Table ronde n° 1
Du Moyen Âge à nos jours, prévenir les épidémies et les maladies contagieuses : périmètres, objectifs et enjeux
Intervenants :
• Françoise HILDESHEIMER, archiviste et historienne, conservatrice
générale honoraire aux Archives nationales et professeure associée à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
• Patrice BOURDELAIS, démographe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
• Claire FREDJ, historienne, maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre
• Philippe ARTIÈRES, historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique
• Clément LAZARUS, adjoint à la sous-directrice de la veille et de la sécurité sanitaire, Direction générale de la santé, ministère de la Santé et de la Prévention
Mardi 21 mars 2023 à Pierrefitte-sur-Seine
Du Moyen Âge à nos jours, prévenir les épidémies et les maladies contagieuses : périmètres, objectifs et enjeux
Intervenants :
• Françoise HILDESHEIMER, archiviste et historienne, conservatrice
générale honoraire aux Archives nationales et professeure associée à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
• Patrice BOURDELAIS, démographe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
• Claire FREDJ, historienne, maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre
• Philippe ARTIÈRES, historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique
• Clément LAZARUS, adjoint à la sous-directrice de la veille et de la sécurité sanitaire, Direction générale de la santé, ministère de la Santé et de la Prévention
Mardi 21 mars 2023 à Pierrefitte-sur-Seine
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ÉducationTranscription
00:00:00 Merci beaucoup, M. le directeur.
00:00:02 Nous allons donc commencer cette table ronde
00:00:04 en essayant, justement,
00:00:05 puisque c'est la table ronde introductive,
00:00:07 de ne pas développer l'ensemble des sujets
00:00:10 qui seront abordés dans toute cette journée d'aujourd'hui.
00:00:14 On essaiera surtout de ne pas tout mélanger,
00:00:16 les périodes, les espaces,
00:00:18 peut-être de faire parfois des distinctions,
00:00:20 même si on essaiera également
00:00:22 de faire des ponts entre toutes les périodes
00:00:25 et tous les espaces,
00:00:26 tout en essayant de ne pas faire
00:00:28 les mélanger entre elles et entre eux.
00:00:30 Aujourd'hui, nous allons dans cette 1re table ronde
00:00:34 en compagnie...
00:00:35 Il faut excuser Patrice Bourdelais,
00:00:37 qui n'a pas pu nous rejoindre
00:00:39 puisqu'elle a été bloquée pour les problèmes de transport.
00:00:42 Vous savez que parfois, il est difficile de circuler
00:00:44 depuis quelques semaines en France.
00:00:46 Mais nous avons donc à notre table ronde
00:00:49 François-Xavier Saimer.
00:00:50 Merci d'être là.
00:00:52 Claire Frege, historienne, maîtresse de conférences
00:00:54 à Paris-Montréal.
00:00:56 Historienne, maîtresse de conférences à Paris-Denterre,
00:00:58 spécialiste en particulier de la question de la santé
00:01:01 dans les espaces coloniaux.
00:01:02 Philippe Artière, historien, directeur de recherche
00:01:05 au Centre national de la recherche scientifique.
00:01:06 Et Clément Lazarus.
00:01:08 Merci d'être là également.
00:01:09 Vous êtes adjoint à la sous-directrice
00:01:10 de la Veille de la sécurité sanitaire
00:01:12 à la direction générale de la santé
00:01:14 au ministère de la Santé et de la Prévention.
00:01:16 Alors, peut-être, commençons
00:01:19 en essayant de rythmer cette discussion
00:01:21 avant de passer à la 2e table ronde
00:01:23 à partir de 11h30.
00:01:25 Avec une sorte de chronologie de ces moments
00:01:30 de prévention des maladies, d'alerte des maladies.
00:01:35 Et peut-être en commençant sur cette question de l'alerte.
00:01:38 Qu'est ce que, justement, on peut dire
00:01:41 dans tous les espaces qui sont les vôtres
00:01:43 et dans tous les moments d'histoire
00:01:47 que vous connaissez mieux que n'importe qui.
00:01:49 Qu'est ce que l'on peut dire de ce moment de l'alerte?
00:01:52 Est ce que ce moment d'alerte est différent
00:01:54 selon les périodes et selon les espaces?
00:01:56 Ou est ce qu'il est plus ou moins toujours le même?
00:01:59 Je vais commencer peut-être avec vous,
00:02:01 Françoise Hilde-Sheimer.
00:02:03 Qu'est ce que l'on peut dire de ce moment
00:02:04 de l'alerte, de l'information, de la transmission
00:02:08 qui se fait au début d'une épidémie?
00:02:11 -Merci.
00:02:13 Effectivement, j'ai le sentiment d'être,
00:02:15 historiquement, la plus vieille.
00:02:18 Je pense que l'alerte, il faut la voir très différemment
00:02:22 selon le lieu où l'on se trouve.
00:02:26 Dans la majorité, prenons le Royaume de France,
00:02:29 l'alerte, elle est tout à fait spécifique
00:02:32 sur la côte méditerranéenne,
00:02:34 qui est le lieu d'entrée des épidémies
00:02:37 qui sévissait à l'état permanent
00:02:40 du côté des échelles du Levant
00:02:43 et qui était périodiquement, disons, réintroduite.
00:02:47 Et on sait que sous l'Ancien Régime,
00:02:49 c'est la place de Marseille
00:02:51 qui avait non seulement le monopole
00:02:54 du commerce avec le Levant,
00:02:56 mais de l'accueil, donc, de tous les bâtiments
00:02:59 susceptibles d'apporter l'affreuse peste.
00:03:05 Et il y avait donc là des institutions permanentes,
00:03:08 ce qui fait que, je vais dire l'alerte,
00:03:12 elle était permanente,
00:03:14 mais ce qu'il faut voir, et pour faire court,
00:03:16 ce qui me paraît le plus novateur
00:03:18 et le plus intéressant de ce point de vue,
00:03:21 c'est que ces institutions permanentes,
00:03:23 autrement dit, l'intendance sanitaire,
00:03:27 entretenaient,
00:03:29 et je pense que c'est un des premiers exemples,
00:03:31 je vais dire, de relations internationales,
00:03:35 entretenaient des relations d'information
00:03:38 avec ces homologues en Italie
00:03:41 et rassemblaient tout ce qu'elles pouvaient d'information.
00:03:44 Alors, il faut bien voir que c'est pas si simple que ça.
00:03:47 C'est pas dans le but prioritaire
00:03:51 de prévenir, de dire "attention",
00:03:53 c'est surtout dans le but de se protéger soi-même,
00:03:57 parce que la diffusion de l'information
00:03:59 sous l'Ancien Régime cède le pas devant le secret,
00:04:03 qui est que l'on cherche, au contraire,
00:04:04 à étouffer tout soupçon de peste
00:04:07 pour protéger son commerce.
00:04:09 On sait que c'est comme ça qu'en 1720,
00:04:11 la peste a pénétré à Marseille
00:04:13 et qu'on ne l'a admise que très tard,
00:04:16 car la foire de Bocquer était à l'horizon
00:04:19 et il fallait préserver la vente des marchandises
00:04:22 qu'on y avait destinées.
00:04:23 Donc, vous voyez, c'est un premier exemple
00:04:26 d'alerte organisée,
00:04:28 mais dans un but avec une grande ambiguïté au départ.
00:04:32 Mais on peut dire, pour faire court,
00:04:34 que ces correspondances entretenues
00:04:36 par les intendants sanitaires
00:04:38 sont, au XIXe siècle,
00:04:41 les prémices de ce qui deviendra l'OMS.
00:04:43 -Avec cette dimension double,
00:04:46 enfin, triple, peut-être, sanitaire, dans un premier temps,
00:04:49 politique, évidemment, dans les relations
00:04:51 que l'on peut établir avec ses propres voisins,
00:04:54 et donc commerciale, parce que cette question...
00:04:56 Voilà.
00:04:58 Et comment cela sera traduit dans les tensions
00:05:01 qu'il peut y avoir entre ces trois impératifs,
00:05:03 d'une certaine manière ?
00:05:04 -Ca se traduit au niveau des tutelles administratives.
00:05:06 Ces institutions, elles sont municipales, à l'origine,
00:05:10 et puis on voit, petit à petit...
00:05:12 Alors, il faut bien se dire qu'on n'est pas aujourd'hui,
00:05:15 on est très loin de Versailles.
00:05:17 On voit l'intendant de la province, petit à petit,
00:05:22 et le Parlement, dont c'est la fonction,
00:05:25 et puis, en 1721,
00:05:28 c'est le Conseil du roi qui va mettre la main,
00:05:31 c'est le début de la mainmise de l'Etat
00:05:33 sur la lutte contre les épidémies.
00:05:35 Et puisqu'on veut parler des sources aujourd'hui,
00:05:37 je dois dire qu'il y a quelque chose de fascinant.
00:05:40 Les archives de l'intendance sanitaire
00:05:42 ont été intégralement conservées depuis ses origines,
00:05:46 au XVIe siècle.
00:05:47 C'est même un cas de fond extraordinaire,
00:05:50 parce que moi, quand je suis arrivée à Marseille,
00:05:53 je l'ai trouvée telle qu'il l'était restée
00:05:57 à la fin du XIXe siècle,
00:05:59 quand l'intendance a cessé ses fonctions.
00:06:02 Et comme on n'a pas fait ces éliminations
00:06:05 auxquelles les archivistes sont condamnés,
00:06:08 on a un empilement de correspondances.
00:06:11 On a la correspondance des intendants
00:06:13 avec la municipalité,
00:06:15 la correspondance des intendants
00:06:17 avec l'intendant de santé,
00:06:20 avec l'intendant de la province à Aix,
00:06:23 avec le Parlement à Aix,
00:06:25 et puis avec le Conseil du roi.
00:06:27 Alors vous allez me dire, on ne va ne garder qu'une série,
00:06:30 mais ce qui est fascinant, c'est de voir
00:06:31 comment les informations, petit à petit, sont filtrées,
00:06:36 et ce qui, de la masse d'informations,
00:06:39 de la 1re lettre,
00:06:41 finit par arriver à cet écrémage absolument extraordinaire
00:06:45 pour comprendre comment fonctionnaient les institutions.
00:06:49 -C'est-à-dire qu'on ne dit pas tout à tout le monde ?
00:06:51 -Ca s'écrème au fur et à mesure.
00:06:54 Et puis il y a aussi quelque chose.
00:06:55 C'est une urgence qui nécessite une décision immédiate.
00:07:01 Donc on informe beaucoup plus abondamment
00:07:03 celui qui est sur place et qui doit prendre la décision,
00:07:07 tandis qu'à Versailles, le Conseil du roi sera informé
00:07:11 il y a bien longtemps que l'urgence est passée.
00:07:14 -Il y a aussi cette dimension de la rapidité de l'information.
00:07:18 -Exactement.
00:07:19 -C'est-à-dire combien de temps faut-il, par exemple,
00:07:21 pour que le début d'une épidémie soit mentionnée
00:07:25 et remonte jusqu'au Conseil du roi ?
00:07:27 Ou est-ce que, justement, ce temps est un temps, disons, impératif
00:07:32 qui ralentit les prises de décisions ?
00:07:34 Ou est-ce que les acteurs locaux
00:07:36 décident de prendre des décisions sans même attendre ?
00:07:39 -Ils sont obligés de décider.
00:07:41 La moyenne, c'est une bonne semaine pour que ça remonte.
00:07:43 Donc dans l'urgence, il faut décider.
00:07:46 C'est pour ça que c'est une institution municipale.
00:07:48 -Et donc ça signifie qu'il y a des acteurs
00:07:51 qui sont en capacité d'établir à ce moment-là
00:07:56 quel est le type de maladie qui se répand dans la société ?
00:07:59 -C'est eux qui reçoivent tous les bâtiments
00:08:01 qui arrivent dans le port.
00:08:02 -Donc ils ont une expertise, d'une certaine manière.
00:08:04 -Ce qu'il faut bien voir aussi,
00:08:05 on en revient à ce qu'on disait en commençant,
00:08:08 c'est que ces intendants de la santé qui sont sur le terrain,
00:08:11 qui prennent des décisions, c'est des négociants marseillais.
00:08:16 -Donc ils ont un double apératif, au moins, c'est cela.
00:08:19 -Donc vous voyez qu'on est toujours dans une sorte d'ambiguïté.
00:08:21 -Et vous nous avez mentionné tout à l'heure
00:08:23 le début d'une coopération internationale,
00:08:26 pourrait-on dire, comme on dirait aujourd'hui.
00:08:29 Quel est l'état des autres pays européens, par exemple,
00:08:32 vis-à-vis de l'arrivée de ces épidémies ?
00:08:35 Vous citiez tout à l'heure, j'imagine,
00:08:37 que les ports de Livourne ou de Genne...
00:08:39 -Les premiers Lazare, et c'est l'Italie.
00:08:42 Le gros problème qu'il y a, c'est les pays d'Orient,
00:08:47 puisqu'on n'a jamais pu imposer une protection systématique.
00:08:54 On s'en remet à là.
00:08:56 Donc c'est un gros problème de mettre la protection
00:09:01 sur le bâtiment qui revient,
00:09:03 c'est-à-dire qu'il est muni de ce qu'on appelle une patente,
00:09:06 qui fait état de la situation sanitaire
00:09:08 dans son port de départ et dans les ports d'Escal,
00:09:12 qui peut être, comme on l'a vu là encore,
00:09:14 en 1720 trafiqué en tant que besoin,
00:09:17 mais qui, à l'arrivée, est systématiquement...
00:09:20 Aucun bâtiment ne peut rentrer dans le port de Marseille.
00:09:23 Et si vous avez regardé ces jours-ci
00:09:26 les manifestations à Marseille,
00:09:28 regardez les prochaines, puisqu'il va y en avoir d'autres,
00:09:31 vous verrez sur le port un petit bâtiment sur la gauche
00:09:34 qui est double, qui est le bâtiment appelé de la Consigne.
00:09:38 C'était le siège de l'intendance sanitaire,
00:09:41 où tout bâtiment qui arrivait,
00:09:43 s'arrêtait sur les îles du Frioul,
00:09:45 envoyait une chaloupe là, porteuse de sa patente.
00:09:50 -Et cette patente était délivrée dans le port de départ ?
00:09:54 -Et elle était annotée au fur et à mesure des escales.
00:09:57 -Mais les armateurs et les puissances ottomanes en particulier
00:10:02 n'avaient pas non plus intérêt, j'imagine, à ce moment-là,
00:10:06 à ce que se développe une épidémie ailleurs
00:10:10 ou même à bord de ces bateaux.
00:10:11 Comment cette patente était-elle décidée
00:10:14 et quel était le contrôle sanitaire avant même de partir ?
00:10:16 -C'était une déclaration simple de l'Etat.
00:10:20 Alors la patente était dite nette.
00:10:22 S'il n'y avait aucun soupçon, elle était suspecte.
00:10:29 Et elle était contrôlée, donc,
00:10:32 beaucoup plus à l'arrivée qu'au départ.
00:10:35 Et on voit, notamment en 1720,
00:10:38 le navire qui apporte la peste
00:10:40 et donc qui sait très bien qu'il a la peste à bord,
00:10:43 qui fait un arrêt avant Marseille,
00:10:46 qui se concerte avec les négociants
00:10:48 qui ont les marchandises et qui repart vite fait
00:10:51 vers Hanel et retour à Livourne
00:10:53 pour qu'on lui mette que sa patente est saine
00:10:57 et qu'il puisse avoir l'entrée.
