La vulnérabilité de nos systèmes alimentaires trop dépendants des importations, c'est ce que tente d'investiguer Stéphane Linou, pionnier du mouvement Locavore.
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 "Moi je suis une partie des gens qui ont arrêté de regarder les reportages et les
00:04 documentaires sur la fabrication de l'alimentation parce que ça me dégoûte à elle donc je
00:07 ne la regarde pas.
00:08 Par exemple, vous voyez là, il y a des steaks végétaux qui existent et il y a des thèses
00:13 qui démontrent que les gens reconnaissent le goût de la viande.
00:16 Mais mon raisonnement à moi c'est que, étant donné qu'on mange de la viande de
00:19 merde, quand ensuite on mange de la merde, on est persuadé que c'est de la viande."
00:23 Bien manger, ça veut dire quoi ? Eh ben on sait plus trop.
00:27 "Moi j'ai grandi dans un monde où bien manger c'était 5 fruits et légumes par
00:30 jour, peu importe quels fruits et quels légumes.
00:32 On ne se posait ni la question des pesticides ni celle du transport.
00:35 Pour être bien dans mon corps et bien dans ma tête, les magazines me recommandaient
00:38 et me recommandent toujours le combo avocat-mangue.
00:41 Résultat, à 8h du matin, je me déplace péniblement de mon lit à ma cuisine.
00:45 Par contre, mon assiette a déjà fait 14 fois le tour du monde.
00:47 Et bien sûr, de mon temps qui est manifestement le temps des dinosaures, on ne se posait pas
00:51 toutes ces questions.
00:52 C'était le temps de l'innocence.
00:54 Une époque clairement révolue, puisque aujourd'hui, bien manger est un défi géopolitique face
00:57 auquel les meilleurs diplomates se cassent les dents.
00:59 Attendez, j'essaie de faire l'équation.
01:01 Bio, plus local, plus équitable, plus deux saisons, divisé par mon pouvoir d'achat,
01:05 moins les horaires d'ouverture du maraîcher de mon quartier, moins mon désir profond
01:09 qui est de manger un ramen.
01:10 Égal, égal, une sacrée galère.
01:13 Avant, manger bien, c'était pour son corps à soi.
01:15 Maintenant, manger bien, c'est pour le corps social et même pour le corps planétaire.
01:18 Ce qui veut dire que je ne peux plus séparer mon destin individuel de celui des cookies
01:22 que j'ai préparés ce matin, d'autant plus qu'entre temps, c'est cookies.
01:25 Je laisse les manger.
01:26 Allez, puisque c'est comme ça, je me mets au jeûne.
01:28 Bouillon pour tout le monde.
01:29 Tu adores le bouillon.
01:30 Maya, aujourd'hui, tu reçois Stéphane Linou.
01:32 Bonjour Stéphane Linou.
01:33 Bonjour.
01:34 Vous êtes expert associé au laboratoire sécurité des France du CNAM et vous étudiez
01:38 les pénuries alimentaires.
01:40 Avec vous, on va passer directement aux travaux pratiques.
01:42 Pour sensibiliser les gens à la question de la sécurité alimentaire, vous organisez
01:46 des stress tests qui simulent une rupture brutale d'approvisionnement alimentaire.
01:50 Est-ce que vous pouvez nous en faire un ?
01:51 À volonté.
01:52 Donc, bande de grenouilles.
01:54 Parce que jusqu'ici, tout va bien.
01:59 On est dans la situation où on est la grenouille de la casserole qui, petit à petit, depuis
02:06 une soixantaine d'années, voit l'eau se réchauffer, on est engourdi, tout va bien.
02:11 Mais on ne se rend pas compte qu'on va bientôt cramer.
02:14 Alors que si on plante, si on plonge de suite la grenouille de la casserole directement
02:18 au chaud, elle ne se rend compte que le chaud.
02:20 Donc vous dites que le stress test a déjà commencé depuis longtemps ?
02:24 Exactement.
02:25 On met la grenouille directement dans l'eau chaude.
02:26 Et là, imaginons qu'il y ait une cyberattaque venant d'Ukraine, comme je l'avais écrit
02:30 dans mon bouquet il y a 5 ans, sur les chaînes d'approvisionnement alimentaire.
