Les secrets du tracé du Tour de France

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Transcription
00:00 Ça, c'est le tracé du Tour de France de 2023.
00:03 Et il a bien changé par rapport à ce qu'il était il y a 100 ans.
00:07 Là, il ressemblait vraiment à un Tour de la France.
00:10 Mais les temps ont changé.
00:12 Fini l'époque des coureurs amateurs qui s'arrêtaient au bistrot en pleine étape.
00:16 Le cyclisme s'est professionnalisé et surtout, il est beaucoup plus médiatisé.
00:22 Ce qui a eu d'incidence sur le parcours de la grande boucle.
00:25 Mais comment choisit-on le tracé de la plus grande course cycliste au monde ?
00:30 Lui, c'est Thierry Gouvenou.
00:33 Et c'est lui qui crée les tracés du Tour depuis bientôt 10 ans.
00:37 C'est un travail qui est à temps complet, j'ai envie de dire.
00:39 Je pars en vacances, mon esprit est toujours à regarder des routes.
00:44 Et donc, pour choisir les meilleures routes du Tour, il a trois outils.
00:48 Une bonne vieille carte Michelin,
00:50 l'application Strava qui recense l'activité des cyclistes locaux
00:53 et Google Maps pour les images satellites.
00:56 Ensuite, il part en reconnaissance sur le terrain, en voiture.
00:59 Et oui, en voiture.
01:01 Lorsqu'une étape fait 200 km, peut-être que la reconnaissance va en faire 300.
01:05 Et 300 km à vélo, c'est un peu dur pour des anciens.
01:10 Le premier critère pour déterminer un tracé, c'est la sécurité.
01:13 Aïe, attention, il peut le parapler !
01:16 Oh, c'est terrible.
01:17 Et paradoxalement, tous les aménagements liés à la sécurité des automobilistes,
01:21 comme ça ou ça, peuvent représenter un véritable danger pour les cyclistes.
01:27 Et en course, voilà ce que ça peut donner.
01:29 Heureusement, ici, plus de peur que de mal.
01:34 Ce qui donne le plus de fil à retordre à Thierry Gouvenou,
01:37 c'est une arrivée massive au sprint en ville.
01:39 C'est souvent une belle galère.
01:40 L'objectif des maires, notamment, c'est de réduire la vitesse des automobilistes.
01:44 Dans les villes, ils ont créé beaucoup d'aménagements urbains.
01:47 Alors des ralentisseurs, des rétrécissements, des dodanes, des ronds-points.
01:51 Nous, lorsqu'on veut passer avec le Tour de France, ça devient un vrai obstacle.
01:55 Et c'est trop dangereux.
01:56 Conséquence, le Tour va demander aux villes d'enlever certains ralentisseurs
02:00 ou un petit rond-point, ce qui arrive souvent en France,
02:03 le maillot jaune des aménagements urbains.
02:05 Mais le tracé qui a posé le plus de problèmes à Thierry Gouvenou,
02:09 et c'est un peu étonnant, c'est dans la patrie du vélo, les Pays-Bas.
02:14 C'est un pays où il y a énormément d'aménagements pour faire des pistes cyclables, etc.
02:18 Mais du coup, le réseau routier n'est pas tout à fait adapté aux courses cyclistes.
02:22 Et ça, c'est un peu un paradoxe.
02:23 Plus on aménage les routes pour le cycliste de tous les jours,
02:27 plus c'est compliqué pour le Tour de France.
02:30 L'autre contrainte de sécurité, c'est celle liée au public.
02:34 Entre 10 et 12 millions de personnes se pressent au bord des routes à chaque édition.
02:38 Et le risque, c'est que cette foule gêne les cyclistes ou provoque même des accidents.
02:43 Et ce problème se pose surtout dans les étapes de montagne.
02:46 On peut parfois trouver des super belles côtes, très raides, parfois un peu étroites,
02:50 mais qui peuvent pas accuser le public.
02:51 On se l'interdit régulièrement parce qu'on sait qu'on aura une influence du public importante,
02:55 et que le public, s'il a pas de place sur les bas côtés, il va envahir la route.
