À 9h20, l'actrice et réalisatrice Isild Le Besco est l'invitée de Léa Salamé. Elle publie "Dire vrai" (éditions Denoël), en librairie. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-02-mai-2024-8859528
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00:00 Bonjour Isile Lebesco, merci d'être avec nous ce matin.
00:03 - Merci.
00:04 - Si vous étiez une héroïne de roman, un sentiment et un souvenir d'enfance, vous
00:09 seriez qui ? Vous seriez quoi ?
00:10 - Là en ce moment je n'ai pas trop envie de parler de fiction, je pense que je serais
00:15 des héroïnes de roman et je suis Naj Simón, Adelaide Lebon, Christine Angot, Camille
00:24 Gauchner, Vanessa Springora, toutes ces femmes qui prennent la parole, qui ont la force.
00:30 - Vous vous inscrivez dans la lignée de ces femmes-là, qui ne sont donc pas fictionnelles.
00:37 - En tout cas je les admire.
00:38 - Si vous étiez un sentiment ? - L'amour.
00:41 - Et un souvenir d'enfance ? - Les rires entre frères et sœurs qui surpassent
00:48 tout.
00:49 - Qui surpassent tout.
00:50 Le psychanalyste Jacques Lacan disait « je dis toujours la vérité, pas toute, parce
00:54 que toute la dire, on n'y arrive pas, les mots y manquent, c'est même par cette impossible
01:00 que la vérité tient au réel ». Qu'est-ce que cela vous inspire, dire la vérité toujours
01:05 mais toute la dire, c'est impossible ou pas ?
01:08 - Oui c'est sûr et puis on la cherche à travers l'écriture.
01:14 Je suis beaucoup revenue dessus parce que parfois ce n'est pas la première phrase qui
01:21 dit vrai, il faut chercher les mots qui résonnent juste.
01:25 - Et quand on lit votre livre, je suis très heureuse de vous recevoir ce matin, pour
01:30 ce livre-là, qui est votre premier livre, qui s'appelle « Dire vrai » chez De Noël,
01:34 un récit autobiographique puissant, éprouvant, déchirant, toujours nuancé aussi, où vous
01:41 retracez avec courage votre parcours de femme et on a l'impression que chaque mot de votre
01:46 livre a été réfléchi, qu'il a été pesé, sous-pesé, repesé encore.
01:50 Vous racontez une vie de violence et de souffrance depuis l'enfance dans une famille dysfonctionnelle,
01:55 c'est vous qui le dites, jusqu'à votre relation d'emprise avec le réalisateur
01:58 Benoît Jacot, en passant par des relations tourmentées avec votre sœur Maïwenn, aussi
02:03 avec Luc Besson, Emmanuel Berco, Jacques Doyon.
02:06 Vous écrivez « je vais avoir 42 ans, j'ai envie d'être moi, d'accueillir la petite
02:10 fille heurtée, l'adolescente manipulée, la jeune fille meurtrie ou la mère détruite,
02:16 mettre fin à ces cycles sombres ». Ce livre-là, c'est pour mettre fin à ces cycles sombres.
02:22 Isile de Besco ?
02:23 Oui, je crois.
02:26 J'ai écrit d'autres livres et j'ai toujours écrit sur les femmes et sur leur parcours,
02:32 souvent très difficile.
02:34 Et là, il fallait, je crois que je dise « je » parce que c'est une ère où on a cette
02:44 opportunité, ce boulevard d'être aujourd'hui entendue et enfin entendue dans tout ce qu'on
02:52 surpasse tous.
02:54 Et c'est un cadeau quand même, même s'il est dur à porter, de pouvoir prendre cette
03:00 parole pour nous toutes.
03:02 « Votre livre s'ouvre par le récit d'une agression.
03:05 Il y a quelques mois, en 2023, vous êtes dans un train et vous avez une altercation
03:08 avec une femme manifestement instable.
03:10 Elle vous frappe et vous enfonce son doigt dans votre œil violemment.
03:16 « Je suis pratiquement sans connaissance.
03:20 Je dis ceci », écrivez-vous.
03:21 « Et quelques jours plus tard, ma petite sœur me dit que je l'ai appelée du train
03:24 et j'ai juste répété en boucle « je ne suis pas une victime, je ne suis pas une
03:28 victime, je ne suis pas une victime ».
03:31 Pourquoi cette phrase et pourquoi cette agression dans le train a été pour vous une prise
03:35 de conscience ?
03:36 Cette agression dans le train où j'ai été fracassée pour aucune raison.
