• il y a 2 ans

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00:00 Face à rage, présenté par Valère Coréard
00:07 Les scandales alimentaires éclatent les uns après les autres. Fraude à la viande de cheval, mauvais étiquetage des poissons, farine animale, viande avariée.
00:16 Au lendemain du salon de l'agriculture, quand disent les consommateurs, sont-ils désabusés, révoltés ?
00:22 Ces affaires vont-elles changer leur comportement ? Avec cette interrogation en toile de fond, sont-ils en train de devenir des acteurs de la société ?
00:32 Je parle des consommateurs et on en parle avec Pascale Ebel. Bonjour.
00:35 Bonjour.
00:36 Bienvenue Face à rage. Vous êtes ingénieur agronome, directrice du département consommation du Crédoc.
00:41 Le Crédoc est le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.
00:46 Trois dates clés dans votre parcours. 1992, vous êtes docteur en mathématiques appliquées. Vous obtenez un doctorat.
00:54 En 2000, vous êtes nommé responsable du pôle marketing et consommation au BIP, le Bureau d'information et de prévision économique.
01:02 Et en 2013, en janvier exactement, vous avez publié « La révolte des moutons. Les consommateurs prennent le pouvoir aux éditions autrement ».
01:10 Est-ce que d'abord, vous rajouteriez une date ?
01:13 Non, je pense que c'est à peu près le parcours. Simplement, c'est en 1985 que je suis rentrée comme ingénieure agronome.
01:19 Donc ça compte un peu sur les sujets qu'on va aborder, notamment tout ce qui concerne les produits carnés, les viandes.
01:25 J'ai une formation d'ingénieur agro qui fait que j'ai un point de vue qui intègre en fait toute la partie technique de l'agriculture.
01:33 Aujourd'hui, vous travaillez au sein du Crédoc. C'est donc le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.
01:40 En quelques mots, quelle est son activité principale et qu'est-ce que vous y faites ?
01:44 Alors le cœur du métier du Crédoc, c'est d'observer la société française.
01:47 Et ce que j'y fais, c'est avec tous ces travaux-là que j'ai écrit cet ouvrage, c'est d'observer la partie consommation.
01:54 Et j'ai une grosse partie de l'activité qui est sur la consommation alimentaire, puisqu'on mesure ce que les gens mangent,
01:59 à la fois chez eux et à la fois à l'extérieur du domicile. Et on mesure en grammes et toute la partie nutritionnelle aussi.
02:06 Avant de parler des récents scandales ou des affaires liées à l'alimentaire, est-ce que vous diriez que les consommateurs mangent mieux
02:12 ou au contraire moins bien aujourd'hui qu'il y a 30 ou 40 ans ?
02:16 Par rapport aux critères de nutrition, ce qu'on observe, c'est qu'il y a quand même des changements qui ne vont pas dans le bon sens.
02:22 Par exemple, par rapport à tout ce qui est fruits et légumes, on a plutôt une dégradation dans les jeunes générations
02:27 par rapport aux générations les plus anciennes qui avaient beaucoup plus accès à ces produits-là.
02:31 Et qu'on va plutôt vers une moindre diversité, ce qui n'est pas très bien par rapport à la variété des goûts des produits.
02:38 La crise économique actuelle accentue un petit peu toutes ces dérives par rapport au modèle alimentaire classique.
02:45 Les scandales ou les affaires s'enchaînent depuis quelques semaines et quelques mois. Quel est selon vous le premier effet de ces scandales ?
02:54 Alors c'est simplement que ça peut avoir des conséquences économiques pour les acteurs et les marques qui sont citées.
02:59 Mais souvent, ce sont des conséquences qui sont assez courtes.
03:03 Ensuite, ça va créer une défiance par rapport à toute l'industrie agroalimentaire, par rapport à tous les acteurs qui ont une distribution.
03:10 La défiance était déjà forte. Ça fait 2-3 ans où finalement, on est un petit peu plus méfiant par rapport à son alimentation.
03:17 Parce que l'alimentation est devenue un sujet de société, ce qui est nouveau. Il y a une vingtaine d'années, on n'en parlait pas autant.
03:22 Et finalement, c'est la grande crise des années 1996 à 2000 sur la vache folle qui a vraiment créé ce climat d'anxiété par rapport à l'alimentation.
03:32 Donc ça va créer une défiance. Mais comme on est obligé de consommer, on est obligé de manger tous les jours,
03:36 forcément, ça n'aura pas de conséquences économiques dans les 1 an à venir. Les marchés reviendront au même niveau.
