Lorsque l'on pense à la cuisine du futur, les insectes et autres matières vivantes peu ragoutantes ne tardent pas à envahir notre imaginaire... Associé au chef étoilé Thierry Marx, notre invité du soir est passionné par une autre voie de la cuisine innovante : le "foodpairing" ! Il nous explique.
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 Si je vous demande, c'est que Maya aussi s'interroge sur ce qu'on mangera non pas en 2090, mais en 2050.
00:06 Et puis ce que ça fera de nous, puisque comme votre comparse Caroline Pouls le dit, dit nous sommes ce que nous mangeons.
00:11 D'où cette question aujourd'hui, Maya.
00:12 - Qu'est-ce qu'on mange à Noël en 2050 ?
00:14 - Ah oui ! Marine et moi, on a une opinion qui ne vaut pas franchement le coup d'être développée.
00:18 Si, si, toi tu as envie de dire quelque chose Marine.
00:21 - Ah bah oui, moi j'aimerais bien qu'on mange une raclette en 2050 à Noël, ou juste à Noël 2023, voilà un petit truc simple.
00:26 C'était mon émission des messages.
00:28 Voilà, moi je pense qu'on mangera des insectes, c'est ce qu'on n'arrête pas de nous dire.
00:31 Alors j'ai commencé à m'entraîner, je mange des fourmis dès que je peux.
00:33 Maya, quant à elle, notre utopiste de la cantine a une opinion très arrêtée sur le sujet.
00:37 C'est l'heure de la question de Maya Masorette, introduite aujourd'hui par Thomas Pesquet.
00:42 - C'est pas le Père Noël qui vous parle, je suis Thomas Pesquet.
00:50 À bord de la station spatiale, pour ce dîner, en entrée on aura de la langue de bœuf façon luculus,
00:57 du poulet au vin jauné au mori, du pain d'épices, pain d'épices aux pommes.
01:01 Joyeuse fête à tous !
01:03 - Qu'est-ce qu'on mange à Noël en 2050 ?
01:05 Cette question, moi j'ai envie d'y répondre en m'inspirant de l'imaginaire de la science-fiction.
01:09 Pilule de vitamine en entrée, sashimi de sirène élevé en laboratoire,
01:12 brochette de martien, sauce testostérone avec son filet de sauce B12,
01:16 gelée de criquet aux herbes qu'on fait passer avec une tranche de rêve.
01:19 Et en dessert, bien sûr, le plat signature, une météorite au chocolat qui vient s'écraser direct au milieu de notre assiette.
01:24 Bon, malheureusement, je ne suis pas sûre que les menus de 2050 soient à ce point stratosphériques.
01:28 Déjà, en ouvrant les journaux, j'ai l'impression qu'on est condamné à perdre certaines saveurs,
01:32 à cause de l'uniformisation des graines, de la protection des espèces animales,
01:35 du manque d'eau, de la remise en question du transport mondial des denrées alimentaires.
01:39 En 2050, pour les fêtes, j'aurais tendance à miser sur un dîner sobre, local, saisonni, probablement végétarien.
01:44 On sait aujourd'hui que pour lutter contre le réchauffement climatique, il faudrait commencer par renoncer à la viande.
01:48 Mais attention, ce Noël du futur, je ne le vois pas nécessairement comme une accumulation de restrictions.
01:52 Au contraire, il y a plein de trucs à découvrir ou redécouvrir.
01:55 Faux gras de champignons pour l'apéro, suprême d'algues de rivière, accompagnée de sa purée de légumes oubliés,
02:01 taux fourne d'or au Cynique garantit son polluant éternel et puis, bien sûr, la bûche vegan pour le côté traditionnel.
02:06 Alors là, je sais que j'ai perdu quand même pas mal d'auditeurs et d'auditrices qui ne sont vraiment pas prêts.
02:10 Mais si j'ai réussi à convaincre ma mère d'apprécier le faux gras à base d'amidon, de levure et d'huile de coco,
02:15 vraiment, je pense que tout le monde peut s'y mettre.
02:17 Cette année, je tenterai les toasts aux faux caviar à base de tapioca.
02:20 Pas besoin d'attendre 2050, le futur c'est déjà un peu maintenant.
02:23 - Et Maya, aujourd'hui pour remplir ton assiette, tu reçois Raphaël Aumont.
02:26 - Bonjour Raphaël Aumont. - Bonjour.
02:28 - Vous êtes chercheur en physique chimie des matériaux et professeur à l'université Paris-Saclay.
02:32 Vous avez créé avec Thierry Marx le Centre français d'innovation culinaire pour réfléchir sur la cuisine du futur.
02:37 Donc le gros cliché sur la cuisine du futur, c'est les criquets et les gélules.
02:40 - C'est un peu ce que vous venez de dire, oui.
02:42 - Est-ce que c'est ça qu'on mange à Noël en 2050 ? La bûche, gélules, criquets ?
02:45 - J'espère pas, parce que Noël c'est festif, c'est joyeux, la cuisine c'est un lien social.
02:50 Et d'ailleurs, Thomas a parlé, on a eu la chance de collaborer avec Thierry Marx
02:55 pour élaborer justement les plats qu'il vient de mentionner.
