Anne Fulda reçoit Farida Khelfa pour son livre «Une enfance française» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Farida Kalfa.
00:02 Alors, on vous connaît comme égérie de la mode,
00:04 on connaît vos années Palace,
00:07 on vous connaît comme productrice, réalisatrice de documentaires,
00:09 et là, vous venez d'écrire un premier roman,
00:12 un très beau livre qui s'appelle "Une enfance française"
00:15 et qui est paru chez Albain Michel.
00:17 Alors, c'est un livre autobiographique
00:19 que vous avez décidé d'écrire à la mort de votre mère,
00:24 qui a fait remonter énormément de souvenirs
00:27 que vous aviez peut-être refoulés jusqu'ici.
00:29 En fait, je ne les avais pas tellement refoulés,
00:31 mais c'était quelque chose dont je n'avais pas tellement envie
00:35 de parler, en tout cas publiquement.
00:36 Et là, de l'écrire m'a encore plus surprise.
00:43 J'étais très étonnée de mettre ça sur le papier,
00:46 mais c'était comme un besoin, c'était un flux continu.
00:48 J'avais besoin de raconter ça.
00:50 Oui, vous l'avez écrit comme dans une forme d'urgence, en fait.
00:53 Parce qu'effectivement, on savait à peu près votre histoire,
00:57 on connaissait votre histoire,
00:58 c'est-à-dire votre enfance au Minguet,
01:01 dans la banlieue de Lyon,
01:02 la fugue vers Paris,
01:05 mais ce qu'on ne connaissait pas, vraiment,
01:07 c'est les conditions de votre enfance,
01:10 qui a été une enfance assez terrible,
01:13 puisque rythmée par la violence extrême de votre père,
01:18 par une mère dépressive,
01:20 et qui a laissé faire.
01:23 En fait, comment vous vous en êtes sorti ?
01:26 En fait, à votre avis,
01:28 quelle est la raison qui fait que vous en êtes sortie ?
01:30 -Ça, je peux pas donner d'explication, en fait.
01:33 Moi, je sais pas.
01:34 Simplement, j'ai eu la pulsion de vie, en fait.
01:38 J'ai eu quelque chose où j'ai compris
01:40 que si je restais là-bas,
01:43 j'allais mourir, que j'allais m'éteindre,
01:45 petit à petit, donc il fallait que je parte.
01:47 Et donc, je suis partie,
01:49 mais quand je suis partie, à Paris, en fait,
01:52 tout ce que je voulais, c'était la liberté,
01:54 et j'ai eu la liberté, je savais pas tellement quoi en faire.
01:57 J'étais un peu désemparée,
01:58 j'étais très démunie face à toute cette liberté,
02:02 toute cette...
02:04 Mais donc, j'ai profité de la vie,
02:07 j'ai fait la fête, j'ai...
02:10 Et puis après, ça revient comme un boomerang, tout ça.
02:13 Donc...
02:14 -À quel moment,
02:15 parce que vous étiez dans une famille très nombreuse,
02:18 et j'imagine que cette fratrie a permis, d'ailleurs,
02:21 de garder la tête haute,
02:22 enfin, de sortir la tête de l'eau,
02:24 comment vous vous êtes rendue compte que ces comportements,
02:27 vous avez connu aussi des violences sexuelles
02:29 de la part d'un oncle,
02:31 l'alcoolisme de votre père, etc., étaient anormaux ?
02:34 Où était la normalité ?
02:35 Où vous voyiez la normalité ?
02:37 -En fait, je savais pas vraiment.
02:38 Quand on est enfant, on sait pas vraiment
02:41 que c'est pas normal, ce qui se passe chez nous.
02:43 On sait qu'il faut pas le dire. Déjà, on le dit pas,
02:45 on en parle pas.
02:46 J'ai des amis d'enfance qui ont été très surprises
02:49 de savoir ça, qui n'avaient jamais rien vu filtrer.
02:52 J'ai toujours caché.
02:54 Et donc, les enfants ne disent pas, mentent.
02:57 Enfin, en tout cas, par omission, quoi.
03:00 Voilà.
03:01 Et...
03:02 Et en fait, c'est en allant chez mes amis,
03:06 chez les voisines, que je commençais à voir
03:08 que quand même, c'était différent.
03:10 On se planquait pas quand le père rentrait,
03:12 qu'on n'était pas dans la terreur,
03:15 qu'on n'était pas...
03:16 Et donc, je me suis dit, oui, qu'il y avait pas de coup,
03:19 mais les coups, c'était rarement public.
03:21 C'est...
03:22 Donc...
03:23 C'est après.
03:26 Et puis voilà, quoi.
03:29 Et puis...
03:30 Mais en même temps, j'ai écrit ça,
03:32 mais je n'ai jamais voulu être une victime.
03:36 Je ne voulais pas être une victime.
03:37 -C'était ma question d'après.
03:39 Ce mot même vous révulse, en fait.
03:41 -Absolument. -Vous détestez ça.
03:43 -Oui, oui.
03:44 L'idée de parler de ça me positionnait comme une victime,
03:47 et ça, il n'en était pas question.
03:49 Je ne voulais pas être une victime,
03:51 je ne voulais pas être...
03:53 Être cette petite fille-là, malgré tout.
03:56 Et pourtant, je l'ai été, mais...
03:58 Je...
03:59 Je voulais aller vers la vie,
04:01 et pas... Voilà.
04:03 -Vous y êtes allée très joliment,
04:06 avec Éclat.
04:08 Il y a eu la carrière que j'ai évoquée au début,
04:11 dans la mode, puis vous avez travaillé
04:13 auprès de grands couturiers qui sont devenus vos amis.
04:16 Il y a eu aussi d'abord Jean-Paul Goude,
04:18 celui qui vous a révélés, vraiment,
04:20 puis Jean-Paul Gaultier, Azedine El Aïa,
04:22 qui est devenu un ami proche, comme Jean-Paul Gaultier.
04:25 Et puis, vous avez connu votre mari,
04:28 grâce à Christian Louboutin,
04:30 faisant une espèce de "saut"...
04:32 -Oui.
04:33 -Social, entre guillemets, par rapport à l'enfance.
04:36 Et est-ce que certains auteurs, aujourd'hui,
04:39 parlent des transfuges sociaux
04:41 comme s'il fallait toujours qu'il y ait une forme de culpabilité ?
04:45 Est-ce que vous, vous avez un moment ressenti ça ?
04:48 -Euh... Culpabilité, non,
04:50 mais...
04:52 la douleur, quelque part, de lâcher quelque chose.
04:56 C'est-à-dire qu'évidemment, ma vie est très belle,
05:00 aujourd'hui, j'ai une sorte de vie rêvée,
05:03 qui peut aussi s'évaporer en un instant,
05:07 j'en suis tout à fait consciente,
05:08 mais quelquefois, j'ai comme une nostalgie,
05:11 quand il m'arrive de prendre le métro,
05:14 où je vois des gens qui continuent
05:17 et qui vont dans un trajet
05:19 dans lequel, moi, j'aurais été autrefois,
05:22 et je me dis, quelle aurait été ma vie ?
05:24 Peut-être qu'elle aurait été plus simple,
05:26 que je me serais moins...
05:28 moins questionnée,
05:31 que tout aurait été plus facile,
05:33 et après, je me dis, "Mais non, rappelle-toi, tu as oublié."
05:36 -C'est vraiment un très beau livre,
05:38 "Une enfance française", c'est bien écrit.
05:41 C'est paru chez Albain Michel. Merci, Farida Kalfab.
05:45 -Merci à vous. Merci mille fois.
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