Francis Nachbar : "Il fallait, pour que Fourniret nous aide, se montrer au moins aussi intelligent que lui"

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Francis Nachbar, magistrat, est l'invité de l'interview de 9h20 de Léa Salamé ce lundi 27 novembre. Il était procureur général dans les Ardennes lors de l'Affaire Fourniret-Olivier,une expérience qu'il raconte dans un livre, "Ma rencontre avec le mal" aux éditions Mareuil. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-27-novembre-2023-8577601
Transcript
00:00 Ce matin, vous recevez un magistrat.
00:02 Bonjour Francis Naguibar.
00:04 Bonjour.
00:05 Merci d'être avec nous ce matin.
00:06 François Mitterrand disait que la plus grande qualité d'un homme politique, d'un homme
00:09 d'État, c'était la capacité d'indifférence.
00:11 Quelle est, à vos yeux, la plus grande qualité d'un magistrat ?
00:15 C'est une bonne question.
00:17 Je ne répondrai pas spontanément la capacité d'indifférence.
00:21 Pour moi, il y a au moins deux grandes qualités pour un magistrat, à mon sens naturellement.
00:26 C'est d'une part l'humain, avoir le sens de l'humain, et puis avoir du bon sens.
00:32 Et puis naturellement avoir des compétences juridiques, ça va de soi.
00:35 Je vous ai cité Mitterrand, je vais vous citer Sénèque maintenant qui disait "le
00:38 bon juge condamne le crime sans haïr le criminel".
00:42 Était-ce seulement possible de ne pas haïr le pire tueur en série de ces dernières
00:47 années, celui qui disait de lui-même "je suis bien pire que Marc Dutroux".
00:50 Était-il possible pour vous, qui avez été l'avocat général dans le procès Fourniret,
00:57 était-il seulement possible de ne pas le haïr ?
01:00 Oui, on ne doit pas haïr un accusé, un condamné, un criminel, même un couple assassin tueur
01:09 en série, ce qui ne s'était jamais vu dans l'histoire judiciaire française.
01:12 J'espère que ça ne se reverra plus jamais.
01:14 On ne doit pas les haïr, on ne doit pas avoir un sentiment de haine.
01:17 Vous êtes magistrat Francis Naguibar, retraité depuis peu dans votre Bretagne.
01:20 D'ailleurs le livre dont vous venez nous parler ce matin se termine sur le coucher
01:24 de soleil en Bretagne.
01:25 Vous avez donc été l'avocat général au procès du couple le plus célèbre de tueurs
01:28 en série français, Michel Fourniret et son épouse Monique Olivier, qui ont avoué 11
01:33 meurtres de fillettes et de jeunes femmes violées, séquestrées et tuées.
01:36 Et sont soupçonnées d'au moins, dans au moins 21 autres affaires de disparition.
01:41 Vous pensez qu'il y en a plus ? Le procès Fourniret c'était il y a 15 ans.
01:44 Vous aviez obtenu la perpétuité incompressible alors que s'ouvre demain le procès de Monique
01:48 Olivier devant la cour d'assises de Nanterre.
01:50 Vous sortez ce livre « Ma rencontre avec le mal » Michel Fourniret et Monique Olivier
01:55 chez Mareuil Éditions.
01:56 Vous racontez combien ces dizaines et dizaines d'heures d'interrogatoire face à la figure
02:00 du mal selon vous, combien elles vous ont hanté, combien elles vous ont traumatisé.
02:04 D'ailleurs c'est Michel Fourniret qui vous donnera cet avertissement prémonitoire
02:08 lors de votre première rencontre, le 3 juillet 2004.
02:10 Il vous dit « personne ne sortira indemne de l'affaire Fourniret, pas même vous Monsieur
02:15 le procureur ».
02:16 Oui c'est exact, c'est la première fois qu'on se voyait et c'est la deuxième
02:19 phrase qu'il prononçait après m'avoir dit bonjour.
