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L'écrivain François Bégaudeau était l'invité de Sonia Devillers, ce jeudi. Dans son dernier ouvrage, "L'Amour" (éditions Verticales), la description des personnages passe par celle des objets qui les entourent. Des objets qui donnent à voir l'évolution de leur couple et de leur situation. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-05-octobre-2023-9754494

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Transcription
00:00 Dès 7h48, Sonia De Villers, votre invitée, publie un livre qui s'intitule "L'amour".
00:06 96 pages, publié aux éditions Vertical et déjà un franc succès en librairie.
00:12 Bonjour François Bégaudot.
00:13 Bonjour.
00:14 Est-ce que vous croyez au coup de soleil, au coup de je t'aime, est-ce que vous croyez
00:18 au coup de foudre ?
00:19 Non, je ne crois pas du tout au coup de foudre.
00:20 En tout cas, ce livre ne fonctionne pas sur le mode du coup de foudre.
00:23 Au début, Jeanne a un coup de foudre mais pour l'homme qui ne sera pas le bon.
00:27 Et la façon dont Jeanne et Jacques, puisque ce sont mes deux héros, vont s'entreprendre
00:31 l'un l'autre et s'aviser l'un l'autre n'est pas du tout sur le mode du coup de foudre.
00:35 Ils vont au contraire s'apprivoiser petitement, de rendez-vous en rendez-vous, de hasard en
00:40 coïncidence.
00:41 Vous ne croyez pas donc à la passion ?
00:42 Alors si, si.
00:43 Ce n'est pas que j'y crois.
00:44 C'est-à-dire qu'on constate que des gens sont passionnés.
00:46 Il m'est arrivé d'observer dans ma vie des gens qui étaient sujets à la passion
00:49 ou assujettis, je dirais, plutôt à la passion.
00:51 En général, ce n'est pas un spectacle qui me réjouit plus que ça.
00:55 Moi-même ayant été passionné par moment, ça nous est arrivé de tomber dans cette
00:59 maladie-là, je ne me suis pas beaucoup aimé passionné.
01:01 Donc je préfère sans doute une modalité plus tendre et calme de l'amour.
01:06 Jacques et Jeanne commencent leur histoire en 1971 comme en témoigne l'agenda de la
01:11 demoiselle dans le Men et Loire, l'agenda la redoute.
01:14 Ils vont s'aimer, vous l'avez dit, d'un émour, comment dire, sans émoi, sans trépidation,
01:19 sans heurt non plus.
01:20 Le premier rapport sexuel, on s'organise.
01:23 Le mariage, on s'organise.
01:24 Le bébé, où est-ce qu'on va le mettre ? On n'a qu'à lui laisser la chambre et
01:29 mettre notre lit dans le salon.
01:30 On achètera un canapé-lit.
01:31 Ils sont en promo chez Confo.
01:33 La mort aussi, on s'organise.
01:35 S'organiser, c'est s'aimer ?
01:37 C'était, je pense, souvent un couple.
01:40 Parce qu'en fait, je raconte un couple dont je postule que de l'amour lyrique.
01:45 Mais c'est d'abord un couple.
01:47 Un couple, ça s'organise surtout quand le couple s'engage comme ça dans une vie
01:50 durable.
01:51 Donc effectivement, c'est immédiatement des considérations matérielles.
01:53 Tous les couples savent ça.
01:54 Et moi, je n'ai pas de cynisme ou d'ironie par rapport à ça.
01:58 Une légère ironie tendre, mais pas plus que ça.
02:00 La vie est une somme de décisions pratiques.
02:03 C'est la vie.
02:04 Comme ça, nous sommes tous soumis à des conditionnements matériels qui font qu'on
02:07 doit s'arranger avec la matière.
02:09 Et donc effectivement, l'arrivée d'un enfant, peut-être a fortiori dans les classes
02:11 populaires, puisque Jeanne et Jacques y appartiennent.