03:43 Je suis revenue et les gens me voyaient tout d'un coup comme une victime parce que j'avais
03:51 le visage tu méfiais, j'étais en arrêt de travail et j'avais aucune raison, aucune
03:57 accroche pour me dire « tiens j'ai peut-être aussi été responsable de cet événement
04:01 ». Même si je me suis quand même dit en me disant « bah tiens j'aurais pu peut-être
04:07 agir autrement alors qu'elle m'a défoncé la tête ». Et tout d'un coup j'étais
04:14 invitée à être victime.
04:17 C'est-à-dire les gens s'inquiétaient pour moi et ça m'a plongée dans cette
04:22 sidération où j'ai pu relater toutes les fois où j'avais été victime dans
04:27 ma vie et où je n'avais pas eu envie d'admettre que je l'étais.
04:32 C'est difficile de dire qu'on est victime.
04:34 C'est difficile de dire qu'on est victime.
04:37 Il y a donc cet événement dans le train.
04:38 Il y aura un autre déclencheur quelques semaines après.
04:41 C'est les révélations de Judith Godrech sur son histoire avec Benoît Jacot qui a
04:46 porté plainte pour viol.
04:47 A ce moment-là la police vous appelle pour savoir si vous aussi vous voulez témoigner
04:52 puisque vous avez eu cette relation et on va y venir avec Benoît Jacot de vos 16 à
04:55 vos 24 ans.
04:56 Il y a aussi des sollicitations dans les médias.
04:58 On vous dit "Isile de Besko, est-ce que vous voulez parler ?" Vous déclinez les
05:01 demandes d'interview et vous dites "ce rôle de victime que j'ai refusé si longtemps,
05:05 je suis invité maintenant à le tenir publiquement, médiatiquement".
05:08 Vous dites non et aujourd'hui il y a ce livre.
05:10 Parce que j'avais envie qu'il soit vrai, qu'il soit nuancé et pas seulement prendre
05:19 une chose qu'on a envie d'entendre.
05:20 C'est-à-dire que c'est tout un système, c'est toute une histoire et on vit tout
05:25 tellement ça que cette parole il faut la dire juste.
05:30 La dire juste.
05:34 Et vraiment je trouve que c'est ça ce qui est très fort dans votre livre, c'est
05:39 que vous voulez la dire juste.
05:41 Vous voulez la dire juste et elle sonne juste quand on la lit.
05:46 "L'enfance décide" disait Sartre et dans votre cas c'est plus vrai que jamais.
05:49 Vous écrivez "mon enfance a marqué à jamais mon rapport au monde".
05:54 Vous grandissez dans cette famille dysfonctionnelle avec des parents que vous jugez, je vous cite,
05:59 "autoritaires et violents" au milieu de vos frères et sœurs dont la plus célèbre
06:02 est Maïwenn.
06:03 C'est cette enfance livrée à vous-même où vous faisiez vous-même à manger avec
06:06 vos frères et sœurs.
06:07 Vous avez subi de la maltraitance, des coups, on était frappés et c'était normal, écrivez-vous.
06:12 C'est cette violence-là qui vous a prédisposé à devenir plus tard un objet de violence,
06:17 à devenir une proie.
06:18 Vous dites "j'étais une proie".
06:21 Ça vient de l'enfance ?
06:23 Oui, ça vient de l'enfance mais ce n'est pas que les coups.
06:29 Il y a tellement de femmes qui vivent la violence, qu'elle soit physique ou mentale.
06:35 Quand elle est physique, elle est palpable, on la voit et c'est un drapeau rouge et ça
06:40 montre ce que ça fait au mental.
06:42 Mais ce n'est pas que ça.
06:45 Tellement de femmes vivent ça alors qu'elles n'ont pas forcément été tapées mais parfois
06:50 négligées.
06:51 Rabaissées.
06:52 Rabaissées, humiliées, perpétuellement, même à l'école, même partout.
06:57 Et une femme, elle enregistre ça et accepte tout naturellement ce continuum.
07:02 Et devient une proie, écrivez-vous.
07:04 Il y a une figure importante dans cette famille qui s'occupe de vous, c'est votre grande
07:08 sœur Maïwenn.
07:09 Il y a un chapitre consacré à Maïwenn, vous écrivez "elle avait mon admiration et mon
07:13 dévouement absolu, je me sentais tellement chanceuse de l'avoir comme grande sœur".
07:16 Sauf que très vite, elle va partir vivre avec Luc Besson qui va être la première
07:20 figure masculine dans un premier temps.