00:10:58 Donc, vous voyez que c'est un système très aléatoire.
00:11:01 Donc, moi, ce qui m'étonne le plus,
00:11:04 c'est que malgré tout, il ait réussi à filtrer
00:11:08 un certain nombre d'épidémies.
00:11:10 -Alors, on va revenir sur la suite de cette aventure.
00:11:14 Pour être honnête, on a évoqué la question de l'alerte
00:11:17 et de l'information avec vous, Françoise-Isle de Saiment.
00:11:19 On va peut-être poser la même question à Claire Frech,
00:11:22 qui est à côté de moi.
00:11:23 Je pense qu'il faut appuyer sur ce petit bouton
00:11:25 pour que ça fonctionne.
00:11:26 Claire, sur cette question,
00:11:28 dans un espace qui est très différent
00:11:30 de celui qui vient d'être décrit, a priori,
00:11:32 par Françoise-Isle de Saiment,
00:11:34 c'est l'espace colonial, en particulier.
00:11:36 Comment cela se déroule-t-il ?
00:11:38 Et est-ce qu'il y a, justement, des prémices, pourrait-on dire,
00:11:42 d'une autre vision que celle qui vient d'être décrite
00:11:44 pour l'Ancien Régime par Françoise-Isle de Saiment ?
00:11:47 -Merci. Bonjour.
00:11:49 En fait, l'espace, d'abord, il n'est pas si différent
00:11:52 parce qu'il y a quand même tout un aspect
00:11:54 de contrôle de la Méditerranée,
00:11:56 puisque l'une des grandes colonies françaises, c'est l'Algérie,
00:12:00 donc qui est en face de Marseille.
00:12:03 Et donc, la question de l'alerte...
00:12:06 Alors, à partir de 1830,
00:12:08 ce n'est pas tant la peste que le choléra
00:12:10 qui est la maladie redoutée,
00:12:14 qui vient d'ailleurs.
00:12:17 Et en fait, pour cette maladie
00:12:20 qui se répand à partir de 1831-1832 en Europe,
00:12:26 depuis l'Inde, il y a un système d'information
00:12:29 qui commence à se mettre en place,
00:12:30 puisque l'Algérie est inclue
00:12:33 dans l'organisation de la police sanitaire française,
00:12:36 en fait, assez vite.
00:12:38 Et que, par ailleurs, c'est Benoît Pouget
00:12:41 qui a beaucoup travaillé là-dessus,
00:12:43 la marine française met en place,
00:12:46 en fait, entre 1830 et la guerre de Crimée,
00:12:50 un système, justement, d'information
00:12:52 sur la manière de savoir
00:12:55 ce qui arrive de Méditerranée orientale.
00:12:58 Alors, après, sur le terrain lui-même,
00:13:01 si on continue sur l'Algérie,
00:13:04 finalement, ça se passe comme l'a décrit
00:13:07 François-Isle de Saimard, avec une intendance maritime,
00:13:11 en tout cas, à Alger,
00:13:12 et puis, en fait, le long de la côte,
00:13:14 des institutions de la même eau.
00:13:17 Alors, la seule chose,
00:13:19 enfin, c'est pas complètement négligeable,
00:13:21 c'est que l'organisation des municipalités
00:13:24 est, alors, à la fois,
00:13:27 jusqu'à un certain point semblable,
00:13:28 est complètement différente,
00:13:30 et la place de l'armée dans la colonie
00:13:34 change, évidemment, la manière
00:13:36 dont on peut concevoir à la fois l'information
00:13:39 et ensuite le traitement sur le terrain.
00:13:42 Mais, disons, donc, finalement,
00:13:47 avec le choléra, on continue cette histoire
00:13:50 de la surveillance méditerranéenne,
00:13:52 alors qu'il y a...
00:13:53 Alors, colonia jusqu'à un certain point,
00:13:55 et autres après,
00:13:57 puisque à partir des années 1850
00:14:02 et plus nettement en la 2e moitié du 19e siècle,
00:14:06 se met en place avec l'Egypte et l'Empire ottoman,
00:14:09 donc un système de surveillance qui, cette fois-ci,
00:14:12 est beaucoup plus intrusif
00:14:13 du côté des souverainetés égyptiennes et ottomanes,
00:14:16 de la part, donc, des consuls, des médecins européens
00:14:21 qui viennent, en fait,
00:14:23 qui délocalisent, en fait, la surveillance
00:14:26 de l'arrivée du choléra
00:14:29 vers l'Europe occidentale,
00:14:31 directement en Europe orientale,
00:14:34 en Méditerranée orientale, voire sur la Mer Rouge.
00:14:36 Et là, c'est évidemment les travaux de Sibia Chifolo
00:14:40 que je mentionne.
00:14:42 Alors, après, la question de l'alerte,
00:14:46 donc, en Algérie, c'est assez simple.
00:14:48 Ca se place dans un espace
00:14:51 qui, finalement, est déjà, d'une certaine manière,
00:14:54 saturé d'informations depuis l'époque moderne,
00:14:58 qui prend les mêmes chemins,
00:14:59 alors avec des techniques qui vont évoluer,
00:15:01 puisqu'il va y avoir le télégraphe, quand même,
00:15:04 un courrier qui est plus rapide,
00:15:07 donc, quand même, des choses importantes
00:15:09 quand on prévient d'une épidémie.
00:15:11 Après, ça ne veut pas dire que sur le terrain,
00:15:14 les mesures prises sont plus rapides,
00:15:16 mais ça, c'est autre chose,
00:15:18 parce qu'il peut y avoir, par exemple, pour l'Algérie,
00:15:21 des circonstances,
00:15:24 des autorités, dans les années 1840-1850,
00:15:30 qui essayent de faire en sorte
00:15:31 que les mauvaises nouvelles sanitaires,
00:15:34 par exemple, le choléra de 1849,
00:15:37 ne dérangent pas trop l'arrivée des colons en Algérie.
00:15:41 Parfois, c'est...
00:15:42 -Et comment on se débrouille, justement,
00:15:43 pour ne pas mettre la panique, d'une certaine manière ?
00:15:46 -En fait, la question de l'information,
00:15:49 elle passe comme avant, par les consuls,
00:15:52 mais disons, de temps en temps,
00:15:54 enfin, moi, de ce que j'ai lu, je n'ai pas tout lu sur la question,
00:15:56 mais une surveillance, bien sûr, des navires
00:16:00 arrivés d'Italie, arrivés d'Espagne,
00:16:02 arrivés de France...
00:16:04 Arriver de France, c'est plus compliqué,
00:16:05 parce que, justement, l'Algérie, ce n'est pas encore la France,
00:16:08 mais c'est quand même un espace
00:16:11 qui est de plus en plus intégré, en tout cas, au sud de la France,
00:16:14 et donc, les circulations, de part et d'autre,
00:16:16 de la Méditerranée sont censées être fluides,
00:16:19 et finalement, c'est aussi ça.
00:16:22 Il y a 2 types d'intérêts.
00:16:24 Alors, pour les autres territoires coloniaux,
00:16:30 la question, c'est, finalement, il y a des épidémies,
00:16:33 mais l'alerte concerne quelle maladie,
00:16:39 d'une certaine manière, parce que, bon,
00:16:41 la peste effraye le monde occidental,
00:16:44 le monde oriental aussi, d'ailleurs.
00:16:47 Elle existe dans le monde colonial.
00:16:50 Elle arrive de Chine, en Extrême-Orient,
00:16:54 on la trouve à Madagascar,
00:16:56 on peut la trouver au Sénégal, au début du XXe siècle,
00:16:58 pendant la Première Guerre mondiale,
00:17:00 sauf que l'époque a changé,
00:17:01 il commence à y avoir un certain nombre de sérums,
00:17:04 puis de vaccins qui sont mis au point,
00:17:06 et puis, l'information circule différemment,
00:17:09 parce qu'il y a encore le télégraphe,
00:17:11 une information qui va plus vite,
00:17:13 et puis, des...
00:17:16 Comment dire ?
00:17:18 Des manières de faire qui ont pu évoluer.
00:17:20 Et puis, il y a aussi le fait sur quoi on alerte,
00:17:24 sur quelle maladie, en fonction de quelle population,
00:17:27 finalement, on cherche à protéger en priorité.
00:17:32 En Algérie, il y a beaucoup d'Européens.
00:17:35 Les grandes épidémies du choléra,
00:17:38 qui arrivent de France, en fait, en Algérie,
00:17:41 le reste des épidémies, c'est du classique,
00:17:44 c'est la variole.
00:17:45 Alors, est-ce qu'on alerte de la variole
00:17:47 comme on alerte de la peste ? Non.
00:17:50 La maladie qui ravage les troupes, c'est le paludisme.
00:17:53 Ce n'est pas une maladie contagieuse,
00:17:54 mais c'est une maladie qui peut être épidémique.
00:17:57 Donc, mais en même temps, elle est bien implantée,
00:18:00 elle n'arrive pas comme un coup de tonnerre quelque part.
00:18:03 Et donc, à partir de là...
00:18:06 Il y a une variabilité des réactions.
00:18:08 C'est surtout que, finalement, ce sont aussi
00:18:10 les enregistrements de la part des militaires
00:18:12 sur le terrain, ailleurs aussi,
00:18:16 dans d'autres terrains que l'Algérie,
00:18:17 mais enfin, je suis un peu algérocentrée,
00:18:20 qui, en fait, alertent qu'à un moment,
00:18:22 puisque le militaire est un grand pourvoyeur
00:18:25 de statistiques médicales, en tout cas de comptage,
00:18:30 en fait, progressivement,
00:18:32 depuis les terrains où l'armée est implantée,
00:18:35 dans les campagnes ou dans les villes,
00:18:40 l'information remonte qu'il y a une mortalité
00:18:44 qui commence à être supérieure aux années précédentes
00:18:46 pour telle ou telle maladie.
00:18:48 Donc, à partir de là, qu'elle est la...
00:18:51 prendre, finalement, des décisions
00:18:53 en termes de vaccination, d'isolement,
00:18:55 enfin, tout ce qui sera développé...
00:18:58 -On y reviendra dans un instant.
00:19:00 Claire Fredge, on fait un grand saut dans le temps
00:19:02 avec vous, Philippe Artier,
00:19:05 dans les années, en particulier, du XXe siècle.
00:19:08 Cette question, justement, de la mise en alerte
00:19:11 et de la transmission des nouvelles,
00:19:13 on a pu le connaître, évidemment,
00:19:14 avec l'arrivée d'une nouvelle épidémie
00:19:17 qui était le SIDA dans les années 1980.
00:19:21 Comment cela se met-il en place
00:19:23 dans une période qui est très différente
00:19:25 de celle dont on vient parler,
00:19:26 à la fois le XIXe siècle de Claire Fredge
00:19:28 et le XVIIIe, tel qu'il a été présenté
00:19:31 par François Zeldin de Saïmer ?
00:19:32 Est-ce que, justement, cette question a été travaillée
00:19:37 entre ces périodes et les années 1980
00:19:40 par la création d'institutions internationales,
00:19:42 par la création, justement, d'institutions
00:19:44 qui sont chargées de gérer,
00:19:45 nationalement ou internationalement,
00:19:47 cette question à la fois de la découverte et de l'alerte
00:19:49 et de la transmission des informations ?
00:19:52 -Merci. Merci d'abord de cette invitation.
00:19:57 Alors, c'est à la fois...
00:20:03 Il y a une logique dans la transmission de paroles,
00:20:07 puisque les...
00:20:10 En l'occurrence,
00:20:13 une partie du système qu'on va appeler
00:20:17 l'épidémiologie naît
00:20:21 avec la surveillance des maladies tropicales
00:20:25 et dites tropicales, en fait coloniales.
00:20:29 -La vie sanitaire.
00:20:30 -C'est par la mer, notamment.
00:20:34 Donc ça, c'est, je dirais, une forme de continuité
00:20:40 entre le XIXe et ce XXe siècle,
00:20:43 enfin, ce dernier XXe siècle,
00:20:46 qui est le XXe siècle de la mondialisation,
00:20:50 qui n'est pas encore le XXe siècle
00:20:51 de la fin de la chute du mur
00:20:56 et de la globalisation,
00:20:58 qui est un second événement dans la pandémie à VIH,
00:21:03 sur lequel on reviendra peut-être.
00:21:06 Mais d'abord, c'est peut-être ça
00:21:10 sur lequel il faut insister, c'est ce paradoxe
00:21:13 d'avoir une épidémiologie qui a été très efficace
00:21:18 dans le, disons,
00:21:21 dans le premier, enfin, premier, second XXe siècle
00:21:25 et qui, au début des années 80,
00:21:29 est en berne.
00:21:31 C'est-à-dire que...
00:21:34 Et l'ensemble des disciplines,
00:21:38 notamment la virologie,
00:21:40 toutes ces disciplines-là,
00:21:41 sont... Les pavillons en France sont fermés.
00:21:44 Quand on écoute Françoise Barré-Sinoussi
00:21:47 ou Christine Roussiau,
00:21:50 ils expliquent très bien qu'au début des années 80,
00:21:53 ce ne sont pas des disciplines qui intéressent.
00:21:58 L'épidémiologie, c'est la dernière des disciplines en médecine.
00:22:03 -Avec cette ambition, peut-être,
00:22:04 ou cette prétention à avoir vaincu, justement,
00:22:07 les grandes épidémies.
00:22:09 Avec cette histoire glorieuse derrière
00:22:14 et avec cette forme de...
00:22:16 Aussi, et c'est bien ce que la pandémie AVIH révélera,
00:22:22 soudain, une mise en...
00:22:26 Une mise en difficulté d'un...
00:22:31 Pour reprendre des termes très...
00:22:34 Au début des années 80, d'un pouvoir médical
00:22:38 et d'un pouvoir de surveillance
00:22:41 des maladies à travers le monde extrêmement puissant,
00:22:46 même s'il faut le rappeler,
00:22:47 puisque le Fonds mondial y travaille encore aujourd'hui,
00:22:51 le paludisme demeure une maladie
00:22:56 qui n'est toujours pas éradiquée.
00:23:00 Alors, ça, c'est la 1re chose que je voudrais signaler.
00:23:07 Avec le paradoxe, c'est qu'il y a évidemment
00:23:10 un certain nombre de structures,
00:23:11 notamment aux Etats-Unis, le CDC d'Atlanta,
00:23:14 le célèbre CDC d'Atlanta,
00:23:16 qui va être le 1er lieu d'enregistrement
00:23:20 des cas de ce qu'on appelle pas encore le VIH,
00:23:24 puisqu'on oublie souvent de dire
00:23:26 que, en fait, l'histoire des épidémies,
00:23:30 elle s'écrit après coup,
00:23:31 et que ce qui arrive, ce qui survient,
00:23:34 c'est pas toujours des virus connus,
00:23:39 c'est pas des virus identifiés.
00:23:41 Et là, aujourd'hui, enfin, aujourd'hui ou hier,
00:23:45 nous avons célébré le 40e anniversaire
00:23:50 de l'identification du virus, du VIH,
00:23:55 et qui n'est pas contemporain de la survenue des 1ers cas.
00:24:00 Ca, c'est la 1re chose que je voudrais dire.
