À 9h20, le rappeur et comédien Sofiane Zermani (Fianso) est l'invité de Léa Salamé. À l'occasion de la sortie du film "Tigres & Hyènes", réalisé par Jérémie Guez, et disponible sur Prime Video le vendredi 22 novembre prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-18-novembre-2024-2883876
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00:00Il est 9h26, France Inter, le 7-10.
00:08Et Léa, ce matin vous recevez un rappeur slash comédien.
00:12Oui, bonjour Sofiane Zermany.
00:14Bonjour.
00:15Merci d'être avec nous. Il y a encore des gens qui vous appellent Fianso ?
00:18Évidemment, évidemment, beaucoup. Plus qu'ils m'appellent Sofiane, plus encore qu'ils m'appellent Sofiane Zermany, bien sûr, beaucoup.
00:24Oui, Fianso c'est votre nom de scène comme rappeur, c'est comme ça qu'on vous a connu.
00:29Maintenant que vous êtes acteur, parce que vous êtes en train de réussir cette mue vers le métier d'acteur, on va en parler.
00:35C'est Sofiane Zermany. On va en parler parce que c'est vrai qu'on vous voit de film d'auteur en film d'action, ces derniers mois, ces dernières années, un peu partout.
00:44Mais d'abord, si vous étiez un film, un personnage historique, un pays et une émotion, vous seriez qui ? Vous seriez quoi ? Alors d'abord, un film.
00:53Un film… Les Affranchis ? Forcément, pour tenir la ligne.
01:03C'est le nom de votre label aussi, non ?
01:05C'est le nom de mon label, c'était le nom de mon groupe historique avec mes copains quand on a démarré le rap vers 11-12 ans et on s'est toujours appelé comme ça.
01:11Les Affranchis, un personnage historique ?
01:14Ça va être royal. Je pense à Jugurta, roi de Numidie en 150 avant Jésus-Christ. Dernier grand roi de Numidie et en ce moment, je suis très sur le Maghreb préislamique et je suis un peu féru d'histoire.
01:29Donc je regarde beaucoup ses histoires. En ce moment, je découvre l'histoire de cet enfoiré, c'est incroyable. Il a fait la guerre à César, incroyable. Une histoire de fou.
01:36Si vous étiez un pays ?
01:37L'Algérie.
01:38Pourquoi ?
01:39Parce que c'est cher à mon cœur, parce que j'y passe de plus en plus de temps, parce que c'est le pays de mon père, que je l'ai au cœur de plus en plus avec l'âge passant et que je m'en rapproche de plus en plus.
01:50Une émotion ?
01:52La liberté. L'indépendance.
01:55En cruauté impitoyable, l'homme ne cède à aucun tigre, à aucune hyène. Cette phrase, tirée d'un livre d'Arthur Schopenhauer, ouvre le film « Tigres et hyènes » de Jérémy Guez qui sort sur Prime Vidéo cette semaine.
02:07Vous êtes à l'affiche. Vous êtes d'accord avec Schopenhauer en matière de cruauté ? L'homme n'a rien à envier ni aux tigres ni aux hyènes.
02:14Oui, je suis complètement d'accord. Je pense que l'homme a poussé la chose à travers les siècles, bien plus que les faux ni que n'importe quel animal sur la planète.
02:24« Tigres et hyènes », c'est un thriller de gangsters, nerveux, qui va vite, avec plein de scènes d'action spectaculaires, qui nous plonge dans le monde brutal du crime organisé, du braquage, de ces trahisons.
02:35C'est un film qui parle des codes d'honneur entre braqueurs, des relations entre les anciens et les plus jeunes, de l'amitié aussi entre braqueurs.
02:41Vous dites que c'est un film qui veut déconstruire, démystifier la figure du braqueur ou du voyou. Pourquoi il faudrait la démystifier ?
02:50Parce qu'il est complètement stupide de mon prisme de l'idolâtrie en tout cas, ou de l'idéaliser.
02:56C'est surtout que la majorité, je pense en tout cas, des plus méchants braqueurs sont des fois des mecs tout doux, qui ont des personnalités qui contrastent complètement avec leur activité.
03:08Ce que je pense, c'est qu'on arrive à s'attacher à des braqueurs, et notamment avec ce film.
03:16On arrive à entrer en empathie avec eux, en ayant un bout de leur histoire, un bout de leur caractère, un bout de leur décision ou de leur sensibilité.
03:22Et finalement, on montre de la sensibilité dans un milieu très viril, très violent, dans lequel on ne l'imaginerait pas du tout.