07:23 Rassurante pour vous, le premier à vous promettre une vie de famille normale, heureuse.
07:27 Sauf que quelques temps plus tard, il quitte Maïwenn qui vient d'accoucher.
07:30 Et là, vous le vivez comme un abandon.
07:33 C'est important pour vous cet épisode ? C'est-à-dire de la petite sœur qui voit
07:38 sa grande sœur abandonnée par l'homme qu'elle aimait ?
07:41 Oui, parce qu'il y a les souffrances qu'on subit et puis il y a celles qu'on voit chez
07:48 les autres et elles peuvent être tout aussi terribles.
07:51 On le sait, les frères et sœurs, quand il y en a un qui est victime d'inceste, c'est
07:57 tout aussi fracassant.
07:58 Donc moi, j'ai été témoin de ça et c'était terrible à la fois pour l'empathie que
08:06 j'avais pour ma sœur et que j'ai, et à la fois pour cette promesse d'avenir qui
08:14 est en fait terrible.
08:17 Ma plus grande crainte était d'être abandonnée, comme Luc, premier modèle masculin, avait
08:21 abandonné ma sœur tout le long du livre que vous écrivez dans vos relations avec
08:25 vos hommes, avec les hommes de vos vies.
08:27 Votre tétanie, c'est d'être quittée, d'être abandonnée.
08:33 Ça revient en permanence.
08:34 Oui, et du coup, ça m'empêche de considérer la situation comme elle l'est vraiment et
08:39 de faire un vrai choix parce que je ne veux tellement pas être quittée que c'est ça
08:44 qui m'importe alors que…
08:47 Comme votre sœur est poussée par votre mère, vous commencez très tôt une carrière d'actrice.
08:50 Dès le début, vous racontez, il y a des pages, les difficultés d'être une jeune
08:53 actrice mineure.
08:54 Vous avez 14 ans quand vous commencez dans le milieu du cinéma.
08:57 Vous racontez qu'une réalisatrice, Brigitte Coscarz, je la cite parce que vous citez les
09:02 noms, exige que vous regardiez l'Empire des Sens, ce film érotique japonais pour
09:05 avoir un rôle.
09:06 Vous avez 14 ans, vous devez regarder cela.
09:08 Vous racontez aussi les tournages avec Emmanuel Berco qui sort de l'aphémis, qui vous fait
09:12 jouer dans ses premiers films, dans ses courts-métrages, où vous devez jouer à 15 ans une longue
09:16 scène de sexe, où vous devez refaire une scène de baffe à plusieurs reprises.
09:21 Vous écrivez « Les tournages avec Emmanuel étaient une aventure à la fois géniale
09:23 et éprouvante, une expérience intime exposée aux yeux de tous.
09:26 À force, la violence et l'humiliation courantes sur les plateaux me sont apparues banales.
09:31 Là encore, état de dissociation, la violence est banale, il faut l'accepter parce que
09:37 c'est comme ça.
09:38 » C'est ça qui ressort.
09:39 Oui, et puis il y a aussi tellement la conscience d'une chance et de choses positives à la
09:43 fois dans ce qu'on acquiert dans son métier financièrement, dans des relations.
09:49 C'est aussi tellement intense et tellement riche qu'en fait on nomme pas, on n'a pas
09:55 aussi suffisamment de recul pour nommer les choses et même se défendre.
10:00 Et puis il y a aussi cette expérience avec Jacques Doyon qui vous promet de vous faire
10:03 jouer dans un film.
10:04 Vous commencez des séances de travail pendant plusieurs semaines, sauf qu'à un moment
10:07 il se rapproche de vous, il veut vous prendre la main, vous la retirez, un long moment de
10:12 silence, il vous regarde et conclut « tu ne vas pas faire le film, ma fille Lou va prendre
10:16 ta place ».
10:17 Alors ce qui est terrible dans cette histoire…
10:19 Il a démenti, je précise aux parisiens, il a démenti votre version.
10:22 Oui mais ça, il suffirait en fait de parler aux acteurs du film « Carrément à l'Ouest »
10:27 avec qui j'ai travaillé des semaines et des semaines, que je n'ai pas fait le film
10:31 parce que j'ai refusé sa tentative d'intimité.
10:34 C'est une chose et c'est très très banal.
10:37 Ce qui est dégueulasse c'est d'avoir travaillé des semaines et des semaines et
10:42 surtout d'avoir volé mes mots, volé mon essence pour faire ces films comme il a fait
10:48 probablement dans la plupart de ses films.
