:08 pour s'imprégner de ce qui se vit, de ce que vivent les jeunes.
04:12 Et ensuite ils vont venir le jouer face aux élèves et face aux adultes.
04:16 Je peux vous dire que quand vous êtes dans la salle et qu'en face de vous, vous avez l'effet miroir
04:21 de qui vous êtes, de ce que vous faites ou ne faites pas, ça permet réellement de prendre conscience.
04:28 - Ça marque tout le monde. - Ça marque.
04:30 - Nous sommes avec Pascal Jobert, proviseur du lycée Itech-Bois-Fleury à Coran.
04:35 On parle avec lui de l'expérience mise en place dans son établissement pour lutter contre le harcèlement.
04:39 On veut en parler avec vous aussi.
04:40 - Vous avez au témoignage au 04 76 46 45 45 et Corine vient de nous appeler. Bonjour Corine.
04:45 - Oui bonjour Arthur, bonjour tout le monde.
04:48 - Vous avez été harcelée à l'école Corine ?
04:50 - Alors ce n'était pas vraiment du harcèlement à l'époque.
04:53 Bon ben forcément, moi j'ai 57 ans donc on remonte un petit peu en arrière.
04:57 Mais c'était surtout des railleries, voilà j'ai pas de chance.
05:00 C'était la mode des Corines.
05:02 Donc des fois on était 3, 4 Corines dans la même classe.
05:05 Donc forcément chacun avait son petit saut briqué.
05:08 Il y avait Corine la grande, moi j'étais Corine la grosse.
05:11 C'était toujours plus ou moins comme ça.
05:15 Et puis bon, moi j'avais pas de chance, mes parents avaient un magasin, travaillent énormément.
05:19 Donc mes vêtements n'étaient pas repassés.
05:21 Et à cette époque là, ça ne passait pas apparemment.
05:24 Voilà, donc j'étais celle dont les vêtements n'étaient pas repassés, en plus d'être grosse.
05:28 - Et comment vous êtes sortie de ça ? Comment vous l'avez pris déjà ?
05:32 Et comment vous êtes sortie, vous êtes passée au-dessus finalement de tout ça ?
05:36 - Alors pour passer au-dessus, ben déjà parce que j'avais de la chance d'avoir toujours 3 ou 4 bonnes copines.
05:42 Donc voilà, on était un peu plus ou moins solidaires les unes des autres.
05:47 Et puis je pense que j'avais la chance d'avoir peut-être une petite force de caractère en moi.
05:54 Et puis voilà, à l'école c'était quelques heures par jour.
05:57 Et puis après j'avais mon quotidien où j'avais autre chose à penser qu'au saut briqué de l'école.
06:03 Mais voilà, c'était pas le harcèlement méchant, violent, enfin pour moi, comme on voit actuellement aux actualités.
06:10 - On va en parler. Corine, vous avez dit deux choses qui me paraissent très importantes.
06:13 Le fait de ne pas rester seule, ça c'est effectivement quelque chose.
06:16 Et puis je reviens vers vous Pascal Jobert, finalement, où est-ce qu'on met la limite entre
06:20 bon, les petites moqueries qu'on a tous vues, franchement on a tous été témoins à l'école ou au collège de ce genre de choses,
06:26 et le harcèlement ? Où se situe la limite ?
06:29 - Je crois que c'est là où on a notre travail, nous, en tant que professionnels des établissements scolaires, à faire.
06:35 Je crois qu'on peut pas minimiser la moquerie.
06:38 Quand on discute avec des jeunes, souvent on lui dit "mais oui c'est un jeu, c'est pas méchant, c'est juste..."
06:44 Voilà, on s'est moqué.
06:46 Oui mais sauf qu'en face, la personne qui reçoit ces moqueries ne la reçoit pas de la même manière,
06:51 et tout le monde n'est pas fait de la même manière et ne la reçoit pas de la même manière.
06:54 Et c'est là où on a à agir.
06:56 Donc nous on est parti du principe que dès qu'on est alerté, par un jeune lui-même,
07:00 ou par des camarades, sur des moqueries,
07:04 eh bien, on prend les choses.
07:06 C'est-à-dire qu'on va réunir les différents protagonistes,
07:11 pour déjà de suite en parler, avec un membre de la direction, avec des CPE,
07:18 avec des enseignants si besoin est, pour en parler de suite.
07:21 Rappeler qu'à un moment donné, tout le monde ne reçoit pas la moquerie de la même manière,
07:25 qu'il faut faire attention à ça.
07:27 Et puis on met aussi les parents dans la boucle.
07:30 On ne les écarte pas.