03:28Et voilà, je pense que la mission est réussie par Jérémy Guiez, vraiment.
03:31Vous vouliez en faire des anti-héros, donc pas admirables, avec de la sensibilité ?
03:37On voulait en faire des hommes. On voulait en faire des humains, qui mettent un pied devant l'autre pour aller faire des grosses bêtises,
03:42mais qui restent des hommes avec des liens d'amitié, avec des liens d'amour, avec des passés, des regrets, des rêves, des ambitions, je ne sais pas.
03:50Et vous, vous jouez un rôle de grand frère, de braqueur assagi, aguerri, qui forme le jeune.
03:56Ça vous va bien, ce personnage ? Il vous ressemble dans la vie ?
03:59C'est vrai que vous faites partie de ces types qui font monter la jeune génération.
04:04Vous avez produit à travers votre label notamment le phénomène Soul King qui cartonne.
04:08C'est vous, mais il y en a d'autres que vous faites monter.
04:10Ça vous ressemble pas mal, finalement, ce personnage ?
04:12Ça me ressemble pas mal, ouais.
04:13Ça me ressemble pas mal.
04:14Après, en termes de transmission, il y a mieux que le braquage à transmettre.
04:17Mais j'ai un peu ce statut, m'étant un peu éloigné des micros ces derniers temps,
04:22j'ai un peu ce statut d'ancien à la retraite qu'on vient chercher pour un coup ou deux de temps en temps.
04:28Et ça me plaît.
04:29Oui, ancien à la retraite, vous avez 38 ans.
04:31Je précise, il y a un peu de marge avant les 64 ans.
04:35Mais oui, sans héroïser ces braqueurs qui font des bêtises, comme vous dites,
04:41c'est vrai qu'il y a quelque chose qui passe de l'ordre de la sensibilité.
04:45Après, il y a aussi des scènes spectaculaires rocambolesques.
04:47Cette fameuse scène de braquage où vous devez bloquer le périph' pour récupérer 15 millions d'euros.
04:52Il a fallu plus de 100 voitures, 60 techniciens pour tourner cette scène hors norme.
04:57Mais pour vous, c'est un peu facile, non ? Bloquer le périph' dans un clip ?
05:02La vanne est un peu facile.
05:03Je sais qu'elle est facile, mais je l'assume.
05:05Je dis à nos auditeurs, vous avez bloqué l'A13 il y a 7 ou 8 ans pour les besoins d'un clip.
05:11Mais pour de vrai, vous avez bloqué l'autoroute.
05:13Alors l'A3 et oui.
05:17Et oui, c'était à l'occasion d'un clip il y a quelques années.
05:22Et pour le coup, Jérémy a mis ça dans son scénario.
05:27Je ne pense pas que c'est une référence particulière à ce clip.
05:29Ce n'est pas un hommage ?
05:30Je ne pense pas du tout.
05:31Mais oui, c'était impressionnant.
05:33Un gros dispositif, une énorme production.
05:36Pram a mis les moyens.
05:38Je salue d'ailleurs les producteurs Cheyenne et Julien Madon.
05:41Et le réalisateur Jérémy Guiesse qui ont fait un boulot énorme.
05:43Il gérait une centaine de véhicules avec tous les figurants que ça peut représenter.
05:45C'est énorme comme tournage.
05:46Elle est impressionnante cette scène.
05:48Ça vous plaît, les scènes d'action ?
05:50J'adore ça.
05:52Vous vous êtes remusclé pour l'occasion.
05:55Qu'est-ce que ça veut dire que ça ne l'est plus ?
05:59En fait, j'ai pris 15 kilos de gras pour un autre film qui sortira en 2025.
06:06Un film de Dominique Beaumart avec Melville Poupot.
06:08J'ai gonflé d'un coup et j'avais ce tournage à la suite.
06:11Il a fallu que je me transforme.
06:13Mais j'adore ce truc de transfo.
06:15Ce truc de transfo de personnage en personnage.
06:17J'ai les cheveux longs en ce moment pour un perso aussi.
06:19J'aime bien proposer des choses au réel.
06:21Il y a un film qui vous a beaucoup inspiré pour ce film-là.
06:24C'est ça.
06:26C'est Reservoir Dogs avec cette BO incroyable.
06:44Reservoir Dogs de Quentin Tarantino.
06:49Je l'ai fait à l'anglaise.
06:50Avec Harvey Keitel notamment.