02:59 Et en fait, Thomas nous a demandé, pour l'ISS,
03:02 - Thomas Pesquet, je précise pour ceux qui nous voient aujourd'hui maintenant.
03:04 - Il nous a demandé, il appelle ça de la "comfort food".
03:06 C'est-à-dire qu'au quotidien, il mange des plats lyophilisés, comme les sportifs, c'est une vraie mission.
03:12 Mais il y a ce besoin presque vital, essentiel, de revenir aux sources, revenir aux fondamentaux,
03:17 partager des choses. Et ce lien social, c'est la cuisine.
03:20 Et vous voyez que Thomas est normand, il a demandé des choses très simples.
03:24 Une volaille au vin jaune, il adore les champignons, donc il fallait mettre des champignons.
03:27 Un pressé de pommes, etc.
03:30 Et pour revenir à votre question, du coup, avant tout à Noël, que ce soit en 2050, en 2090,
03:36 il faudra se faire plaisir entre nous.
03:38 C'est vrai qu'il y a des contraintes environnementales, mais il ne faut pas tomber non plus dans des travers ou dans des excès.
03:44 Il y a beaucoup de choses sur les plats, notamment vegan.
03:48 On se dit "tiens, c'est à la mode, c'est local, c'est vegan".
03:50 Alors on essaie de cocher toutes les cases, et puis un moment on regarde l'étiquette,
03:53 on se dit "ouh là là, au secours".
03:55 Parce que là, le joie gras, ou je ne sais pas comment il faut appeler ça,
03:58 - Le faux gras.
03:59 - Voilà, les faux gras, rien que le nom déjà au secours.
04:02 - Vous n'êtes pas fan de jeu de mots.
04:04 - C'est une attaque.
04:05 - Non, mais surtout pas fan des grosses étiquettes.
04:07 C'est-à-dire qu'on parle des produits ultra transformés aujourd'hui,
04:09 et on se rend compte que des fois, il y a des alternatives qui sont encore pires que la bonne solution.
04:13 Donc moi j'espère qu'il y aura en 2050 une bonne volaille à partager,
04:16 avec un éleveur qui vit et qui gagne enfin bien sa vie,
04:20 et par contre des associations de saveurs un peu inédites,
04:23 des choses amusantes mais raisonnées.
04:25 Et puis les outils aussi de cuisson, ça on pourra peut-être en reparler un jour,
04:28 mais là il y a beaucoup de travail à faire en termes d'énergie pour la planète.
04:31 - Oui, parce que vous, vous avez fait une bûche du futur via une machine à faire le vide.
04:34 - Voilà, c'est ça.
04:35 On s'amuse un petit peu, on sait.
04:37 Pour réfléchir sur les outils de demain, parce que vous parlez de,
04:39 je vous ai entendu depuis tout à l'heure, vous parlez beaucoup de l'eau,
04:41 et c'est vrai que le stress hydrique, ça c'est vraiment une grosse problématique.
04:44 Et on se rend compte qu'en cuisine, finalement, on cuisine comme au Moyen-Âge.
04:47 C'est-à-dire qu'on fait bouillir, et puis quand c'est à ébullition,
04:51 et bien on met tout dedans, et on gâche énormément d'eau.
04:53 Mais 2050, 2090, l'eau devient un ingrédient.
04:57 C'est presque dans la liste de course, il me faut aussi un litre d'eau, deux litres d'eau.
05:00 Et c'est vraiment le combat qu'on mène avec Thierry Marx de se dire,
05:03 mais arrêtons de cuire, par exemple, les haricots.
05:05 Vous savez, l'image classique, c'est qu'on prend la cocotte, on y va avec 20 litres d'eau,
05:09 on met la poignée de haricots dans l'eau, ça aboutit partout.
05:11 Après, il faut soi-disant deux kilos de glaçons pour fixer la couleur.
05:14 Mais c'est au secours.
05:16 Donc, repensons un peu, c'est quoi un légume ?
05:19 Un légume, c'est déjà 90% d'eau.
05:20 Est-ce qu'il a vraiment besoin de deux litres d'eau pour cuire ?
05:22 Donc, un tout petit peu d'eau bien maîtrisée.
05:24 Par contre, travaillons sur la casserole de demain, le four de demain, le siphon de demain,
05:29 pour vous parler de mayonnaise, très bien.
05:31 Comment agiter, comment créer une émulsion avec le moins d'énergie possible ?
05:35 Quand on travaille pour l'espace, on a la chance aujourd'hui encore de travailler pour l'ESA, pour le CNES, etc.
05:41 En fait, on essaie de faire une mousse au chocolat dans l'espace.
05:43 Ça paraît tout bête, mais il va y avoir des voyages sur la Lune, il va y avoir des voyages pour Mars.
05:48 Il va falloir cuisiner maintenant, c'est la mission future.
05:51 Et là, on se dit, mais il faut repenser tous les outils, toute l'énergie.
05:53 Comme vous, en fait.
05:54 C'est-à-dire qu'on se dit, ok, mais ça, ça va me prendre combien d'énergie ?