02:14 C'est immédiatement un problème matériel.
02:17 Ça peut être une grande joie.
02:18 On peut supposer que Jeanne et Jacques ont été béats de joie en recevant ce premier
02:23 enfant.
02:24 On peut le supposer.
02:25 Car ça n'est pas décrit.
02:26 Tout passe par les objets.
02:27 François Abbé Godot, par les équipements, par le confort moderne, mariage, en plus
02:31 du frigidaire Brandt et de tout un tas de choses bien utiles, mine de rien.
02:35 Jeanne et Jacques ont eu un bon d'achat de 2000 francs chez Monsieur Meuble.
02:39 Toute votre histoire est une succession de marqueurs.
02:42 Les Gauloises, France Dimanche, la Simcam, l'Améari, la Suze, le réfrigérateur Brandt,
02:47 le caméscope Sony, la Sony, la 104, devenue 308.
02:51 Oui, je pense que quand on écrit, on peut écrire sur un mode non réaliste.
02:56 Ça peut produire des livres tout à fait admirables.
02:57 Moi, ce n'est pas mon cas.
02:58 En tout cas, pas dans l'amour.
02:59 Il faut se demander dans quel bain matériel évoluent les personnages.
03:03 Et donc, de la matière vient se déposer dans la phrase en permanence.
03:06 Après, c'est vrai que je pourrais me contenter de dire frigidaire et non pas frigidaire Brandt.
03:11 Mais il me semble que c'est comme ça qu'on vit des choses.
03:13 Parce que tous les matins, je me réveille et j'ai un frigidaire devant moi.
03:16 Quand je l'ouvre pour prendre une bouteille d'eau par exemple ou de lait.
03:20 Et j'ai la marque aussi qui est écrite et je la vois.
03:22 Et en fait, elle fait partie de mon univers mental, mon univers quotidien.
03:25 Donc, il me semble assez juste de signaler toutes ces choses-là.
03:28 Vous savez que lundi, Léa et Nicolas ont reçu Jérôme Fourquet de l'Institut IFOP.
03:34 Et vous savez sur quoi il fait des sondages ce monsieur aujourd'hui ?
03:37 Sur la France qui consomme des capsules Nespresso versus la France qui consomme des dosettes Carrefour.
03:44 Comme si la consommation était devenue cruciale dans la construction de nos identités.
03:49 Oui, Pérec commençait à le pressentir dans un livre qui est un peu une référence pour moi,
03:53 qui s'appelle "Les choses", qui a été écrit au début des années 60.
03:55 Où il disait à quel point ce couple qu'il racontait à l'époque, un couple de classe moyenne,
04:00 était envahi peu à peu par les choses.
04:02 Et c'était le début de la société de consommation, ce qu'on appelle la société de consommation,
04:05 qui n'est jamais qu'une société de production qui nous incite à consommer.
04:08 Et donc les objets de consommation se sont multipliés autour de nous et nous définissent de plus en plus.
04:13 Pour le meilleur et pour le pire, parfois pour le pire, parce qu'ils nous oppriment un peu,
04:17 on est un peu cerné d'objets, et puis il y a parfois des injonctions à acquérir un certain nombre d'objets.
04:22 Moi je dois dire que je n'avais pas d'élément de critique par rapport à ça en décrivant l'amour.
04:26 C'était plutôt une façon aussi de suggérer à mon lecteur que le temps passait.
04:29 Et qu'effectivement on est passé des trois chevaux à la Twingo,
04:32 et qu'on est passé de faire couler le café à une cafetière Nespresso par exemple.
04:37 Est-ce que François Begodeau, l'amour est un livre profondément marxiste ?
04:43 C'est-à-dire qu'on ne se refait pas.
04:45 Il y a peut-être un inconscient marxiste qui travaille en moi.
04:48 C'est-à-dire que du matériel au matérialisme, il n'y a qu'un pas.