00:24:02 Et la 2e chose, c'est que,
00:24:04 finalement, dans ce moment des années 80,
00:24:08 ceux qui donnent l'alerte,
00:24:10 ce ne sont pas les médecins,
00:24:13 ce sont les personnes atteintes.
00:24:17 Et ça va être l'essentiel, d'ailleurs, de mon propos ce matin,
00:24:21 d'autant plus que c'est pour moi l'occasion
00:24:25 de rendre hommage à la fois aux archives nationales
00:24:30 pour leur attention à ce point-là,
00:24:32 mais aussi à un des acteurs principaux de cette alerte,
00:24:37 qui est Daniel Defert, qui nous a quittés,
00:24:41 qui est mort il y a maintenant un mois.
00:24:45 Et Daniel est venu témoigner ici
00:24:51 il y a quelques années,
00:24:53 dans des rencontres qui se faisaient alors,
00:24:58 autour de cette classe des malades,
00:25:01 non pas seulement dans la prévention,
00:25:05 mais y compris dans les alertes.
00:25:07 Moi, je me souviens avoir vu des lettres de Gilles Barbedette,
00:25:11 qui était en Californie à l'époque,
00:25:14 et qui écrivait...
00:25:16 Gilles Barbedette, qui était un écrivain et un éditeur,
00:25:20 si on ne rêvage, si je ne me souviens pas,
00:25:24 écrire à ses amis en France,
00:25:29 en disant "Il y a un truc qui se passe".
00:25:32 C'est pas une patente.
00:25:35 Ca se passe par le courrier dans un moment
00:25:38 qui n'est pas le moment qui est le nôtre,
00:25:40 qui n'a pas été le moment du coronavirus,
00:25:45 puisqu'il n'y a pas d'Internet.
00:25:48 Il n'y a pas de...
00:25:49 Tout ça se fait par un pré-réseau,
00:25:53 et on le voit très bien, là aussi,
00:25:56 grâce aux archives.
00:26:01 - On est avant le mail. - Et avant le mail.
00:26:03 Combien, à travers des communautés...
00:26:10 - Amicales. - Amicales.
00:26:13 Parce qu'elles ne sont pas encore constituées
00:26:14 comme communautés identitaires,
00:26:16 plutôt des communautés amicales, relationnelles,
00:26:20 l'information se répand.
00:26:23 Donc ça, c'est vraiment...
00:26:25 Enfin, c'est un point, pour moi, extrêmement important,
00:26:30 d'autant que si on parle d'une alerte,
00:26:35 en France, en tout cas, nationale,
00:26:42 on pourrait dire qu'elle est bien plus...
00:26:44 Elle ne date pas de 1981, mais elle date de 1989,
00:26:48 avec le rapport du professeur Claude Gau.
00:26:52 Alors, évidemment, il y a plein de choses avant.
00:26:55 Il y a d'autres alertes, il y a d'autres rapports,
00:27:01 mais c'est le moment où, on y reviendra,
00:27:04 se met en place véritablement une politique publique générale.
00:27:10 Mais...
00:27:13 Et une des spécificités,
00:27:15 et c'est aussi pour ça que le VIH est intéressant,
00:27:19 c'est que l'alerte se fait de manière très différente,
00:27:26 suivant ce qu'on appelait à l'époque,
00:27:29 et là encore, la richesse des archives
00:27:33 et dans la manière dont ils racontent aussi
00:27:42 la perception des épidémies,
00:27:47 des groupes à risque, ce qu'on appelait les groupes à risque.
00:27:51 Et il a fallu attendre Mme Barzac,
00:27:55 il faut aussi rendre hommage à Michel Barzac,
00:27:59 pour qu'une alerte,
00:28:02 c'est-à-dire une prise de position...
00:28:06 -Globale. -Globale,
00:28:08 concernant des sujets qui n'ont pas été alertés,
00:28:15 qui étaient les usagers de produits stupéfiants
00:28:18 par voie intraveineuse.
00:28:20 Et Michel Barzac, comme vous le savez,
00:28:23 libéralise la vente des seringues en officine.
00:28:30 -C'était à quelle date, Michel Barzac ? C'était 87 ?
00:28:33 -87. -87.
00:28:36 -Donc entre le... -Donc quand même,
00:28:39 pendant ce temps-là,
00:28:41 cette alerte,
00:28:45 elle concerne essentiellement
00:28:50 les hommes ayant des relations sexuelles
00:28:56 avec d'autres hommes.
00:28:58 Et c'est... Enfin, on y reviendra,
00:29:02 parce qu'il y a aussi tout un...
00:29:04 Il y a quand même un gros malentendu,
00:29:06 et on le voit très bien dans l'entrée,
00:29:07 puisqu'il y a une vitrine,
00:29:08 où on voit "Le sida ne passera pas par moi",
00:29:12 avec ces deux jeunes gens hétérosexuels
00:29:15 qui, enfin, comme on dit aujourd'hui,
00:29:18 six gens, qui cassent la barre,
00:29:21 alors qu'on voit que, finalement,
00:29:24 cette prévention généralisée,
00:29:27 elle a eu...
00:29:31 Elle a eu un extraordinaire...
00:29:35 Comment dire ?
00:29:37 Elle a eu un succès en matière de non-discrimination,
00:29:41 mais pas en matière de prévention.
00:29:44 -Une des questions...
00:29:46 Avant que je donne la parole à Clément Lazarus,
00:29:48 une des questions, peut-être, Philippe Artière,
00:29:50 c'est celle de l'information, évidemment.
00:29:52 On n'est pas du tout dans le temps de l'information
00:29:55 tel qu'elle est décrite par François-Philippe Lassallemure
00:29:57 et même Claire Fredge,
00:29:58 même si, évidemment, la presse grand public
00:30:00 commence à exister
00:30:02 et peut-être rend compte de ces questions-là.
00:30:05 En même temps que les gouvernements, dites-vous,
00:30:08 ne prennent pas forcément tout à fait en compte
00:30:11 ce qui est en train de se passer,
00:30:13 les journaux, la presse,
00:30:15 on se souvient des unes de libération
00:30:17 au tout début des années 80, etc.,
00:30:19 mais pas simplement de libération,
00:30:20 dans le monde entier,
00:30:22 donnent un écho, en tous les cas,
00:30:24 à cette radicale nouveauté
00:30:27 qui est incomprise par beaucoup
00:30:29 et qu'on ne sait pas encore
00:30:31 de ce dont il s'agit véritablement.
00:30:33 Et il y a donc cet aller-retour
00:30:34 entre une opinion publique
00:30:35 qui est informée par des médias
00:30:38 et des décisions à prendre,
00:30:41 gouvernementales ou pas, ou internationales,
00:30:44 en matière de l'alerte et de l'information
00:30:46 des potentiels malades.
00:30:48 -Oui, libération ou pas,
00:30:52 et en même temps, libération quand même,
00:30:55 puisque ce journal était quand même né...
00:31:00 C'est aussi ça, les archives,
00:31:03 c'est aussi ça, l'histoire,
00:31:05 en fait, les 50 ans de libération,
00:31:07 ce journal était né quand même sur l'idée
00:31:10 qu'un journal, c'était le lieu des lecteurs.
00:31:14 C'était un lieu où les lecteurs devaient s'exprimer
00:31:17 et où l'information devait remonter,
00:31:20 on l'appelait à l'époque, de la base.
00:31:22 -Et même les clavistes
00:31:24 qui tapaient les articles
00:31:26 avaient le droit de faire des commentaires
00:31:28 sur les articles.
00:31:29 -Machistes et sexistes.
00:31:32 Mais ça, c'est très important.
00:31:36 Effectivement, c'est deux...
00:31:40 Enfin, parallèlement, c'est deux canaux
00:31:42 qui sont passants, sont communiqués.
00:31:44 -Bien sûr.
00:31:45 -Et qui, dans certains moments de crise,
00:31:51 je pense notamment au moment de la pénurie
00:31:55 des antiprothéases en 1995,
00:31:58 a beaucoup joué.
00:32:00 Et les associations...
00:32:02 Je reviendrai sur les associations.
00:32:04 C'est le trois...
00:32:06 Il y a les personnes atteintes,
00:32:08 il y a évidemment les pouvoirs publics,
00:32:11 la Direction générale de la santé,
00:32:14 et puis entre, il y a les associations
00:32:17 qui sont, encore une fois, très...
00:32:20 Enfin, qui ne constituent que 8%
00:32:22 des personnes atteintes par les virus,
00:32:25 par le virus du VIH.
00:32:28 Une toute petite minorité,
00:32:29 mais qui va se constituer
00:32:32 en interlocuteur privilégié
00:32:35 des pouvoirs publics...
00:32:37 On peut dire, en tout cas,
00:32:43 jusqu'à l'adoption de la loi de 2002,
00:32:46 la loi sur le droit des malades.
00:32:48 On y reviendra tout à l'heure avec vous.
00:32:50 Clément Lazarus, vous êtes médecin épidémiologiste,
00:32:53 je l'ai dit tout à l'heure.
00:32:55 On va s'attacher avec vous,
00:32:56 avec ce surgissement d'une nouvelle maladie,
00:32:59 d'une nouvelle pandémie, qui était la Covid-19.
00:33:02 On dit encore la Covid ou on dit la Covid maintenant ?
00:33:06 -Non, je crois qu'on dit toujours la Covid.
00:33:07 -D'accord.
00:33:08 Donc, on m'avait dit au départ que c'était la Covid,
00:33:11 après, on a changé.
00:33:13 Mais très bien.
00:33:14 A partir de cet exemple de la Covid,
00:33:16 est-ce qu'il y a quelque chose de cumulatif ?
00:33:18 Parce qu'une des questions de cette table ronde,
00:33:19 c'est de se poser la question de savoir si, au bout du compte,
00:33:22 on apprend des épidémies antérieures.
00:33:24 On a évoqué le choléra avec Claire Fredge,
00:33:27 la peste avec François-Gilles de Saimer,
00:33:30 l'épidémie de VIH avec Philippe Artier.
00:33:35 Est-ce qu'on apprend de ces épidémies antérieures ?
00:33:37 Est-ce que, d'une certaine manière,
00:33:39 il y a un caractère cumulatif ou pas
00:33:42 devant l'arrivée d'une nouvelle pandémie,
00:33:45 d'une nouvelle maladie qu'on ne connaissait pas auparavant ?
00:33:48 -Merci.
00:33:49 C'est une très bonne question.
00:33:51 Ca voudrait dire, en quelque sorte,
00:33:52 que le système est intelligent et apprend de lui-même.
00:33:56 En tout cas, ce que je peux dire,
00:33:57 c'est qu'en vous écoutant les uns les autres,
00:34:00 je suis très rassuré de voir que, finalement,
00:34:03 les questions qu'on se pose nous, aujourd'hui,
00:34:05 évidemment, répondent à ce que vous avez dit là
00:34:08 de manière tout à fait évidente.
00:34:10 Le Covid.
00:34:11 Alors, première chose que j'ai bien cahuée sur cette maladie...
00:34:15 -Vous dites "le Covid".
00:34:17 -Je suis perdu.
00:34:18 -Voilà. Pris à mon propre piège.
00:34:19 -D'accord.
00:34:20 -Voilà. Comme quoi, on est toujours...
00:34:22 Alors, la Covid.
00:34:25 D'abord, pour qu'il y ait quelque chose
00:34:28 qui est frappant avec cette maladie
00:34:29 et qui va répondre avec ce qu'on connaissait
00:34:31 avec le choléra et surtout la peste,
00:34:34 qui était aussi une maladie à transmission respiratoire,
00:34:35 pour une part,
00:34:37 c'est que c'est une maladie
00:34:38 qui a des caractéristiques épidémiologiques
00:34:40 extrêmement défavorables.
00:34:41 C'est-à-dire que c'est le cauchemar de tous les épidémiologistes.
00:34:43 C'est, globalement, le virus parfait
00:34:46 pour tous les films catastrophes hollywoodiens
00:34:47 que vous voudrez.
00:34:49 C'est un virus qui a une transmission respiratoire,
00:34:51 donc intra-sable,
00:34:52 donc tout contact tracing a quand même
00:34:53 une efficacité extrêmement limitée.
00:34:55 Avec une transmission qui est non seulement respiratoire,
00:34:58 comme la grippe, mais en plus aérosol,
00:35:00 ça a fait suffisamment débat
00:35:02 et ça répond, d'ailleurs,
00:35:03 à un certain nombre de débats historiques, là aussi,
00:35:06 donc qui restent dans l'air
00:35:07 une fois que la personne infectée est partie
00:35:09 pendant plusieurs minutes.
00:35:10 C'est-à-dire que vous pouvez rentrer dans un ascenseur
00:35:13 où il y avait une personne infectée,
00:35:14 vous vous en rendrez même pas compte,
00:35:16 vous n'aurez même pas notion du comptage.
00:35:18 Et d'ailleurs, on voyait bien dans les études
00:35:20 qui étaient menées notamment par l'Institut Pasteur
00:35:22 que, globalement, les gens avaient conscience,
00:35:24 dans 40 % des cas, du lieu de leur contamination.
00:35:26 Ce qui montre bien que, voilà,
00:35:28 c'est quelque chose qui était extrêmement compliqué à tracer.
00:35:31 Délai d'incubation extrêmement court,
00:35:32 donc le temps qu'on se rende compte
00:35:34 que la personne est malade et qu'on donne l'alerte,
00:35:37 le temps qu'elle se fasse tester,
00:35:38 elle a déjà contaminé d'autres gens.
00:35:41 Forte morbidité et mortalité
00:35:44 avec l'impact que nous avons connu dans les hôpitaux.
00:35:47 Et en plus, pas de vaccin, pas de traitement connu.
00:35:50 Et donc, il ne nous reste ensuite que la prévention,
00:35:52 on y reviendra tout à l'heure.
00:35:53 Donc, on a comme ça tout ce qui va nous rendre
00:35:58 la gestion difficile.
00:35:59 -Et puis, il faut y ajouter,
00:36:00 par rapport à ce que disait François-Denis de Seymour,
00:36:02 d'une certaine manière, et ce qu'a évoqué Philippe Artier,
00:36:05 cette mondialisation qui fait que les lieux d'arrivée du virus
00:36:09 ne sont pas les lieux d'arrivée habituels
00:36:12 pour la peste en particulier, c'est-à-dire les ports,
00:36:14 mais que les aéroports sont eux-mêmes
00:36:16 des endroits de transmission du virus
00:36:19 et que le fait qu'on puisse arriver au coeur d'un pays,
00:36:21 au coeur de toutes les grandes villes de ce pays
00:36:24 par des avions, rend encore plus complexe, effectivement,
00:36:27 la surveillance épidémiologique de cette maladie.
00:36:30 -Vous anticipez exactement ce que...
00:36:32 -Ah, bah, excusez-moi.
00:36:33 -Non, mais c'est très bien, ça fait une transition,
00:36:35 ça rend les choses dynamiques.
00:36:37 -C'est que tous les problèmes que vous avez présentés
00:36:40 dans vos espaces et périodes de vos études,
00:36:43 on les connaît aujourd'hui de manière complètement acutisée.
00:36:45 C'est-à-dire que la globalisation des échanges,
00:36:47 effectivement, comme vous le dites,
00:36:49 a rendu les points d'entrée sur le territoire beaucoup plus nombreux.
