Loin des forêts tropicales et des grandes étendues dont la dégradation inquiète, les haies sont parmi les grandes oubliées de la protection de l'environnement, c'est en tout cas ce que défend l'autrice Sonia Feertchak dans son "Eloge des haies" qui propose
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 * Extrait de "Je hais les haies" de Jean-Luc Moulin *
00:23 Faut-il mettre le boxon dans le buisson ?
00:26 Dans un instant, avec notre invitée, on va parler de haies, ces clôtures végétales qui délimitent les champs et les jardins.
00:31 Et moi, personnellement, j'ai peu d'expérience des haies là où j'ai grandi.
00:35 Les espaces sont plutôt balisés par des nationales, des départementales et des lignes de chemin de fer.
00:39 Le seul buisson mal taillé qu'on y croise, c'est celui qui est entre les jambes des garçons.
00:43 - Oh, maïa ! - Et donc, à cause de mon manque de fréquentation du monde des haies,
00:47 je trouve les haies super flippantes, un peu comme des pochettes surprises de l'enfer.
00:51 Tu mets la main dedans, tu ne sais jamais si tu vas en ressortir avec des framboises, un oeuf de pigeon,
00:55 une épine dans l'index, une piqûre d'araignée ou le pénis d'un pervers, je ne sais pas.
00:59 Car la haie est une zone de danger. Elle n'obéit pas aux risques zéros ni aux normes européennes.
01:03 Elle est obscure, impénétrable, mal rangée, elle donne des crises d'angoisse à Marie Kondo et des sueurs froides aux bûcherons.
01:08 Alors, je vois bien qu'il y a dans la haie un potentiel extraordinaire qui ne demande qu'à être célébré.
01:12 Peut-être devrais-je profiter d'une sortie dans la nature pour mettre à l'épreuve mon côté flippé de la nature.
01:18 Peut-être devrais-je mettre un peu d'eau dans mon foin.
01:21 Grâce à notre invité du jour, peut-être vais-je enfin apprendre à dire "Va, je ne te haie point".
01:26 - Et ton invité Maya aujourd'hui, c'est Sonia Fertchak.
01:29 - Alors déjà, je rends hommage à César, la vanne "Va, je ne te haie point" est dans le livre de Sonia Fertchak.
01:36 Bonjour et bienvenue. Vous êtes autrice et vous venez de publier "Une éloge de la haie" chez Philosophie Magazine, éditeur.
01:45 Vous nous invitez avec ce livre à nous reconnecter au désordre végétal, particulièrement celui des haies.
01:50 - Alors je commence par le constat, en fait les haies disparaissent ?
01:54 - Oui, elles disparaissent, elles continuent de disparaître.
01:56 Depuis 1950, il y en a à peu près 70% en France qui ont disparu.
02:01 C'était un rapport du ministère de l'Agriculture en avril dernier qui a tiré la sonnette d'alarme.
02:06 - Mais qu'est-ce qui leur arrive à ces haies ?
02:08 - Alors, il y a eu dans les années 50-60 le remembrement.
02:11 C'est le fait de regrouper des champs séparés par des haies pour faire des grandes parcelles, pour laisser passer les tracteurs.
02:19 Il y a la crise de l'élevage dans les champs.
02:23 Tout ça qui a fait qu'il y a de moins en moins de haies.
02:26 - C'est grave ?
02:27 - C'est ultra grave, Maya. C'est un sujet dramatique.
02:30 - OK, ton enjeu ?
02:32 - C'est grave sur tous les plans.
02:34 C'est sociologiquement, la haie, c'était un terrain de rencontre, de chasse.
02:39 C'est biologiquement, du point de vue de la biodiversité, en premier lieu, on sait que c'est la haie.
02:46 C'est à la fois un garde-manger, une maison, un lieu de drague, un moyen de transport pour les animaux.
02:56 - Pour les humains aussi, parfois, bien sûr.
