2024, bonne ou mauvaise année pour le pouvoir d'achat ? - Le débat économique

  • il y a 9 mois
Le débat éco de ce vendredi réunit Thomas Porcher et Dominique Seux autour de cette question : Que représentera 2024 pour le pouvoir d'achat des Français ?

Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique

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Transcription
00:00 7h46, l'heure du débat éco et je présente mes meilleurs voeux à nos deux débatteurs de choc, Dominique Seux et Thomas Porcher.
00:06 Bonjour à tous les deux !
00:07 Bonjour !
00:07 Voyons y tout !
00:08 Et bonne année 2024 sur le plan économique et pas seulement.
00:12 On va profiter de ces derniers jours de l'année pour faire un bilan de 2023 sur le plan du pouvoir d'achat.
00:17 Sujet important, on le sait, pour les Français, c'est même leur priorité pour cette année, si on en croit la patronne de la CFDT.
00:23 L'INSEE nous annonce un léger sursaut de l'inflation en décembre, ça fait une augmentation générale des prix à 3,7% sur un an.
00:31 On s'attend à près de 5% pour l'année.
00:34 C'est moins qu'en 2022, ça reste supérieur à ce qu'on a connu pendant des années.
00:38 Les prix continuent donc à grimper malgré les annonces répétées, Dominique Seux ?
00:43 En fait, en tout cas, les chiffres publiés par l'INSEE hier, les prix ont augmenté en décembre de 0,1%.
00:49 Je pense qu'il faut arrêter de regarder uniquement en glissement annuel parce qu'on a des effets de traîne.
00:56 Ce sont les hausses de prix des mois passés qui parlent.
01:00 Aujourd'hui, ce qui concerne les consommateurs, c'est ce qui se passe dans les étals, notamment des supermarchés et bien y'a d'ailleurs.
01:05 Donc, les prix n'augmentent plus beaucoup.
01:08 Et les prévisions, on a eu un petit rebond en décembre, le même rebond en Allemagne pour une histoire de moyenne de l'énergie antérieure.
01:17 Les prix en 2024, puisque c'est ça maintenant qui vient nous intéresser, que ce soit les prévisions de la Banque de France, de l'ECDE, de l'INSEE ou du gouvernement,
01:27 ça tourne autour de 2,5% en moyenne, c'est-à-dire moitié moins qu'en 2023 ou qu'en 2024.
01:34 Donc, ça va aller mieux. Il n'y a pas de doute là-dessus. Ça va aller mieux.
01:37 Est-ce qu'il y a des incertitudes liées sur le pétrole ? Le pétrole est à 80 dollars. Il était hier soir 80 dollars.
01:45 Il remonte un petit peu. C'est possible, c'est la géopolitique, etc.
01:48 Mais ça va aller mieux. Il n'y a pas de doute là-dessus sur les prix.
01:51 Évidemment, il faut avoir en tête le choc inouï que nous avons encaissé tous.
01:55 C'est-à-dire, nous avons eu en deux ans 10% d'inflation générale et 20% d'inflation sur l'alimentaire et une baisse de la consommation alimentaire de 10%.
02:05 Ce sont des chiffres absolument stupéfiants qu'il faudrait détailler, évidemment.
02:09 Mais nous avons vécu quelque chose de très fort. Mais les choses vont aller mieux.
02:12 Thomas Porcher, Dominique Seux le dit, ça n'augmente plus tellement, c'est fini.
02:16 Le pic est derrière nous, comme disait le gouvernement encore récemment.
02:19 Je n'en suis pas si sûr. Il faut quand même revenir sur la période très rapidement.
02:23 C'est vrai que nous avons vécu une perte de pouvoir d'achat comme nous n'avons jamais vécu depuis 1970.
02:28 Il y a eu une vraie baisse du pouvoir d'achat des salaires réels.
02:33 L'inflation, quand on regarde l'inflation cumulée, c'est 13% depuis 2020.
02:37 Parce que le pouvoir d'achat, c'est touché par l'inflation, mais s'il ne suit pas, le pouvoir d'achat diminue.
02:44 Tout à fait. Mais il faut comprendre une chose, c'est qu'on part d'une situation extrêmement dégradée.