00:36:51 On a en France 96 points d'entrée sur le territoire
00:36:54 entre les frontières terrestres, les frontières maritimes,
00:36:57 les frontières aéroportuaires.
00:36:59 On est dans un espace de libre circulation européen
00:37:03 avec des frontières terrestres.
00:37:05 La douane de Bardenet avec la Suisse,
00:37:07 c'est 20 000 passages par jour.
00:37:08 Donc autant vous dire que quand on est en train de regarder
00:37:11 ce qui se passe dans les aéroports,
00:37:12 on rate évidemment une partie du problème,
00:37:15 ou en tout cas, ça nécessite des coordinations internationales
00:37:17 absolument majeures.
00:37:18 Je rajoute à cela, nos territoires ultramarins,
00:37:23 nous avons des frontières de plusieurs centaines de kilomètres
00:37:25 avec le Brésil, le Suriname, notamment,
00:37:28 et donc des espaces épidémiologiques,
00:37:30 cette fois-ci, complètement différents.
00:37:32 Globalisation des échanges aussi,
00:37:34 la rapidité de ces échanges.
00:37:35 On l'a vu avec le SARS-CoV-1,
00:37:38 cette fois-ci, au début du 21e siècle, en 2003,
00:37:42 où en cinq jours, le virus arrive sur tous les continents
00:37:46 parce qu'il y a un super "spreading event" en bon français
00:37:50 qui se passe dans un hôtel à Hong Kong
00:37:52 et les voyageurs qui se sont contaminés là
00:37:56 partent et arrivent au Canada, à Singapour, etc.,
00:37:59 en quelques heures.
00:38:02 Aujourd'hui, on a 7 milliards de passagers annuels,
00:38:04 c'était le chiffre que j'avais juste avant la pandémie.
00:38:06 Sans doute, on a pris du retard par rapport à cette perspective-là,
00:38:09 mais on est dans cet étage-là.
00:38:11 Et puis, on peut joindre n'importe quel point du globe
00:38:15 en 96 heures.
00:38:17 Donc, évidemment, tout ça rend les choses
00:38:20 beaucoup, beaucoup, beaucoup plus intenses.
00:38:22 Et des épidémies qu'on connaissait
00:38:25 et qui ont été le cœur de la construction internationale,
00:38:27 des systèmes d'alerte qui ont été le choléra,
00:38:30 la peste et toute l'histoire
00:38:32 des conventions sanitaires internationales du 19e siècle,
00:38:35 on est passé beaucoup plus à une approche multirisque.
00:38:39 C'est notamment le règlement sanitaire international de 2005,
00:38:42 mais qui répond quand même aux mêmes enjeux
00:38:44 que ceux que vous avez cités, puisque l'objectif,
00:38:46 c'est l'article 2 du règlement sanitaire international.
00:38:48 -C'est le commerce. -Exactement.
00:38:50 Ce n'est pas, à proprement parler,
00:38:53 un traité de lutte contre la propagation internationale
00:38:56 des maladies, c'est un traité qui vise
00:38:59 à ce que, dans ce cadre-là, on n'ait pas d'entrave inutile
00:39:02 au commerce et au transport de personnes.
00:39:06 Donc, évidemment, ça change complètement la perspective.
00:39:07 Il y a une ambivalence en permanence.
00:39:09 On l'a très, très bien vu durant la Covid,
00:39:12 où, à la fois, on fermait les frontières,
00:39:14 mais en même temps, il fallait quand même
00:39:15 que les vaccins et les médicaments arrivent.
00:39:19 -Et les masques. -Et les masques, évidemment.
00:39:21 Toutes les contre-mesures.
00:39:22 Donc, évidemment, ça crée une différence.
00:39:24 Mais en tout cas, on est clairement passé
00:39:25 dans une approche multirisque
00:39:27 où, aujourd'hui, le critère d'alerte,
00:39:29 puisque c'est de ça qu'on parlait,
00:39:30 c'est, au-delà de la gravité de la situation,
00:39:34 le caractère inattendu ou inhabituel.
00:39:37 C'est un des critères qui doivent conduire les pays
00:39:42 à notifier à l'Organisation mondiale de la santé,
00:39:45 dans le cadre du RSI, un événement.
00:39:47 Et ensuite, ils ont 48 heures pour produire les événements
00:39:50 et leur analyse de risque.
00:39:51 Tout ça repose sur le fait
00:39:53 qu'on ait des systèmes de surveillance.
00:39:56 Et ça, c'est un des grands éléments,
00:39:58 c'est qu'on ait des capacités de surveillance
00:40:00 à tous les échelons.
00:40:01 Et c'est ce qui est prévu
00:40:03 dans le RSI par le biais de capacités fondamentales,
00:40:07 les "core capacities" du RSI.
00:40:10 Et donc, chaque pays doit, au niveau local,
00:40:12 être en capacité de détecter et d'alerter
00:40:16 au-dessus qu'il se passe quelque chose.
00:40:18 Au niveau régional, la capacité d'analyser...
00:40:20 -Ca n'a pas très bien marché avec la Chine.
00:40:23 -Je vais y venir. Vous me voyez arriver.
00:40:26 Le niveau régional, qui va avoir cette capacité
00:40:30 à analyser et éventuellement à envoyer des renforts,
00:40:35 et puis le niveau national, qui doit agréger
00:40:37 et être en capacité d'alerter le niveau international.
00:40:39 Alors évidemment, tout ça, c'est soumis,
00:40:40 et c'est exactement ça, à la bonne volonté des Etats.
00:40:45 C'est comme toujours dans le droit international.
00:40:47 C'est un droit qui repose sur la bonne volonté
00:40:49 des Etats qui sont signataires.
00:40:51 Il y a quand même 193 Etats partis
00:40:53 au règlement sanitaire international,
00:40:55 mais il n'y a aucun lieu de règlement des conflits
00:41:00 et il n'y a aucune mesure de rétorsion
00:41:03 vis-à-vis des Etats qui ne joueraient pas le jeu.
00:41:05 Et donc, c'est exactement ce qui s'est passé avec la Chine
00:41:07 au début de la pandémie.
00:41:10 Et donc, on repose sur ça.
00:41:12 On repose aussi sur le fait qu'aujourd'hui,
00:41:14 avec Internet, on a d'autres moyens,
00:41:17 et c'est comme ça que l'alerte a débuté, d'ailleurs,
00:41:20 sur le Covid, ce sont les sources ouvertes,
00:41:22 que ce soient les sources de presse
00:41:25 et les réseaux sociaux.
00:41:26 Évidemment, tout ça existait avant.
00:41:27 Le renseignement épidémiologique, c'est une longue histoire,
00:41:30 notamment de l'autre côté de l'Atlantique.
00:41:32 C'est le coeur de la création des CDC américains
00:41:35 et avec la fièvre jaune.
00:41:38 Mais cette veille internationale
00:41:39 dans les sources ouvertes, cette "epidemic intelligence",
00:41:42 comme disent les anciens de Globe Saxon,
00:41:44 c'est un outil extrêmement puissant,
00:41:45 mais qui va poser la question qui est celle que vous évoquez,
00:41:48 qui est qu'on est, du coup, complètement dépendants
00:41:51 avec ces outils-là de la liberté de la presse
00:41:54 dans les différents États
00:41:56 et de la perception par le public
00:41:59 de ce qui relève de l'alerte
00:42:01 ou par les journalistes des différents pays.
00:42:04 Et donc, d'un pays à l'autre,
00:42:05 vous allez avoir une hétérogénéité
00:42:07 de ce qui va remonter dans ces différents systèmes,
00:42:09 que ce soit en source ouverte ou via le système du RSI.
00:42:12 Et donc, on voit bien que, finalement,
00:42:13 cette alerte, ça repose à la fois
00:42:14 sur des capacités de surveillance,
00:42:16 mais aussi sur une perception de ce qui est grave
00:42:18 et de ce qui ne l'est pas.
00:42:19 -Est-ce qu'il peut expliquer, par exemple,
00:42:20 qu'un des premiers pays à avoir pris des précautions
00:42:23 immédiatement, c'est Taïwan ?
00:42:25 -Oui, et avec...
00:42:26 Alors, ça, c'est peut-être la 2e partie de notre échange.
00:42:30 Tout à l'heure, je ne vais pas le présenter,
00:42:31 mais le fait qu'il y ait une culture
00:42:34 sur les infections respiratoires
00:42:36 qui était complètement différente aussi.
00:42:38 -Alors, justement, on évoquera cela un peu plus tard.
00:42:41 Je reviens à vous, François-Philippe Sheimer.
00:42:43 Vous nous avez expliqué comment ça se passait
00:42:45 lorsque un bateau arrivait dans le port de Marseille
00:42:49 et on avait un doute ou pas
00:42:52 sur son inocuité en matière d'épidémie possible.
00:42:57 Comment cela se passe quand l'alerte,
00:42:59 et là, on est sûr qu'il y a quelque chose qui se passe,
00:43:02 l'alerte est transmise, qu'est-ce qu'on fait ?
00:43:04 Quels sont les objectifs ?
00:43:06 Vous avez commencé à nous aborder cela
00:43:08 à partir de la peste de Marseille
00:43:10 entre niveau national et niveau local.
00:43:13 Quels sont les objectifs ?
00:43:14 Et pour éviter une transmission plus grande.
00:43:17 -Alors, revenons aux temps anciens.
00:43:21 Le problème, on parle de la peste,
00:43:25 mais nous, quand on parle de la peste,
00:43:27 depuis Yersin, on pense pus, rats,
00:43:30 enfin, c'est quelque chose qui a sa logique.
00:43:33 La peste, sous l'Ancien Régime, c'était presque un nom propre,
00:43:37 une maladie dont on avait compris qu'elle se transmettait,
00:43:41 mais on ne savait pas comment.
00:43:43 Alors, dans ces conditions,
00:43:47 pas question de parler de médecine
00:43:51 dans notre sens moderne,
00:43:53 on est dans le domaine de ce qu'on appelle le sanitaire,
00:43:56 qui est ce qu'on appelait à l'époque de la police,
00:43:59 c'est-à-dire de l'administration.
00:44:02 Il s'agissait de rompre les communications
00:44:05 pour essayer d'isoler la partie malade et de...
00:44:11 Mais je dis isoler la partie malade,
00:44:13 je n'en suis pas si sûre,
00:44:15 parce que l'expérience de la Covid
00:44:21 m'a amenée à réfléchir.
00:44:25 Autant, il me semble, que l'on ne peut guère
00:44:29 éclairer le présent par le passé,
00:44:32 autant, il me semble, que ce qu'on a vécu
00:44:35 doit pousser l'historien à poser,
00:44:39 à l'égard de tout péché horrible d'anachronisme,
00:44:42 mais à poser des questions peut-être plus approfondies
00:44:45 et plus pertinentes au passé.
00:44:48 Qu'est-ce qu'on a comme source ?
00:44:50 On a de multiples, d'innombrables règlements de peste
00:44:54 dont on dit volontiers qu'ils sont répétitifs,
00:44:57 c'est toujours la même chose.
00:44:59 Mais quand on les regarde de plus près,
00:45:01 on s'aperçoit que ce n'est pas toujours la même chose
00:45:04 et que ce qui était donc la modalité de lutte,
00:45:08 c'est-à-dire l'isolement, la quarantaine,
00:45:13 a des modalités très variables.
00:45:15 Je vais vous prendre l'exemple le plus sidérant de mon point de vue.
00:45:18 La peste est enfin déclarée à Marseille.
00:45:22 Une, comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
00:45:24 une des autorités administratives qui y a à en connaître,
00:45:27 ce sont les parlements.
00:45:29 Il y a un parlement ex,
00:45:31 le parlement crée un bureau spécial.
00:45:35 Bon, la peste est à Marseille.
00:45:37 Qu'est-ce que fait cette autorité ?
00:45:40 Le parlement rend un arrêt pour isoler ex,
00:45:44 pour se protéger lui-même.
00:45:46 Et pendant ce temps, les Marseillais peuvent se promener
00:45:49 et transmettre la peste dans toute la campagne.
00:45:53 Et il faudra plusieurs semaines
00:45:56 pour qu'enfin Marseille soit isolée.
00:45:59 À l'intérieur, qu'est-ce qu'on fait quand une cité est isolée ?
00:46:03 Est-ce qu'on envoie les malades à l'extérieur ?
00:46:05 Est-ce qu'on les isole dans leur maison ?
00:46:07 Il y a un tas de modalités d'isolement
00:46:10 sur lesquelles, maintenant, je pense qu'il faut revenir
00:46:12 de manière beaucoup plus fine.
00:46:14 On disait, bon, on a décrété l'isolement, point, voilà.
00:46:17 -En quoi l'exemple de la Covid
00:46:18 vous fait réfléchir différemment, Françoise Wiesner ?
00:46:21 -Parce qu'il m'a semblé,
00:46:24 je vais pas épiloguer loin de moi là-dessus,
00:46:26 c'est qu'au début de la Covid,
00:46:28 et Clément Lazarus sera sûrement plus d'icire que moi là-dessus,
00:46:33 la modalité du confinement était considérée,
00:46:39 en gros, comme ayant été efficace autrefois.
00:46:43 Alors que si on regarde de plus près,
00:46:46 elle l'a certes été, et on n'avait pas autre chose,
00:46:48 elle l'a été, mais ce n'était pas le moyen infaillible,
00:46:52 c'était le moyen par défaut.
00:46:55 Vous voyez, donc, il y a un moyen beaucoup plus diversifié
00:47:00 que ce qu'on a envisagé.
00:47:02 -Vous voulez dire que, justement,
00:47:04 on a voulu faire une sorte de généralisation
00:47:07 en disant que le confinement, ça a marché,
00:47:10 en évitant de regarder plus précisément
00:47:13 comment c'était appliqué au moment où c'était appliqué ?
00:47:15 -Les historiens ne l'avaient pas fait à l'époque,
00:47:17 n'avaient pas été sensibles à ça.
00:47:19 Il y a un règlement de peste,
00:47:21 les mesures d'isolement, passons à autre chose.
00:47:24 Mais mesures d'isolement, quel isolement, comment, qui,
00:47:29 les marchandises, vous voyez, c'est beaucoup plus...
00:47:35 Et alors, si je reviens, peut-être,
00:47:37 c'est un peu plus anecdotique, mais c'est intéressant.
00:47:40 Ces mesures d'isolement, elles étaient quand même
00:47:42 impulsées de Marseille.
00:47:44 Je reviens à ma histoire marseillaise.
00:47:47 Et donc, les mesures, on l'a vu, étaient prises sur place.
00:47:51 Et là encore, quand on se place aujourd'hui,
00:47:55 on comprend l'antagonisme
00:47:58 qui a pu exister entre Paris et Marseille.
00:48:03 Marseille, encore aujourd'hui, se considère
00:48:06 comme le lieu d'expertise des épidémies,
00:48:09 une véritable capitale sanitaire de la France,
00:48:12 ce qu'elle a été jusqu'au 19e siècle,
00:48:14 ce qu'elle a été jusqu'au moment
00:48:17 où, pour des raisons variées d'accélération,
00:48:20 des communications, des nécessités du commerce,
00:48:24 on a décidé d'en terminer avec les quarantaines obligatoires,
00:48:29 ce qui a été très, très mal vécu à Marseille,
00:48:31 comme un retrait d'une souveraineté
00:48:34 revendiquée par la ville.
