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[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] C’est un soir d’automne dans une chambre d’hôtel minable de Versailles. Madame D. a quitté son bel appartement de l’avenue Foch à Paris pour s’installer provisoirement ici sous un faux nom. Elle doit absolument élaborer un plan minutieux. La jeune femme de 37 ans vient de recevoir une lettre d’Angleterre qui la laisse au bord de la dépression nerveuse : Françoise et Géraldine, ses filles de 16 et 13 ans, ont été placées sous la tutelle de la Cour à la demande de sa propre mère, une Lady anglaise. C’est elle qui s’occupe de ses petites-filles depuis le divorce de Madame D., il y a trois ans. Elle trouve toujours une excuse pour éviter de les renvoyer en France. Pour Madame D, c’en est trop. Elle doit pouvoir récupérer ses filles. Comment ? Elle envisage alors d’organiser un kidnapping. C’est la raison pour laquelle elle a donné rendez-vous ce soir d’automne dans cette chambre d’hôtel à un journaliste et un ami anglais, pilote de l’air. Comment approcher Françoise et Géraldine sans éveiller les soupçons de la grand-mère ? Comment échapper aux surveillants des deux pensionnats où vivent les deux adolescentes ? Vont-elles pouvoir monter dans l’avion en évitant les contrôles de la police ? L’arrivée du brouillard sur le sol britannique risque de ne rien arranger. Pierre Bellemare raconte “L’audacieux kidnapping d’une mère de famille anéantie” dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Il est 21 heures. Sur un trottoir devant un petit hôtel de Versailles, une femme hésite encore.
00:20 Nous l'appellerons Mme D. Mme D a 37 ans. C'est une femme très grande, aux cheveux dorés et au regard vert.
00:30 Elle est également vêtue, elle porte une petite mallette en maroquinerie luxueuse.
00:37 Enfin Mme D prend sa décision, elle entre dans l'hôtel minable, demande une chambre au concierge.
00:46 Une fois dans sa chambre, qui ne ressemblant rien à celle de son appartement de l'avenue Foch,
00:51 elle s'assoit sur le lit, allume une cigarette et réfléchit.
00:56 Mme D a pris une décision grave. Je vous le dis tout de suite,
01:01 nous nous garderons bien d'émettre le moindre jugement moral à propos de cette décision.
01:06 Nous nous contenterons de raconter les faits tels qu'ils ressortent des enquêtes de police
01:12 et des déclarations que Mme D fit à certains journalistes.
01:16 Après quelques bouffées de cigarette, Mme D demande au concierge un numéro de téléphone.
01:22 Quelques instants plus tard, une voix d'homme répond.
01:26 "Allô, Georges?" demande Mme D. "Oui."
01:30 "Si vous m'avez reconnu, ne dites pas mon nom." "Je vous ai reconnu."
01:35 "Pouvez-vous me rendre un service?" demande Mme D.
01:39 "Bien sûr." répond le dénommé Georges.
01:43 "Un service dangereux." "De quoi s'agit-il?"
01:48 "D'un kidnapping."
01:51 Ainsi s'ouvre l'extraordinaire dossier de la police que nous raconte aujourd'hui Jacques-Antoine.
01:58 [Musique]
02:18 Mme D est d'origine anglaise, mais elle parle le français sans accent.
02:23 D'ailleurs, elle est française de cœur et française aussi par son premier mariage.
02:28 Seulement, après avoir épousé un français et avoir eu de lui deux filles,
02:33 Françoise et Géraldine, elle a dû divorcer.
02:37 Lors du jugement de divorce, qui se fait pratiquement à l'amiable,
02:41 elle obtient sans difficulté la garde de ses deux filles.
02:45 Mais la mère de Mme D, une lady anglaise, après avoir désapprouvé ce mariage avec un étranger,
02:51 désapprouvait ensuite le divorce.
02:54 D'après Mme D, la lady, sa mère, serait quelque peu rétrograde.
02:59 Nous lui laissons la responsabilité de ce jugement tout en croyant nécessaire de vous le faire connaître.