10:50 Et je précise que vous n'avez pas été payé pour ces semaines de travail.
10:53 Jamais, bien sûr.
10:54 Et que lui s'enrichisse sur le dos du cinéma français en les volant la substance des enfants
11:00 et des jeunes filles.
11:01 Isil Lebesco, il y a le cœur de votre livre, à savoir cette relation longue avec Benoît
11:05 Jacot.
11:06 Je rappelle, vous avez 16 ans, il en a plus de 50 à l'époque.
11:08 Il vous fait jouer dans son film « Sade » avec Daniel O'Toeuil.
11:11 Vous dites comment Benoît Jacot demande à la production de vous prendre une chambre
11:14 dans le même hôtel que lui.
11:15 Vous dites comment il repousse vos limites, comment il essaye de vous convaincre de tourner
11:20 nu, de montrer toute votre intimité.
11:23 Quand vous refusez, il va mettre des scènes de porno à votre place sans vous demander.
11:28 « De mes 16 à mes 24 ans, Benoît m'a tenu par le pouvoir qu'il avait sur moi,
11:32 parce qu'il incarnait autant que par la place qui l'occupait dans ma vie.
11:35 Il était devenu un père, une mère, de plus que pour moi.
11:37 Son regard me portait et m'annulait en même temps.
11:40 Vous parlez d'une emprise destructrice, d'une perte de soi, de violences psychologiques.
11:44 Vous racontez aussi de violences physiques, comment il vous gifle, comment il vous explique
11:48 qu'il était anormal que vous ne vouliez pas coucher avec lui.
11:50 Prisonnière de mes manques matériels et affectifs, j'étais le terrain parfait pour
11:54 toutes les maltraitances.
11:55 » Benoît Jacot, c'est simplement un homme de son époque.
11:59 Je me sers de ça pour parler d'une époque et pour parler de comment un homme riche,
12:08 plus vieux, qui a du pouvoir, se sert d'une adolescente pour en faire ce qu'il veut,
12:13 et une adolescente pauvre.
12:14 C'est très banal en fait.
12:18 Oui, mais je garde de tout ce passé avec lui, cette sensation de dérapage de tous
12:26 les instants, un dysfonctionnement qui s'installait fondamentalement et des valeurs morales déviantes.
12:32 Le chapitre consacré à Jacot s'intitule « Turpitude, laideur morale, actions honteuses,
12:38 écrits ou paroles ignobles ».
12:39 Oui, mais c'est simplement un homme de son époque.
12:43 Moi, je ne dénonce rien de tout ça.
12:47 Les gens le savent, que ce soit dans le milieu du cinéma ou dans absolument tous les milieux,
12:53 sauf qu'on n'entend pas la parole des femmes qui vivent dans ces situations.
12:58 Mais au final, si elles ont l'opportunité de revisiter leur histoire, c'est uniquement
13:04 ce qui peut en rester.
13:05 Est-ce qu'aujourd'hui on les entend plus ces femmes ?
13:07 Oui, un petit peu plus.
13:09 Et on leur donne du courage, beaucoup je crois, de parler, de nommer, de qualifier ce qui
13:16 est dissonant, ce qu'il a été, et leur donner la force, oui, de pouvoir peut-être
13:22 changer, même si c'est très difficile au début, c'est pour le meilleur.
13:26 Il y a des pages que vous écrivez sur le corps, sur la prise de pouvoir des autres,
13:31 des puissants sur votre corps, Isile de Lebesco, en permanence Benoît Jacot, mais aussi d'autres.
13:36 Lui, il surveillait ce que vous mangez, il vous reprochait d'être trop grosse.
13:40 « Tu es belle, mais tu es trop grosse, tes cuisses sont comme de gros jambons, tu dois
13:44 les affiner ».
13:45 La prise de pouvoir, la possession, passe aussi par ce corps qu'on vous demandait
13:49 en permanence de maigrir, d'affiner.
13:52 Oui, mais parce que comme j'étais actrice, c'était une porte d'entrée, soi-disant
13:58 bienveillante pour ma carrière, de contrôle.
14:02 Mais ça aussi, c'est très banal.
14:05 Un homme qui veut contrôler une femme, c'est partout.
14:10 Sur la question du viol, quand on vous demande ce mot, parce qu'il faut nommer les choses,
14:15 est-ce qu'on nomme un viol ? Est-ce que ce qui s'est passé avec Benoît Jacot,
14:18 c'était un viol ? Vous répondez dire que Benoît m'a violé, c'est évident.