06:52Pourquoi ce film-là vous a particulièrement inspiré pour Tigrayen ?
06:55Parce que s'il est une chorale dans ses films, c'est un film chorale.
07:00C'est un film avec plusieurs personnages qui se tiennent,
07:03qui se donnent la place de lead et qui deviennent principaux au fur et à mesure du film.
07:08J'ai un peu l'impression que c'est quelque chose de super partagé.
07:12On s'en est un peu inspiré en philo.
07:15De toute façon, il fait partie de nos références à Jérémy, à moi et à d'autres mecs du tournage.
07:18Et puis c'est des gros méchants qui sont aussi des pieds nickelés.
07:20Finalement, oui.
07:21C'est un peu ça aussi.
07:22Il y a un truc attendrissant, avec des guillemets, dans ces maladresses-là.
07:28Dans ces maladresses de mecs très pros, pleins de sang-froid,
07:32qui connaissent leurs gestes sur le bout des doigts.
07:35Quand ils sont maladroits et quand ils se retrouvent dans des situations cocasses, ça les rend humains.
07:40Cette mue vers le métier d'acteur, elle vous vient d'où ?
07:42On vous a vu au théâtre.
07:44Moi, je vous ai vu il y a trois ou quatre ans.
07:46C'était votre premier rôle, je pense.
07:48Catsby, le Magnifique, que vous avez joué à Avignon.
07:51Vous avez aussi joué dans Les Sauvages de Rebecca Zlotowski, dans La Vénus d'Argent,
07:55la série Sous-Emprise, gros carton Netflix.
07:57Pourquoi avoir voulu être acteur à un moment ?
07:59Alors que vous étiez très bien installé dans le rap.
08:02En réalité, au début, je réponds à une invitation.
08:05Et puis, doucement, doucement, de tournage en tournage, et puis de rencontre en rencontre.
08:10Comme je n'ai pas fait d'école, ma formation est publique.
08:12Quand j'arrive pour jouer Catsby, je suis déjà fiançon, je fais déjà ce que je fais.
08:16Et d'ailleurs, c'est ce qu'il y a d'étonnant dans tout ça.
08:19Et le contraste me plaît.
08:21Du coup, je me plais à aller surprendre, à aller jouer des rôles dans lesquels on ne m'attend pas,
08:26à endosser des personnalités qui sont complètement opposées à moi.
08:29Il y a eu le syndrome de l'imposteur au début ?
08:31Totalement. C'est pour ça que je vais au théâtre, d'ailleurs.
08:33Je vais au théâtre pour me faire plaisir, mais je vais aussi au théâtre pour me former.
08:35Je vais aussi au théâtre pour dire aux acteurs et aux comédiens
08:38qui ont, comme moi, 15 ans de cursus, de galères, de casting, etc.
08:41Je ne suis pas venu pour jouer avec mon nom et ma notoriété de rappeur.
08:45Je vais apprendre et je vais kiffer avec vous.
08:47Et en fait, il y a eu tout ce truc un peu formateur du théâtre,
08:51qui, moi, déjà me faisait kiffer.
08:52Mais en plus de ça, j'avais un peu l'impression de faire mes classes et de faire mes preuves.
08:55Vous disiez au Monde, il y a deux ans, en quatre ans, j'ai appris à aimer jouer.
08:58Ce métier me prend au sérieux.
09:00Maintenant, on propose des rôles qui n'ont strictement rien à voir avec Fianso.
09:03Des fois, je reçois des scénarios.
09:04Je me dis, mais comment ils ont pensé à moi pour ce truc ?
09:06Ça me flatte. Vous ne pouvez pas savoir à quel point.
09:10C'est vrai qu'on me sente capable d'endosser des rôles,
09:14qu'on me sente capable de proposer autre chose que ce personnage historique, Fianso,
09:18qui a fait toute ma carrière.
09:19Ça me flatte. Ça me flatte énormément.
09:21C'est une vraie reconnaissance.
09:23C'est une reconnaissance de mon travail, d'un potentiel talent
09:26et d'une intelligence pensée, en tout cas, par ces gens-là.
09:29Ça me flatte énormément.
09:30Mais du coup, Fianso, c'est fini ?
09:32Non, ça ne sera jamais fini. Je serai toujours Fianso.
09:34On est rappeur à vie, en fait, quand on est rappeur ?
09:36Non, déjà, on a, de cette Saint-Denis légendaire d'où je viens,
09:42on a des sobriquets qui nous tiennent à vie.