00:48:37 -C'est tout à fait passionnant, effectivement,
00:48:38 de replacer cette spécificité marseillaise
00:48:42 dans sa longue histoire, François Diesseimer,
00:48:44 parce que je pense que dans tous les articles
00:48:46 qu'on a pu lire sur un certain Dr Raoult,
00:48:48 on a oublié, justement, qu'il y avait cette dimension...
00:48:52 On a imaginé juste que c'était une sorte de combat
00:48:55 entre Marseille et Paris
00:48:57 pour la prise en compte générale, pourrait-on dire,
00:49:02 d'une épidémie en train de naître, Clément Lazarus ?
00:49:05 -Juste pour le... Là-dessus, évidemment,
00:49:08 ça résonne fort à l'égard de ce qu'on a vécu
00:49:11 pendant la Covid avec l'IHU Méditerranée,
00:49:14 mais il y a aussi le centre d'épidémie de vie
00:49:16 et de santé publique des armées,
00:49:17 qui est un centre d'excellence dans le domaine
00:49:20 qui est tout à fait majeur et qui est à Marseille.
00:49:23 -Claire Fredge, si on avance sur ce territoire colonial
00:49:27 que vous connaissez bien, en particulier l'Algérie,
00:49:29 mais pas simplement,
00:49:30 est-ce qu'on peut dire, justement,
00:49:31 que la plus grande France,
00:49:34 puisque c'est comme ça qu'on l'appelait à ce moment-là,
00:49:35 cette plus grande France qui avait conquis
00:49:39 des territoires un peu partout dans le monde,
00:49:41 rend plus complexe à la fois, on l'a dit peut-être,
00:49:45 la question de l'alerte,
00:49:47 mais aussi l'application des mesures,
00:49:49 puisqu'on distingue entre les territoires.
00:49:51 J'imagine qu'on distingue à l'intérieur même
00:49:54 de chacun des territoires les populations
00:49:56 qui pourraient être concernées.
00:49:57 Et même s'il y a évidemment cette volonté
00:50:00 à la fin du 19e siècle de dire que la République est partout
00:50:04 et qu'elle protège ses citoyens, qui n'en sont pas tous,
00:50:08 d'ailleurs des citoyens avec le code de l'indigénat,
00:50:10 est-ce que, d'une certaine manière,
00:50:12 on a des distinctions, des catégories qui sont créées
00:50:14 au fur et à mesure que le territoire français
00:50:17 devient plus vaste au 19e siècle ?
00:50:20 -Je ne voudrais pas empiéter sur les autres tableaux,
00:50:24 mais la question, en fait...
00:50:27 -C'est une façon de mettre en alerte les auditeurs.
00:50:29 -Dans les colonies, la question, c'est...
00:50:33 Vous parliez de la manière dont la Covid
00:50:36 a fait réfléchir l'historien.
00:50:39 Ce que j'ai surtout vu, c'est qu'avec la Covid,
00:50:42 rarement un Etat avait mis autant le paquet
00:50:44 pour prévenir ou en tout cas pour gérer une crise.
00:50:49 Et c'était au moment où j'écrivais quelque chose
00:50:52 justement sur l'Algérie, où je voyais que les moyens
00:50:54 étaient bien, bien loin d'être les mêmes,
00:50:56 toute comparaison, évidemment, technique dans le temps.
00:51:00 Parce que, finalement, la question de la colonisation,
00:51:04 c'est d'abord, pendant quelque temps,
00:51:06 une question de guerre.
00:51:08 Et donc, les médecins sont sur le terrain.
00:51:11 Ils peuvent enregistrer l'existence d'épidémies,
00:51:16 l'existence de maladies qui se transforment,
00:51:18 sauf que, par exemple, pour revenir à la peste,
00:51:23 les pestes qu'on voit ravagent peu.
00:51:26 Ca fait des morts, mais ce ne sont pas des cataclysmes
00:51:29 comme on peut les voir aux siècles précédents,
00:51:33 en tout cas dans les territoires sous contrôle français.
00:51:36 Et donc, en fait, dans ce contexte de guerre,
00:51:41 l'armée va d'abord s'occuper des siens,
00:51:44 assez peu des autres, même si, bien sûr, sur le terrain,
00:51:48 les médecins des deux côtés soignent les blessés des deux côtés.
00:51:52 Et finalement, pour la première partie de la conquête,
00:51:56 la principale épidémie qui est enregistrable,
00:52:00 c'est la variole.
00:52:01 Il y a la question du vaccin qui se pose.
00:52:05 Et la vaccination est effectivement une manière
00:52:09 de tenter de mettre à distance l'épidémie.
00:52:13 Et elle est effectivement amenée par l'armée française
00:52:18 dans les campagnes algériennes, sauf que,
00:52:21 dans une période de guerre, on va dire que la mesure
00:52:23 n'est pas forcément bien reçue
00:52:26 et qu'elle est assez rapidement abandonnée.
00:52:28 Après, il y a la question de la gestion dans les villes
00:52:31 et dans les campagnes, au niveau d'un même territoire.
00:52:36 Et la question de la situation coloniale
00:52:39 n'empêche pas qu'on cherche à toucher
00:52:41 un certain nombre de populations,
00:52:43 puisque on le voit en anglais au début,
00:52:45 l'affichage pour prévenir qu'il faut se faire vacciner,
00:52:51 qu'il faut avertir, avant même l'obligation
00:52:55 de signaler certaines maladies contagieuses,
00:53:00 sont en plusieurs langues,
00:53:04 en tout cas en arabe et en français.
00:53:07 Donc, voilà, c'est quand même...
00:53:09 Il faut toucher plusieurs populations.
00:53:12 On affiche des informations dans les mosquées,
00:53:15 dans les synagogues, dans les mairies.
00:53:18 Et l'idée, c'est quand même, en tout cas dans les villes,
00:53:20 d'arriver à toucher le monde.
00:53:22 -Avec quelle justification, justement,
00:53:24 de toucher toute la population pour éviter l'épidémie
00:53:27 ou de toucher toute la population,
00:53:28 parce que c'est aussi une manière d'accompagner,
00:53:32 disons, la conquête et de faire en sorte
00:53:35 que les populations soient plus calmes, plus sages,
00:53:38 justement, vis-à-vis de la tutelle française, par exemple ?
00:53:42 On ne sait pas ?
00:53:43 -Si, si. Dans la question de la protection,
00:53:45 il y a la question des populations
00:53:50 qui peuvent se contaminer l'une et l'autre
00:53:52 et que, donc, les Européens risquent d'être contaminés
00:53:54 par les Algériens.
00:53:58 Oui, il y a bien sûr la question que, si possible,
00:54:01 si cette population, d'abord des villes,
00:54:04 peut être dans un état de santé correct,
00:54:06 c'est aussi une marque de la gestion bienfaisance
00:54:09 de la France dans ses colonies.
00:54:14 Bon, après, ça dépend des maladies,
00:54:16 mais l'accent va être mis aussi sur la nécessité
00:54:21 de conserver des populations en bonne santé
00:54:24 pour qu'elles puissent être une main-d'oeuvre utile,
00:54:27 en tout cas, en relativement bon état,
00:54:30 et puis tout ça enrobé par un discours
00:54:32 sur la mission civilisatrice,
00:54:33 l'égitimation de la conquête.
00:54:38 Après, très concrètement, sur le terrain,
00:54:40 il faut aussi voir...
00:54:43 Bon, les médecins, alors militaires,
00:54:45 et puis de plus en plus civils, sont sur le terrain.
00:54:47 Ils vont d'abord soigner, finalement, les militaires,
00:54:51 les colons, et les populations algériennes,
00:54:57 cabiles, arabes,
00:55:00 dans les premiers temps de la conquête,
00:55:01 se sont éloignées des centres de colonisation.
00:55:04 Le médecin est à cheval.
00:55:07 Ça va pas très vite.
00:55:08 Il y a pas seulement la question d'alerte,
00:55:10 mais la question de comment on va voir les lieux
00:55:12 où il se passe quelque chose.
00:55:14 La question de l'information, c'est très progressivement
00:55:17 que les thyaïdes vont commencer à davantage informer
00:55:23 les autorités françaises des éventuelles maladies.
00:55:29 Alors, pas forcément les bons diagnostics,
00:55:32 mais ils sont pas médecins, mais en tout cas,
00:55:33 préviennent que là, il y a des gens,
00:55:35 ils ont des boutons, ils ont de la fièvre.
00:55:36 Mais ça, c'est plutôt le début du XXe siècle.
00:55:39 Donc, il y a des médecins.
00:55:42 Dans l'arrêté d'installation des médecins de colonisation
00:55:45 en 1853, il est bien précisé,
00:55:48 il y a l'article,
00:55:49 que les médecins doivent soigner toutes les populations.
00:55:53 Donc, bon, il n'y a pas de ségrégation officielle,
00:55:57 mais dans la répartition des populations,
00:56:00 le médecin ne touche pas tout le monde.
00:56:02 Cela dit, progressivement,
00:56:05 il est du devoir du médecin de colonisation
00:56:07 de faire de plus en plus de tournées dans les campagnes,
00:56:10 le but étant de plus en plus de toucher
00:56:12 les populations rurales...
00:56:14 -Les plus éloignées.
00:56:15 -Oui, et algériennes.
00:56:16 L'idée étant quand même toujours que,
00:56:19 bon, il y a la question de la France doit soigner tout le monde,
00:56:21 la France doit protéger ses habitants,
00:56:26 il faut aussi protéger, bien sûr, la main d'oeuvre,
00:56:29 mais la question ne se pose pas en Algérie
00:56:31 comme elle peut se poser dans d'autres parties de l'Afrique.
00:56:35 Et puis, il y a toujours cette idée,
00:56:37 que ce soit pour le paludisme, pour la variole,
00:56:39 pour d'autres choses,
00:56:40 que les populations algériennes sont les foyers de contamination
00:56:44 et qu'en les protégeant, on protège en fait les Européens.
00:56:49 Donc, il y a plusieurs choses qui s'entremêlent,
00:56:53 finalement, après l'alerte, voire avant l'alerte,
00:56:57 puisque la question de la prévention
00:56:59 est quand même assez importante
00:57:01 dans la mise en place de la santé française,
00:57:06 on va dire, en Algérie.
00:57:07 Alors, une prévention qui touche essentiellement la variole,
00:57:10 bien sûr.
00:57:11 -Philippe Artière,
00:57:12 sans faire de pont exagéré entre les deux périodes,
00:57:16 effectivement, cette question de la classification
00:57:18 des populations, de la manière dont on compte les atteindre
00:57:22 en priorité, dont on compte mettre en place
00:57:25 les politiques de prévention,
00:57:26 c'est une question qui s'est posée autour de l'infection à VIH.
00:57:30 Et donc, en particulier, vous l'évoquiez tout à l'heure
00:57:33 à la fin de votre première intervention,
00:57:34 cette question de quelle est la population
00:57:37 que l'on doit cibler en priorité
00:57:39 et quelle est la population qu'on a oubliée
00:57:41 d'une certaine manière et qui, pourtant, est porteuse du virus ?
00:57:45 -Oui.
00:57:49 Pardon. Oui.
00:57:54 C'est une des...
00:57:55 Enfin, c'est ce que...
00:57:58 C'est cette question, au fond,
00:58:00 qu'est-ce que le Covid a fait
00:58:02 après notre regard sur...
00:58:06 -L'épidémie. -Les épidémies passées.
00:58:09 Et notamment, moi qui ne suis pas, encore une fois,
00:58:14 historien du VIH,
00:58:16 il se trouve que j'étais historien
00:58:18 et que je me suis retrouvé dans cette histoire,
00:58:22 témoin et, à force,
00:58:26 relais d'un certain nombre de choses
00:58:30 que j'ai pu voir.
00:58:31 Et donc, ce qui me semble
00:58:35 tout à fait intéressant, c'est précisément
00:58:39 qu'avec le VIH,
00:58:42 la logique de population
00:58:45 a dû être remise en cause
00:58:51 pour s'attacher à des pratiques.
00:58:54 Et des pratiques qui étaient particulièrement...
00:58:57 Qui étaient particulièrement...
00:58:58 Je ne l'avais pas dit dans mon intervention tellement...
00:59:01 Je pense que l'ensemble du public le sait.
00:59:06 Qui étaient des pratiques
00:59:09 qui étaient...
00:59:10 marginalisées, stigmatisées...
00:59:15 -Voire condamnées.
00:59:18 -Voire condamnées
00:59:19 à réécrire l'histoire.
00:59:22 Le principal mode de contamination
00:59:31 du VIH en Occident
00:59:36 est l'homosexualité.
00:59:39 C'est-à-dire les pratiques de sexualité
00:59:42 d'hommes en homosexualité masculine.
00:59:45 -Donc, il faut dire qu'elle a été dépénalisée ?
00:59:49 -C'est pas tout à fait.
00:59:50 Là aussi, c'est très important, les archives.
00:59:53 Si on regarde les archives
00:59:57 de la présidence de la République,
01:00:00 François Mitterrand,
01:00:02 ce n'est pas la dépénalisation de l'homosexualité,
01:00:06 c'est la...
01:00:07 C'est la...
01:00:10 La...
01:00:11 C'est l'âge légal
01:00:17 de la sexualité,
01:00:19 la pénalisation du rapport
01:00:22 entre les mineurs et les majeurs,
01:00:25 qui est...
01:00:27 qui est remise au même niveau
01:00:29 entre les rapports hétérosexuels
01:00:31 et les rapports...
01:00:32 homosexuels.
01:00:36 Ce n'est pas...
01:00:37 Enfin, à mon sens,
01:00:39 ce n'est pas du tout, contrairement à ce qui est beaucoup écrit,
01:00:42 une dépénalisation de l'homosexualité.
01:00:45 Et il y a beaucoup de travaux,
01:00:48 travaux aujourd'hui plutôt sur l'outrage hommeur,
01:00:51 ce qui est un des éléments centrals
01:00:54 dans la législation française,
01:00:55 contrairement à la législation allemande.
01:00:58 Donc... Mais il n'empêche que les rapports entre hommes
01:01:05 sont au début des années 80,
01:01:07 et encore aujourd'hui,
01:01:09 en dépit du mariage pour tous,
01:01:15 font l'objet d'un certain nombre de stigmatisations.
01:01:19 Ca, c'est la première des stigmatisations,
01:01:20 mais il y a d'autres stigmatisations.
01:01:23 Les...
01:01:25 Et...
01:01:27 Notamment, évidemment,
01:01:31 l'usage de produits stupéfiants.
01:01:33 Comme on les appelait à l'époque,
01:01:35 il faut se souvenir de ce moment-là,
01:01:37 les drogués, c'était les drogués.
01:01:39 Aujourd'hui, on parle d'usagers de produits...
01:01:43 Je vais oublier le terme exact.
01:01:46 Bref, stupéfiants, dans le meilleur des cas.
01:01:51 Donc...
01:01:54 -Il faut se souvenir aussi qu'au tout début,
01:01:56 une population était visée,
01:01:59 c'était celle des Haïtiens, par exemple,
01:02:01 en particulier aux Etats-Unis,
01:02:02 mais pas simplement aux Etats-Unis.
01:02:04 Donc il y avait effectivement des...
01:02:06 -Ca, c'est l'autre point.