14:22 Mais le mot viol est réducteur.
14:24 On imagine dans le viol un acte physique, une fille qui se fait prendre de force alors
14:27 qu'elle ne veut pas.
14:28 Alors qu'avant de me violer physiquement, Benoît a violé mon esprit.
14:32 Oui, bien sûr.
14:35 C'est-à-dire un viol physique, menace, surprise, contrainte, violence, ce n'est
14:44 pas les viols qui se passent tous les jours.
14:46 C'est-à-dire que la plupart des viols, que ce soit l'inceste ou les viols dans
14:51 les familles, qui sont plus de 85% des cas, c'est un viol où la personne prend la
14:56 confiance de l'autre et va rentrer comme ça.
15:01 Judith Godrech a porté plainte.
15:04 Elle a fini par porter plainte contre Benoît Jacot pour viol avec violence sur mineurs
15:08 de moins de 15 ans.
15:09 Vous, vous avez hésité.
15:11 Mais à l'heure où nous parlons ce matin, il vous reste deux ans avant la prescription
15:15 des faits.
15:16 Vous ne portez pas plainte.
15:17 Alors, moi, vis-à-vis de la justice, je suis comme toutes les femmes, terrifiée et
15:25 surtout retraumatisée par la justice.
15:28 La justice n'aide pas les femmes.
15:33 Donc oui, je peux me retraumatiser.
15:34 Mais pourquoi en fait ? Et surtout aussi, la définition du viol en France exclut ma
15:44 situation comme exclut la plupart des viols.
15:47 C'est-à-dire surprise, menace, contrainte, violence.
15:50 Il n'y a pas ça dans ma situation.
15:53 Donc, ça veut dire quoi en fait ? Pourquoi je vais porter plainte ?
15:58 Ça ne sera pas qualifié.
15:59 Et de toute façon, les hommes ne sont jamais condamnés.
16:02 Parfois, mais pas assez.
16:05 Jamais.
16:06 Qu'est-ce que vous avez ressenti quand vous avez entendu Judith Gaudrech son discours
16:10 au César ? Je trouve qu'elle a ouvert un boulevard.
16:14 Et on doit moralement tous aller sur ce boulevard et bâtir, bétonner, construire.
16:22 Et que ce soit… Les mots dire ne suffiront jamais.
16:27 C'est certain.
16:28 Mais c'est déjà un début.
16:31 Elle conclut son discours en disant qu'il faut se méfier des petites filles.
16:34 Elles se cognent, elles se blessent, mais elles rebondissent.
16:36 Quand elles peuvent, oui.
16:38 Et on espère que ce sera toujours comme ça.
16:41 Et vous, vous êtes cognée, vous êtes blessée, Isile de Besko.
16:45 Et aujourd'hui, est-ce qu'avec ce livre, il y a une forme de réparation, de reconstruction,
16:49 de rebondir ? Je ne sais pas si on se guérit vraiment.
16:52 Je pourrais vous le dire dans quelques années, si j'arrive à vivre guérie, c'est-à-dire
16:57 comme si j'avais une jambe cassée, est-ce que je pourrais recourir, remarcher comme
17:01 si je n'avais pas eu cette jambe cassée ? Je ne sais pas encore.
17:03 Je mets des mots pour nos enfants, pour vos deux fils.
17:06 Ce livre, c'est aussi pour eux que vous avez écrit.
17:10 Qu'ils se sentent libres de toute emprise.
17:12 Je suis grande, je ne peux plus ne pas me défendre.
17:16 Oui, oui.
17:18 Évidemment, il faut dire, mettre des limites et s'exprimer.
17:22 Vos parents ont réagi dans le monde en disant qu'ils vous soutenaient, malgré ce que
17:27 vous écrivez.
17:28 Vos frères et sœurs aussi.
17:29 Maïwenn, vous lui avez envoyé le livre.
17:33 Je crois que mon père a écrit « La guérison de ma fille » et « Ma guérison aussi ».
17:37 Et nos guérisons et la guérison d'une société et d'une histoire.
17:45 Pour toutes.
17:46 Et vous espérez qu'elle le lira, Maïwenn, avec qui ?
17:48 Ce sera son choix.
17:51 C'est un récit bouleversant, précis, nuancé sur l'emprise et la prédation.
17:57 Ça s'appelle « Dire vrai ». C'est sorti hier chez De Noël.
18:00 Merci beaucoup Isile Lebesco d'avoir été avec nous.
18:02 Merci.