03:05 A cette époque, Mme D, obligée de travailler, entre comme réceptionniste dans un institut de beauté,
03:12 ce qui, s'ajoutant aux problèmes matériels causés par la séparation d'avec son mari,
03:16 ne lui laisse ni le temps ni les moyens de s'occuper suffisamment de ses deux filles.
03:21 En attendant de s'être organisée, elle confie les deux enfants à sa mère, en Grande-Bretagne.
03:28 Très exactement à Hercide, près d'Epsom.
03:32 C'est à contrecoeur qu'elle se sépare d'elle.
03:35 Elle leur rend visite presque chaque week-end, envoie régulièrement l'argent nécessaire à leur pension
03:41 et attend avec impatience le moment de pouvoir les faire revenir chez elle en France.
03:46 Les enfants ont alors Françoise, 13 ans, Géraldine, 10 ans.
03:51 Hélas, cette situation se prolonge trois années.
03:55 La mère de Mme D s'occupe bien de ses petites filles,
03:58 qui bien entendu sont pensionnaires dans des établissements de premier ordre.
04:03 Chaque fois que Mme D fait part à sa mère de son intention de reprendre ses filles,
04:07 cette dernière trouve toujours une raison pour l'amener à reporter sa décision.
04:11 Un jour, son appartement de Paris n'est-il pas trop petit ?
04:15 Est-ce que son travail lui laissera vraiment le temps de s'en occuper ?
04:18 Peut-être faudrait-il attendre que Françoise ait terminé tel cycle d'études, etc.
04:23 Quand enfin Mme D peut s'installer dans un appartement de l'avenue Foch,
04:28 que rien ne s'oppose plus à ce qu'elle assure elle-même l'éducation de ses enfants
04:32 et qu'elle déclare sa ferme intention de les reprendre,
04:35 sa mère, sans lui opposer un refus formel,
04:38 la laisse dans une vague incertitude et parvient à faire reporter encore leur retour.
04:44 Enfin, l'été dernier, après les grandes vacances,
04:47 Françoise et Géraldine doivent rejoindre leur mère à Paris.
04:51 Elles ont alors Françoise 16 ans, Géraldine 13 ans.
04:55 Hélas pour Mme D, l'avant-veille du jour où elle doit se rendre en Angleterre
05:00 pour aller les chercher, elle reçoit une lettre
05:03 qui selon sa propre expression la laisse pantelante,
05:08 brisée, au bord de la dépression nerveuse.
05:12 La lettre émane du ministère de la Justice anglaise et dit à peu près ceci.
05:17 « Vos enfants, à la demande de votre mère, ont été placés sous la tutelle de la Cour.
05:24 Nous vous signifions que dorénavant et en attendant que leur sort soit prévu,
05:29 en attendant que leur sort soit décidé par jugement,
05:32 vos filles ne pourront en aucun cas quitter le sol britannique.
05:37 Vous êtes d'autre part prié de ne pas troubler leur esprit
05:41 par des lettres ou des paroles contraires à leur tranquillité. »
05:46 L'impuissante Mme D passe par des alternatives de fureur et de stupeur
05:52 et va consulter un avocat international.
05:55 Celui-ci lui laisse peu d'espoir.
05:58 En tout cas, il s'agit d'une loi particulière à la législation britannique.
06:02 Dernièrement, j'ai eu à m'occuper d'un cas similaire,
06:06 mais qui jouait en faveur de la mère, l'actrice Dawn Addams.
06:10 Lorsque celle-ci divorça d'avec le prince Vittorio Massimo,
06:14 le jugement de séparation l'autorisait à ne garder leur fils que pendant un mois par an.
06:18 Profitant de vacances en Italie, l'actrice enleva en septembre 1962
06:23 l'enfant Stefano, âgé de sept ans, et l'emmena en Angleterre.
06:27 Là, pour que Stefano, de nationalité anglaise, ne puisse être repris par son père,
06:32 Dawn Addams le confia à la tutelle de la haute cour de justice britannique.
06:37 Ainsi, le petit garçon ne pouvait plus quitter le territoire anglais.
06:41 Bien sûr, il y aura un jugement, mais dans le cas où vous obtiendriez gain de cause,
06:46 la procédure risquerait de durer trois ou quatre ans.
06:49 Dans le cas où vous perdriez votre procès, il vous faudra attendre la majorité des deux enfants.