03:00 Qui ne se dit jamais "tiens".
03:02 - Donc c'est un milieu ultra riche en biodiversité.
03:06 Et ça protège aussi, ça retient l'eau.
03:09 C'est un sol extrêmement riche.
03:12 Donc tout ça fait que c'est vraiment grave qu'elles disparaissent.
03:16 - Mais pour nous, en tant qu'humains, on a l'impression d'un monde un peu grouillant, inhospitalier.
03:20 - Mais non, justement, grouillant.
03:22 Donc plein de vies, plein de surprises.
03:24 D'abord, on peut manger des baies délicieuses dans les haies.
03:28 On peut trouver des animaux incroyables.
03:30 Et c'est à la fois un écosystème qui...
03:34 Souvent, elles sont les oubliées du paysage.
03:36 C'est-à-dire qu'elles sont entre deux écosystèmes qui les annulent.
03:40 C'est-à-dire qu'entre une forêt, une rivière, entre une prairie et un jardin, et on les oublie.
03:45 Et du point de vue de la biodiversité, elles réunissent les qualités des deux écosystèmes.
03:50 En fait, ce n'est pas une séparation, c'est plus un trait d'union du point de vue de la biodiversité.
03:54 Ce sont aussi des corridors végétaux.
03:56 C'est-à-dire que ça permet aux animaux de se cacher, donc de se déplacer d'un point à un autre en toute sécurité.
04:02 Donc elles sont extrêmement importantes.
04:04 Et pleines de surprises.
04:05 C'est-à-dire qu'on peut admirer, oui, c'est vrai, le pénis d'un pervers.
04:10 - Oui, c'est une surprise, oui.
04:12 - Mais aussi des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches.
04:16 - Et à partir de ce trait d'union, alors vraiment biologique, vous, vous allez quasiment jusqu'à la métaphysique.
04:21 Parce que vous dites, c'est le point commun entre la nature et la culture, vous allez très loin.
04:25 - C'est-à-dire, en fait, ma réflexion, c'est que c'est un mur, comme disait Morel, mais un mur vivant.
04:31 Et ça change tout.
04:32 Parce que, du coup, je me suis intéressée à la limite.
04:35 Et il se trouve que la "et", elle est à la limite de plein de notions.
04:39 Intérieure, extérieure, évidemment, nature et culture.
04:44 C'est aussi...
04:47 - Entre la forêt et la prairie, entre le champ et le champ de voisins.
04:50 - Oui, alors ça, c'est au sens premier.
04:54 Mais c'est aussi l'intimité, dehors, le dehors, le dedans.
04:58 C'est la saleté et la propreté, c'est la toxicité.
05:03 C'est plein de notions comme ça qu'on peut interroger.
05:06 Parce qu'une "et", ça peut paraître sale, mais finalement, les champs au cordeau,
05:10 quand ils sont bourrés de pesticides, ça a l'air nickel.
05:14 Peut-être que ça grouille moins et ça vous effraie moins,
05:17 mais finalement, on se rend compte que c'est pas forcément bon pour la santé,
05:21 ni des insectes, ni des humains.
05:23 - Et là, vous avez parlé de mur, mais en lisant votre essai,
05:25 on s'est aperçu que ce mur, il est aussi trouble et un petit peu flou.
05:28 Par exemple, vous dites qu'on peut voir sans être vu, il y a un côté détective dans les "et".
05:33 - Oui, c'est une figure de la littérature, la "et".
05:36 Pour les détectives, les amants trompés, les indiscrets,
05:39 c'est à la fois pour se cacher et pour espionner sans être vu.
05:44 C'est aussi l'art et la science.
05:46 Il y a plein d'artistes qui ont représenté la "et".
05:49 Une des notions qui m'intéressait... - Jean-Luc, par exemple ?
05:51 - Non, non, non, non. C'est un non. - Elle a dit "artiste", monsieur.
