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00:00 Face à rage, présenté par Valère Correa.
00:03 En 2012, les actes à caractère raciste, antisémite et anti-musulman ont progressé de 23% en France,
00:16 selon le rapport annuel de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.
00:22 Il s'agit là d'une dangereuse banalisation de l'intolérance.
00:25 Nous nous sommes posé la question où en sommes-nous dans la lutte contre le racisme en France et notamment sur les réseaux sociaux ?
00:32 C'est la question qu'on va poser à notre invité, Jonathan Hayoun. Bonjour.
00:35 Bonjour.
00:36 Bienvenue Face à rage. Vous êtes président de l'Union des étudiants juifs de France.
00:40 Trois dates clés dans votre parcours. Pour commencer, en 2009, vous êtes diplômé en master Communication politique à Paris 12.
00:47 En 2010, vous cofondez la société de production audiovisuelle InProd/WeTrust.
00:52 Et en 2011, avec l'aide d'autres associations de lutte contre le racisme, vous avez obtenu le retrait de l'application pour iPhone juif ou pas juif.
01:01 Est-ce que d'abord, vous rajouteriez ou vous corrigeriez une de ces trois dates ?
01:05 Corriger, non. Ces trois faits, si ce n'est que dans les dates clés de l'action du EJF de ces dernières années sur les réseaux sociaux,
01:12 c'est vrai que le retrait de l'application juif ou pas juif sur Apple, iTunes était le début d'un engagement long sur les réseaux sociaux,
01:20 puisque nous avons également ensuite attaqué Google. Mais l'engagement du EJF sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur Internet
01:27 date de bien avant le mandat actuel, date du début des années 2000 et d'un procès gagné contre Yahoo devant les tribunaux américains.
01:35 Évidemment, parler des réseaux sociaux et de l'antisémitisme sur ces réseaux sociaux, on ne peut pas ne pas évoquer l'affaire des tweets antisémites.
01:43 Vous avez décidé d'assigner Twitter en justice d'abord aux civils, puis aux pénales. Twitter joue la carte de l'indifférence.
01:54 Et alors qu'une décision de justice française leur demande de donner les adresses, les données d'identification des auteurs de ces messages de haine,
02:03 alors que la justice française leur demande de mettre en place un système de signalement visible efficace, le géant du Net américain décide de jouer
02:12 la carte du dénigrement, de ne pas respecter une décision de justice française sur un sujet aussi grave que le racisme et l'antisémitisme.
02:19 D'une certaine manière, en protégeant l'anonymat des auteurs de ces messages-là, ils en deviennent complices et offrent un boulevard au racisme
02:27 et l'antisémitisme dans notre pays, dont on aurait bien besoin de se prémunir dans le climat actuel, où les gens peuvent déverser leur haine
02:33 et laisser libre cours à leurs pulsions. Aujourd'hui, nous avons donc, comme vous l'avez dit, de passer à la vitesse supérieure et d'attaquer Twitter
02:40 au pénal, parce que le président de Twitter, en dénigrant la justice française, en dénigrant même les paroles du président de la République,
02:47 qui a dit qu'il allait les contraindre à respecter notre loi, nos lois, qui sont différentes de celles des Américains, eh bien il est dans une infraction pénale.
02:56 Et c'est ce que nous allons prouver, j'espère, dans quelques mois.
02:58 — Au niveau de cette première condamnation aux civils, en tout cas cette obligation de délivrer l'identité des auteurs de tweets considérés comme antisémites,
03:08 vous le dites, la décision n'est pas appliquée. Ça veut dire qu'il y a un état de non-droit sur la toile, et notamment que Twitter peut continuer
03:14 en toute impunité à protéger ses utilisateurs ? — Ce n'est pas une zone de non-droit. Nous avons des lois extrêmement claires en la matière.
03:22 Et d'ailleurs, Twitter a reçu l'ordonnance de s'exécuter. Donc ce n'est pas une zone de non-droit. C'est Twitter qui est hors la loi.
03:29 C'est Twitter qui choisit d'avoir les yeux rivés sur la loi américaine et de considérer que le 1er amendement de la Constitution de son pays d'origine
03:36 est plus important que de respecter les lois des pays dans lesquels il décide de se développer. Eh bien en France, nous refusons cela.
03:42 Et s'il faut continuer à mener le combat dans les tribunaux, nous le ferons.
03:47 — Vous réclamez 38,5 millions de dollars à Twitter. Sur les réseaux sociaux, notamment, on se demande pourquoi ce montant.
03:55 Et là, ça rajoute un peu une polémique à la polémique. On voit déjà là se déverser à nouveau des tweets qui se questionnent sur ce montant.