06:56 C'est après avoir réfléchi pendant 24 heures à cette situation que Mme Day en arrive à la conclusion
07:02 qu'il ne lui reste qu'une seule solution, oui, une seule, enlever ses propres enfants.
07:08 C'est évident, mais sa mère doit bien se douter qu'elle va réagir.
07:13 Elle aussi sait qu'il n'y a qu'une solution pour lui reprendre les enfants.
07:17 L'administration britannique aussi le sait.
07:21 Donc peut-être va-t-on la surveiller, peut-être la surveille-t-on déjà.
07:26 Voilà pourquoi Mme Day a quitté son appartement de l'avenue Foch pour cet hôtel minable de Versailles
07:32 où elle se fait inscrire sous un faux nom.
07:35 Le lendemain, une première réunion rassemble à l'hôtel de Versailles Mme Day et cet homme que nous appellerons Georges.
07:43 De son métier, il est journaliste, lunettes, cheveux gris et court.
07:46 C'est un homme aussi petit et phlegmatique que Mme Day est grande et nerveuse.
07:51 Après avoir étudié la situation, tandis que Mme Day marche de long en large,
07:54 Georges réfléchit, tranquillement assis dans une sorte de fauteuil avêchi.
07:59 C'est que cette opération s'avère très délicate.
08:02 Les deux enfants ne possèdent ni passeport ni papier d'identité.
08:05 D'autre part, elles sont pensionnaires dans deux institutions distantes l'une de l'autre de plus de 100 kilomètres.
08:11 Françoise à Epsom, Géraldine à Brighton.
08:15 Enfin, si Mme Day n'est pas déjà surveillée, il est probable qu'elle figure, elle et ses enfants, sur une liste noire quelconque.
08:24 « Alors ? » demande Mme Day. « Vous avez une idée ? »
08:27 « Oui. » répond Georges. « Mais pour la mettre sur pied, je dois contacter un ami anglais. »
08:36 Lors de la réunion suivante, ils sont trois, Mme Day, Georges et un merveilleux anglais à moustache rousse,
08:42 ancien de la Royal Air Force, aujourd'hui pilote dans une compagnie privée.
08:46 Après avoir rapidement étudié le dossier, le pilote a demandé à entendre Mme Day avant d'accepter de l'aider.
08:53 Imaginez donc, dans cette petite chambre de Versailles, ces deux hommes et cette femme penchés sur les cartes du sud de l'Angleterre qu'ils ont étalées sur le lit.
09:02 L'idée à première vue est simple.
09:04 Enlever successivement les deux enfants et les conduire sur un terrain situé à proximité de l'un des deux collèges et décoller pour la France.
09:14 D'après sa connaissance des lieux, le pilote suggère que le terrain d'aviation à choisir soit celui de Burns Moth.
09:21 Encore faudra-t-il effectuer une reconnaissance plus approfondie des lieux et procéder à une sorte de répétition.
09:27 Mais pour éviter de donner l'éveil en rôdant sur les lieux et en passant et repassant plusieurs fois la frontière,
09:33 il est décidé que cette reconnaissance définitive et la répétition générale se feraient la veille de l'enlèvement.
09:41 Huit jours plus tard, soit le 16 octobre, Mme Day et George sont à Londres.
09:46 George loue une voiture et en pleine nuit, ils vont reconnaître les lieux, les deux pensionnats et le terrain d'aviation.
09:54 Quatre difficultés majeures se présentent.
09:57 Premièrement, voir les enfants sans attirer l'attention de leurs surveillants.
10:02 Deuxièmement, arriver au second pensionnat avant que l'alarme ait été donnée à la suite de l'enlèvement du premier.
10:08 Troisièmement, faire monter les enfants dans l'avion en évitant le contrôle de la police.
10:14 Enfin, quatrièmement, les prévisions météo pour le lendemain sont mauvaises, on craint l'arrivée du brouillard.
10:22 Alors de retour à Londres, au petit matin, Mme Day et George imaginent un stratagème au cas où le brouillard viendrait empêcher le succès de l'opération.
10:31 Mme Day est très nerveuse et essaie de dormir, mais il ne parvient pas.