03:42 Est-ce que ça veut dire quand même qu'il y a une crise du système de l'alimentaire aujourd'hui en France, dans le monde ?
03:48 Alors je crois pas qu'il y ait une crise du système. Il faut considérer en tous les cas qu'en termes de risques sanitaires,
03:53 on n'a jamais aussi bien mangé. En termes de nutrition, il y a un débat. Mais sur la partie sécurité alimentaire,
04:00 on est vraiment dans un système... Et la France a été le premier. On a vraiment le système le meilleur sur la traçabilité.
04:05 Donc il ne faut pas tout confondre. Ensuite, il y a des problèmes d'acteurs économiques, de rapports de force entre les différents acteurs.
04:12 Donc il y a besoin d'une réglementation. Il y a besoin de transparence. Je crois que ce qui manque et ce qui change aujourd'hui,
04:18 c'est qu'on a eu une société avec beaucoup de scandales parce qu'on cachait tout à la population.
04:24 Aujourd'hui, avec les systèmes d'Internet, d'informations, on a besoin d'aller vers des choses qui soient plus dévoilées.
04:31 Et que finalement, dans les relations de contractualisation entre la grande distribution, entre l'industrie agroalimentaire,
04:36 on a besoin aussi de choses qui soient dites. Et c'est ce qui manque. Et le fait que ça explose, finalement, j'espère,
04:42 mais je suis optimiste, que ça va finalement rendre les systèmes moins opaques.
04:48 — Vous dites dans votre ouvrage notamment que les consommateurs ne sont plus des moutons. Ils se révolteraient, ils militeraient.
04:54 Ils seraient même capables de changer la société ? — Oui, je crois à ça parce que je pense qu'en effet, les plus jeunes,
05:00 les jeunes consommateurs sont beaucoup moins dans le militantisme, dans les partis, dans les syndicats.
05:06 Et autrefois, ça se faisait comme ça, dans des actions collectives. Aujourd'hui, on est plus individualistes.
05:12 Et que finalement, la façon qu'ont trouvé les plus jeunes d'affirmer leurs valeurs, c'est bien dans la consommation.
05:16 Donc ça a des impacts plus importants parce que finalement, on peut aller dans un sens, faire aller les entreprises dans un sens,
05:24 que les entreprises comprennent le jeu. Mais c'est vrai que ça se dévoile beaucoup plus pendant les périodes de crise,
05:29 dans les années 90, dans les dernières crises de la consommation. On a eu ce phénomène-là. Les entreprises peuvent se structurer pour aller
05:37 dans le sens de ce que veulent les consommateurs. C'est dans ce sens que chacun, individuellement, peut apporter sa pierre à l'édifice
05:43 et faire des choix qui vont dans le bon sens. — Et justement, dans votre ouvrage, vous parlez de différents choix. Par exemple, le bio.
05:49 On voit dans les étals des supermarchés de plus en plus de rayons bio. Et paradoxalement, vous le critiquez. En tout cas, vous émettez
05:57 prudents certaines réserves quant au bio qui seraient peut-être moins sécures que l'alimentation plus classique.
06:03 — Oui. C'est-à-dire que par rapport à un schéma classique d'agriculture, je crois que le bio va très très loin. Et finalement, on n'est pas forcément
06:11 le meilleur système pour nourrir 7 milliards d'humains sur la Terre. Je pense qu'on a été en France pas forcément très honnêtes sur les objectifs du bio,
06:20 puisqu'aujourd'hui, les Français qui consomment du bio, la première raison à 70%, c'est qu'on consomme du bio parce que c'est meilleur pour sa santé.
06:28 Et je pense qu'on a un peu dupé le consommateur, puisque le bio, ça n'est pas fait pour être meilleur pour la santé.
06:33 C'est fait pour être meilleur pour l'environnement. Et que finalement, il y a eu des scandales dont on n'a pas beaucoup parlé, où il y a eu 13 morts.
06:39 Ça a été une crise sur les cherichia coli. Le système alimentaire, le système agricole de culture de bio ne préserve pas de bactéries.
06:47 C'est ce qui a toujours tué, en fait, dans la partie alimentaire. Donc il faut faire attention. Et je pense qu'il y a un peu de tromperie.
06:56 Et le système allemand ne résonne pas du tout de la même façon. Donc en France, on a dupé le consommateur sur ce secteur.
07:01 Mais concrètement, lorsque vous dites que le consommateur peut changer la société, peut finalement reprendre un peu son destin en main et orienter la société,
07:09 est-ce que vous avez un exemple concret aujourd'hui d'un mouvement, d'une tendance qui est concrète et qui change les choses ?