02:59 D'ailleurs, cette année, pour la première fois, il y aura une arrivée sans public.
03:04 Ce sera au Puy de Dôme, lieu mythique dans l'histoire du Tour,
03:07 depuis le duel entre Jacques Amptil et Raymond Poulidor le 12 juillet 1964.
03:13 Mais depuis cet affrontement, la largeur de la route sur la chaîne des Puy a été réduite,
03:17 et le lieu est classé depuis 2018 au patrimoine mondial de l'UNESCO.
03:21 Impossible désormais d'accueillir des dizaines de milliers de spectateurs dans cet espace préservé.
03:27 Cette arrivée, il faudra donc la suivre à la télévision.
03:30 D'ailleurs, la télé et le Tour, c'est une grande histoire d'amour.
03:35 Pour preuve, le premier direct en extérieur de l'histoire de la télévision française,
03:40 c'est l'arrivée du Tour au Parc des Princes à Paris en 1948.
03:45 Aujourd'hui, c'est le troisième événement sportif le plus regardé au monde
03:49 après la Coupe du Monde de football et les Jeux Olympiques.
03:52 Diffusé dans 190 pays, le Tour rassemblerait 3,5 milliards de téléspectateurs sur trois semaines.
03:59 Forcément, Thierry Gouvenoud pense à eux en faisant son tracé,
04:02 et il a dû s'adapter à nos changements d'habitude devant le petit écran.
04:06 Le public est devenu de plus en plus à peur et on a essayé d'alterner beaucoup plus
04:10 les types de tapes entre sprinter, baroudeur, grimpeur, recrute labo,
04:14 pour capter plus l'attention du public et faire en sorte qu'il soit présent le plus régulièrement.
04:20 Pour capter l'attention du public, il faut du spectacle.
04:24 Et le spectacle, il se déroule là, dans les montagnes.
04:28 Les spectateurs aiment voir les coureurs souffrir dans la montagne,
04:30 aiment qu'il y ait des écarts entre les coureurs.
04:32 C'est vraiment la montagne qui fait l'ADN du Tour de France.
04:35 Le Tour regorge d'ascensions mythiques et difficiles,
04:39 avec des montées de plusieurs dizaines de kilomètres et des pentes pouvant atteindre les 10%.
04:45 À l'image du Tour Malay dans les Pyrénées, le col le plus visité de l'histoire de la course.
04:50 Ou le Galibier, le col le plus visité des Alpes, mais aussi l'arrivée d'étape la plus élevée.
04:56 C'est donc une règle non écrite, mais systématique.
04:59 Aller dans les Pyrénées et les Alpes.
05:01 Et la tendance s'est accentuée depuis les années 2000,
05:03 comme le montre cette carte recensant les passages de la course.
05:07 Entre 2000 et 2023, le Tour est passé 21 fois par les Pyrénées Atlantiques,
05:12 23 fois en Savoie et 24 fois dans les Hautes-Pyrénées, donc à chaque édition.
05:16 Mais même en montagne, il faut savoir se renouveler.
05:20 C'est pourquoi, depuis quelques années,
05:21 les tracés se dynamisent et s'aventurent dans les massifs intermédiaires.
05:25 C'est le cas de la planche des Belfies dans le massif Vosgien.
05:28 Encore inconnue jusqu'en 2012, ce sommet a été emprunté 6 fois en 10 ans.
05:33 Les raisons du succès ?
05:34 Une ascension plutôt courte, mais des pentes pouvant aller jusqu'à 24%.
05:39 Spectacle garanti, notamment grâce à une catégorie de cyclistes,
05:43 les punchers, comme Julien Alaphilippe, Wout van Aert ou encore Van Der Poel.
05:49 Ces coureurs, très populaires auprès du public pour leurs attaques,
05:52 ont besoin de pentes raides et courtes.
05:55 Alors Thierry Gouvenoud adapte le terrain de jeu.
