Anne Fulda reçoit Amélie Cordonnier pour son livre «En garde» dans #HDLivres
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00:00 -Bienvenue à l'heure des livres, Amélie Cordonier.
00:02 -Merci. -Vous êtes journaliste,
00:04 vous êtes auteur, vous avez déjà publié plusieurs romans,
00:08 dont "Tranchées", "Un loup quelque part".
00:10 Et là, vous venez de publier "En garde",
00:12 un livre qui est paru chez Flammarion,
00:14 un livre qu'on ne lâche pas
00:17 et qui se situe, qui navigue entre réalité et fiction,
00:22 que vous avez dédié à vos voisins,
00:24 les lecteurs comprenant pourquoi.
00:27 En effet, vous le dites, il est né suite à un événement
00:30 qui vous est arrivé dans votre vie.
00:32 C'était il y a trois ans, une déflagration, dites-vous,
00:35 suite à un courrier que vous avez reçu.
00:37 Quel était ce courrier ?
00:39 -Ce courrier que je reçois m'apprend...
00:42 Ensuite, il y en a même un deuxième,
00:44 mais ce courrier m'apprend que j'ai été dénoncée
00:46 par un appel anonyme passé au 119.
00:48 Je me retrouve au sortir du premier confinement,
00:51 en juin 2020, soupçonnée de maltraitance sur mes enfants,
00:55 mon fils, qui a à l'époque 14 ans, et ma fille, 7 ans.
00:57 Et donc, c'est un vertige.
00:59 A l'époque, je pense que nous sommes une famille normale.
01:02 Si la normalité existe, c'est un sujet.
01:04 Je me dis "une famille normale, une famille qui rit et qui crie,
01:08 "qui s'aime et qui s'engueule", et donc, je me retrouve comme ça,
01:11 injustement accusée.
01:14 -Vous n'avez pas décidé d'écrire tout de suite,
01:17 et vous avez choisi de vous exprimer
01:19 à travers la voix d'une narratrice.
01:21 C'est une mise à distance qui était nécessaire ?
01:24 -Oui, à la fois, c'est une mise à distance,
01:26 parce qu'effectivement, le temps a passé,
01:28 entre temps, mon troisième roman "Pas ce soir" avait paru,
01:31 là, c'est le quatrième.
01:33 Je n'avais pas besoin d'écrire pour comprendre ce qui m'est arrivé.
01:37 J'ai placé une phrase dans le prologue
01:39 qui éclaire ma démarche.
01:40 "Ce ne sera pas de l'autofiction, mais de la vivisection."
01:43 Je dissèque ce qui m'est arrivé,
01:45 je m'en sers comme d'un matériau romanesque
01:47 pour imaginer, en fait, un thriller domestique
01:50 sur lequel plane l'ombre de 1984.
01:53 Et pourtant, j'ai choisi de me mettre en scène
01:55 sous mon vrai prénom et mon vrai nom.
01:57 Je ne vous cache pas que c'était ce que j'ai trouvé le plus agréable,
02:01 un côté un peu narcissique et déstabilisant,
02:03 mais si je l'ai fait, c'était pour qu'on sache
02:06 que c'est possible, aujourd'hui, pour de vrai,
02:08 que tout un chacun et chacune peut, et j'ai trouvé ça vertigineux,
02:12 dénoncer son voisin sur un appel anonyme.
02:14 -Vous décrivez un engrenage effrayant,
02:17 des rendez-vous avec des assistantes sociales,
02:20 et puis surtout, une intrusion
02:22 dans l'intimité, dans la vie familiale,
02:25 de façon insidieuse, blessante.
02:27 C'est presque un viol, en fait.
02:29 -Je ne reprendrai pas ce mot-là, mais ce qui est terrible,
02:32 c'est que du jour au lendemain, on se retrouve
02:35 surveillés au plus près,
02:37 en garde de prouver que nous sommes de bons parents.
02:40 Je découvre, à ce moment-là, de manière vertigineuse,
02:43 qu'on ne peut pas prouver qu'on aime ses enfants.
02:46 On me demande de prouver que je ne les maltraite pas,
02:49 et bien, ça ne prouve pas que je ne les maltraite pas.