02:21 Il m'a dit effectivement « vous savez Monsieur le procureur, vous avez l'air équilibré
02:26 et volontaire mais personne ne sortira indemne de l'affaire Fourniret, pas même vous
02:30 Monsieur le procureur ».
02:31 J'ai mis ça sur le compte de sa mégalomanie un peu pathologique que l'on m'avait décrite
02:40 dans un premier temps et puis assez rapidement je me suis aperçu qu'il avait raison et
02:44 je n'en suis pas sorti indemne, ceci étant le traumatisme que j'ai pu vivre et je
02:49 ne le cache pas, il n'est rien par rapport à la douleur extrême définitive, perpétuelle
02:56 des familles des victimes.
02:57 Vous écrivez « je suis hélas l'un de ceux qui ont le plus connu Fourniret, pendant
03:06 ces quatre longues années j'ai volontairement pactisé avec le monstre, je l'ai toujours
03:10 écouté, feignant de montrer de l'intérêt pour ses délires mégalomaniaques, je l'ai
03:15 parfois rudoyé, souvent flatté, prenant garde de ne pénétrer si peu soit-il dans
03:19 ce cerveau malade.
03:20 Il fallait cela, il fallait de cela pour qu'il parle, il fallait le traiter comme on dit,
03:25 pour qu'il fasse des aveux, pour qu'il vous dise où se cachaient les corps, où
03:28 il les avait enterrés.
03:29 Oui incontestablement, pour qu'il donne des pistes avec toujours des erreurs, des
03:33 choses trapes, des fausses indications, des mensonges parce qu'il fallait selon sa
03:38 propre expression pour qu'il nous aide et il nous a aidé, il nous a aidé, il fallait
03:43 se montrer au moins aussi intelligent que lui.
03:46 C'est ce qu'il vous a demandé, vous avez intérêt à être au moins aussi intelligent
03:49 que moi.
03:50 C'était impossible parce que c'était l'homme le plus intelligent du monde, donc
03:51 il fallait se montrer presque aussi intelligent.
03:53 A ses yeux, il pensait vraiment qu'il était l'homme le plus intelligent du monde.
03:56 Il était d'une mégalomanie que vous ne soupçonnez pas.
03:58 D'une prétention folle.
04:00 Complètement.
04:01 Alors que vous-même vous dites, vous pensez que sa femme Monique Olivier était plus intelligente
04:05 qu'elle, plus intelligente que lui.
04:06 Elle est plus intelligente que lui, je ne suis pas le seul à le dire, même si aujourd'hui
04:09 certaines expertises tendraient à démontrer, enfin à démontrer, ce n'est pas une science
04:13 exacte, loin de là, l'établissement d'un QI, mais oui, le dossier, tout dans le dossier
04:20 indique qu'elle est plus intelligente que lui, les plus grands psychiatres, les plus
04:22 grands psychologues français l'ont également dit.
04:25 Je vais revenir à elle, mais vous, vous dites, vous vous surprenez de pouvoir être d'une
04:29 aussi grande froideur face aux horreurs commises qu'il vous énonçait avec une perversité
04:34 effrayante.
04:35 Vous parlez d'un état d'édoublement de vous-même, en fait.
04:39 Vous l'écoutez, vous l'encouragez à parler et vous êtes froid face à des descriptions
04:43 qui sont abominables de ce qu'il a fait à ces jeunes filles.
04:46 Parce qu'il faut rappeler quand même, pour ceux qui ne sont pas au fait, qu'il chassait
04:49 les jeunes filles, les toutes jeunes filles, parce qu'il était fasciné par les vierges,
04:53 qu'il voulait absolument violer des vierges.
04:55 Et il vous raconte comment méthodiquement il les chassait, il les prenait, il les ligotait,
04:59 il les violait et puis les tuait.
05:00 Et il les tuait très souvent en les étouffant dans des sacs plastiques transparents pour
05:06 voir la métamorphose physique de leur visage.
05:09 C'est absolument abominable.
05:10 Et moi, il me décrivait pendant très longtemps toutes ces métamorphoses, mais dans le menu
05:14 détail.