09:43On a des surnoms qui nous tiennent à vie.
09:45Et on m'appelait Fianso avant que je sois Fianso le rappeur.
09:47Donc, je pense que je serai toujours Fianso, déjà.
09:49Et ensuite, le rappeur, évidemment, ne sortira jamais.
09:51Le rap, c'est ma vie.
09:52Ça a toujours été ma vie. J'ai fait ça toute ma vie.
09:54Mais alors, vous dites, j'arrêterai à 40 ans.
09:57Ça va être ma vie, mais j'arrêterai à 40 ans.
09:5940 ans, c'est dans deux ans.
10:00Donc, ça veut dire quoi ?
10:01Que vous allez sortir un nouvel album, quand même ?
10:03Non, je ne pense pas.
10:04Je ne pense pas sortir d'album.
10:05Par contre, il y a quelque chose dont je ne me priverai pas.
10:07C'est la scène.
10:08Ça, c'est sûr.
10:09Retourner en tournée, retourner en concert.
10:10Revoir le public.
10:11Et puis, de toute façon, je pense...
10:13Avant 40 ans, donc ?
10:14Ouais.
10:15Donc, c'est imminent.
10:16C'est ce que vous nous annoncez.
10:17C'est possible.
10:18C'est possible.
10:19Vous étiez aussi à l'affiche, il y a trois semaines, du film
10:22d'Assane Guérard qu'on avait reçu ici, qui avait été très remarqué par la critique.
10:26Assane Guérard qui parlait ainsi de vous à la radio.
10:29En fait, quand j'ai vu son regard, il a un regard d'une intensité.
10:34Quand vous regardez son regard, vous sentez qu'il y a une fêlure.
10:37Et surtout, pour le beurre, aujourd'hui, il est d'une modernité rare.
10:42Et c'est un énorme, énorme comédien.
10:46Il incarne la modernité chez le beurre d'aujourd'hui.
10:49Ça veut dire quoi ?
10:51Ça veut dire qu'Assane Guérard et moi avons une génération de différences.
10:55Et que le terme beurre n'est pas un terme de ma génération.
10:58Ah oui, c'est ça.
11:00Et je l'entends dans sa bouche, avec toute la tendresse avec laquelle il le prononce.
11:04Et je l'entends aussi dans la bouche de cette génération qui précède la mienne des années 90.
11:09Où ce n'était pas un terme ni péjoratif, ni touchant, ni cassant.
11:13Et pour le coup, il y a eu un espèce de...
11:16Je pense même pas un regard, mais une construction d'identité de ces beurres des années 90.
11:20Qui sont devenus des Français à part entière.
11:23Qui sont devenus des citoyens à part entière.
11:25Pour ceux qui le veulent en tout cas.
11:26Et qui le ressentent comme ça.
11:27Et il y a eu cette construction d'identité qui s'est faite un petit peu comme elle a pu.
11:33Et aujourd'hui, il y a des profils de beurre.
11:36Donc de jeunes maghrébins nés en France.
11:38Ou ailleurs d'ailleurs.
11:40Mais qui vivent en France.
11:41Et qui ont une identité bien à eux.
11:46C'est-à-dire qu'on va dans des domaines dans lesquels on ne nous attend pas forcément.
11:51On a des postes, des diplômes, des réussites, des fiertés.
11:55Des sportifs, des drapeaux, des étendards.
11:57Des gens qui nous représentent en tout cas.
11:59Dans lesquels on se reconnaît et dans lesquels on arrive à s'identifier.
12:02Qui nous rendent extrêmement fiers.
12:03Et qui sont allés se balader dans des couloirs et dans des sphères.
12:06Peut-être auxquelles le beurre des années 90 n'avait pas accès.
12:09Et aujourd'hui c'est...
12:11C'est possible.
12:12Clairement.
12:13Clairement.
12:14On nous l'a prouvé.
12:15On nous l'a prouvé dix mille fois.
12:16Et pas que dans les métiers du divertissement ou dans le sport.
12:19On a des jeunes qui sont d'ailleurs issus d'immigration, issus de quartier ou pas.
12:23C'est pas le problème.
12:24Parce qu'on a aussi des beurres qu'on oublie souvent dans les milieux ruraux.
12:27Dans des villages de France, etc.
12:29Et qui finalement ont réussi comme tout un chacun à arriver.
12:33Et puis si c'est plus dur, c'est plus dur.
12:35Et je pense que ça l'est toujours.
12:36Je pense que c'est toujours plus dur.