02:33 Qu'est-ce qui se passerait ? Tout est bloqué.
02:35 Qu'est-ce que vous faites ? Qu'est-ce que vous voyez ? Première phase.
02:38 On dévalise la cantine, non ? On commence par ça ?
02:41 On achète pas mal de boîtes de conserve au supermarché.
02:43 Tout est bloqué.
02:44 Les magasins ne sont pas réacheminés, ils n'ont que deux jours de stock, vous le savez.
02:49 Alors on s'organise peut-être déjà pour faire la sécurité autour de ce qu'on a,
02:54 pour ne pas se faire voler par les voisins.
02:56 Pardon, je suis la pire personne.
02:57 Non, mais moi je serai dans ton équipe, donc vas-y, organise la sécurité.
03:01 J'organise la sécu.
03:03 On commence à faire des graines germées.
03:06 Ah, vous êtes rapide.
03:07 C'est moi la grosse des trois.
03:09 Ce n'est pas la maison de la radio, c'est la maison des radis.
03:12 Le truc, c'est qu'on ne peut pas de suite, du jour au lendemain et d'une heure à l'autre
03:16 produire de la nourriture.
03:17 Donc il faut à un moment donné et en amont prévenir, donc anticiper et essayer de voir
03:23 si on ne peut pas stocker, si on ne peut pas diversifier les productions autour, si on
03:27 ne peut pas non plus réapprendre à cuisiner.
03:30 Tout ce que l'on oublie à peu près depuis une centaine d'années.
03:32 Mais quand le stress test arrive, c'est déjà trop tard.
03:34 Ah oui, là c'est déjà trop tard.
03:36 Donc en fait, deuxième phase, qu'est-ce que vous faites en premier et de manière collective
03:41 si vous le pouvez ?
03:42 Nous on fait une émission, moi je crois qu'on lance un podcast.
03:45 Je pense qu'on réunit la nourriture qu'on a.
03:48 On quitte Paris, non ?
03:50 Peut-être qu'on s'en fuit, mais si on reste là, on réunit la nourriture, on se
03:54 la partage peut-être pour que ce soit à peu près juste entre nous.
03:56 Oui, on se donne des tours.
03:57 C'est pas mal, c'est pas mal, il y a l'esprit de solidarité.
03:59 On réinstalle la démocratie.
04:00 On vote pour tout.
04:02 D'accord, donc là vous vous rendez compte que vous n'avez pas pensé, vous n'avez
04:08 pas prévu.
04:09 Et là, admettons, tout revient à l'ordre comme d'habitude.
04:12 Qu'est-ce que vous imaginez qu'il faudrait faire à toutes les échelles, c'est-à-dire
04:16 communale, intercommunale, départementale, nationale, européenne ou autre, à toutes
04:20 les échelles, à court terme, à moyenne terme et à long terme, pour limiter les effets
04:26 du prochain coup ?
04:27 D'accord, donc il faudrait qu'on ait plus de réserve ?
04:30 On va commencer à faire des potagers.
04:31 On stocke.
04:32 On potage.
04:33 On fait en sorte d'avoir accès rapidement à ces potagers qui ne soient pas très loin
04:36 de nous par exemple ?
04:37 On diversifie, c'est ça que vous avez dit.
04:39 Et on a une solution d'organisation entre nous.
04:43 On a déjà un système quasiment politique entre nous, prêt quoi.
04:46 Et on protège les chats de Maya peut-être, qui seraient peut-être les premières victimes.
04:49 Et ton fils ?
04:50 Mon fils, personne ne le mange pas.
04:51 Mais s'il n'avait plus de croquettes, il serait déjà peut-être mort avant.
04:54 Non mais là, le truc, c'est que ce qui est extrêmement intéressant, ce n'est pas le
04:59 repli sur soi.
05:00 C'est tout simplement un retour au bon sens.
05:02 On a une autonomie alimentaire égale à 2% dans nos territoires.
05:06 C'est-à-dire que 98% de ce qui constitue nos assiettes vient d'autres régions ou
05:11 d'autres nations par les camions.
05:13 Donc entre les 2% actuels et l'autarcie qui serait de 100% que je ne promeuse pas,
05:20 de toute façon on n'y arriverait pas et ce n'est pas forcément souhaitable, et
05:23 bien là on a de la marge entre les 2% et les 100%.