05:15 Je me garde bien naturellement de l'écrire dans mon livre.
05:18 Mais il fallait effectivement ne montrer aucun sentiment, aucun sentiment de dégoût.
05:23 Parce qu'il m'inspirait du dégoût au fond de moi-même, une forte répulsion.
05:27 Mais ne montrer aucun sentiment de dégoût, de répulsion ou de faiblesse.
05:32 Tout ça serait apparu, ou d'émotion, ça serait apparu comme des faiblesses à ses
05:36 yeux.
05:37 Et là, il fallait ensuite remonter la pente, reparter pour plusieurs mois.
05:41 Donc il fallait effectivement écouter ça froidement.
05:44 Et écouter ça froidement et jouer avec vos nerfs.
05:47 Il savait vous manipuler.
05:48 À un moment où vous allez découvrir, il avoue où il a enterré le corps d'une des
05:52 jeunes filles, Jeanne-Marie.
05:54 Vous allez sur place et là vous lui dites à Fourniret, le père de cette enfant va
06:02 enfin pouvoir donner une sépulture à sa fille.
06:04 Et il vous répond, ah oui, vous avez raison monsieur le procureur, c'est important
06:07 pour les familles des victimes.
06:08 Cette scène est assez difficile à visualiser.
06:10 Rendez-vous compte cette jeune fille à l'âge de la vôtre.
06:12 Absolument.
06:13 Et il le dit là, c'est le premier jour où on se rencontre.
06:16 Il ne me connaît pas vraiment, il a un peu flatté que je lui parle de manière normale,
06:21 presque cordiale j'allais dire, entre guillemets.
06:23 Et là effectivement, il me fait cette phrase terrible, uniquement pour me tester, pour
06:26 voir si j'allais me mettre en colère, si j'allais marquer une émotion, un sentiment
06:31 quelconque.
06:32 Et là vous ne dites rien.
06:33 Vous gardez toujours cette froideur.
06:35 Je réussis à garder mon calme, je tourne les talons et je tiens le même discours à
06:39 Monique Olivier, dans l'espoir qu'il nous aide à retrouver le corps d'autres victimes
06:45 enterrées dans le parc.
06:46 C'était ça votre obsession.
06:47 C'était mon obsession.
06:48 À l'issue de ces heures et de ces heures, des dizaines et des dizaines d'heures où
06:52 vous avez affronté Michel Fournier et vous en concluez d'ailleurs que contrairement
06:55 à ce qu'il disait, il prenait plus de plaisir à tuer qu'à violer.
06:59 Mais bien sûr, ce mythe de la virginité, c'est un mythe.
07:03 C'est une espèce d'alibi pseudo-intellectuel.
07:07 Parce qu'il ne se comparera jamais aux autres tueurs en série, les Hommes, les Chanas,
07:12 les Allègres, les Guigeots, jamais.
07:14 Parce que eux ce sont des tueurs en série physiques, sexuels.
07:16 Lui, c'est un tueur en série intellectuel.
07:19 Dans cette quête de la virginité.
07:22 Mais c'est totalement faux.
07:25 C'est totalement artificiel.
07:26 Ça fait partie du personnage.
07:28 Monique Olivier, le procès pour complicité démarre demain aux Assises de Nanterre.
07:33 Elle a été sa complice.
07:35 Elle l'a aidée à repérer les jeunes filles.
07:36 Elle l'a aidée à attirer ces jeunes filles, à les violer, à les tuer.
07:40 Parfois, vous parlez d'une femme très intelligente, vous nous l'avez dit, d'une grande menteuse
07:43 aussi.
07:44 Les scènes d'interrogatoire de Monique Olivier que vous décrivez dans le livre sont assez
07:49 fascinantes où vous montrez combien elle met des heures à répondre.
07:53 Elle joue, elle ment.
07:55 Et puis soudainement, à la fin de l'interrogatoire, quand vous lui parlez d'autre chose, elle
08:00 parle comme une personne totalement normale.
