Finance verte et responsable : les vrais débats [Christophe Bonnet]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Christophe Bonnet, professeur de finance à Grenoble Ecole de Management, pour parler de la finance verte et responsable. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Christophe Bonnet.
00:09 Bonjour.
00:10 Christophe Bonnet, c'est la faute des actionnaires, fausse croyance et vrai débat, édition
00:14 PUF.
00:15 Vous êtes professeur à Grenoble, l'école de management.
00:17 Christophe Bonnet, vrai débat, c'est quoi les vrais débats que vous nous invitez à
00:22 ouvrir ?
00:23 Alors, dans le livre, je développe deux débats sur la finance qui sont extrêmement intéressants
00:28 et actuels, c'est celui sur la finance verte et puis celui sur la gouvernance des entreprises
00:33 et le rôle des actionnaires.
00:34 On va peut-être parler de la finance verte.
00:38 Certains parlent d'illusion, vous les citez.
00:45 Oui, le débat c'est… il y a eu un livre d'ailleurs qui s'appelle l'illusion de
00:50 la finance verte.
00:51 Alors voilà, pour certains c'est simplement une sorte de mascarade, c'est le capitalisme
00:56 qui essaye de montrer qu'il est gentil.
00:58 On citait Eliro qui dit « la finance a pour vocation de faire de l'argent avec de l'argent
01:02 donc il n'y a rien à en attendre ».
01:03 Voilà, voilà.
01:04 Et d'autres disent que ça serait une solution miracle et que la finance peut tout faire,
01:09 ce qui bien sûr est exagéré.
01:11 Donc la solution bien sûr elle est un peu entre les deux.
01:13 Alors on peut peut-être regarder qu'est-ce qui change déjà.
01:16 Ça c'est fondamental parce qu'effectivement il y a une énorme croissance de la finance
01:20 dite verte ou plus généralement soutenable ou responsable.
01:24 Alors qu'est-ce que c'est ? Ça veut dire qu'à côté du critère traditionnel
01:28 qui est la rentabilité attendue par rapport au risque, si vous voulez, dans le placement,
01:32 on introduit des critères dit extra-financiers sur l'environnement, les émissions de CO2
01:38 par exemple, sur des aspects plus sociaux, la politique vis-à-vis des salariés, le
01:43 respect des salariés, voire plus sociétaux et puis des aspects de gouvernance.
01:47 Donc c'est le fameux triptyque ESG, environnement, social, gouvernance, avec des batteries de
01:51 nouveaux indicateurs.
01:52 Donc la finance verte devient presque dominante et je pense que c'est un phénomène irréversible
01:57 parce que si la société change, il n'y a pas de raison que la finance n'ait pas
01:59 une sphère isolée du reste, elle va changer aussi et elle change.
02:02 A peu près 35% des fonds sous gestion seraient gérés de façon « soutenable ». Après
02:09 il faut voir comment on définit ça évidemment.
02:11 Et puis quand on interroge les acteurs de la finance, les professeurs, les décideurs
02:16 financiers, les gérants d'actifs, ils sont très sensibilisés, très conscients des
02:19 enjeux environnementaux.
02:20 Ils ne sont pas non plus isolés du reste de la société, ils sont comme vous et moi.
02:26 Donc ça, ça change.
02:28 Ce qu'emontre la recherche, c'est qu'il y a quand même une influence de la finance
02:35 sur les entreprises, de la finance verte sur les entreprises.
02:38 Les études montrent que par exemple les entreprises qui émettent le plus de CO2 ont un coût de
02:43 financement un peu plus élevé que les autres, d'accord ? Ça veut dire qu'on demande
02:47 l'investisseur, qu'on considère que c'est risqué, il y a un risque environnemental,
02:50 et donc une entreprise très émettrice, très polluante est plus risquée, donc elle est
02:56 pénalisée.
02:57 Il y a aussi des études américaines qui montrent que les grands gérants d'actifs,
03:03 comme par exemple BlackRock, qui a été assez vocal sur cette finance verte et partenariale,
03:11 ont parfois une influence sur la politique environnementale des groupes dans lesquels
03:14 ils investissent, parce qu'ils ont des participations assez fortes dans ces entreprises, donc ils
03:18 peuvent avoir une influence.
03:19 Donc voilà, ça change, ça évolue, c'est loin d'être parfait encore, il y a bien
03:27 sûr un certain nombre de limites et de questions.