01:02:09 C'était effectivement des Haïtiens,
01:02:11 et l'autre point, c'était effectivement
01:02:13 ce que, à ma connaissance, d'ailleurs,
01:02:17 la seule histoire du SIDA qui existe,
01:02:20 qui a été publiée, c'est celle de Grémec.
01:02:23 -Nerco-Grémec.
01:02:24 -Nerco-Grémec, et avec la théorie des 4 H.
01:02:28 Avec des rapports à la stigmatisation
01:02:33 qui sont très différents,
01:02:34 puisque dans le cas des homosexuels,
01:02:40 j'en ai déjà parlé,
01:02:42 mais dans le cas des Haïtiens,
01:02:43 c'était bien les Haïtiens incarnant
01:02:46 dans l'espace des Amériques
01:02:49 ceux qui, non seulement,
01:02:51 avaient pris le premier leur indépendance,
01:02:54 mais qui, plus est, étaient ceux qui circulaient.
01:02:57 Les Haïtiens dans la Caraïbe
01:02:59 sont les...
01:03:01 On revient à cette fameuse commerce.
01:03:04 Ce sont ceux qui commercent.
01:03:06 Et puis...
01:03:09 Et puis les hémophiles.
01:03:12 Les hémophiles qui se retrouvent
01:03:15 dans une situation très particulière,
01:03:17 puisque, en l'occurrence, les hémophiles,
01:03:19 c'est la communauté de malades
01:03:23 qui se constitue en association la première en France,
01:03:26 en 1953.
01:03:28 C'est la plus vieille association de malades.
01:03:30 Et en même temps, elles accèdent au début des années 60,
01:03:34 début des années 80,
01:03:35 à des nouveaux produits qui vont changer radicalement leur vie.
01:03:39 Et soudain, on leur dit "Ah ben non.
01:03:42 "Non, ça va pas être possible, ça,
01:03:45 "parce qu'il y a un risque."
01:03:47 Et avec ce...
01:03:49 Bon, c'est un dossier qui mériterait beaucoup plus de...
01:03:55 Beaucoup plus de développement,
01:03:56 mais il n'empêche que, soudain,
01:03:59 ben, on dit "Attention."
01:04:02 Et s'agissant des homosexuels,
01:04:05 on est aussi dans ce moment...
01:04:07 79, c'est la création de "Guey-Pied",
01:04:10 donc du premier journal homosexuel,
01:04:14 d'une visibilité nouvelle.
01:04:18 Et soudain, on dit "Les backgroups, non, c'est fini.
01:04:22 "Vos relations, là, vos multi-partenariats,
01:04:26 "non, non, non, non, non."
01:04:29 Donc, il y a cette dimension-là.
01:04:32 Et puis, une dimension internationale, quand même,
01:04:35 très forte en politique générale de l'OMS,
01:04:39 concernant la transmission qu'on a oubliée, mère-enfant,
01:04:43 avec une politique qui encourage l'allaitement maternel,
01:04:47 alors que, comme François Zéritier,
01:04:49 dont les archives, comme par hasard, sont ici,
01:04:53 a bien montré que cet allaitement mère-enfant,
01:04:56 il a été source d'une transmission terrible
01:05:01 et qui a produit
01:05:05 toutes ces figures de ces enfants
01:05:09 contaminés par le VIH.
01:05:12 Donc, c'est important...
01:05:16 -C'est un tableau.
01:05:17 -C'est un tableau, mais c'est un tableau,
01:05:20 c'est à la fois une épidémie qui donne à voir aussi,
01:05:25 et c'est moi, toujours, ce qui m'a frappé.
01:05:28 D'ailleurs, quand je suis rentré, si j'ose dire, dans le VIH,
01:05:32 c'était au tout début de mon travail d'historien,
01:05:35 enfin, ma recherche comme historien,
01:05:38 on m'a dit, "C'est pas compliqué.
01:05:42 "Où tu vas, si c'était comme en 68,
01:05:45 "tu passes à côté du cortège."
01:05:49 Parce que les pandémies, et on l'a vu pour la Covid,
01:05:55 enfin, sont des extraordinaires révélateurs sociaux.
01:06:00 Donc, c'est aussi ça, sur le plan des sources,
01:06:04 on voit bien que l'intérêt de conserver les sources
01:06:08 de ces crises
01:06:11 vont bien au-delà d'une histoire de la médecine,
01:06:13 d'une histoire de la santé,
01:06:19 mais donne à voir une société à un moment donné.
01:06:23 -On y reviendra, si on a le temps, d'ici la fin,
01:06:25 puisqu'on arrive bientôt, et il nous reste une demi-heure
01:06:27 pour conclure, et on n'a pas totalement terminé,
01:06:30 d'évoquer tous les sujets que nous voulions évoquer.
01:06:32 Clément Lazarus, sur cette question, justement,
01:06:34 d'une fois l'alerte transmise,
01:06:37 vous vous êtes arrêté aux portes, justement, des aéroports,
01:06:40 et qu'est-ce qui se passe, et qu'est-ce qui s'est passé
01:06:43 pour la Covid qui puisse éclairer ce qui vient d'être dit
01:06:46 par les 3 autres intervenants ?
01:06:49 -D'abord, je peux être tout à fait d'accord
01:06:51 avec ce qui vient d'être dit sur le fait que les pandémies,
01:06:54 ce sont des révélateurs sociaux absolument incroyables,
01:06:57 et c'est normal, parce que la santé publique,
01:06:59 c'est l'interface de la médecine science-based,
01:07:04 evidence-based, avec l'acceptabilité
01:07:08 par les populations des mesures qui sont proposées
01:07:11 par la science, et puis la faisabilité.
01:07:13 On en parlera tout à l'heure.
01:07:15 Et donc, forcément, on voit bien que tout ça rentre en conflit,
01:07:17 et c'est dans ce frottement que se trouve sans doute
01:07:21 la santé publique.
01:07:23 Sur les mesures qui sont prises,
01:07:28 d'abord dire qu'au moment où l'alerte est donnée,
01:07:31 l'alerte, elle veut simplement dire
01:07:32 qu'il y a quelque chose qui se passe,
01:07:35 on ne sait pas bien quoi,
01:07:36 ça nécessite d'être caractérisé,
01:07:38 donc on va se retrouver dans une 1re phase
01:07:40 qui est une phase d'incertitude,
01:07:42 incertitude renforcée par le fait, on l'a dit tout à l'heure,
01:07:45 que la Chine n'est pas très transparente là-dessus,
01:07:48 qu'il y a une forte dissonance
01:07:50 entre ce qu'ils disent, ce qu'on observe,
01:07:52 c'est-à-dire ce confinement de Wuhan,
01:07:55 ville de 11 millions d'habitants, et de toute sa région,
01:07:57 c'est-à-dire qu'on voit sur la carte au fur et à mesure
01:07:59 des annonces se dessiner un espèce de cordon sanitaire
01:08:02 de villes fermées, d'axes de rentiers fermés...
01:08:04 -C'est pas le mur de la peste de Marseille,
01:08:06 mais c'est quelque chose qui ressemble à ça.
01:08:07 -Exactement. Et puis une vraie dissonance
01:08:10 entre le fait que les Chinois annoncent
01:08:13 une quarantaine de cas,
01:08:14 et puis c'est sans doute le 1er révélateur pour nous,
01:08:19 l'annonce de cas exportés, notamment vers la Thaïlande,
01:08:22 et assez rapidement, l'Imperial College de Londres
01:08:26 va faire la modélisation et va nous dire,
01:08:28 "Si il y a vraiment 40 cas,
01:08:32 "la probabilité pour qu'il y ait déjà 3 cas exportés
01:08:34 "vers des pays de l'Asie du Sud-Est
01:08:36 "est quand même extrêmement faible,
01:08:37 "et donc, en fait, il y en a beaucoup plus."
01:08:38 Et donc, ce qui se passe, c'est qu'on a les informations,
01:08:42 on voit qu'il y a des hôpitaux gigantesques
01:08:45 qui sortent de terre, qui habitent du jour au lendemain, etc.
01:08:48 Donc, voilà.
01:08:49 Il y a quand même une dissonance collective
01:08:51 parce que tout ça est loin.
01:08:52 On sait pas bien évaluer,
01:08:54 est-ce que c'est le régime chinois
01:08:57 qui a une gestion très autoritaire
01:08:59 de la situation épidémiologique ou pas ?
01:09:02 Et comme les communications sont très faibles à ce moment-là,
01:09:04 y compris entre la Chine et l'OMS, on le voit bien,
01:09:06 puisque ça, il faut 2 réunions
01:09:09 du Comité d'urgence du Réglement sanitaire international
01:09:11 pour déclencher le niveau d'air maximal,
01:09:13 qui est l'urgence de santé publique de portée internationale.
01:09:15 Tout ça prend du temps. Le vrai révélateur pour nous,
01:09:18 c'est quand ça arrive en Italie.
01:09:19 Et là, quand on voit... -C'est Bergame, quoi.
01:09:21 -C'est Bergame, c'est de l'autre côté des Alpes,
01:09:25 c'est des gens avec qui on travaille
01:09:28 absolument quotidiennement.
01:09:29 Et donc, là, on commence à comprendre
01:09:32 et à prendre conscience de leur...
01:09:34 -C'est l'idée, en plus, sans faire de jeu de mots,
01:09:37 que l'épidémie ne se proche pas par un saut de puce.
01:09:40 C'est-à-dire que là, d'un seul coup,
01:09:41 on passe du continent asiatique,
01:09:43 à l'extrême du continent asiatique,
01:09:45 et arrive directement en plein coeur de l'Europe
01:09:48 et avec une viralité extrêmement forte.
01:09:50 -Oui. Incertitude aussi par le fait que le modèle qu'on a,
01:09:55 c'est celui de la grippe,
01:09:56 qu'on a eu quand même deux précédents
01:09:59 au cours du début du XXIe siècle,
01:10:01 avec H1N1 et avec le SARS-CoV-1, dont je parlais tout à l'heure,
01:10:05 qui ont été non pas des fausses alertes,
01:10:07 ça a été des vraies alertes,
01:10:08 mais qui n'ont finalement pas produit un effet d'ampleur,
01:10:11 ce qui fait qu'il y a une dissonance
01:10:12 entre ce qu'on estime
01:10:14 dans la gravité épidémiologique de la situation
01:10:17 et puis le risque de dire
01:10:19 "Là, vous risquez d'appeler un peu au loup",
01:10:22 et donc cette difficulté à jauger la situation.
01:10:25 Donc un premier besoin, une première mesure,
01:10:27 qui est d'acquérir de la connaissance
01:10:31 par tous les moyens possibles, que ce soit dans les hôpitaux,
01:10:34 et là, on voit bien toutes les sociétés savantes
01:10:36 qui se mettent en marche pour analyser les premiers cas
01:10:39 qui sont reçus, etc.,
01:10:40 qu'on prend, publiés très rapidement
01:10:41 pour diffuser la connaissance,
01:10:43 parce que c'est là-dessus qu'on va pouvoir se fonder pour cancer.
01:10:45 - Avec l'invention rapide des "pre-papers",
01:10:48 c'est-à-dire des choses qui ne sont pas lues
01:10:49 par comité de lecture... - Voilà.
01:10:50 Ce qui amène à quelques problématiques...
01:10:53 - Différentes. - Pas simples.
01:10:55 Le deuxième élément, c'est qu'avec ce virus-là,
01:10:58 on commence en étant assez démunis.
01:11:01 C'est-à-dire qu'en plus de l'incertitude,
01:11:02 on s'est assez démunis. Je ne reviens pas
01:11:03 sur le débat des masques,
01:11:04 mais effectivement,
01:11:06 on avait des équipements de protection individuelle
01:11:08 en quantité limitée,
01:11:11 on n'avait pas de traitement,
01:11:13 on n'avait pas de vaccin
01:11:15 et on n'avait pas non plus encore de tests.
01:11:16 C'est-à-dire que la Charité en Allemagne
01:11:19 et le Centre national de référence pour les virus respiratoires
01:11:22 font un test assez rapidement.
01:11:23 Nous, on l'a le 24 janvier,
01:11:25 la première l'essai, si j'ai le bon mémoire,
01:11:28 ou peut-être le 20 janvier,
01:11:29 mais il faut encore le déployer.
01:11:31 Tout ça se fait pas en un jour.
01:11:32 Et puis les industriels, à côté,
01:11:34 travaillent pour pouvoir déployer ça
01:11:36 dans le secteur privé, dans les laboratoires
01:11:37 d'obligés médicaux de ville, etc.
01:11:38 Ça prend du temps.
01:11:39 Et donc, on est à la fois démunis, aveugles
01:11:42 et dans l'incertitude.
01:11:43 Et donc, qu'est-ce qui reste ?
01:11:44 Et c'est là où je trouve la chose intéressante.
01:11:47 Ce sont les gestes de prévention.
01:11:50 Et donc, en fait, les premières mesures qu'on va prendre,
01:11:52 ça va être des mesures de prévention.
01:11:55 C'est-à-dire que sur le modèle
01:11:56 qu'on connaît des infections respiratoires,
01:12:00 on n'a pas encore conscience, à ce moment-là,
01:12:02 que la transmission est aérosol,
01:12:03 parce que ce sont les gouttelettes,
01:12:04 et donc, finalement,
01:12:05 se séparer des mètres va suffire,
01:12:08 que se laver les mains va suffire.
01:12:10 Il y a une forte école hygiéniste,
01:12:13 notamment hygiéniste hospitalière,
01:12:15 qui va pousser là-dessus.
01:12:17 La question du masque aussi se pose avec...
01:12:19 Est-ce que les gens vont savoir...
01:12:21 C'est un discours qui a été porté.
01:12:22 Vont savoir porter le masque en population générale,
01:12:24 parce que le masque est vu comme un outil de travail
01:12:27 des professionnels de santé à l'hôpital
01:12:30 et qu'on risque de se contaminer en touchant le masque, etc.
01:12:32 Et on essaie d'appliquer en population générale...
01:12:35 -Les règles. -Des règles
01:12:37 qui sont en fait des règles d'hygiène hospitalière.
01:12:39 Il y a une vraie pensée comme ça, à ce moment-là.
01:12:44 Et puis, il y a la question de la réduction des contacts sociaux.
01:12:47 Et donc, c'est là où on arrive à la question du confinement
01:12:49 qu'on évoquait tout à l'heure et de son efficacité.
01:12:52 La question de son efficacité,
01:12:55 je dirais que, de toute façon, au point où on en était,
01:12:59 et puisqu'on était face à une exponentielle
01:13:01 dont on ne voyait pas le début du fait de l'absence de tests,
01:13:05 au moment où elle arrive et où la vague surgit dans les hôpitaux,
01:13:07 on n'a plus le choix.
01:13:08 C'est-à-dire que c'est non pas une mesure efficace
01:13:10 pour gérer l'épidémie,
01:13:12 c'est une mesure de frein d'urgence
01:13:15 parce que sinon, les hôpitaux vont être débordés
01:13:19 et que nous allons avoir les images de Bergames en France,
01:13:21 c'est-à-dire des gens qui s'étouffent sur des bancars
01:13:24 et que ça, ça paraît totalement inacceptable.
01:13:27 Et donc, c'est comme ça que...
01:13:28 -Cité Libération,
01:13:30 souvenons-nous de la une de Libération
01:13:31 avec Christina Comencini,
01:13:33 qui titrait à mes chers amis français
01:13:35 et qui était une lettre écrite aux Français
01:13:37 le jeudi 13 février, si je me souviens bien,
01:13:41 donc trois jours avant la décision
01:13:43 de mettre en confinement l'ensemble du pays.