08:02 C'était très difficile à percer.
08:04 Peut-être encore plus que la personnalité fournirait celle de Monique Olivier.
08:07 Elle est beaucoup plus difficile.
08:08 Et les psychiatres et les psychologues qui l'ont analysée partagent mon point de vue.
08:12 Elle est beaucoup plus difficile, effectivement, à cerner sur le plan psychologique et psychiatrique
08:17 que Monique Olivier parce que c'est très insidieux, c'est très sournois.
08:20 Il y a une duplicité absolument délirante chez cette femme où, comme vous le disiez,
08:25 effectivement, elle a cette attitude de cinq pages de procès verbal, onze à douze heures
08:32 d'interrogatoire.
08:33 Ce qui n'est rien.
08:34 Ce qui n'est rien.
08:35 Parce que, en général, quand vous interrogez quelqu'un pendant onze heures, il est gros
08:37 le PG.
08:38 Bien sûr, ça fait des dizaines de pages.
08:41 Mais là, non, c'est rien.
08:43 C'est des silences de 15, 20, 30 minutes.
08:45 Et cette interrogatoire terminée, elle redevient… on peut discuter avec elle comme vous et moi.
08:51 Elle a une conversation tout à fait normale et elle plaisante sur ses conditions de détention.
08:54 On se compare à Mireille Martin, la femme de Dutroux, se considérant comme mieux qu'elle.
09:00 Il y a une duplicité terrible et puis elle se victimise en permanence.
09:03 Et d'ailleurs, elle vous a accusé de l'avoir frappé.
09:05 Oui, absolument.
09:06 Elle vous a accusé de l'avoir frappé en Belgique devant des enquêteurs belges, devant
09:09 des enquêteurs français.
09:10 Alors, une fois, ce sont des claques.
09:13 Ils lui ont fait perdre l'audition.
09:14 Une expertise unique.
09:15 Elle, naturellement, elle n'a jamais perdu un degré d'audition.
09:19 Une fois, ce sont des coups de coude dans le sternum ou des grands coups derrière la
09:23 tête.
09:24 Des choses complètement déliantes.
09:25 Et vous vous dites « je l'ai juste un petit peu, je lui ai mis la main sur l'épaule
09:27 un moment, totalement ».
09:28 Oui, je lui ai mis la main sur l'épaule à deux reprises, en la second légèrement.
09:29 Elle a fait la même chose avec la section des recherches d'Agin, qui était également
09:33 présente pour la petite Marion Wagon et puis pour des tas d'autres personnes.
09:37 Vous dites que jamais, malgré les supplications des jeunes filles, jamais elle ne laissera
09:41 aucune d'elles s'échapper.
09:42 Elle n'aura pitié d'aucune de ces jeunes filles.
09:45 Contrairement à la femme dans Le Petit Poucet qui laissera s'échapper quelques gamins,
09:49 elle, non.
09:50 Non.
09:51 Aucune.
09:52 Tout à fait.
09:53 C'est pour ça, ce n'est pas seulement, puisque vous prenez l'exemple du Petit Poucet,
09:55 ce n'est pas la femme de l'ogre, c'est l'ogresse.
09:57 C'est l'ogre et l'ogresse.
09:58 Qu'est-ce que vous pensez ? En cela, il y a des experts du procès, des experts psychologiques
10:04 qui estiment qu'elle était soumise à son mari, qu'elle n'était pas si intelligente
10:07 que ça, etc. qu'elle était l'arme de son mari mais qu'elle n'avait pas de cerveau.
10:12 Pour vous, c'est elle, au fond, le cerveau du couple.
10:14 Oui, elle est plus intelligente que lui.
10:16 Ces expertises que vous citez sont des experts belges, qui sont des experts tout à fait
10:21 sérieux, naturellement.
10:22 Ce n'est pas une science exacte.
10:24 Elle est tellement compliquée à cerner qu'elle peut effectivement manipuler aussi des experts.