12:37Bien sûr.
12:38Je le pense vraiment.
12:39Et s'il faut faire deux fois ou trois fois comme les autres.
12:41Et bien on digère l'information.
12:42Et puis on fait deux fois ou trois fois comme les autres.
12:44Et puis peut-être qu'on facilitera les générations suivantes.
12:46Vous êtes l'aîné d'une fratrie de six enfants.
12:48Votre mère est arrivée d'Algérie à la fin des années 60.
12:50Dans les bidonvilles de Nanterre.
12:52A travaillé comme secrétaire chez France Loisirs.
12:54Votre père était gardien de chèvre en Camillie.
12:56Avant de venir en France.
12:58En 1981.
12:59Vendre des vêtements sur les marchés.
13:00Vous avez grandi en Seine-Saint-Denis.
13:02Comme vous le dites.
13:03Mais il y avait des livres à la maison.
13:05Il y avait des livres.
13:06Il y avait Shakespeare et Molière.
13:08Vous le dites, je passais devant tous ces livres tous les jours.
13:10Et à un moment, j'en ai ouvert un, puis deux, puis dix.
13:12Et j'ai plongé dedans.
13:14La littérature, les mots, c'est quelque chose qui est très important pour vous.
13:19Et en même temps, vous avez arrêté l'école en seconde.
13:22Je ne sais pas si j'ai arrêté l'école ou si le destin m'a fait sortir.
13:27Mais ouais, c'était mon lien avec ma mère.
13:31Vraiment, qui a été ce déclencheur.
13:34En tout cas, qui a alimenté ça chez moi.
13:36La littérature, le mot, la poésie et le théâtre.
13:39Et puis, j'ai toujours eu cette dualité.
13:41J'ai toujours eu cette dualité de kiffer ces poèmes en François du XVIème
13:46dans ces recueils qui traînaient chez moi.
13:49Et puis, de kiffer le rap, la vie de banlieusard, ses codes, sa culture, etc.
13:53J'ai toujours été ces deux mecs.
13:55D'ailleurs, ceux qui vous voient dans Gatsby ou dans La Mort d'Achille au théâtre
13:58vous disent « t'as changé » et ça, vous n'aimez pas.
14:02Ceux qui me connaissaient pas, ceux qui disent « j'ai changé ».
14:04Il y en a très peu, mais il y en a.
14:06Et pour le coup, c'est jamais méchant.
14:08Mais la vérité, c'est qu'il y a quelque chose que je remarque.
14:11C'est qu'on a l'impression qu'il y a des pans de culture un peu élitistes
14:15comme le théâtre, la poésie, la sculpture, la peinture
14:17auxquels on n'aurait pas accès nous.
14:21Ou alors, peut-être qu'on aurait du mal à comprendre.
14:25Certains pensent que nos petits, à nous, peuvent être moins sensibles
14:30que tout un chacun devant un tableau ou une pièce de Shakespeare.
14:33Et la vérité, c'est que si nous, on doit aller dans des théâtres
14:37et amener cette culture jusqu'à eux, on va le faire.
14:40Et c'est ça que je me souviens quand j'étais au théâtre
14:43pour voir Gatsby le Magnifique.
14:45C'était où d'ailleurs ?
14:47Au Châtelet.
14:48C'est ça, c'était au Châtelet.
14:49Et je me souviens avoir vu plein de gamins de banlieue
14:51venir voir Gatsby le Magnifique.
14:53Ils n'avaient jamais entendu parler.
14:54Pour vous, quoi !
14:55Et ça, vous avez contribué à les ramener au théâtre.
14:57C'est ce qui me plaît.
14:59C'est ce qui me plaît.
15:00Il y a énormément d'ailleurs de troupes de théâtre
15:02dans les quartiers de Seine-Saint-Denis
15:04ou d'autres départements
15:05qui font des tournées super.
15:06Ils font des pièces super.
15:07Un taf mortel.
15:08Et au-delà de m'offusquer du fait que certains pensent
15:12que ces gamins ne peuvent pas apprécier une œuvre comme ça,
15:16comme les autres,
15:17moi, je m'en amuse.
15:19Ça me plaît de leur raconter des histoires, de les jouer
15:21et les inviter dans des lieux auxquels ils n'avaient pas pensé peut-être.
15:24Sofiane Zermani, vous disiez au Monde il y a deux ans toujours
15:26« Tout ce que j'ai fait, c'est pour mon père ».
15:29Oui, c'est vrai.
