Comment faire de l'humour dans une langue étrangère ? La question qui par Maïa Mazaurette

  • l’année dernière
Alors que Yascha Mounk est confronté à la difficulté d'exprimer en français des idées complexes sur des mots barbares comme l'universalisme ou l'identité, Sebastian Marx a lui la tâche de faire rire - dans une autre langue que la sienne.
Américain de naissance, il a pris à dix-sept ans des cours de stand-up à Manhattan, et quelques années après avoir terminé ses études, il est tombé amoureux d’une française, et l'a suivi en France en 2004.
Mais même après avoir appris le français de base, comment déclencher les rires d'une salle dans une langue qui n'est pas la sienne ? Humour noir, sarcasme, quelles sont les spécificités du public français, qui a la réputation d'être le plus sévère ?

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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Fun
Transcript
00:00 *musique*
00:25 Faire l'humour dans une langue étrangère.
00:27 J'ai déjà mentionné cette information mais il se trouve que j'ai habité pendant 14 ans hors de France dans 3 pays différents, donc avec 3 humours différents.
00:34 L'humour allemand, qui est un peu l'humour de Schrödinger, on n'est pas vraiment sûrs.
00:37 *rires*
00:39 L'humour danois qui repose sur le sarcasme, vraiment très dur.
00:41 Et l'humour états-unien qui a l'avantage, soit les deux autres, de faire rire et même de faire rire au-delà de ses frontières.
00:47 Les américains exportent-ils leur humour parce qu'on est imbibé depuis l'enfance de la langue anglaise ?
00:52 Y mettent-ils plus de moyens ? Travaillent-ils plus leurs vannes ? Je sais pas.
00:56 Mais ça pourrait bien être le moment de cet édito où apparaît mon double maléfique, Maya Mazemour.
01:01 Oh my god !
01:03 Eh j'ai envie de la voir !
01:04 Non ! Faut que je perde un peu des cheveux peut-être.
01:07 Avec la globalisation des plateformes comme Netflix ou Amazon, l'humour américain pourrait écraser tous les autres.
01:12 Sauf qu'évidemment, ça marche pas comme ça.
01:14 Déjà parce que les Etats-Unis sont multiculturels donc y a pas d'humour national.
01:17 Et ensuite parce que la puissance de l'anglais n'affaiblit pas le français.
01:20 Notre cerveau a quand même de la place pour plusieurs langues.
01:22 Au pire, on deviendra bilingue, franchement ça va.
01:25 Et puis pour les autres, il restera toujours les sous-titres, les doublages ou les applis de traduction.
01:28 Ceci dit, comprendre l'humour est une chose.
01:31 Faire de l'humour en est une autre.
01:33 Quid des humoristes français qui voudront faire des carrières à l'international ?
01:36 Comme toi peut-être après les flics ?
01:37 Oui, vers la rue Luxembourg.
01:39 Exactement, tout à fait.
01:40 Quid des gens drôles en français qui deviennent sinistres dans une autre langue ?
01:44 Eh bien, je suis passée par là.
01:45 Donc sachez qu'avant de devenir volontairement drôle dans une langue étrangère, on est drôle involontairement.
01:49 C'est vrai !
01:50 Eh oui, je suis mariée depuis 9 ans avec un américain.
01:52 Et même après tout ce temps, je confonds les mots "menottes" et "bouchons de manchette"
01:56 "handcuffs" et "cufflinks".
01:58 Donc quand on cherche une télé chic pour aller à un mariage, je propose à mon mec d'enfiler des menottes.
02:02 De son côté, je n'oublierai jamais le jour où il a dit aux cavistes qu'il adorait le trottoir français.
02:06 Il voulait dire le terroir français.
02:08 C'est pas du déproche ni du faux-estime, mais quand même, ça rend le quotidien plus drôle.
02:12 Ou plutôt fun.
02:13 Mais aujourd'hui, pour enrichir cette réflexion, tu reçois Sébastien Marx.
02:17 Bonjour Sébastien Marx.
02:18 Bonjour.
02:19 "Hello" d'ailleurs.
02:20 "Hello".
02:21 Je voudrais juste préciser qu'on n'est pas frères, Yasha et moi.
02:23 Avec nos accents, avec la physique, les lunettes et tout ça, on n'est pas frères.
02:28 Effectivement, ce sont deux personnes différentes.
02:30 Et vous, vous êtes l'humoriste.
02:31 Vous avez commencé le stand-up à New York avant de tomber amoureux d'une française,
02:34 qui n'est donc pas moi.