10:28 Qu'est-ce que vous attendez de ce procès de Monique Olivier qui commence demain aux
10:31 Assises de Nanterre ? Est-ce que vous en attendez quelque chose ? Vous êtes cité comme témoin.
10:35 Est-ce qu'on saura un jour combien de victimes ont perdu la vie ? Parce que vous dites qu'il
10:39 y en a beaucoup plus que ce qu'on sait.
10:40 Oui, je ne suis pas le seul à le dire.
10:42 Malheureusement, Fourniré lui-même me l'avait dit.
10:44 Vous savez, M. le procureur, moi, quand je partais à la chasse, c'était son expression.
10:47 Il était rarissime que je ne ramène rien.
10:50 C'était deux fois par an, à peu près.
10:51 C'était ou un faisan ou un garène.
10:53 C'est comme ça qu'il parlait de ces jeunes filles.
10:55 Il y avait un mépris vis-à-vis de ces jeunes filles.
10:58 On a été plusieurs à penser qu'il y en avait encore 15 ou 20 à identifier.
11:05 Peut-être plus si on voit le documentaire.
11:08 Moi, je ne connais plus Monique Olivier depuis 2008.
11:12 Donc, ce que je vais vous dire, c'est très subjectif.
11:15 C'est mon simple sentiment personnel.
11:17 Ça vaut ce que ça vaut.
11:18 Moi, je n'attends rien.
11:19 Je pense qu'elle est tellement enquistée dans sa méchanceté, dans sa perversité,
11:22 dans sa duplicité.
11:23 Moi, je crains fort et j'espère 10 000 fois me tromper qu'elle ne se contente d'avouer
11:28 du bout des lèvres de confirmer ses aveux qu'elle a fait devant Madame Kyris, la juge
11:32 d'instruction.
11:33 Je le crains.
11:34 - Francis Naguibar, vous reproduisez dans ce livre qui est passionnant.
11:36 Je l'ai lu hier soir.
11:38 Je n'aurais pas dû le lire en soirée.
11:39 Mais il est passionnant.
11:40 Vous avez ces mots très durs qui vous rappelent les mots pendant le procès.
11:45 Des mots très durs que vous avez prononcés, qui vous ont parfois été reprochés.
11:49 Vous avez déclaré, mesdames et messieurs les jurés, nous sommes en présence de deux
11:51 êtres monstrueux de cruauté et de méchanceté.
11:54 Nous sommes dans les tréfonds de l'inhumanité, dans les abysses de la perversité, dans les
11:58 ténèbres du mal.
11:59 Je ne sais pas si le diable existe.
12:01 Je ne le sais pas.
12:02 Mais ce que je sais, ce dont je suis convaincue, c'est que s'il existe, c'est un diable
12:06 à deux visages.
12:07 Quand vous dites « ma rencontre avec le mal », quand vous parlez du diable, vous
12:11 moralisez les choses.
12:12 Vous parlez du bien et du mal.
12:14 Ils sont la figure du mal.
12:15 Or la justice, ce n'est pas la morale.
12:18 La justice, ce sont les faits.
12:19 Est-ce que vous outrepassez votre rôle là en parlant de morale ?
12:23 C'est possible, vous avez raison.
12:25 La justice, naturellement, ce n'est pas la morale.
12:27 Mais ce n'est pas parce qu'on est magistrat qu'on ne doit pas faire état de ses émotions.
12:33 Et mes émotions, dans cette affaire, ont été particulièrement importantes.
12:37 Et donc, quand je dis qu'effectivement c'est le mal, le mal absolu, le mal total,
12:41 je parle du couple, du couple assassin.
12:42 Les psychiatres ont dit la même chose.
12:46 Quand le Dr Zaguri, l'expert psychiatre qui a expertisé les plus grands criminels
12:50 en série français, il dit, de Michel Fourniret, mais moi j'y inclue Monique Olivier, mais
12:55 de Michel Fourniret, il dit « il éradique le genre humain ». C'est très fort comme
12:59 terme pour un psychiatre tout de même.