04:50 Non, je pense que ce serait plus ça, ce serait le sous-bassement matérialiste du marxisme,
04:54 ou d'autres pensées d'ailleurs.
04:56 C'est l'idée que nous sommes d'abord des créatures de matière,
04:58 nous sommes d'abord des êtres sociaux, et nous sommes des êtres socialisés.
05:02 Les purs produits des rapports de force économique de notre époque.
05:05 Même si on peut envisager qu'il y ait parfois des échappées par rapport à ce pur conditionnement.
05:10 Je pense qu'il y a un moment des choses qui se passent dans la tête de Jeanne et Jacques.
05:13 Moi c'est vraiment la question que je voulais vous poser.
05:16 Est-ce qu'il reste une once d'idéalisme dans cette vision de l'amour ?
05:19 Moi je n'appellerais pas ça de l'idéalisme,
05:20 je l'appellerais ça des trouées spirituelles, plutôt quelque chose comme ça.
05:24 Et je pense que j'ai distillé ici ou là dans le texte de façon un peu discrète,
05:27 parce qu'effectivement mon axiome était plutôt matérialiste,
05:31 des échappées possibles.
05:33 Je pense que par exemple, Jacques est très porté sur les étoiles,
05:36 sur les choses de l'espace.
05:38 Il passe sa vie à regarder les étoiles ou à regarder des sites,
05:41 oui, des questions de galaxies.
05:43 C'est ça une échappée, vous voyez.
05:44 Et peut-être que d'appeler le livre l'amour aussi, c'est ça la percée en fait.
05:49 Ces gens-là ont beau vivre, être soumis à un certain nombre de conditions matérielles
05:53 dont ils doivent s'arranger quotidiennement,
05:55 ce qui d'ailleurs peut parfois être un plaisir et pas simplement un déplaisir.
05:59 De l'amour les unit.
06:01 Il y a quand même quelque chose qui irradie toute cette vie
06:04 qu'on pourrait juger un peu non pas médiocre mais moyenne.
06:08 C'est ce que j'ai essayé d'inscrire en titre qui s'appelle l'amour.
06:10 Dites donc, quand on veut raconter la vie de gens ordinaires,
06:14 pourquoi on appelle son héroïne Jeanne Moreau ?
06:16 Alors, c'est un...
06:20 Parce qu'il s'appelle Jeanne et Jacques Moreau.
06:22 Alors en fait, c'est une révélation, je vais faire vous spoiler quelque chose,
06:25 mais c'est pas grave, je vous en veux pas.
06:27 Non mais ça, c'est des bonheurs d'écriture.
06:29 Je voulais les appeler Moreau parce que c'est vraiment le patronyme très moyen,
06:34 notamment dans ces régions dont je viens, les régions de l'Ouest, des Pays de Loire.
06:37 Deuxièmement, je l'ai appelé Jeanne, puisqu'il se trouve que je trouve que c'est un prénom trans-classe.
06:40 Enfin, je veux dire qu'on trouve un prénom assez transversal au classe,
06:42 c'est par ailleurs un prénom que j'aime bien, donc c'est aussi ça.
06:45 Et je me rends compte au bout de la troisième version que ça fait Jeanne Moreau.
06:48 Mais je ne m'en étais pas rendu compte en fait.
06:50 Et du coup, après j'ai décidé de le garder parce que je trouvais savoureux cette fille
06:53 qui apporte le nom d'une actrice que lui fera remarquer une infirmière.
06:57 Et elle répondra, mais pourquoi on ne lui demande jamais à elle ?
07:00 Qu'est-ce que ça lui fait de s'appeler comme moi ?
07:03 D'où venez-vous justement François Bégaudot ?
07:05 Est-ce que ce livre que vous avez choisi délibérément de faire commencer en 1971,
07:11 c'est aussi le portrait d'une France où l'ascension sociale était encore possible ?
07:16 Jeanne et Jacques sont issus d'une petite classe moyenne.