10:34 Et c'est après une nuit blanche qu'ils partent vers midi pour le premier collège à Epsom où se trouve Françoise.
10:40 À 14h, leur voiture s'arrête devant la grille du pensionnat.
10:43 La concierge apparaît sur le pas de sa porte, Mme Day demande à voir la directrice.
10:48 La concierge n'ouvre pas la grille, mais une petite porte par laquelle entre Mme Day,
10:54 puis l'accompagne à travers un parc parfaitement entretenu vers l'immense bâtiment en briques de style victorien qui abrite le collège.
11:02 Mme Day remarque un léger vent qui secoue les arbres et fait trembler les feuilles d'automne.
11:06 Tant qu'il soufflera, le brouillard ne s'abattra pas.
11:10 La directrice aux cheveux gris, robe noire, reconnaît Mme Day qui vient chaque week-end voir Françoise,
11:15 mais elle est bien entendu au courant de la décision de la cour et l'accueille avec un visible ennui, une certaine froideur.
11:22 Mme Day lui dit qu'elle est de passage dans la région pour une heure seulement et qu'elle voudrait embrasser sa fille.
11:27 Prise de cour, la directrice n'a aucun motif à lui refuser cette visite.
11:31 Elle accepte, mais à condition d'assister à l'entretien.
11:34 Elle envoie donc chercher Françoise, Mme Day attend devant le bureau le curbattant,
11:39 elle entend bientôt le pas de sa fille dans le hall.
11:41 Lorsqu'elle entre et s'approche de sa mère, la directrice méfiante se tient debout de façon à entendre tout ce qu'elles vont se dire.
11:49 Mme Day avait prévu cette situation.
11:53 Après s'être embrassée au milieu d'une conversation banale, Mme Day dit brusquement en français mélangé d'argot
12:01 "débrouille-toi pour te tirer et être à six plombes près de la lourde d'entrée".
12:06 Une lueur de surprise est passée dans le regard de Françoise, mais elle a certainement compris car elle ne laisse rien paraître.
12:12 Quant à la directrice, bien qu'elle entende le français, elle a simplement l'impression que Mme Day, ayant parlé très vite, une phrase lui a échappé.
12:19 Elle se rapproche un peu plus.
12:21 Quelques instants plus tard, Mme Day embrasse sa fille comme si elle ne devait plus la voir d'ici longtemps et s'en va.
12:27 Mme Day et Georges arrivent à 16h au pensionnat de Géraldine.
12:31 Ici, ça devient sérieux, il faut procéder au premier relèvement.
12:36 Les enfants, comme prévu, sont à l'église où on les entend chanter des cantiques.
12:40 La voiture s'arrête devant l'église et Mme Day attend, debout, sous le Porsche.
12:45 Le vent est complètement tombé, rien n'empêche plus le brouillard prévu de descendre sur l'Angleterre.
12:51 La réunion dans l'église se prolonge.
12:54 Peut-être a-t-elle commencé en retard.
12:56 Georges regarde fréquemment sa montre et Mme Day et lui échangent des regards inquiets.
13:01 Il leur reste de moins en moins de temps pour être à l'heure au rendez-vous fixé à Françoise.
13:07 Enfin, les cantiques cessent et les enfants sortent.
13:11 Dès qu'elle aperçoit sa mère, Géraldine, dans son petit uniforme vert de collégienne, fond en larmes.
13:16 « Calme-toi », lui dit sa mère, « reste avec tes camarades, tu vas faire comme si tu retournais au collège,
13:21 mais reste dans les dernières, devant la porte. »
13:24 À la surveillante qui s'approche, Mme Day explique qu'elle est de passage et demande si elle peut embrasser sa fille.
13:30 La surveillante accepte. La mère et la fille échangent alors quelques mots en marchant et en s'embrassent.
13:35 Puis Mme Day, comme à regret, monte dans la voiture.
13:38 Par la vitre ouverte, elle lance des baisers à Géraldine en larmes, qui lui répond en faisant au revoir de la main.
13:44 La voiture démarre tandis que les enfants marchent de l'église au collège.
13:47 La surveillante cesse alors de suivre Géraldine des yeux.