07:32 Donc les parents de la personne bien sûr qui reçoit les moqueries,
07:36 pour dire "attention, votre enfant aujourd'hui vit ça,
07:39 est-ce que vous en êtes au courant ? Soyez attentifs."
07:42 Mais également, je mets des grands guillemets, des auteurs de ces moqueries,
07:47 pour dire aux parents "discutez-en aussi,
07:49 parce qu'à un moment donné, la limite peut très vite être franchie."
07:52 - Vous mettez des choses en place dans votre établissement.
07:55 On a vu que le gouvernement, on l'a entendu ce matin, a lancé un plan,
07:57 également pour tenter de lutter contre tout ça.
07:59 Le ministre, au regard du dernier cas dramatique de région parisienne,
08:02 demande même un audit de la façon dont sont gérés tous ces signalements.
08:06 Ce ne sont pas les premiers plans,
08:09 on a toujours l'impression que ça continue quand même.
08:12 Est-ce qu'on n'est pas un peu largué aussi parfois,
08:14 par rapport, je pense notamment aux réseaux sociaux,
08:17 les adolescents, les moqueries, le harcèlement,
08:19 passent des fois par des supports qu'on ne maîtrise pas,
08:21 ou qu'on maîtrise beaucoup moins que les jeunes ?
08:24 - On ne les maîtrise pas, puisque les réseaux sociaux
08:27 dépassent le cadre même de l'établissement.
08:30 C'est-à-dire qu'à ce moment-là, ce harcèlement, ces moqueries,
08:34 cette relation qui, à un moment donné, peut-être,
08:37 j'ai l'impression vis-à-vis d'un jeune, dépasse notre cadre.
08:41 Alors oui, on peut agir, on peut être attentif,
08:44 mais on ne peut pas le faire tout seul.
08:45 D'où l'importance, encore une fois, que les parents soient bien mis dans la boucle.
08:49 - Toute la communauté éducative tire dans le même sens.
08:52 Compliqué également quand on est parent.
08:54 Cyril vient de nous appeler. Bonjour Cyril.
08:57 - Oui, bonjour.
08:58 - Vous, c'est votre fille qui a été harcelée, on vous écoute.
09:01 - Oui, donc moi, ma fille, elle a été harcelée pendant plusieurs années au collège.
09:05 Et en fait, je voulais mettre l'accent sur la difficulté des parents,
09:10 justement, à détecter le harcèlement.
09:14 - C'est déjà pas toujours facile de parler avec les adolescents,
09:16 donc encore moins de ces choses-là.
09:18 - Oui, complètement. Je pense qu'en fait, c'est important d'arriver à détecter ça
09:25 dès le moindre changement de comportement de l'enfant.
09:29 C'est vraiment un signe fort.
09:31 - Ça s'était traduit comment chez votre fille, par exemple ?
09:34 - Moi, ma fille était assez brillante à l'école.
09:37 Une jeune fille comme les autres, charmante, qui aimait aller à l'école,
09:42 qui avait des bonnes notes, etc.
09:44 Et je ne vais pas dire du jour au lendemain, mais très rapidement, en quelques semaines,
09:49 d'abord, c'était les maux de ventre, après mal à la tête,
09:51 après des excuses pour ne pas y aller, pour ne pas aller à l'école.
09:55 Donc, c'était compliqué. On ne comprenait pas pourquoi.
09:58 - Parce qu'il y a souvent, à Pascal Jobert, des phobies scolaires qui se développent derrière,
10:02 ou des premiers changements de comportement.
10:04 - Alors, quand on arrive dans la phobie scolaire, c'est déjà trop tard, j'allais dire.
10:07 - Dès qu'un bon élève devient mauvais, dès qu'un élève attentif le devient moins,
10:11 il y a des clés de note baisse.
10:12 - Il faut effectivement qu'on soit très attentif aux changements,
10:15 et qu'on reste dans ce dialogue, avec les familles, avec les jeunes, et l'essentiel.
10:20 Et je crois que si on doit mettre l'accent sur quelque chose,
10:24 c'est comment, dans nos communautés éducatives,
10:26 on donne confiance aux jeunes et aux adultes, à pouvoir communiquer.
10:31 - Voilà, pour que les jeunes osent en parler.
10:33 Cyril, j'espère que votre fille s'en est sortie.
10:36 On va en terminer avec cette émission.
10:38 Merci d'être venu témoigner ce matin, Corinne et Pascal Jobert,
10:43 chef d'établissement du lycée ITEC Boisfleury à Coran.
10:48 Vous nous avez parlé de ce que vous avez mis en place dans votre établissement
10:51 pour tenter de faire face.
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