02:52 A partir de là, je me suis dit que c'était intéressant,
02:55 d'un point de vue littéraire, de questionner ce sujet.
02:58 Peut-être que je n'aurais jamais écrit ce livre
03:01 si un jour, je n'étais pas tombée sur un article
03:04 du journal "Le Monde" qui raconte que depuis 2016,
03:07 l'Etat chinois envoie chez les Ouïghours,
03:09 qui sont musulmans et turcophones,
03:11 des agents missionnés pour vérifier
03:13 qu'ils n'opposent aucune résistance
03:15 à leur sinisation forcée.
03:17 Sur cet article, je me suis dit que j'avais là, au fond,
03:20 le matériau romanesque qui me manquait
03:22 pour imaginer une dystopie.
03:23 Ça se passe en Chine, j'espère que ça ne se passera pas chez nous,
03:27 mais qu'est-ce qui se passerait si nous aussi,
03:29 on se retrouvait dans notre intimité,
03:31 alors que l'intimité, ça échappe à la surveillance de l'Etat ?
03:35 Ce n'est pas le sujet du livre,
03:37 mais vous ne remettez pas en question le fait
03:39 que parfois, ces dénonciations, pour ne pas dire délations,
03:43 aboutissent sur des vrais...
03:45 -C'est vice. -Oui, vous avez raison.
03:47 -Mais ce qui est intéressant, c'est cette suspicion
03:50 qui plane tout d'un coup sur une vie familiale.
03:55 C'est-à-dire qu'en fait, quand on veut,
03:57 tout peut être retourné.
03:59 En réalité, vous vous racontez dans le livre
04:01 que l'héroïne ou vous...
04:04 Et scruté de près, on regarde même vos romans,
04:08 les romans que vous avez écrits,
04:10 pour voir s'il n'y a pas des traces d'un possible penchant
04:14 pour maltraiter ses enfants.
04:16 -C'est ça qui m'a semblé terrible,
04:18 et c'est pour ça que je me suis mise en scène sous mon vrai nom.
04:22 J'ai eu ce sentiment vertigineux,
04:24 que la fiction percutait ma vie et qu'elle l'a renversée.
04:27 J'ai eu peur d'être d'autant plus suspecte
04:29 que j'avais écrit un deuxième roman,
04:32 "Un loup quelque part", que vous avez cité,
04:34 qui racontait l'histoire d'une mère à la limite de la maltraitance.
04:38 Ce livre, sorti trois jours avant la fermeture des librairies
04:42 de l'Université de Montréal,
04:43 retrouvait sa vie en juin 2020,
04:45 au moment où je reçois cette lettre.
04:47 J'avais raconté l'histoire d'une famille face à la violence verbale,
04:51 et donc j'ai eu peur que ces livres
04:53 puissent servir de pièce à conviction contre moi.
04:56 -Un filigrane, bien sûr, il y a une critique
04:59 de cette société de surveillance à l'extrême
05:01 décrite par Orwell, que vous citiez tout à l'heure.
05:04 Dernière question, est-ce que vous avez pu tourner la page
05:08 ou est-ce qu'un tel événement qui bouleverse votre vie
05:11 laisse des traces indélébiles ?
05:13 -Je crois que oui, cet événement laisse des traces,
05:16 dans chacun des membres de ma famille,
05:18 moi particulièrement,
05:20 et en même temps, Jean de Ville laisse une trace écrite,
05:23 un livre qui résonne chez des gens
05:25 et qui m'apporte à me faire part de leurs témoignages.
05:28 C'est quelque chose d'assez bouleversant.
05:30 Je me dis, au fond, d'avoir fait cet épisode pas terrible
05:34 et dans lequel j'ai éprouvé une très grande honte
05:36 alors que je n'étais pas coupable.
05:38 C'est beaucoup.
05:40 -Alors, ça s'appelle "En garde",
05:41 c'est paru chez Flammarion, c'est glaçant et captivant.
05:44 Merci, Amélie Cordonnier. -Merci à vous.
05:47 ...
05:51 [SILENCE]