05:56 - Et puis surtout, bon, je vais répliquer avec "boilette". Je ne sais pas...
06:02 - Non, non, non, on enchaîne. - Ce qui m'intéressait, c'est le hors-champ dans la "et".
06:08 Et les deux types de hors-champ. C'est-à-dire qu'à la fois, la "et" est littéralement hors du champ.
06:13 Au-delà de la "et", c'est le hors-champ. On peut continuer à en penser, il y a de l'herbe, etc.
06:17 Et ça, c'est le hors-champ, on va dire, tout simple, relatif, dit Gilles Deleuze.
06:21 Et le philosophe, il parle aussi d'un hors-champ absolu, qui est cette notion de surprise.
06:25 C'est-à-dire que mon imagination se met à travailler, j'entends un bruit,
06:28 parce que ce qu'il y a dans la "et", ça échappe à mes sens.
06:31 Il suffit de se balader avec un chien, un chat, ils voient, ils sentent des choses qui nous échappent complètement.
06:36 On ne maîtrise pas tout. Donc on ne maîtrise pas la nature.
06:39 J'ai bien aimé cette idée d'être humble, de redevenir un être parmi tous les êtres vivants.
06:47 Donc il y a tout ça dans la "et". Longer une "et", pour moi, c'est faire l'expérience illimitée du bord.
06:54 On est toujours au bord des notions.
06:56 - Et même au bord politique. - Et même au bord politique, effectivement.
07:00 Puisque la "et", historiquement, par exemple, l'Angleterre qui a conservé ses "et",
07:05 les a conservés parce qu'il y a eu ce mouvement des "enclosures",
07:09 qui consistait à cloisonner, donc à clôturer les communs,
07:15 les terrains qui étaient accessibles à tous pour les cultiver en tirer profit.
07:19 - Et ça c'est de droite ? - Et donc ça c'est plutôt de droite, les cloisonner et les rendre privés.
07:25 Mais, donc ça c'est du point de vue de la clôture, on peut dire que c'est plutôt une notion de droite,
07:29 mais du point de vue de l'écosystème, et le fait que la "et", elle échappe toujours au contrôle, elle pousse, c'est le désordre.
07:35 Et ça c'est plutôt une notion de gauche, et on l'a vu les zadistes.
07:38 C'est-à-dire, c'est un anthropologue, Charles Stépanoff, qui dit,
07:42 si vous voulez voir le bocage intact depuis 50 ans, allez à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes,
07:47 parce qu'on n'y a pas touché, étant donné tout ce qui s'y est passé.
07:50 Donc elle est à la fois de droite et de gauche.
07:52 - Quand elle est entre les deux, exactement, elle est mutualisée, c'est un espace qui appartient à tout le monde ?
07:56 - C'est un espace qui appartient à tout le monde, alors par exemple ça peut créer des problèmes entre deux voisins.
08:01 Mais c'est vrai que, historiquement, la "et", c'est l'endroit où on passe dans l'autre monde,
08:07 c'est un endroit pour les sorcières aussi, c'est un endroit enchanté.
08:11 Et là, je crois que je me retrouve dans l'univers de Marion Fayolle,
08:18 c'est-à-dire qu'il y a des fées, il y a des sorcières,
08:20 il y a une étymologie commune de la "ag", la "et", de la sorcière dans plein de pays.
08:27 Les sorcières étaient censées y prélever des bâtons pour leur balai.
08:32 Et il y a cette idée de franchir la petite échelle, l'échalat, et passer dans un monde.
08:38 Ce n'est pas anodin de franchir l'échalat, il y a plein de créatures magiques dans la "et".
08:43 - Eh bien, on en reste un petit peu sur cette idée de magie, de poésie, de politique, de métaphysique.
08:48 Pour en savoir plus, je rappelle le titre de votre essai foisonnant, "Éloge de la "et",
08:53 chez Philosophie Magazine, éditeur. Et merci infiniment Sonia Farchak.