05:58 On a envie de leur donner de la matière et on trace un peu les parcours
06:02 pour qu'ils puissent s'exprimer parce que l'on sait que derrière,
06:04 ça sera suivi par les téléspectateurs et on aura des bonnes audiences aussi.
06:08 Autre avantage de ce type d'étape, des arrivées avec moins de coureurs
06:13 et ça évite les surfroides d'un sprint massif pour Thierry Gouvenoud.
06:17 Mais le Tour de France, ce n'est pas que du sport, c'est aussi des beaux paysages.
06:23 Selon un sondage réalisé en 2016, 50% des Français interrogés
06:27 disaient regarder le Tour pour admirer le patrimoine et les paysages.
06:31 Et ça aussi, ça a une conséquence sur le tracé.
06:34 Si on a le choix d'un point A à un point B entre une nationale très aménagée
06:38 ou une route départementale qui va traverser les beaux villages,
06:41 il n'y a pas de doute, on ira vers la route départementale.
06:43 C'est aussi un grand coup de projecteur pour les villes organisatrices et les territoires.
06:47 Par exemple, en 2021, le grand départ organisé dans la ville de Brest
06:51 a rapporté au Finistère, grâce aux retombées économiques,
06:54 l'équivalent de 3 euros pour 1 euro investi.
06:58 Mais parfois, le Tour doit aussi s'adapter à l'histoire.
07:02 Comme en 2014 pour le centenaire de la Grande Guerre,
07:05 où les cyclistes sont passés par le Chemin des Dames ou encore Verdun.
07:08 Même une figure historique, comme celle du général de Gaulle, peut influencer le tracé.
07:13 Un jour, Christian Prudhomme me dit "tu vas de telle ville à telle ville,
07:16 essaye d'aller le plus direct possible".
07:18 Et quelques mois après, il se rend compte qu'on est passé
07:21 à une dizaine de kilomètres de Colombel et Deux-Églises.
07:24 Pour rappel, Colombel et Deux-Églises est surtout connu
07:27 pour accueillir la tombe du général de Gaulle.
07:29 Et là, j'ai cru qu'ils avaient s'arraché les cheveux.
07:31 "Mais non, comment tu as fait pour ne pas passer à Colombel et Deux-Églises ?
07:34 C'est pas possible, il faut revoir ton tracé."
07:36 Alors on a refait le tracé, on a rajouté une quinzaine de kilomètres à l'étape
07:40 et on est passé à Colombel et Les Deux-Églises.
07:42 Et c'est vraiment à ce moment-là que j'ai pris conscience
07:43 que le côté patrimoine historique, esthétique du Tour de France est primordial.
07:48 Valeurs historiques et esthétiques, spectacles télévisuels et sportifs
07:52 et contraintes réglementaires et sécuritaires,
07:55 voilà tous les paramètres qui rentrent en compte dans chaque tracé.
07:59 Mais Thierry Gouvenoud prend parfois en compte, à un autre critère,
08:02 les suggestions qu'il reçoit des passionnés.
08:04 Et je reçois quand même beaucoup d'emails,
08:07 je suis sollicité aussi sur les réseaux sociaux pour me faire des propositions de parcours.
08:11 Et ça m'arrive régulièrement d'utiliser cette source d'informations
08:14 pour pouvoir créer des parcours.
08:16 Alors des fois, ça fait la différence sur la qualité générale d'un tracé
08:19 et c'est toujours bienvenu.
08:21 Il y a quelques années, on a fait une étape qui a été terminée au Creuseau.
08:25 On m'avait dit qu'il fallait à tout prix passer au Signal du Chaud,
08:27 je ne connaissais pas du tout.
08:29 Aucune course n'était passée ces dernières années au Signal du Chaud
08:31 et ça a fait une étape fantastique.
08:34 Mais si vous voulez lui faire une proposition pour le tracé du Tour 2024,
08:38 dépêchez-vous, car en général, Thierry Gouvenoud ressort ses cartes dès le mois d'août.
08:43 Et en seulement un mois, la prochaine grande boucle,
08:45 qui certes n'en est plus vraiment une, est bouclée.
08:49 [Musique]