13:50 À ce moment, la voiture qui a fait simplement le tour d'un parterre maison réapparaît,
13:55 tandis que les enfants en désordre rentrent dans le collège pour certains
13:58 ou montent dans des voitures qui viennent les chercher pour d'autres car il y a des demi-pensionnaires.
14:02 Profitant de cette relative cohue, Mme Day fait signe à sa fille et comme celle-ci arrive,
14:07 elle ouvre la porte, l'enfant monte, la voiture démarre.
14:10 Apparemment, personne n'a rien remarqué.
14:13 Dans ce cas, on ne s'apercevra de la disparition de Géraldine que dans trois quarts d'heure, une heure.
14:19 Maintenant, la voiture roule vers Epsom.
14:22 Comme on le craignait, le brouillard tombe avec la nuit et ralentit la voiture.
14:26 À 17h30, ils sont encore à 40 km du collège.
14:29 À 18h, ils sont encore à 6 km.
14:31 À 18h10, ils s'arrêtent devant la grille dont les barreaux sont à peine visibles dans le brouillard.
14:37 Personne.
14:39 Mme Day est folle d'inquiétude à l'idée que l'alerte a peut-être été déjà donnée.
14:43 C'est alors que Françoise apparaît.
14:46 Elle attendait un peu plus loin après être sortie par une porte de service.
14:50 Au moment où la voiture démarre, le concierge jaillit comme un diable hors de sa boîte
14:54 et on l'entend distinctement crier "Je vous ai vu, je vous ai vu !"
14:58 Il a certainement noté le signalement et le numéro de la voiture.
15:02 Mais Mme Day et Georges ont tout prévu.
15:04 Deux kilomètres plus loin dans la campagne,
15:06 des amis anglais attendent au bord de la route avec une autre voiture.
15:09 L'échange des voitures est rapidement effectué.
15:11 Mme Day prend alors la route de Londres où ils vont tous passer la nuit chez des amis
15:16 car c'est là, le stratagème qu'ils ont imaginé le matin même.
15:20 Tandis qu'ils sont à Londres, Georges téléphone à des amis parisiens
15:23 qui vont eux-mêmes appeler vers minuit depuis Paris la grand-mère des deux enfants,
15:28 la mère de Mme Day, pour la rassurer en lui disant que Françoise et Géraldine
15:32 viennent d'arriver en France.
15:35 Pour le moment, elle dorme mais elle pourra les appeler dès demain matin vers 11h
15:39 chez leur mère, avenue Foch.
15:41 Mais Georges et elle ont été beaucoup plus loin encore dans leur stratagème.
15:45 En effet, pendant la nuit, c'est un jeu d'enfants pour la police de retrouver
15:48 le propriétaire de la voiture dont le concierge du collège a noté le numéro.
15:51 Aussi, à la première heure de la matinée, les inspecteurs se présentent-ils
15:55 à la société de location.
15:57 Mais Mme Day a donné comme adresse à Londres celle de ses amis anglais
16:00 qui ont la veille au soir pratiqué l'échange des voitures.
16:03 De sorte que la police retrouve celle-ci devant leur maison et fait irruption chez eux.
16:07 Ils reconnaissent l'effet sans difficulté mais pendant qu'ils s'expliquent,
16:11 le téléphone sonne.
16:13 Une femme décroche tandis qu'un policier prend l'écouteur.
16:16 « Bonjour ma chérie, dit une voix de femme.
16:18 Je voulais te rassurer, tout va bien, les enfants sont arrivés cette nuit. »
16:22 Et l'on raccroche.
16:25 À condition que la police anglaise tombe dans le piège,
16:28 ce qui n'est pas du tout certain.
16:30 Mme Day et Georges espèrent de cette façon mettre fin aux recherches.
16:34 Et avant de poursuivre cette histoire, nous allons marquer un petit temps d'arrêt.
16:44 Depuis le lever du jour, Mme Day à l'autre bout de Londres regarde le ciel,
16:48 du moins ce que l'on peut en voir à travers le brouillard.
16:51 Vers 9 heures, comme elle l'espérait, le soleil commence à percer.
16:55 Quelques minutes plus tard, Mme Day, Georges et les deux enfants repartent en voiture
17:00 en direction de Burnsmouth.