03:30 Et là où il y a limite et questions et vrai débat, c'est finalement est-ce qu'il
03:34 faut parvenir à une forme d'économie administrée, étant donné l'ampleur des enjeux ? Et
03:39 là on tombe sur des propositions que vous analysez, en disant c'est une certaine
03:44 vision notamment proposée par les mouvements écologistes, de dire mais en fait il faut
03:49 se débarrasser de la finance.
03:50 Oui, oui, oui.
03:51 Alors ce n'est pas votre position, mais le débat existe.
03:58 Oui le débat existe, je pense qu'en tout cas, enfin moi je pense que la transition
04:04 environnementale, c'est l'affaire de tous, il y a les entreprises et ceux qui les financent,
04:10 les actionnaires notamment, il y a l'État, bien sûr qui a un rôle très important à
04:15 jouer, puis il y a les citoyens de la société qui ont leur influence évidemment, en tant
04:18 que consommateur, en tant qu'électeur, en tant que lobbyiste.
04:21 Mais je ne pense pas qu'on puisse se passer des actionnaires dans cette transition.
04:27 Alors par contre, qu'est-ce qu'on peut améliorer dans la finance verte ? Alors la
04:30 finance verte c'est compliqué parce que cette mesure ESG, c'est de très nombreux
04:35 critères qu'on rajoute si vous voulez, aux critères traditionnels, donc c'est
04:39 une mesure complexe, qui n'est pas vraiment harmonisée pour l'instant, il y a des
04:43 efforts notamment avec la taxonomie verte en Europe pour essayer d'harmoniser ça,
04:49 et comme c'est compliqué, comme c'est difficile à mettre en œuvre, comme c'est
04:53 récent, ça donne lieu bien sûr au fameux greenwashing, parce que c'est assez facile
04:57 pour une entreprise de mauvaise foi de dire voilà moi je fais du vert alors qu'en
05:01 fait ils n'en font pas.
05:02 Donc c'est assez logique parce que le champ est nouveau en cours de construction,
05:08 on peut penser que ces règles vont se clarifier, s'harmoniser.
05:10 Une autre limite c'est qu'évidemment la finance ne peut pas tout, c'est-à-dire
05:18 que déjà la finance privée, elle peut influencer des grandes sociétés, par exemple
05:24 pétrolière cotée en bourse, mais il y avait une étude d'Ozi Economist qui disait
05:28 que finalement, en termes d'émissions de carbone, il y a 75% des émissions qui ne
05:33 sont pas atteignables par la finance privée parce que ce sont des grands états pétroliers,
05:38 en Russie, aux Émirats, en Chine, pour d'autres choses, mais sur lesquels il n'y a pas
05:46 d'influence de la finance privée.
05:47 Donc il y a des limites, ça ne veut pas dire que la finance privée ne doit pas améliorer
05:52 ses pratiques.
05:53 Il y a aussi des limites politiques, c'est-à-dire qu'effectivement c'est à l'État
05:57 de jouer tout son rôle pour donner des grandes orientations en taxant le carbone, en interdisant
06:03 des produits polluants, en incitant la rénovation énergétique.
06:08 Et puis, il y a un nouveau phénomène, c'est la politique qui s'en mêle, notamment
06:12 aux États-Unis, avec la finance woke.
06:16 Comme il y a eu une sorte de balancier ces dernières années vers la finance responsable,
06:21 maintenant on a des États républicains, aux États-Unis, où les décideurs veulent
06:26 bannir les fonds responsables, la finance responsable, la finance verte, en disant « non
06:31 non, ça c'est du wokisme, c'est absurde ». Donc il y a aussi la politique qui s'en
06:36 mêle, ce qui est ennuyeux, d'autant que rien ne montre que la finance verte ou responsable
06:42 serait moins rentable que la finance traditionnelle.
06:46 Les études là-dessus sont assez contradictoires.
06:47 Rappelons que ce n'est pas la faute des actionnaires, c'est d'abord la faute
06:52 d'erreurs de gestion, d'erreurs stratégiques, que vous citez aussi parmi les scandales
06:55 de gouvernance.
06:56 Mais il est tellement plus simple d'incriminer le grand méchant actionnaire.
07:00 Merci à vous Christophe Bonnet.
07:02 Merci beaucoup.
07:03 Merci à vous.
07:05 Merci à vous.
07:06 [Musique]

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