02:35 Et puis, vous faites du stand-up ici en France, en français et en anglais.
02:39 Ça va, vous ne confondez jamais les deux en commençant les spectacles ?
02:42 Parfois.
02:43 Et surtout, j'ai l'impression que mon cerveau est limité.
02:46 Quand j'apprends un nouveau mot français, il y a forcément un mot anglophone qui disparaît.
02:51 J'ai l'impression que je ne parle aucune langue bien maintenant.
02:54 C'est officiel.
02:55 Comment vous définiriez l'humour français ?
02:57 C'est assez varié aussi.
02:59 Parce que vous avez dit que l'humour américain, le peuple américain est très varié.
03:04 Je trouve que même en France, c'est assez varié.
03:06 Donc c'est difficile à dire qu'il y ait un humour français.
03:09 L'humour parisien est plus drôle que l'humour breton ou pas ?
03:12 L'humour breton est le meilleur au monde.
03:16 L'humour breton, tu regardes des produits de Ferger.
03:19 Je me sens très menacé là.
03:21 En général, je trouve que la culture d'humour française, c'est plus vers le jeu d'acteur.
03:29 Tandis que l'humour américain est plus sur l'écriture d'une bonne blague.
03:33 Alors comment vous vous êtes intégré à l'humour français ?
03:35 J'essaie encore de m'intégrer.
03:38 Vous faites des spectacles, mais vous n'êtes pas complètement prêt ?
03:41 Je me sens toujours à l'écart.
03:44 C'est hallucinant, ça fait presque 20 ans que je suis là.
03:47 Je me sens toujours un peu à "fish out of water".
03:50 Un poisson hors l'eau.
03:52 Je parle toujours de ce décalage.
03:55 Mais moi, c'est avec beaucoup de boulot.
03:57 J'ai observé beaucoup la culture française et les français avant de commencer à créer des blagues là-dessus.
04:02 Et j'ai l'impression qu'il faut quand même bien connaître la culture dans laquelle on joue.
04:07 La langue dans laquelle on joue et la culture dans laquelle on observe.
04:11 Avant de faire des blagues.
04:14 Ça aide.
04:15 Vous avez passé combien de temps en France avant d'oser jouer en français ?
04:18 Quelques années.
04:20 Déjà, je parlais zéro français.
04:22 Donc j'ai appris que ça aide de parler la langue.
04:26 C'est mieux, sauf si on veut faire du mime.
04:29 Ça m'a pris quelques années, 3-4 ans.
04:33 J'ai tenté assez rapidement de jouer en français.
04:36 J'avais mon texte que j'ai appris phonétiquement.
04:39 On dirait un gamin de 7 ans qui récitait de la poésie devant sa classe.
04:44 C'était vraiment pourri.
04:46 Donc j'ai fait des blagues comme ça.
04:48 Évidemment, les gens ne rigolaient pas.
04:50 Mais aujourd'hui, ça va mieux.
04:52 Je suis beaucoup plus à l'aise.
04:54 Même si je fais de la faute tout le temps.
04:56 Mais j'ai appris à être détendu là-dessus.
05:00 Vous faites corriger vos textes par des français ?
05:02 Oui.
05:03 Pour le mot ou pour les fautes de grammaire ?
05:06 Pour notamment les fautes de grammaire.
05:08 Parce qu'il faut que ça soit compréhensible.
05:10 Parce que je peux faire des fautes à un tel point qu'on ne comprend pas la blague.
05:14 C'est mieux quand même d'avoir ma chérie qui est française.
05:18 Donc elle me corrige pas mal.
05:20 Et aussi parce qu'elle est drôle, elle rend.
05:22 Parfois, elle trouve une meilleure formulation.
05:25 Donc ça aide.
05:26 Ça aide quand même toujours d'avoir un œil français sur mon texte.
05:29 Mais parfois, il y a des choses que j'ai faites qui sont de l'impro, qui sortent de ma bouche.
05:34 Et parfois, c'est drôle. Encore plus drôle parce que c'est maladroit.
05:37 Nous, Sébastien, on se connaît depuis longtemps puisqu'on partage la scène depuis plus de dix ans.
05:41 Je vous ai vu jouer en français pour des français, en anglais pour des français, en anglais pour des américains.
05:46 Et ce qui est assez saisissant, c'est que vous n'avez pas du tout le même personnage sur scène.
05:50 En fonction de la langue que vous adoptez.
05:52 En français, il y a un petit côté enfantin.
