Le monde du travail en crise [Anthony Hussenot]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Anthony Hussenot, Professeur à l'EUR Economie et Management de l'université Côte d’Azur, pour parler de la crise du monde du travail.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Anthony Snow.
00:09 Bonjour.
00:10 Anthony Snow, vous êtes professeur des universités, Université Côte d'Azur, co-auteur avec
00:15 Émilie Lanciano, Philippe Lorineau et Jonathan Sambugarro, d'un ouvrage aux éditions
00:21 de la presse universitaire de Laval, édition Hermann, "Pratiques de travail et dynamique
00:27 organisationnelle". On lit tous les jours, c'est ça le point d'origine de votre ouvrage,
00:33 j'ai reçu également vos co-auteurs, tous les jours que le monde du travail est en crise.
00:38 En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il est dans toutes les têtes, entre la retraite,
00:43 l'avenir du travail, l'ère de l'intelligence artificielle, etc. Finalement, si on devait
00:48 caractériser cette crise "du travail", qu'est-ce qu'on dirait ?
00:52 Je dirais que cette crise est plurielle, elle se manifeste de plusieurs façons. On voit
01:00 une augmentation du taux d'absentéisme, on voit un rejet de toutes les réformes liées
01:09 au travail, notamment la réforme des retraites qui était finalement aussi une réforme du
01:15 travail. On voit une partie importante des actifs qui veulent se reconvertir, une augmentation
01:22 des arrêts maladie. En somme, si on devait retenir un ordre de grandeur, c'est à peu
01:31 près un Français sur deux qui aujourd'hui n'est pas satisfait par sa vie professionnelle.
01:35 Ça en dit très long, ça nous fait penser à la quête des missions, mais évidemment,
01:40 c'est vraiment un symptôme très fort. Dans le monde du travail, concrètement, comment
01:44 ça se traduit, ces symptômes de mal-être au travail ?
01:47 Ça se traduit de façon… Il y a des traductions un peu classiques, traditionnelles. Il y a
01:55 des grèves, il y a des personnes qui vont démissionner, vous l'avez dit, il y a une
01:59 augmentation. Il n'y a pas cette grande démission dont on a parlé, mais en tout
02:03 cas, il y a une augmentation du nombre de démissions, ça c'est vrai. Il y a dans
02:07 certains secteurs, il y a des secteurs qui ont du mal à recruter, dû notamment au fait
02:12 des mauvaises conditions de travail. Ça, ce sont des traductions très concrètes.
02:17 Et puis aussi, aujourd'hui, on voit apparaître des comportements beaucoup plus radicaux.
02:21 Ce qu'on a appelé par exemple les bifurcateurs, des personnes qui refusent de jouer le jeu
02:28 du monde de l'entreprise et qui expérimentent de nouvelles pratiques, de nouvelles formes
02:34 de travail. Et puis, il y a celles et ceux les plus déçus du monde du travail qui décident
02:38 de quitter le monde du travail le plus tôt possible. Et on peut citer par exemple les
02:43 adeptes du mouvement FIRE, dont la méthode consiste à économiser le plus d'argent
02:50 possible, à investir cet argent pour ensuite vivre le plus tôt possible des rentes de
02:56 cet investissement.
02:57 Donc, quitter le monde du travail le plus tôt possible. Qu'est-ce que finalement,
03:04 ça nous apprend ces évolutions comportementales sur le travail ?
03:08 Alors, c'est difficile de tirer une leçon générale, mais il me semble que quand même,
03:15 on est en face d'un grand mouvement d'émancipation au travail. Je crois que c'est quelque chose
03:21 qui nous échappe en fait. Et que derrière ces crises, ce n'est pas uniquement des
03:26 revendications salariales, c'est avant tout des revendications d'ordre psychologique
03:32 et social. Il y a une envie, un désir d'émancipation d'une part grandissante de travailleurs.
03:43 Et je crois que cette question-là devrait être prise très au sérieux par les femmes
03:49 et les hommes politiques, mais aussi par les managers et les chefs d'entreprise.
03:54 Absolument. Finalement, c'est un appel à revoir toute l'organisation même du travail.
03:59 C'est ça qu'il faut avoir en tête, inventer de nouveaux modes d'organisation.
04:03 Oui, l'organisation classique du travail, je pense qu'elle a vécu, mais on voit une
04:07 tension. C'est le modèle de la machine.
04:09 Tout à fait. On voit qu'il y a une tension quand même. L'exemple du télétravail,
04:14 je me semble, est assez symptomatique de cette tension. D'un côté, on a des travailleurs
04:20 qui désirent rester en télétravail, qui veulent pouvoir conserver cette flexibilité,
04:29 cette autonomie gagnée à l'occasion de la pandémie de Covid-19. Et de l'autre côté,
04:34 on voit un certain nombre d'entreprises, de managers qui souhaitent le retour des salariés
04:40 au bureau. Et il y a une forte tension entre, d'un côté, des travailleurs qui souhaiteraient
04:46 voir émerger un nouveau modèle d'organisation du travail, et de l'autre côté, des managers
04:52 qui ont plutôt un réflexe qu'on pourrait qualifier de conservateur et qui souhaiteraient
04:56 revenir à l'organisation du travail classique.
04:59 Pratique de travail et dynamique organisationnelle, coordonnée par Anthony Hussnau. Merci Anthony
05:06 Hussnau, Emile Lanciano, Philippe Lorineau et Jonathan Sambugarro. Merci à vous.
05:10 Merci.
05:11 [Musique]

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