17:02 Le brouillard reste épais, puis ils commencent à se dissiper
17:05 juste comme ils arrivent à proximité de l'aéroport.
17:09 Là, sur le parking, tapis dans la voiture, ils attendent.
17:12 Mme Day fume cigarette sur cigarette, Georges explique aux deux enfants
17:16 ce qu'elles vont devoir faire.
17:18 Françoise, consciente du danger, écoute très sérieusement.
17:21 Tous trois essaient de conserver le sourire et même de plaisanter de temps en temps
17:25 pour ne pas affoler Géraldine, qui en profite pour vider une boîte de sucettes.
17:30 Enfin, à 11 heures, un petit poing apparaît au-dessus du terrain.
17:35 Il grandit, disparaît derrière la cime des bâtiments,
17:38 puis on entend ronfler son moteur et il réapparaît,
17:41 roulant sur le taxiway pour s'arrêter à l'endroit exactement prévu,
17:45 bien en vue de la voiture.
17:47 C'est un ravissant biche-craf, blanc et rouge, de quatre places,
17:51 le pilote au moustache rousse en descend, le plus sereinement du monde,
17:54 ses papiers de bord à la main.
17:56 Alors Mme Day, le cœur battant, sort de la voiture et marche à sa rencontre,
18:00 suivie de ses deux filles, qui jacassent et s'extasient sur l'avion
18:04 comme cela leur avait été conseillé.
18:06 Elle laisse bien entendu de côté le poste de douane et de police.
18:09 Le pilote les salue, les aide à monter à bord rapidement,
18:12 puis s'en va avec désinvolture, faire vérifier ses papiers par l'administration.
18:16 En principe, toute la scène s'est déroulée avec beaucoup de naturel,
18:20 et en même temps si vite que l'on peut espérer que personne n'aura rien remarqué.
18:24 Hélas, hélas, leur espoir va être déçu.
18:27 Quelques minutes plus tard, lorsque le pilote ressort du bâtiment administratif,
18:30 il est suivi de deux policiers et tous trois se dirigent vers l'appareil.
18:36 Mme D devient blême et elle dit à ses deux filles, qui se sont soudain figées,
18:40 « Allons sourier, parler comme s'il ne doit rien été ».
18:44 Le pilote glisse ses moustaches dans la cabine et dit à Mme D,
18:48 qui est assise sur l'un des sièges arrière, « Cachez-vous, ils n'ont vu que les enfants ».
18:53 Tandis que Mme D se recule brusquement, le pilote, avec une brutalité incompréhensible,
18:57 arrache une sucette des mains de Géraldine et fait descendre les deux enfants.
19:01 La scène qui suit est insupportable.
19:03 Un des policiers, qui s'intéresse à l'aviation et ne connaît pas ce type d'appareil,
19:07 américain et nouveau sur ce terrain anglais lorsque se déroule cette affaire,
19:11 tourne autour et s'approche même du cockpit pour observer le tableau de bord.
19:15 Quant à l'autre policier, il regarde les deux enfants que lui présente le pilote.
19:19 « Voici l'aîné », dit ce dernier, « He's there ». « Voici la plus jeune, Elisabeth ».
19:23 Le policier regarde le passeport du pilote, puis s'adresse à Géraldine.
19:27 « Vous en avez de la chance, Elisabeth, d'avoir un papa qui est dans l'aviation ? »
19:30 « Il vous emmène souvent ? »
19:32 Géraldine, qui ne comprend pas, regarde l'homme à la moustache, qui fait « oui » d'un signe de tête en souriant.
19:37 « Oui », répond Géraldine.
19:39 « Bon. Bon et bien bon voyage », dit le policier en rendant son passeport au pilote.
19:43 Pendant ce temps, l'autre policier, qui inspecte toujours avec émerveillement cet avion bijou,
19:47 découvre Mme D immobile sur son siège.
19:51 À tout hasard, celle-ci lui sourit.
19:55 Le policier s'incline et s'éloigne, comme s'il était brusquement conscient d'être indiscret.
19:59 Tandis que le pilote fait monter à nouveau les deux enfants dans l'avion,
20:02 le premier policier rejoint le second, convaincu que celui-ci vient de vérifier en même temps que les papiers du pilote et des enfants, celui de la femme.