05:55 C'est très mignon.
05:56 Alors qu'en anglais, vous avez un petit côté Marc Ruffalo.
05:58 Voilà, je vais le dire comme ça.
06:00 Non mais c'est vrai, vous êtes beaucoup plus adulte en anglais.
06:03 J'imagine parce que c'est la langue.
06:05 Est-ce que c'est frustrant pour vous ?
06:07 Oui, c'est frustrant.
06:08 Mais en fait, j'aime les deux.
06:10 Pour les deux raisons différentes.
06:12 Vous aimez vos deux personnalités ?
06:13 Oui.
06:14 Et malgré moi, ce n'est pas fait exprès.
06:15 J'ai l'impression que quand je joue en français, je rends visite à mon public.
06:19 Tandis que quand je joue en anglais, j'ai l'impression que c'est le public qui rend visite chez moi.
06:24 Partiellement parce qu'on n'est pas aux États-Unis.
06:26 Donc quand je joue en anglais en France, je sais que la moitié du public n'est pas forcément américain ou pas forcément anglophone.
06:33 Et donc du coup, j'ai l'impression que je maîtrise le sujet mieux qu'eux.
06:36 Tandis que quand je joue en français, c'est l'inverse.
06:39 Et malgré moi ou inconsciemment, ça me fait une autre posture sur scène.
06:46 Et quand vous jouez aux États-Unis par exemple, vous devez être complètement perdu ?
06:51 Complètement.
06:52 Là cet été, j'étais à New York, j'ai joué un peu, j'ai fait un spectacle franglais.
06:56 Parce que je n'étais pas sûr dans quelle langue il fallait jouer.
07:00 Parce que mon public était plutôt de français qui habitent à New York.
07:03 Mais en même temps, je voulais quand même avoir la touche française.
07:07 Mais en même temps, je savais que tout le monde dans la salle parlait anglais.
07:10 Donc c'était bizarre.
07:11 Et donc c'était bizarre pour moi de jouer en anglais pour le public français aux États-Unis.
07:16 Donc il y a plein de dimensions.
07:18 Et du coup aussi, ça joue sur l'humour.
07:20 Parce que là, on parle uniquement de la langue.
07:23 Mais après, il y a la culture qui n'est pas forcément pareille.
07:26 Et donc vraiment, il y a plein de couches qui rend mon boulot assez confortable.
07:30 Il n'y a quoi qui ne fait vraiment pas rire les français alors que vous pensez que vous feriez un carton avec la même blague aux États-Unis ?
07:35 Par exemple, j'ai une blague où je me moque de ma chérie française qui fume beaucoup.
07:39 Et je dis que...
07:41 C'est plutôt une blague que je fais uniquement en anglais.
07:43 Et je dis, parce qu'elle est française, elle ne fume pas vraiment, elle respire tout court.
07:48 Et ça va beaucoup mieux.
07:50 Parce que nous, on a le cliché que les français fument beaucoup.
07:53 Tandis que vous, vous avez l'impression que c'est plutôt les américains qui fument beaucoup.
07:57 Parce que vous avez vu le pub de Marlboro et tout ça, que vous pensez que tous les américains sont comme dans les films.
08:04 Tandis que nous, c'est vraiment vous qui fumez beaucoup.
08:07 Et donc voilà la blague tombe en place si on n'a pas ce cliché sur le français.
08:11 Vous avez peur de quoi ? De perdre quoi, vous, Yashamon, quand vous vous expliquez dans une autre langue que la vôtre ?
08:16 Une partie c'est de ne pas être exact.
08:20 Simplement si on parle de sujets un peu compliqués, on a toujours la peur qu'on va faire l'impression d'avoir une pensée plus simple que celle qu'elle est vraiment.
08:29 Mais la deuxième partie qu'évoque aussi Sébastien, c'est un peu la personnalité.
08:33 Parce qu'on change de personnalité en chaque langue dans laquelle on parle.
08:36 Et alors du coup, on peut apparaître à soi-même un peu étrange.
08:40 En un mot pour finir Sébastien Marx, est-ce que c'est vrai qu'on est le pire public du monde, nous les français ?
08:46 Les parisiens, oui.
08:49 Très bien, on en reste là-dessus. Merci beaucoup Sébastien Marx.
08:52 Votre spectacle "On est bien là" se joue actuellement et jusqu'au 30 décembre à la Comédie de Paris, puis en tournée partout en France.
08:59 C'est ça, merci.
09:01 Tchou-tchou !

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