15:31Je ne sais pas.
15:32Peut-être que j'étais dans un grand chemin de preuve.
15:37On dit que ça n'a pas toujours été facile entre nous,
15:39mais tout ce que j'ai fait, c'était pour...
15:41Peut-être que c'était pour ses yeux à lui.
15:44Mais je l'assume aujourd'hui beaucoup plus qu'avant.
15:46Je suis très proche de mon père.
15:48Peut-être que je n'ai pas été le gamin ou l'adolescent
15:54qui peut être fier de tout ce qu'il a fait
15:57ou de tout ce qu'il a dit.
15:59Et du coup, comme je me suis remis mille fois en question,
16:01et notamment avec ma relation avec mon père ou avec ma mère,
16:04peut-être que j'ai voulu,
16:06et peut-être qu'aujourd'hui encore,
16:08j'ai quelque chose, pas à rattraper, mais...
16:12un peu.
16:13À vous faire pardonner.
16:15Oui, sûrement.
16:16Et puis à le faire kiffer.
16:17Et puis à le faire rêver lui aussi.
16:18Avoir son fils sur des scènes ou dans des films.
16:21Et vous, quel père vous êtes avec vos enfants ?
16:24Dur ?
16:25Le moins pire que je peux.
16:26Non, je rigole.
16:27Dur ? Non, pas dur.
16:29Proche, complice.
16:32Je fais un métier qui est particulier.
16:35Ils n'en jouent pas spécialement dehors
16:37et ce n'est pas forcément une thématique à la maison.
16:39Donc il y a un espèce de truc de normalité
16:41à mettre dans les repas de famille
16:44et dans les relations avec eux.
16:46On a une famille normale, autant que possible.
16:50Pour ceux de leur...
16:53Je vous dis ça mais pour l'anecdote,
16:55excusez-moi, je dis ça,
16:56mon fils m'a en vouloir de ne pas le dire.
16:58La sonnerie du collège de mon fils,
17:00c'est une chanson à moi.
17:02Et il y a un truc qui nous rend très fiers
17:05et qui les rend très fiers.
17:06Et il y a un truc, moi, qui me terrifie.
17:07C'est d'avoir des relations, des liens,
17:09d'amitié, d'amour avec des gens
17:11qui ne seraient pas là pour les bonnes raisons.
17:12Ils ont le droit d'avoir...
17:14Il y a quelque chose de très particulier
17:16quand on devient connu,
17:17c'est qu'on enlève les prénoms des gens.
17:19C'est-à-dire que c'est le fils d'eux,
17:20c'est la mère d'eux, c'est le frère d'eux.
17:21Et il y a un truc d'effacement,
17:23un truc d'abnégation qu'on doit avoir, nous,
17:25de se faire plus discret à certains endroits.
17:28Je ne vais pas forcément les chercher à l'école,
17:30je ne vais pas forcément les amener aux activités sportives.
17:32Il n'y a pas besoin d'aller les chercher à l'école
17:33puisqu'il y a votre sonnerie, votre chanson.
17:35Maintenant, oui.
17:36Mais des fois, ça peut être...
17:38Des fois, moi, ça me fait peur.
17:39Ça me fait peur pour eux.
17:40J'ai besoin qu'ils construisent leur personnalité à eux
17:43et pas forcément la personnalité du fils d'eux.
17:45Les impromptus pour finir.
17:47Très rapidement,
17:48vous réaliserez un film un jour, bientôt ?
17:50Oui.
17:51Produire des films ?
17:52Évidemment.
17:53Le parrain ou Scarface ?
17:56Ah oui, c'est dur.
17:57Le parrain.
17:58De Niro ou Pacino ?
18:00De Niro.
18:01Shakespeare ou Molière ?
18:03Molière.
18:04Apollinaire ou Baudelaire ?
18:05Apollinaire.
18:06Jean-Jacques Goldman ou Renaud ?
18:09Renaud.
18:10L'argent fait-il le bonheur ?
18:11Non.
18:12L'âge, ça vous angoisse ?
18:14Non.
18:15Vous êtes déjà allé chez le psy ?
18:17Jamais.
18:18Qu'est-ce qui vous endigne ?
18:21L'injustice.
18:22Vous votez ?
18:23Oui.
18:24Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
18:26Fraternité.
18:27Un adjectif pour qualifier la France ?
18:35Un adjectif pour qualifier la France ?
18:44Malheureusement, divisé.
18:47Et Dieu dans tout ça ?
18:49Au-dessus de nous tous.