13:02 Et effectivement, chez certains accusés, même des criminels en série, on aperçoit
13:06 à un moment donné ou à un autre, un peu une part d'humanité quand ils parlent de
13:12 leurs enfants, de leur famille.
13:13 Et là, non.
13:14 Là, rien.
13:15 Même quand ils parlent de leur fils, parce qu'ils ont un fils, il n'y avait même
13:18 pas d'humanité quand ils évoquaient leur fils.
13:20 Y'a rien, y compris pour Monique Olivier qui est sa mère, tout de même, qui l'a
13:23 porté.
13:24 Y'a rien.
13:25 Mais comment on en arrive là ? Vous qui en avez vu d'autres, des criminels, des
13:27 tueurs, monsieur le procureur, vous en avez vu d'autres.
13:31 Oui, j'en ai vu d'autres.
13:32 Comment on en arrive à ce degré d'inhumanité là ?
13:35 J'en sais rien.
13:36 Vous avez écrit ce livre-là, vous ne répondez pas à la question.
13:38 Non, parce que je l'ignore.
13:40 C'est malheureusement ce que je crois.
13:42 Y'a une expertise, c'est une idée très judicieuse des juges d'instruction, Anne
13:47 Devigne et Pascal Probert, y'a une expertise du couple, en plus de leur expertise individuelle.
13:51 Et je crois qu'il y a un début d'explication à savoir qu'ils ont réussi, dans leurs
13:55 fantasmes les plus, en se servant, en se dominant totalement et réciproquement, ils ont réussi
14:01 à créer, y'a un engrainement des deux psychismes de chacun, de Fourniret et de Bonnick.
14:06 C'est la rencontre du mal et du mal.
14:07 Ils ont créé un être psychique à lui seul, extrêmement pervers et extrêmement
14:13 cruel et assassin.
14:14 Vous ouvrez le livre avec cette citation de Romain Garry, "Souviens-toi plus tard
14:18 quand tu seras grand que les monstres les plus redoutables sont invisibles, c'est
14:22 justement ce qui les rend si dangereux, il faut apprendre à les flairer."
14:25 Vous avez appris toutes ces années à les flairer ?
14:28 C'est surtout à destination des parents, des parents d'enfants.
14:34 Parce que tout le monde apprend à ses enfants de ne pas suivre un monsieur, de ne pas accepter
14:40 de bonbons, évidemment de ne pas monter en voiture avec quelqu'un qu'on ne connaît
14:43 pas.
14:44 On ne pense jamais à faire la même mise en garde vis-à-vis d'une femme et encore
14:50 moins d'un couple, de surcroît quand ils ont un petit bébé dans le couffin derrière.
14:54 Et donc c'est en cela que ces monstres-là sont invisibles, il faut apprendre à les
14:58 flairer, c'est très difficile naturellement.
15:00 Question de fin, très rapidement, vous répondez en un mot pour finir.
15:03 Francis Naguibar, si vous n'aviez pas été magistrat, vous auriez été quoi ?
15:06 Je pense que j'aurais souhaité moi, dès le début, être vétérinaire.
15:13 Vous voyez, ça n'a rien à voir, parce que j'aime les animaux, parce que les soigner,
15:17 mais j'étais pas suffisamment bon en maths et en science pour pouvoir y prétendre.
15:22 Vous citez Dostoevsky aussi, "on compare parfois la cruauté de l'homme à celle
15:25 des fauves, c'est faire injure à ces derniers."
15:28 Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
15:31 La liberté.
15:32 Et Dieu dans tout ça ?
15:35 Alors là, je vous retourne la question, parce que moi je n'en ai pas la réponse.
15:41 Ma rencontre avec le mal, Michel Fourniret, Monique Olivier, préface de Jacques Dallès,
15:46 c'est aux éditions Mareuil, Le Procureur, Qui était, qui a suivi, qui a le mieux connu,
15:51 hélas, dites-vous, ce couple diabolique.
15:54 C'est un livre absolument passionnant.
15:56 Merci et belle journée à vous.

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