20:10 Puis les deux policiers s'approchent, et le second découvre à son tour Mme D,
20:14 mais il ne dit rien, convaincu à son tour que son collègue a vérifié ses papiers.
20:19 Dans l'avion.
20:21 Inutile de vous dire que Mme D et ses deux filles n'emmènent pas l'arge.
20:25 Le pilote, malgré son flame, tout en fermant la portière, tout en manipulant les commandes,
20:30 il répète dans sa moustache à une mi-voix en chantonnant "Bloody, bloody, bloody, bloody"
20:35 sur l'air de... enfin bref, sur une musique absolument originale,
20:39 et que d'ailleurs Mme D ne cherche pas à reconnaître.
20:42 "Bloody" étant une expression anglaise qui veut dire à peu près "zut, zut, zut, zut, zut".
20:46 Comme les deux policiers lui font un petit signe amical avant de se détourner,
20:51 le pilote murmure aux enfants, visiblement terrifiés, blêmes de peur,
20:55 "Allez, saluez, souriez, allons, allons, allez, vous ne comprenez pas, petit monstre,
20:58 il fait beau, vous partez, toutes heureuses, passez le week-end en Écosse !"
21:02 Pendant que l'avion roule sur le taxiway vers la piste, le pilote dit à Mme D,
21:06 "Heureusement que vous n'êtes pas sortis, ils ont dû croire que vous étiez ma femme,
21:10 et ma femme, elle arrive tout juste à votre poitrine."
21:13 "Mais pour elle ?" demande Mme D, "comment avez-vous fait pour elle ?"
21:16 "En un coup de chance", répond le pilote, "un coup de chance phénoménal".
21:19 Mais il ne peut donner plus ample explication pour le moment,
21:22 car il dialogue avec la tour de contrôle.
21:24 "Ce n'est qu'en vol", qu'il s'explique, "il a lui-même deux filles,
21:27 hisseur, 19 ans, et Élisabeth, 15 ans, et elles figurent sur son passeport."
21:32 "Et ils ne les ont pas trouvées trop jeunes ?"
21:35 "Oh non, mais c'est pour ça que je lui ai arraché sa sucette !"
21:39 Et il sort de sa poche un paquet visqueux, où l'on reconnaît collé ensemble
21:43 un trou saut de clé, un mouchoir et une sucette.
21:47 Inutile de vous dire, chers amis, que Mme D ne voit rien,
21:50 ni le paysage qu'il survole, ni la côte anglaise, ni la Manche.
21:53 La première à retrouver complètement ses esprits, c'est Géraldine.
21:56 "Maman, il faut faire un vœu", dit-elle.
21:59 "Pourquoi ?" "Parce que c'est la première fois que je monte en avion."
22:03 Le reste du voyage se déroule sans incident,
22:06 et ce n'est que quelques jours plus tard que Mme D saura que malgré le stratagème
22:10 qu'ils avaient imaginé et si bien monté, la police anglaise n'avait pas donné l'ordre
22:14 de cesser la surveillance aux frontières. Cette nuit-là et toute la journée du lendemain,
22:18 la police a épluché l'identité de toutes les personnes qui ont quitté l'Angleterre
22:22 avec deux jeunes filles. Le pilote ne fut pas inquiété,
22:25 puisque la police ne sut avant plusieurs années comment s'était effectué
22:29 le transport des enfants. Quant aux amis anglais de Mme D,
22:32 bien qu'ils eussent pu être poursuivis pour complicité dans un rapt d'enfants,
22:36 la police ne donna aucune suite légale.
22:40 Peut-être qu'en étudiant l'affaire de plus près, le juge chargé de l'instruction
22:46 prit fait écause pour Mme D. En tout cas, il referma ce dossier extraordinaire
22:51 de la police sans autre forme de procès.
22:55 [Musique]
23:12 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar,
23:16 un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
23:21 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
23:25 Production, Sébastien Guyot. Direction artistique, Xavier Joli.
23:30 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
23:35 Remerciements à Roselyne Belmar.
23:38 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
23:43 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
23:47 sur votre plateforme d'écoute préférée.

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