01:13:46 -Exactement. Et donc, ce confinement,
01:13:47 il arrive en conflit avec la continuité
01:13:50 de la vie économique, sociale, culturelle,
01:13:52 pédagogique de la nation.
01:13:54 Et donc, c'est là aussi un conflit fort de santé publique.
01:13:57 On se souvient des images du président de la République
01:13:59 allant au théâtre.
01:14:01 Moi, je ne critique pas ça,
01:14:02 je dis juste qu'il y a un conflit à un moment entre les deux.
01:14:07 Et puis, la 2e mesure qui est prise,
01:14:10 c'est la fermeture des frontières.
01:14:12 Bon, là, vieux débat éternel.
01:14:15 Quand on relie les comptes rendus
01:14:18 qui sont conservés par l'OMS
01:14:19 des conventions sanitaires internationales,
01:14:21 on les retrouve sur Internet facilement.
01:14:22 Bon, les débats des conventions sanitaires du 19e siècle,
01:14:25 c'est les mêmes que ceux qu'on a eus en janvier 2020.
01:14:28 C'est-à-dire, est-ce que c'est efficace ou pas ?
01:14:30 Est-ce que c'est tenable ou pas ?
01:14:32 Je pense qu'une part de la réponse,
01:14:34 elle se trouve dans l'objectif qu'on veut leur assigner.
01:14:37 C'est-à-dire que face à une maladie
01:14:38 avec des caractéristiques épidémiologiques
01:14:40 dont je parlais tout à l'heure, qui sont aussi défavorables,
01:14:42 l'idée qu'on allait empêcher le virus
01:14:45 de rentrer sur le territoire est une vue de l'esprit.
01:14:48 A fortiori, quand le virus est déjà de l'autre côté des Alpes,
01:14:52 en Italie, si le virus est encore plus loin,
01:14:54 on peut sans doute gagner plus d'an.
01:14:56 Mais en réalité, qu'est-ce que nous a permis
01:15:00 cette arrêt de la liaison aérienne
01:15:01 et cette fermeture des frontières ?
01:15:02 En tout cas, c'est la restriction des échanges.
01:15:04 C'est de gagner du temps de préparation
01:15:07 du système de santé.
01:15:08 Il y a eu un certain nombre d'études,
01:15:09 de modélisations qui ont été faites a posteriori.
01:15:11 Et en fonction du degré d'échange avec le pays d'émergence,
01:15:15 en fonction de la distance, etc.,
01:15:19 on estime qu'on gagne entre 2 semaines et 6 semaines
01:15:23 au maximum de préparation.
01:15:24 Même 2 semaines, je ne vous cache pas
01:15:26 que quand vous avez en responsabilité
01:15:28 la mise en tension du système de santé
01:15:30 et sa préparation pour faire face à l'épidémique,
01:15:33 je prends.
01:15:35 -On va peut-être juste vous demander à chacun et à chacune
01:15:39 d'évoquer le 3e point qu'on voulait évoquer
01:15:42 avant de donner la parole à la salle,
01:15:43 parce que ce serait important
01:15:44 qu'il puisse y avoir quelques questions.
01:15:46 Le 3e point, c'était la question, justement,
01:15:48 et vous avez commencé à l'aborder,
01:15:50 de l'acceptabilité des mesures qui sont prises
01:15:52 dans chacune des périodes qui est évoquée à cette table
01:15:56 par la société, des résistances,
01:15:59 des contraintes sur corps et sur personnes
01:16:03 pour pouvoir empêcher la propagation
01:16:05 de cette épidémie dont on a été alerté.
01:16:08 François Dildo-Seymour, en 2 minutes ou 3 minutes,
01:16:11 2 minutes, est-ce que vous pouvez nous dire
01:16:12 comment ça se... Est-ce qu'on a, justement,
01:16:15 des réactions de fuite ?
01:16:16 On en a vu pour la Covid.
01:16:18 Est-ce qu'on a des réactions de résistance ?
01:16:19 Est-ce qu'on a des réactions qui, d'une certaine manière,
01:16:22 sont notables, en particulier pour les cas de peste
01:16:24 que vous avez étudiés ?
01:16:25 -Juste une minute, très rapidement.
01:16:28 J'ai travaillé récemment sur les problèmes
01:16:33 d'illégalité, d'échappatoire, etc.
01:16:37 Alors, je rends hommage aux travaux de Fleur Beauvieux
01:16:40 que j'ai largement utilisés,
01:16:41 mais on pourra en reparler cet après-midi.
01:16:44 Mais je suis arrivée, alors, toujours à partir...
01:16:48 C'est le problème pour le XVIIIe siècle,
01:16:50 c'est le cas documenté, c'est Marseille.
01:16:52 C'est un peu l'arbre qui cache la forêt des épidémies,
01:16:56 d'autant plus en ce domaine qu'on nous explique couramment
01:17:02 que la répression est féroce,
01:17:05 que celui qui franchit le mur de la peste est abattu,
01:17:10 que celui qui contrevient à l'isolement
01:17:14 a de sérieux problèmes.
01:17:17 Or, quand on regarde de plus près sur ce qui s'est passé
01:17:19 à Marseille pendant l'épidémie,
01:17:22 on se trouve sur une répression à peu près inexistante,
01:17:26 très légère, et que cela rejoint
01:17:29 ce qui était le cas des infractions
01:17:32 au système sanitaire en temps normal.
01:17:35 On a quelque chose de très léger,
01:17:37 comme s'il y avait là une espèce d'acceptabilité
01:17:41 ou de refus de...
01:17:43 -De s'élever.
01:17:45 -Alors que dans les localités qui sont moins familières de la peste,
01:17:49 on trouve des choses, sur le papier,
01:17:52 beaucoup plus sérieuses.
01:17:53 Et puis, il y a aussi quelque chose dans les conséquences,
01:17:56 je pense que là, on va l'évoquer uniquement pour mémoire,
01:17:59 mais sur quoi il faudrait réfléchir,
01:18:02 c'est, bon, l'épidémie, on ne considère pas ça
01:18:06 comme quelque chose de très bénéfique a priori.
01:18:09 Mais est-ce qu'à terme, et dans les conséquences sociales,
01:18:14 il n'y a pas eu des effets induits plus positifs ?
01:18:17 C'est aussi une question qui mériterait d'être posée.
01:18:21 On en voit tous avec l'urbanisme, etc.
01:18:25 Mais il y en a même au niveau des mentalités.
01:18:28 -Sans compter ceux qui pensent qu'un redémarrage économique
01:18:31 après la peste de 1348
01:18:33 a été la floraison de l'Europe occidentale
01:18:36 dans cette période-là.
01:18:38 -Exactement.
01:18:39 C'est un aspect, disons, entre guillemets, positif
01:18:41 qu'il ne faut quand même pas négliger aussi.
01:18:44 -Claire Frech, même question pour l'espace algérien.
01:18:48 La résistance, capacité à ne pas appliquer les consignes,
01:18:53 est-ce qu'on a des documentations,
01:18:55 des sources sur ces questions-là ?
01:18:56 -On a un certain nombre de sources.
01:18:58 Et encore, ça va dépendre de la période,
01:19:01 puisque progressivement, finalement,
01:19:04 toutes les populations entrent dans une sorte
01:19:07 d'acceptation commune d'un certain nombre de pratiques
01:19:10 visant à limiter les épidémies.
01:19:12 Et quand je dis "toutes les populations",
01:19:14 c'est les populations européennes
01:19:15 et c'est les populations algériennes,
01:19:17 puisque dans les années 1850,
01:19:20 les Français, les Italiens, les Espagnols
01:19:22 ne sont pas particulièrement...
01:19:25 Enfin, peuvent résister à la vaccination
01:19:28 qu'on cherche aussi à leur imposer.
01:19:30 Donc de ce point de vue-là, il y a une évolution, finalement,
01:19:34 alors pas forcément tout à fait au même rythme
01:19:37 du fait du contexte politique
01:19:39 dans lequel cette politique de santé se met en place,
01:19:43 mais sur la question des réactions,
01:19:46 si on cible essentiellement les populations algériennes
01:19:50 ou africaines ou asiatiques,
01:19:53 il y a plusieurs types en fonction des pratiques, finalement,
01:19:57 qui sont imposées.
01:19:58 Si c'est de l'isolement,
01:19:59 y a-t-il les moyens de le faire respecter ?
01:20:01 Donc la question de la fuite se pose pas spécialement.
01:20:05 Il faut quand même être sur le terrain
01:20:06 pour, effectivement, isoler un village.
01:20:08 C'est pas...
01:20:11 Les archives, souvent, n'en disent pas grand-chose.
01:20:14 On peut isoler certains quartiers, dans certaines villes,
01:20:16 notamment au moment de la peste.
01:20:18 Et ça pose des problèmes, là, pour le coup,
01:20:21 puisque c'est une atteinte à l'ordre public,
01:20:23 puisque les populations se révoltent.
01:20:25 Il y a des archives.
01:20:26 Mais la question aussi...
01:20:29 Souvent, l'isolement va de pair avec le fait de brûler
01:20:32 les possessions des gens contaminés.
01:20:35 Donc là aussi, ça peut poser des...
01:20:38 Ça peut provoquer des protestations
01:20:41 depuis le Vietnam jusqu'au Sénégal.
01:20:43 Et puis, si on est vraiment sur les mesures médicales,
01:20:46 la question du vaccin pose 2 questions,
01:20:49 l'accessibilité et la qualité du vaccin,
01:20:51 c'est-à-dire est-ce que les populations
01:20:54 qui vont se protester ou refuser le vaccin
01:20:58 le font parce que c'est une pratique française
01:21:02 dans un contexte politique
01:21:03 qui est quand même celui de la guerre et de la colonisation,
01:21:05 ou parce que, en fait, du fait de la chaleur,
01:21:09 du fait de l'éloignement, les vaccins...
01:21:11 Alors, surtout la variole, au début,
01:21:13 mais aussi après la peste,
01:21:17 voire la fièvre jaune,
01:21:18 sont de qualité pas forcément excellente,
01:21:22 ont des effets secondaires,
01:21:23 et donc les protestations peuvent aussi porter là-dessus.
01:21:27 Parce que... Voilà.
01:21:28 Mais c'est aussi la question de la chronologie de l'acceptation.
01:21:33 Et puis aussi des pratiques.
01:21:34 Le vaccin, c'est pas la même chose
01:21:36 de se faire inoculer quelque chose
01:21:38 alors qu'on n'est pas malade.
01:21:40 Et quand on est malade,
01:21:41 c'est quand on peut l'être d'absorber des cachets de quinine,
01:21:45 qui est la pratique classique en Algérie
01:21:47 de distribuer assez largement de la quinine
01:21:49 pour préserver du paludisme.
01:21:52 Donc, voilà, en fonction des maladies,
01:21:55 il y a un certain nombre de réactions,
01:21:58 certaines parfaitement en concordance
01:22:02 avec ce qu'on peut observer en Europe,
01:22:04 et d'autres peut-être plus liées au contexte politique
01:22:09 de colonisation,
01:22:12 qui fait qu'on peut aussi avoir certaines réticences
01:22:15 à accepter, finalement, des pratiques du colonisateur.
01:22:20 - Nous sommes contés qu'il peut y avoir aussi
01:22:22 des faux vaccins, des vaccins qui ne sont pas très efficaces,
01:22:26 qui servent de test.
01:22:28 Les populations africaines ou les populations algériennes
01:22:31 peuvent servir de test à leur utilisation postérieure
01:22:34 dans d'autres espaces géographiques,
01:22:36 peut-être aussi, ça pourrait l'être.
01:22:37 Donc, il peut y avoir aussi des réticences
01:22:42 qui sont liées à cela, non ?
01:22:44 - Il y a des préventions, par exemple,
01:22:46 contre la maladie du sommeil.
01:22:48 On la détecte, si mes souvenirs sont bons,
01:22:50 par la ponction lombaire.
01:22:52 Souvent, le premier contact avec la médecine française,
01:22:55 ce n'est pas non plus le meilleur contact.
01:22:57 Après, la question des essais...
01:23:03 - Thérapeutiques.
01:23:04 - Des essais thérapeutiques.
01:23:06 - La question de l'infection, la vaccination,
01:23:09 elle, c'est certes...
01:23:14 Guillaume Lachetin l'a écrit, là,
01:23:15 sur le médicament qui devait sauver l'Afrique.
01:23:18 Sur la question du vaccin antivariolique,
01:23:20 en fait, il est mis au point en France.
01:23:22 Il n'est pas spécialement testé sur des populations algériennes.
01:23:24 En fait, il est distribué, il a du mal à se transmettre.
01:23:27 Donc, c'est la transmission, enfin, c'est la fabrication
01:23:33 des chaînes vaccinales de bras à bras.
01:23:35 De toute façon, ça pose des problèmes différents
01:23:38 et puis pas forcément bien acceptés de tous les côtés.
01:23:41 Une fois que le vaccin est plus accessible
01:23:43 avec le développement du vaccin animal,
01:23:46 la prévention contre ce type de pratiques s'atténue.
01:23:52 D'autant que la variole devient finalement
01:23:53 une maladie moins importante qu'auparavant.
01:23:57 On est là au tournant des 19e et 20e siècle.
01:23:59 Après, oui, sur la fièvre jaune,
01:24:02 on ne va pas forcément vacciner les Européens
01:24:05 et les Sénégalais de la même manière.
01:24:08 C'est-à-dire qu'on fait d'abord des tests aux Français
01:24:10 pour savoir s'il n'y aura pas d'effet secondaire
01:24:12 et puis on va vacciner les Africains,
01:24:13 on y va largement.
01:24:14 Donc, si le vaccin n'est pas tout à fait au point,
01:24:16 ça peut poser des problèmes.
01:24:17 C'est ce qui provoque des protestations.
01:24:18 Par exemple, vous avez vu du vaccin de la peste à Madagascar,
01:24:22 voire au Vietnam, sur d'autres types.
01:24:26 Mais voilà, là, c'est des questions...
01:24:29 Alors, est-ce que c'est des tests ?
01:24:32 Est-ce que c'est des...
01:24:36 Est-ce qu'on peut le mettre sous une autre application ?
01:24:38 Est-ce que...
01:24:39 La question du droit des personnes se pose peut-être autrement
01:24:42 dans les colonies.
01:24:46 En même temps,
01:24:49 on sait qu'il en existe.
01:24:51 On sait que Corf faisait des essais,
01:24:55 faisait goûter de l'arsenic à certaines populations
01:24:57 pour voir leurs effets.
01:24:59 Dans la protection de je ne sais plus quelle maladie.
01:25:03 Des...
01:25:04 Disons des...
01:25:07 Des expérimentations humaines.
01:25:10 Personnellement, j'ai peut-être mal cherché.
01:25:12 Je n'en ai pas trouvé en Algérie, en tout cas.
01:25:15 -Philippe, ça va être court. Il faut...
01:25:17 -Oui, très brièvement.
01:25:21 En fait, moi, je renverserai la proposition
01:25:25 parce que ce que le VIH,
01:25:28 dans le cadre des travaux du Conseil national du SIDA,
01:25:31 donc créé en 89,
01:25:33 dans lequel maintenant je siège,
01:25:36 nous avions, juste après la...
