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ÉducationTranscription
00:00 [Générique]
00:23 Le 22 janvier 1905, à Saint-Pétersbourg, la troupe tirait sur une manifestation pacifiste
00:31 réunissant des ouvriers, tuant des centaines de personnes.
00:37 Le Dimanche Rouge déclenchait une série de grèves, de manifestations, d'émeutes et d'attentats
00:41 dans tout l'Empire russe. C'est la révolution ratée de 1905.
00:48 Six mois auparavant, l'organisation de combat du Parti Socialiste Révolutionnaire
00:52 avait assassiné le ministre de l'Intérieur. Quelques jours plus tard, après le Dimanche Rouge,
00:59 elle assassinera le gouverneur de Moscou, le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicolas II.
01:05 L'organisateur des deux attentats, l'écrivain Boris Savinkov, dont les éditions prairiales
01:12 ont réédité en 2017 ce qui ne fut pas l'un des plus grands romans russes du XXe siècle.
01:19 La vie de Savinkov est elle-même un roman. Né en 1879 à Kharkov, d'une mère ukrainienne
01:26 et d'un père de la petite noblesse russe, le jeune homme est exclu de l'université
01:30 de Saint-Pétersbourg en 1899, fuit la Russie trois ans plus tard et se réfugie à Genève.
01:38 C'est de là qu'il adhère au Parti Socialiste Révolutionnaire et organise les attentats.
01:43 Un an plus tard, de retour en Russie, il est arrêté et condamné à mort.
01:47 Mais son parti organise son évasion et Savinkov passe en France.
01:53 Toujours habillé élégamment, coiffé d'un éternel melon noir, le regard dur et méprisant,
01:59 il fréquente durant quelques années la bohème artistique et littéraire de Montparnasse,
02:04 passe ses soirées entourées de belles filles à boire à la rotonde,
02:08 un lieu qu'il considère pourtant comme un tas de fumier.
02:12 En 1908, il écrit "Le cheval blême", un roman qui se présente comme le journal d'un terroriste
02:17 et s'inspire de l'attentat contre le grand-duc Serge.
02:22 Plus qu'une confession, c'est la mise en scène romanesque d'une question qui ne cessera
02:26 de hanter l'écrivain.
02:28 Le terrorisme peut-il avoir une justification morale ?
02:34 Cette même question traverse "Ce qui ne fut pas", écrit quelques années plus tard
02:38 et publié en feuilleton en 1912-1913.
02:43 La toile de fond du roman est toujours la révolution de 1905 et son échec final.
02:49 Mais le roman est encore plus désenchanté et les doutes du terroriste encore plus profonds.
02:55 On y suit trois frères qui s'engageront l'un après l'autre dans l'organisation de combat du parti,
03:00 commettront des attentats à la bombe, assassineront des fonctionnaires
03:03 et participeront au combat sur les barricades de Moscou avant de mourir un à un.
03:10 Savinkov fait de la révolution de 1905 une chanson de gestes.
03:14 S'ils doutent, s'ils ont peur, s'ils reculent parfois, les personnages de son roman
03:19 n'en sont pas moins grandioses, eux qui demandent au Christ de leur donner le courage
03:24 de mourir et de tuer.
03:26 "Mon Dieu, donne-moi le bonheur d'être une étincelle dans l'incendie pour servir
03:31 au salut de la Russie", psalmodit Alexandre Bolotov avant de courir sous les balles.
03:39 Ce que Savinkov n'épargne pas, en revanche, ce sont les membres du comité,
03:43 les intellectuels, les planqués, ces révolutionnaires en chambre qui discutent
03:47 pendant des heures de la stratégie à adopter en s'imaginant diriger la révolution.
03:53 Pour Savinkov, la révolution ne se dirige pas et seule l'action des masses
03:57 est susceptible de renverser le pouvoir.
04:00 Si la révolution a échoué en 1905, c'est parce que le peuple ne la voulait pas.
04:04 Cette vision tolstoyenne de l'histoire sera bien entendu démentie lorsque l'avant-garde
04:09 du prolétariat réussira à prendre le pouvoir.
04:13 Quand éclate la révolution de février 1917, Savinkov rentre en Russie,
04:18 où Kerensky le nomme commissaire politique de la 7e armée avant d'en faire son adjoint
04:22 au ministère de la guerre.
04:25 Mais lorsque les bolcheviks prennent le pouvoir en octobre, l'ancien révolutionnaire
04:29 passe à l'opposition armée et rejoint les armées blanches du Don.
04:34 L'écrivain racontera cet épisode dans "Le cheval noir",
04:36 un des récits les plus saisissants sur la guerre civile,
04:39 au titre lui aussi tiré de l'Apocalypse.
04:42 En 1921, il revient à Paris et cherche des appuis politiques auprès de Mussolini,
04:48 retrouvant dans le fascisme les éléments de son populisme russe.
04:53 Il rencontre également Churchill, qui louera après sa mort, je cite,
04:57 "la sagesse d'un homme d'État, le talent d'un général d'armée,
05:02 le courage d'un héros, l'endurance d'un martyr".
05:07 En mai 1922, la GPO, la police politique soviétique,
05:10 monte une opération pour le retourner.
05:13 Les émissaires lui font croire qu'une organisation clandestine le réclame pour chef.
05:17 Il franchit la frontière le 15 août 1924,
05:20 est arrêté le lendemain à Minsk.
05:23 Condamné à mort, sa peine est commuée à 10 ans de réclusion
05:26 contre sa capitulation publiée dans la Pravda le 13 octobre 1924.
05:33 Sept mois plus tard, le 7 mai 1925,
05:35 Savinkov se jette par la fenêtre dans la cour de sa prison.
05:40 Laissons les tout derniers mots à Malraux.
05:44 J'ai souvent pensé à ce corps écrasé au pied du haut mur de briques,
05:49 le cadavre du romantisme révolutionnaire.
05:52 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
05:55 Sous-titrage Société Radio-Canada