04:02 Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? — On demande 50 millions de dollars, 38,5 millions d'euros, eh bien simplement parce que
04:11 face à un tel niveau d'irrespect de la part de l'entreprise américaine, face à un comportement où ils n'ont pas décidé de s'exécuter
04:19 alors que la justice française, depuis le 24 juin, leur demande de le faire promptement, alors nous avons décidé de rentrer dans leur logique.
04:26 Et leur logique, c'est de nous fonctionner seulement selon leur intérêt commercial. Alors s'ils demandaient une somme folle, démesurée,
04:32 aussi importante, pour réveiller les actionnaires de Twitter et les faire réagir, eh bien nous avons eu raison de le faire.
04:38 Et nous avons d'ailleurs eu la preuve, puisque le jour même, Twitter a enfin réagi auprès de l'AFP, ce qu'ils n'avaient jamais fait au préalable,
04:45 a enfin décidé. Alors malheureusement, leur réaction est de mauvaise foi. Leur réaction est agressive et insultante à notre égard.
04:50 Mais au moins, ils prennent enfin le sujet avec considération. — Et qu'est-ce que vous feriez de cette somme, si vous gagnez ?
04:56 — Nous avons... Nous sommes engagés à la reverser au mémorial de la Shoah. On peut dire que 38,5 millions d'euros ne seraient même pas suffisants
05:05 à mener tout le combat contre le racisme et l'antisémitisme dans notre pays. Et si la somme arrivait, elle serait engagée non pas par nous
05:11 mais par d'autres pour mener ce combat-là, même si on en aurait aussi besoin pour toute l'action que nous menons sur le terrain,
05:16 dans les universités, dans les écoles, et maintenant sur la toile.
05:20 — Comment est-ce que vous faites la différence entre l'humour, même s'il est mauvais, et le dérapage ? Parce que lorsqu'on regarde
05:27 l'historique de certains hashtags – je pense notamment à celui-ci, un bon juif –, il peut y avoir une différence entre les deux.
05:35 Est-ce que vous la faites ou est-ce que pour vous, tout est condamnable en bloc ?
05:40 — Déjà, ce concours d'antisémitisme, ces hashtags d'incitation à la haine ont été le lieu d'appels au meurtre, donc des messages extrêmement clairs.
05:50 « Un bon juif doit ressembler à un tas de cendres », « Un bon juif est un juif mort », il n'y a pas d'équivoque là-dessus.
05:55 Et c'est d'ailleurs surtout sur ces trucs-là que nous avons attaqué. Ensuite, il faut faire la distinction entre deux types d'humour.
06:01 Il y a le rire du racisme, il y a le rire des racistes et il y a le rire des Juifs, se moquer des Juifs, des Noirs, des Arabes.
06:08 Et quand on n'est pas capable de faire cette distinction, il y a un problème, parce que l'humour, il peut être dans la moquerie,
06:16 mais il ne peut jamais être du côté de la haine. Il est forcément du côté de la dérision, il est forcément du côté de la remise en question.
06:23 C'est pourquoi, par exemple, chaque année, nous organisons « Rire contre le racisme », où là, avec les humoristes,
06:28 on est prêts à rire des préjugés. Mais on peut pas se servir des préjugés pour rire.
06:34 Au niveau de la toile, qu'est-ce que vous préconisez, en particulier sur les réseaux sociaux ? On parle beaucoup de Twitter.
06:39 Ça peut également concerner le réseau social Facebook. Qu'est-ce que vous préconisez pour encadrer la liberté d'expression ?
06:47 La loi française est suffisamment complète en la matière. Nous ne demandons pas des sociétés de surveillance avant, en amont.
06:54 Nous demandons simplement que n'importe quel utilisateur de notre pays puisse signaler un contenu illicite et qu'il soit traité par l'acteur du numérique en question.
07:02 Ce que fait déjà Facebook, nous ne demandons pas plus. Simplement que Twitter respecte la loi française.
07:07 Nous savons bien qu'il est impossible de contrôler au préalable tous les messages. Et c'est même pas le fonctionnement d'Internet.
07:12 C'est un lieu de liberté extraordinaire. Mais nous ne sommes pas à voir par le doux parfum illusoire de la liberté illimitée.
07:18 Ça n'existe pas. Et cela ne doit pas exister dans notre pays.
07:20 Au niveau politique, on a entendu la déclaration du président de la République, François Hollande, au CRIF, récemment.
07:27 Est-ce que c'est rassurant ? Et selon vous, est-ce que les politiques ont une réelle volonté de s'impliquer dans ce problème ?
07:35 Les paroles du président de la République étaient suffisamment claires et fermes en la matière.
07:39 Il a clairement dit qu'il n'était pas question de laisser Twitter agir impunément et ne pas respecter une décision de justice française.
07:47 Dick Costello, le CIO de Twitter, sera à Paris dans quelques jours. Nous verrons aussi si la volonté politique aura également une influence et une action à ce moment-là.