05:57 Ça va prendre combien d'eau ?
05:59 Et c'est génial, parce qu'on se rend compte que finalement, sur Terre, on gâche trop.
06:03 Il y a la question des outils, mais il y a aussi la question des saveurs.
06:05 Vous pensez qu'on peut les penser différemment ?
06:07 C'est intéressant de se dire qu'en fait...
06:09 Champignons et cerises, vous mettez ensemble, par exemple.
06:11 Par exemple, on n'est pas condamné à manger...
06:13 Vous regardez, le constat, il est assez terrible.
06:15 Vous allez dans un supermarché, vous regardez les yaourts.
06:17 Moi, je fais toujours ça comme expérience.
06:19 Je dis, alors, il y a quoi comme yaourts ?
06:20 Vous comptez sur le doigt de la main, en fait.
06:22 Poireau au chocolat, fruits rouges, fruits de la passion, vanille, pistache...
06:26 Oui, c'est vrai que c'est toujours pareil.
06:28 Et encore, pistache, ce n'est pas apprécié par tout le monde.
06:30 Mais par exemple, figue-café, exceptionnel, ça.
06:33 Cerise-champignon, pourquoi pas ?
06:35 Le champignon, est-ce qu'il est condamné ? C'est un légume.
06:37 Il pourrait aussi peut-être...
06:38 Vous dites qu'en fait, il faudrait penser les saveurs comme dans la parfumerie.
06:41 Voilà. Ça, c'est une mission qu'on a, de repenser en tant que chimiste.
06:44 En fait, on peut se dire, pourquoi, par exemple, mangue-passion, c'est bon en bouche ?
06:48 En fait, c'est parce que quand vous mangez une mangue, ou quand vous mangez un fruit de la passion,
06:52 vous partagez 50 molécules communes, en fait.
06:54 Et donc, ça excite les mêmes récepteurs, et donc, finalement, ça matche.
06:57 Et on fait comme ça, au laboratoire, une cartographie de tous les aliments.
07:01 Un peu comme un code d'art, si vous voulez.
07:03 Et en fait, plus il y a de points communs, plus on se dit, ah, mais ça devrait fonctionner.
07:06 Sauf qu'après, ça, c'est que le chimiste.
07:07 Il faut donner ça à un chef et dire, voilà, mais c'est des pistes.
07:10 Parce que quand on nous dit, aujourd'hui, il faut végétaliser l'assiette, très bien.
07:14 Mais quand on se retrouve devant son brocoli, sa courgette...
07:17 Ouais, mais j'ai pas d'idées, moi, comment je vais faire ça ?
07:20 Et là, effectivement, l'idée, c'est de proposer des associations un peu innovantes.
07:24 Brocoli, fruit de la passion...
07:25 Pour Noël, par exemple, vous, vous mettez la dinde avec la pâte de soja,
07:28 et le caviar avec la clémentine.
07:30 Par exemple, voilà.
07:31 Ça, c'est la chimie qui propose ça.
07:32 Alors après, il faut s'approprier.
07:34 Mais on n'est pas obligé d'aller chercher du caviar, des choses compliquées.
07:36 C'est-à-dire qu'on peut y mouvoir avec des choses simples.
07:38 C'est ça aussi, le partage.
07:39 Et Noël, c'est pas dépenser beaucoup d'argent en disant "Oh là là, j'ai mis du chapon, j'ai mis du caviar".
07:45 Je trouve qu'un vrai, un bon cuisinier, il doit y mouvoir avec des choses très simples.
07:49 Des œufs, de la sardine, des choses...
07:52 Un œuf bien cuit, c'est exceptionnel, en fait.
07:55 On se rend compte que les cartes des restaurants étoilés sur Paris ont tous un œuf à la carte.
07:59 On appelle ça l'œuf parfait.
08:00 Il est parfait pour le chef, pas pour tout ce que ce soit.
08:02 C'est ce que vous nous disiez, Quentin de Châtelperron, à propos du chef qui a fait vos menus à partir de rien.
08:07 C'est vrai que Nathan, il vient d'un restaurant étoilé et on lui a donné quelques ingrédients de base.
08:12 Et il nous a fait des trucs merveilleux.
08:14 C'est ça qui est exceptionnel.
08:15 Le chef qui va prendre la langoustine, qui va mettre, qui va à peine cuite, caviar dans une grande assiette à 120 euros.
08:21 Il y a zéro valeur ajoutée finalement.
08:23 Alors que, voilà, trouver la bonne mayonnaise, l'œuf bien cuit, même on a compliqué un peu la façon de cuire, c'est génial.
08:29 C'est parfait.
08:30 Moi, je suis prête à passer mon Noël avec vous dès demain sur la lune s'il le faut.
08:34 Merci beaucoup Raphaël Aumont.
08:36 Je rappelle que vous avez publié avec Thierry Marx un livre chez Duneau, "L'Atlas des saveurs" qui est sorti il y a un mois.
08:41 Un livre qui nous éclaire sur le potentiel de la chimie pour faire des associations inattendues entre les aliments.
08:46 Pour Noël.