07:20 Leurs parents étaient paysans, femmes de ménage.
07:22 Et l'un et l'autre, ils sont d'abord jardiniers municipales qui deviendront paysagistes indépendants.
07:28 Elle, elle est d'abord réceptionniste à l'hôtel et puis elle deviendra secrétaire de direction.
07:33 Et puis leurs enfants, un jour, ils iront travailler à l'autre bout du monde.
07:36 En Corée, effectivement, oui.
07:37 J'ai embrassé 50 ans de 70 à nos jours, ce qui correspond à peu près à mes propres dates de vie.
07:45 À ce jour aussi, en attendant mieux.
07:49 Je me suis demandé vraiment ce que pourraient exercer ces gens qui habitent à Bourg,
07:54 un bourg du Maine-et-Loire.
07:57 Qu'est-ce que ces gens peuvent exercer comme métier ?
07:59 Sa mère est femme de ménage, Jacques vient plutôt de la petite paysannerie.
08:02 Donc est-ce qu'il en est dans ces années-là ?
08:03 Oui, c'est possible.
08:04 Il y avait probablement un peu plus d'ascension sociale qu'il y en a maintenant.
08:07 Après, il faut quand même le relativiser.
08:09 Il se trouve que, par exemple, il ne bouge pas.
08:11 Donc, d'un point de vue géosocial, comme dirait Piketty et Cagé,
08:16 ils restent toute leur vie dans le même bourg.
08:19 Ils finiront même les 20 ou 30 dernières années dans la maison où a grandi Jacques.
08:24 Il y a aussi une absence de mobilité.
08:26 Il y a peut-être une relative mobilité sociale, qui est encore très relative quand même,
08:30 et qui est effectivement au diapason de ce qui se passait majoritairement dans ces années-là.
08:33 Mais il n'y a pas de mobilité géographique.
08:35 Donc, globalement, il y a quand même une certaine inertie sociale de Jacques.
08:38 Est-ce que c'est mais toute sa vie ?
08:40 C'est le monde d'avant ?
08:42 Moi, je ne crois pas.
08:43 On dit souvent que maintenant, un couple sur deux divorce, voire deux sur trois à Paris.
08:47 Je crois que c'est à peu près les stats.
08:48 Mais on oublie que du coup, un couple sur deux ne divorce pas.
08:51 Autour de moi, par exemple, on pourrait avoir des gens qui peuvent avoir un tempérament relativement subversif,
08:58 toujours prompt à déconstruire un certain nombre de choses dans les institutions, des choses comme ça.
09:02 Mais je vois quand même, même autour de moi et dans ma génération, des gens qui passent un bout de temps ensemble.
09:07 Donc, en fait, cette façon-là de s'accompagner dans la vie, elle n'est pas complètement périmée.
09:11 Et je pense qu'elle a quand même un charme fou.
09:13 Qu'est-ce que vous avez contre Richard Cochiante, que vous appelez le Rital Moche ?
09:17 Ce que je ne vous pardonnerai jamais.
09:19 Je ne vous laisserai pas dire ça.
09:21 C'est l'heure de la mise au point.
09:23 On en arrive enfin au sujet qui fâche.
09:26 Et vous avez très peu de temps.
09:27 De toute façon, je peux me défendre.
09:29 Je ne peux plus l'aider en ma faveur.
09:30 C'est Jacques qui ne pense pas.
09:31 Parce qu'en fait, Jeanne est tellement folle de ce chanteur qu'il en conçoit une petite jalousie.
09:36 Donc, il l'appelle le Rital Moche avec une espèce de mauvaise voix.
09:38 Mais moi, je trouve que ce n'est pas du tout un Rital Moche.
09:40 C'est quelqu'un de tout à fait admirable.
09:41 L'amour, oui, est paru chez Vertical.
09:44 Merci, François Bécu.
09:45 Merci, Sonia.

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