07:57 Nous verrons aussi au moment de sa rencontre avec la mairie de Paris ce qui lui sera dit par les dirigeants de notre capitale.
08:02 Voilà aussi ce que nous attendons. Les paroles du président de la République étaient extrêmement importantes,
08:07 surtout à un rendez-vous sur la question de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui a été le dîner du CRIF ou la cérémonie d'hommage aux victimes de Toulouse-Montauban.
08:14 Il en a également parlé. Maintenant, avec la venue du président de Twitter en France, nous verrons concrètement ce qui va être dit, ce qui va être fait.
08:23 Lorsqu'une personne tweet, notamment à travers un hashtag, pour revenir sur Twitter, vous avez sans doute conscience qu'il ne mesure pas toujours la portée de ce qu'il écrit.
08:33 Qu'est-ce que vous pouvez déclarer, qu'est-ce que vous leur dites à ces gens-là lorsqu'ils dérapent, puisqu'aujourd'hui, vous attaquez Twitter,
08:39 mais vous pouvez aussi vous adresser aux utilisateurs des réseaux sociaux qui sont quand même les auteurs de ces tweets ?
08:45 Et on peut imaginer aisément que tous les tweets qui concernent notamment la question juive ne sont pas tous sérieux, loin de là, même s'ils sont absolument inacceptables.
08:57 – Cette action de justice aura également une vertu pédagogique. Nous venons rappeler, à l'heure du numérique,
09:03 à l'heure où les capacités d'expression des citoyens se démultiplient, qu'on ne peut pas tout dire, et que c'était un combat de plusieurs décennies
09:11 pour que le seul juif ou le seul arabe dans la rue soit considéré comme un délit, et que cela ne doit pas être différent sur Internet.
09:18 Nous venons leur dire que, attention, quand on porte une parole publique, ne serait-ce qu'individuelle, et sur Internet, elle reste publique, et ce n'est pas un jeu vidéo.
09:27 – Quelle est votre analyse de la situation des préjugés en France ? Est-ce que vous avez le sentiment que la France évolue vers la tolérance ?
09:35 – Le dernier rapport de la CNCDH dont vous parliez au préambule est extrêmement clair. Il y a une montée des actes, des passages à l'acte violent,
09:46 notamment à l'égard des juifs, avec plus de 58% d'actes antisémites, mais également une montée des actes anti-musulmans.
09:52 Mais il y a également une banalisation des préjugés. En effet, cela ne choque plus. La capacité d'indignation lorsqu'on entend un préjugé, c'est affaibli.
10:00 C'est cela qui est inquiétant, et c'est cette indifférence-là qui est quelque part coupable, et c'est contre quoi on doit lutter.
10:07 Pas simplement contre les racistes. – Comment on peut lutter ?
10:09 – Pas simplement contre les racistes. Eh bien en rappelant, en venant rappeler aussi l'histoire d'un préjugé, en venant rappeler qu'à travers les siècles,
10:16 nous savons qu'un préjugé peut amener à tuer. Nous savons que tout démarre par des mots, tout démarre par des idées,
10:21 qu'en 1994, eh bien au Rwanda, ça a démarré sur la radio d'Emile Colline, où il y avait des comparaisons des Tutsis avec les cafards.
10:29 C'est en faisant ce travail historique, ce travail pédagogique, mais également en détricotant, en déconstructant chaque préjugé,
10:35 comme nous le faisons dans les écoles avec le programme Coexiste. – C'est à l'État de faire ça ?
10:38 – C'est à l'État, mais c'est également aux citoyens, parce que l'État a annoncé un plan d'action extrêmement conséquent il y a quelques semaines.
10:44 Le pouvoir politique prend le sujet en main, le monde associatif également. Mais le message aussi à transmettre, c'est que c'est à chaque citoyen.
10:52 Lors de la tuerie de Toulouse l'année dernière, et de Montauban, les Français n'étaient pas suffisamment nombreux dans la rue.
10:58 L'indifférence a été là, il y a eu une indignation générale. Mais un an après, les actes ont augmenté.
11:03 Nous sommes dans une société où, lorsqu'on arrive à un tel niveau de crimes et d'horreurs racistes et antisémites,
11:07 eh bien cela ne suffit pas pour faire baisser le racisme et l'antisémitisme, mais cela l'augmente.
11:12 Ce n'était pas le cas il y a plusieurs décennies. Donc nous sommes dans une situation inquiétante.
11:16 – Jonathan Ayoun, merci d'avoir accepté notre invitation face à Rage. – Merci à vous.
11:20 – Je le rappelle pour nos auditeurs, cette émission est en multimédia. C'est sur Rage à 8h05, chaque vendredi,
11:26 en vidéo sur le Rage.fr dès 10h. Et si vous voulez réagir, participer, proposer un invité ou un sujet,
11:33 une adresse mail face@rage.fr. À la semaine prochaine.
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