07:16 Dans la consommaction.
07:18 Alors dans la consommation, moi ce que je vois, c'est surtout tout ce qui s'est organisé autour du développement durable.
07:23 Donc c'est finalement une norme qui s'est imposée. Ce n'est pas simplement des militants qui défendent des idées.
07:28 C'est que tout le monde accepte l'idée qu'à un moment donné, il y a une finitude des ressources.
07:32 D'ailleurs, ça vient beaucoup plus de la part des citoyens que finalement les politiques qui font un peu un déni sur le fait qu'il y aurait des problèmes climatiques, etc.
07:43 Et finalement, l'individu lui-même va pouvoir aller dans le sens, dans ses choix d'entreprise, dans ses choix de marques, puisqu'on consomme tous les jours.
07:52 Il faut quand même considérer que par rapport à il y a 30 ans, il y a 50 ans, on dépense plus d'argent dans sa consommation.
07:57 On va pouvoir aller vers des entreprises qui vont dans le bon sens sur la préservation de l'environnement.
08:03 Et ce qui s'est mis en place, en contrepartie, c'est ce qu'on appelle la responsabilité sociale de l'entreprise.
08:08 Et je vois que dans les choix des consommateurs, dans nos enquêtes, on cherche des marques qui vont préserver l'environnement
08:16 ou qui vont favoriser le développement social de l'entreprise.
08:22 Et c'est vrai que ce pilier-là est important aussi.
08:24 Et on voit, par exemple, en France, on est très, très fervent en ce moment du fabriqué en France.
08:30 Donc c'est pour les plus âgés, pour préserver l'emploi.
08:33 Mais les plus jeunes vont aller vers du local, parce qu'ils imaginent en effet aller dans le sens d'encourager les agriculteurs,
08:42 les producteurs français de leur région.
08:44 Et en même temps, ils comprennent que s'ils achètent un produit local, il y a moins de pollution, puisqu'on le transporte moins.
08:50 Donc c'est dans ce sens où on voit, parce qu'il y a une crise économique, des choix qui se font en allant vers des entreprises
08:57 qui vont être celles qui vont être contre la discrimination, qui vont faire attention...
09:01 — Et qui elles-mêmes exploitent cela, parce qu'il y a quand même une société de consommation.
09:04 — Oui, bien sûr, bien sûr. Mais on est vraiment dans une société qui change parce que c'est donnant-donnant.
09:08 C'est-à-dire que forcément, tout le monde est gagnant. Donc c'est là qu'il faut bien comprendre les jeux.
09:12 C'est qu'il faut bien entendu rester dans un jeu économique qui a des règles et qu'ensuite, l'entreprise va jouer, en effet, va bien entendu.
09:22 Mais c'est parce que le consommateur lui demande d'aller dans ce sens.
09:26 Et c'est là qu'il y a en effet, quand il y a des scandales comme celui sur l'avion de deux chevals,
09:31 le consommateur dénonce beaucoup plus vite qu'avant les scandales, puisque Internet est beaucoup plus rapide.
09:36 Donc on va beaucoup plus dans l'immédiateté. Et donc l'entreprise se doit d'être beaucoup plus transparente
09:40 pour, quand il y a un scandale, pouvoir l'expliquer.
09:43 — Souvent, on stigmatise les entreprises. Mais le consommateur a quand même un rôle à jouer.
09:48 Il est responsable, il a un libre-arbitre. Est-ce qu'il ne faut pas justement le responsabiliser ?
09:52 — Alors on fait attention à ce sujet-là, parce que la responsabilisation n'est pas forcément en France
09:58 le plus simple à mettre en avant, parce que finalement, chacun, après, est devant sa responsabilité,
10:04 qu'on aime bien avoir un cadre, qu'on aime bien avoir de la solidarité. Mais en effet, il a le choix, en tous les cas.
10:10 Ce qui est important, c'est que chacun comprenne qu'il peut agir à son échelle, même si c'est une toute petite goutte
10:15 sur les problèmes d'environnement. Il peut agir et faire changer au moins l'entreprise qui va aller dans son sens.
10:21 — Pascale et Bel, merci d'avoir accepté notre invitation Face à Rage. Je le rappelle pour nos auditeurs,
10:26 cette émission est en multimédia. C'est à la radio à 8h05, dès 10h en vidéo. C'est sur le Rage.fr.
10:33 Et si vous avez une réaction, une proposition d'inviter, un mail pour vous. C'est le face@rage.fr. À la semaine prochaine.
10:42 (Générique)

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