05:26 C'est tout simplement un filet de sécurité alimentaire que nous pourrions collectivement
05:31 retisser et reconstruire.
05:33 C'est un peu comme quand Windows plante, on bascule en mode sans échec.
05:37 Il n'y a pas tout, ce n'est pas sexy, mais au moins l'essentiel fonctionne.
05:40 En fait, ce serait un mode dégradé alimentaire par territoire qui permettrait d'éviter
05:46 que l'on se tape dessus.
05:47 Parce que c'est tout simplement le plus vieux sujet du monde, le lien entre alimentation
05:51 et sécurité.
05:52 Hier, vous avez invité quelqu'un qui parlait du pain, qui était extrêmement politique.
05:56 Et oui, évidemment, c'était une question d'ordre public.
05:59 Donc pour moi, les pouvoirs publics devraient reprendre à bras le corps ce sur quoi ils
06:06 étaient attendus.
06:07 C'était un contrat social et on doit y revenir avec les agriculteurs qu'il faut
06:12 évidemment payer au juste prix.
06:14 Parce que c'est tout simplement et égoïstement une question de sécurité.
06:17 Payer au bon prix nos agriculteurs, c'est notre assurance vie dans nos territoires.
06:23 Il n'y a pas besoin de faire appel à des assureurs ou à des cabinets d'audit et de
06:28 contrôle pour ça, pour imaginer une résilience alimentaire des territoires.
06:32 Il faut que ça soit de manière publique, définie.
06:35 Donc en fait, le consommateur est coproducteur de sécurité collective avec les collectivités
06:41 locales.
06:42 Donc en fait, c'est tout simplement un retour du bon sens et pas de l'autarcie.
06:46 C'est vraiment pas ça.
06:47 Renaud Duterme, vous vouliez dire quelque chose.
06:48 Vous levez la main, c'est très mignon.
06:50 Je vous en remercie.
06:51 Les formations professionnelles, oui, j'adhère totalement à ce qui vient d'être dit.
06:53 Mais je veux juste rajouter aussi quelque chose d'important.
06:55 C'est que j'essaie aussi dans le bouquin d'analyser un peu les causes de ce manque
07:00 d'autonomie.
07:01 En fait, ça vient pas de nulle part.
07:02 Ça vient principalement de choix politiques, une certaine vision de la mondialisation essentiellement
07:05 libérale où on laisse les forces du marché décider de tout et où on marchandise tout.
07:09 Et donc si jamais, et où on met en concurrence surtout les agriculteurs et les travailleurs
07:13 du monde entier.
07:14 Donc arriver à ça, ça implique aussi des mesures, un changement radical de politique
07:18 avec du protectionnisme.
07:19 Alors pas un repli sur soi, mais en tout cas avec ou on protège.
07:22 - Le truc qui est vite aujourd'hui, c'est que 80%, si j'ai bien retenu votre livre,
07:26 80% des travailleurs saisonniers aujourd'hui en France sont des ambassadés ou sont des
07:30 immigrés qui sont payés.
07:31 - Dans certains domaines.
07:32 C'est pour ça que c'est ce que l'extrême droite oublie souvent.
07:33 C'est quand on veut fermer les frontières.
07:35 On peut voir avec le Brexit, on est en manque de travailleurs agricoles dans toute une série
07:37 et dans toute une série de domaines.
07:38 Mais donc ce qui est vraiment important, c'est qu'il faut se donner aussi les moyens de cette
07:42 autonomie.
07:43 Et ça, ça implique vraiment de basculer le rapport de force vers une autre vision un
07:45 peu de la société et de sortir de ce tout libéral, de réencastrer un petit peu l'économie.
07:51 Hier, Paul Magnette parlait de Karl Polanyi.
07:52 C'est un chercheur qui a écrit un livre célèbre et qui vise, voilà, il faut réencastrer
07:57 l'économie au sein de la société.
07:59 - Et on réencastre tout ça dans notre assiette à la fin.
08:02 Je vous remercie infiniment Stéphane Ninou.
08:04 Je rappelle que vous êtes expert associé au laboratoire sécurité-défense du CNAM.
08:08 Vous avez publié en 2019 un livre intitulé "Résilience alimentaire et sécurité nationale".
08:13 Merci à vous.