01:25:40 Juste après la pandémie de Covid,
01:25:43 essayé de voir ce qui restait de l'expérience...
01:25:49 L'expérience et l'apport, justement,
01:25:53 positif d'une lutte contre une pandémie comme le VIH,
01:26:00 à caractère exceptionnel.
01:26:02 L'exceptionnalité du VIH a été soulignée.
01:26:07 J'espère avoir été assez clair là-dessus.
01:26:11 Mais il n'empêche que ce qui est premier dans le VIH,
01:26:16 c'est bien le fait que les personnes
01:26:20 directement concernées
01:26:22 et les personnes atteintes
01:26:23 ont été des acteurs de santé publique.
01:26:28 Et que ce soit...
01:26:31 Que ce soit des communautés plus identifiées
01:26:36 comme la communauté homosexuelle,
01:26:40 mais que ce soit aussi des communautés
01:26:42 qui se constituent comme les femmes en Ouganda.
01:26:48 Eh bien, elles ont été...
01:26:50 Ces groupes ont été moteurs
01:26:57 d'un modèle aussi de lutte contre les pandémies,
01:27:02 qui n'est plus un modèle vertical,
01:27:05 mais un modèle horizontal.
01:27:07 Le fameux "aller vers".
01:27:11 C'est pratique.
01:27:13 Eh bien, oui, dire à sa...
01:27:18 Qu'un fils ou qu'un petit-fils
01:27:21 aille voir sa grand-mère et lui dise,
01:27:23 "Ce serait bien que tu portes le masque."
01:27:25 Ca marche mieux que quand c'est
01:27:28 le président de la République qui, à 20h, dit,
01:27:31 "On va mettre le masque."
01:27:34 Et que ce...
01:27:35 Et qu'y compris dans les campagnes,
01:27:37 et c'est une manière un peu aussi d'amorcer le débat,
01:27:43 que, oui, à un moment donné,
01:27:46 cette question de l'acceptation,
01:27:48 elle passe aussi par des visages,
01:27:49 elle passe aussi par tout ce que,
01:27:52 quand même, les 15 ans de lutte
01:27:55 avant les traitements,
01:27:58 on s'est basé sur des hommes et des femmes,
01:28:04 sur des visages, sur des personnalités connues,
01:28:07 sur des cinéastes qui, à un moment donné,
01:28:10 ont décidé de faire,
01:28:12 je pense à ces scénarios qui ont été réalisés,
01:28:15 ces petits scénarios sur la prévention.
01:28:19 Tout ça, tout ce qui va être abordé plus tard,
01:28:23 notamment demain, je pensais évidemment à Camille Spire,
01:28:27 qui ne manquera pas de le rappeler,
01:28:30 n'était pas...
01:28:32 Cette incarnation aussi
01:28:35 de ce que c'est que...
01:28:40 d'être malade ou de risquer d'être malade,
01:28:42 parce qu'être malade, c'est encore très compliqué,
01:28:44 puisque si on revient à l'histoire du VIH, quand même,
01:28:48 n'oublions pas qu'on parlait d'une fenêtre de séroconversion
01:28:52 et qu'on ne savait pas alors que, dès qu'on se contaminait,
01:28:58 le virus était immédiatement actif
01:29:01 et qu'on était immédiatement malade.
01:29:04 Tout ça, c'est aussi, vous l'avez rappelé très largement,
01:29:08 c'est aussi comment...
01:29:10 C'est un des...
01:29:12 Une des résistances, ça a peut-être été ça,
01:29:16 et on y reviendra, sur le fait que l'information scientifique,
01:29:20 dite scientifique, en fait, elle a été tout de suite...
01:29:24 Tout le monde lisait Lancet,
01:29:25 comme le disait ce matin un éditorialiste à la radio.
01:29:29 On était tous... Tout le monde était épidémiologiste
01:29:32 ou virologue il y a un an ou deux ans.
01:29:36 Maintenant, tout le monde est constitutionnaliste.
01:29:39 -Entre-temps, on a été tous sélectionneurs
01:29:41 de l'équipe de France de football.
01:29:43 -Ca, c'est peut-être aussi un des freins
01:29:47 que la pandémie à VIH avait mis en avant.
01:29:51 C'est sur la recherche.
01:29:54 Les malades, je pense...
01:29:55 Je veux signaler quand même ce groupe qui s'appelle TRT5,
01:29:58 qui a été très actif
01:30:01 dans cette manière aussi
01:30:04 d'éviter les résistances.
01:30:07 Et...
01:30:10 Et pour citer d'autres historiens,
01:30:11 puisque ça n'a pas été signalé,
01:30:14 c'est pas nouveau qu'au XIXe siècle,
01:30:17 il y a des manifestations de protestation
01:30:20 contre le confinement.
01:30:21 Il y a des...
01:30:23 C'est pas...
01:30:25 Il y a des gens qui sont...
01:30:27 Qui résistent, qui sortent dans la rue,
01:30:29 qui disent "Non, je veux pas rester chez moi."
01:30:31 -Justement, on a souvent fait le parallèle,
01:30:35 étant donné la proximité temporelle
01:30:37 entre l'épidémie de VIH et puis la Covid,
01:30:41 en disant...
01:30:42 On a insisté à une reverticalisation
01:30:44 et donc avec une résistance plus grande
01:30:48 d'une partie de la population
01:30:49 qui s'est dressée justement
01:30:51 contre ce que disait à l'instant même Philippe Artier,
01:30:54 c'est-à-dire cette idée que les ordres venant d'en haut
01:30:56 du président de la République descendaient
01:30:58 et qu'il y a eu peut-être dans un 2e temps
01:31:00 une autre façon de faire de la prévention,
01:31:03 mais que dans un 1er temps,
01:31:05 c'était très autoritaire ou très directif.
01:31:08 Vous nous avez expliqué pourquoi tout à l'heure,
01:31:10 Clément Lazarus.
01:31:11 Un dernier mot sur cela,
01:31:13 parce que je voudrais donner la parole
01:31:14 à 2 ou 3 questions avant qu'on passe à la dernière table.
01:31:18 -Je vais être très rapide.
01:31:19 Mais d'abord, pour remarquer que sur l'acceptabilité,
01:31:21 la 1re des choses qui étaient acceptables
01:31:24 ou pas acceptables dans ces pays,
01:31:25 c'était d'accepter de voir mourir des gens
01:31:27 qui s'étouffaient sur des bancs d'argent.
01:31:28 J'en avais parlé tout à l'heure.
01:31:30 Et ça conduit à un certain nombre de décisions,
01:31:32 y compris assez autoritaires ou directives et centralisées.
01:31:36 Je pense notamment à la campagne d'évacuation sanitaire
01:31:40 qui a été menée, 1 600 évacuations sanitaires
01:31:43 qui ont été menées, la plus grande opération
01:31:44 d'évacuation sanitaire civile de l'histoire, à ma connaissance.
01:31:50 C'est simplement parce que nous avions la conviction
01:31:52 que le scénario Bergame n'aurait pas été acceptable
01:31:56 tant qu'il y avait des places disponibles,
01:31:58 puisqu'on avait l'est du pays qui était très touché,
01:32:00 l'ouest beaucoup moins.
01:32:02 Et donc l'idée a été de translater des patients
01:32:04 par tout moyen disponible de l'est vers l'ouest,
01:32:07 y compris vers d'autres pays européens
01:32:10 qui sont venus à notre secours à ce moment-là,
01:32:12 et heureusement, d'ailleurs.
01:32:14 Et ensuite, et c'est là où c'est paradoxal,
01:32:16 c'est que l'autre acceptabilité,
01:32:18 c'est celle des mesures qui sont prises.
01:32:20 Et ça, elle a beaucoup varié dans le temps.
01:32:22 Elle a varié dans le temps en fonction de la perception du risque.
01:32:24 C'est tout à fait évident.
01:32:26 C'est-à-dire que moins le Covid est considéré
01:32:29 ou perçu comme quelque chose de grave,
01:32:32 moins l'acceptabilité et l'observance des mesures
01:32:35 est forte.
01:32:37 Et ça, il y a l'enquête Covid-prev
01:32:38 qui est menée par Santé publique France
01:32:40 qui le montre extrêmement bien, notamment sur le masque.
01:32:42 Alors là, c'est limpide.
01:32:43 Et d'ailleurs, vous voyez bien qu'à chaque fois
01:32:45 qu'il y a un petit rebond épidémique,
01:32:47 quand vous prenez le métro,
01:32:48 vous voyez les gens porter plus le masque
01:32:50 et le nombre de tests qui...
01:32:53 -Qui augmentent. -Réaugmentent.
01:32:54 Et donc, ça suit, finalement...
01:32:56 Je pense qu'un des éléments importants,
01:32:59 c'est que les gens puissent être un petit peu acteurs,
01:33:03 et ça, vous le prenez bien avec le VIH,
01:33:05 mais de la prévention vis-à-vis de cette maladie pandémique.
01:33:09 Je crois que l'effort qui a été fait sur l'open data
01:33:12 avec une foule d'indicateurs
01:33:14 qui a été mise en ligne par Santé publique France,
01:33:16 un travail absolument monstrueux,
01:33:18 a pas été pour rien, notamment sur les réseaux sociaux.
01:33:20 On a vu beaucoup de data scientifiques
01:33:21 qui confinaient, du coup, avaient un peu...
01:33:25 -Ce sont devenus les experts dont on parlait tout à l'heure.
01:33:27 -Disponibles, mais qui ont permis, au-delà du cercle de l'Etat,
01:33:32 de mettre en lumière certains phénomènes, etc.
01:33:35 Et ça aboutit jusqu'au fait que nous ayons un Premier ministre
01:33:37 qui aille à la télé à une heure de grande écoute
01:33:40 expliquer ce qu'était le taux de reproduction d'une épidémie.
01:33:43 Et ça, en tant qu'épidémiologiste,
01:33:44 j'ai trouvé ça formidable, évidemment.
01:33:47 L'autre enjeu, il y a deux enjeux encore,
01:33:49 peut-être, sur l'acceptation, avant de terminer.
01:33:52 Un, la fatigue pandémique.
01:33:53 C'est-à-dire que quand ça s'étire dans le temps,
01:33:55 sur deux ans, les gens en ont marre.
01:33:57 Et c'est là où il faut moduler un petit peu les mesures,
01:34:04 y compris en biaisant un petit peu
01:34:07 par rapport à ce que dit strictement la science,
01:34:09 parce que des mesures qui seraient trop strictes,
01:34:12 qui ne seraient pas acceptées, donc pas respectées,
01:34:14 donc ne serviraient à rien.
01:34:16 Et ça, on l'a bien senti entre les confinements,
01:34:18 déconfinements, les adaptations des confinements,
01:34:21 qui n'étaient pas les mêmes à chaque période,
01:34:23 y compris aussi parce qu'on apprenait de la maladie.
01:34:25 C'est là où on a vu naître le fameux nudge,
01:34:29 où, avec la chanson "Je reviens te chercher" de Gilbert Becaud,
01:34:32 pour pouvoir dire qu'on pouvait se rapprocher
01:34:35 alors qu'on était auparavant séparés
01:34:36 de ses grands-parents, par exemple.
01:34:38 Et l'autre élément essentiel,
01:34:40 c'est la cohérence des mesures, au moins apparentée.
01:34:43 C'est là où on est vraiment sur un fil d'équilibriste,
01:34:47 parce qu'on a vu aussi qu'à partir de quelques principes
01:34:50 très simples et très macro
01:34:52 sur comment se transmet ce virus
01:34:55 et comment il faut s'en protéger,
01:34:56 on arrivait dans la déclinaison en bout de chaîne,
01:34:59 mais parce que c'est hyper difficile.
01:35:01 Encore une fois, je ne jette la pierre à personne,
01:35:04 mais aux plages statiques et les plages dynamiques...
01:35:09 -C'est vrai, j'avais oublié ça.
01:35:10 -Mais oui, mais parce que c'est très difficile.
01:35:13 Et les gens qui ont pris en place ces mesures
01:35:16 sont des gens de terrain qui ont beaucoup de consenss, etc.
01:35:19 Il ne faut pas croire que c'est complètement délirant.
01:35:22 C'est simplement qu'il y a des plages où il y a plus de monde
01:35:23 et donc on se dit qu'il vaut mieux pas
01:35:25 qu'il y ait des attroupements.
01:35:26 Donc on crée des plages où on dit
01:35:28 "Si vous voulez aller vous balader sur la plage, ça va,
01:35:30 "mais restez pas et vous attroupez pas."
01:35:33 Et puis ça devient les plages statiques,
01:35:34 les plages dynamiques,
01:35:36 ou le zonage dans Paris,
01:35:38 où, du coup, il y avait des rues
01:35:42 où, si on était du côté du numéro pair,
01:35:44 le masque était obligatoire, on pouvait se faire verbaliser,
01:35:47 et puis du côté impair, on n'était plus dans la zone.
01:35:50 Et donc, évidemment, tout ça donnait un aspect très compliqué
01:35:53 et un aspect de manque de cohérence.
01:35:55 Alors simplement, il fallait mettre en musique
01:35:57 et opérationnaliser des principes très simples,
01:35:59 très cohérents, très clairs quand ils sont dits comme ça.
01:36:01 Donc c'est là où il faut être très vigilant.
01:36:04 Je termine simplement sur le fait
01:36:06 qu'on a appris beaucoup sur cette pandémie,
01:36:11 et qu'on voit bien qu'avant la pandémie,
01:36:13 sur les mesures de prévention,
01:36:15 notamment vis-à-vis du risque respiratoire,
01:36:17 il y avait 10 000, 15 000 morts de grippe chaque année.
01:36:20 Personne ne s'est posé la question de porter le masque.
01:36:23 En France, ça n'existait pas dans la pensée commune.
01:36:26 Donc on faisait des choses qui n'étaient sans doute pas suffisantes.
01:36:29 Pendant la crise, masque obligatoire partout,
01:36:32 isolement, quarantaine, confinement,
01:36:35 15 millions de tests en une semaine
01:36:37 pour une même maladie infectieuse,
01:36:38 ce qui, quand même, d'un point de vue épidémiologique,
01:36:40 est absolument incroyable.
01:36:42 Donc ça, c'était très, très fort,
01:36:44 parce qu'on avait besoin à un moment,
01:36:45 mais ce n'est pas soutenable sur le long terme,
01:36:46 ne serait-ce que d'un point de vue financier.
01:36:48 L'allocation des ressources est sans doute mieux,
01:36:52 aujourd'hui, adressée ailleurs
01:36:54 que dans la réalisation de plusieurs millions de tests par semaine.
01:36:57 Aujourd'hui, on en fait 350 000, donc on a déjà beaucoup réduit.
01:37:00 Et donc, ce qu'on essaye de faire aujourd'hui,
01:37:03 c'est de créer un cadre cohérent
01:37:06 où on gérerait le Covid, la grippe, la bronchiolite
01:37:09 comme une seule entité avec des mesures de prévention
01:37:12 qui seraient acceptables et soutenables,
01:37:14 mais plus fortes que ce qu'on faisait avant la pandémie,
01:37:17 et que ça puisse rentrer dans le domaine collectif
01:37:20 et que les gens se l'approprient.
01:37:22 Ça prendra sans doute plusieurs années, à mon avis.
01:37:24 [SILENCE]