02:49 C'est-à-dire que le pouvoir d'achat a stagné entre 2007 et 2017. Sur 10 ans, il a stagné.
02:53 On n'avait jamais vu ça en France. Après les chocs pétroliers, ça avait stagné 6 ans.
02:57 Ce qui avait expliqué d'ailleurs le mouvement des Gilets jaunes.
02:59 Et derrière cette stagnation du pouvoir d'achat, on a un choc inflationniste comme on n'avait jamais vu.
03:03 Alors sur l'avenir, sur 2024, il y a des tensions géopolitiques très fortes au Proche-Orient.
03:11 Rien ne nous empêche de penser un scénario où il y aurait les pays arabes qui rentreraient dans la danse
03:17 et qui feraient comme dans les chocs pétroliers, baisseraient leurs offres et feraient monter les prix du pétrole.
03:21 La Banque mondiale prévoit un prix du pétrole pour 2024 à 150 dollars.
03:25 Ce n'est pas pour rien qu'elle le prévoit à 150 dollars.
03:26 C'est qu'elle imagine qu'il peut y avoir des tensions qui feraient monter les prix.
03:30 Et je vous rappelle que l'inflation en France est majoritairement commandée par la hausse des prix de l'énergie.
03:35 Donc on n'est pas forcément sortis d'affaire.
03:37 Alors j'ai deux points de désaccord.
03:39 Le premier, c'est que vous dites qu'on a eu une perte de pouvoir d'achat absolument inouïe et absolument énorme.
03:47 Vous n'êtes pas d'accord, Dominique Seux ?
03:48 Non, parce que quand vous regardez les données macro-économiques,
03:52 il y a vraiment une différence importante entre le ressenti que nous avons tous et les données macro-économiques.
03:58 Et pourquoi ?
03:59 Alors, les données macro-économiques disent que le pouvoir d'achat en 2022, 2023 et avenir 2024,
04:07 en fait, ça se balade entre -0,2 et +0,3.
04:10 Ce que vous voulez dire, c'est que les salaires ont suivi.
04:12 C'est vrai que quand on entend ça, on se dit mais ça ne correspond pas à notre vie.
04:16 Les salaires ont globalement suivi.
04:20 Alors pourquoi on a ce sentiment inverse ?
04:21 Alors à mon avis, pour une raison très simple, qui est qu'il y a eu un décalage.
04:25 C'est-à-dire qu'il y a d'abord eu l'hausse des prix, puis les salaires ont suivi.
04:30 Mais évidemment, je dis globalement les salaires ont suivi,
04:34 mais l'inflation, c'est une centrifugeuse.
04:37 L'inflation, ça éparpille les façons, façon puzzle,
04:40 quand on regarde les situations des uns ou des autres.
04:43 La situation des salariés des DF qui ont eu une hausse de salaire de 10% sur deux ans
04:47 ou de totale énergie, ça doit être de 7%, ou toutes les grandes entreprises.
04:51 Évidemment, ça suit.
04:52 Donc c'est en dessous de la inflation.
04:53 - Non, l'inflation, c'est 13,6% sur trois ans.
04:58 L'alimentaire, c'est 22%.
04:59 Personne n'a vu son salaire augmenter de 22%.
05:01 - Ce qui compte, c'est la moyenne.
05:01 Les grandes entreprises se sont alignées, grosso modo.
05:05 Les petites entreprises ou les services à la personne,
05:08 là, vous n'êtes pas en situation de pouvoir réclamer, exiger.
05:12 Il faudrait exiger des hausses de salaire.
05:14 Et à ce moment-là, vous avez des différences.
05:16 Quand l'inflation est à 2%, avoir une hausse de salaire ou pas, c'est douloureux,
05:21 mais ce n'est pas épouvantable.
05:24 Quand il y a une inflation à 5, 6% par an pendant deux ans,
05:28 avoir une hausse de salaire ou ne pas en avoir,
05:30 ça crée une différence considérable.
05:31 - Thomas Porcher, c'est que le sentiment, il vaut aussi,
05:34 parce que vous nous dites qu'il y a des secteurs où il y a beaucoup plus d'inflation
05:37 que les augmentations de salaire.
05:39 - L'alimentaire, c'est tous les jours, ça.
05:40 Que vous apercevez l'inflation à plus de 20%,
05:44 ce n'est pas pareil quand vous prenez l'inflation générale
05:46 sur des biens électroménagers que vous allez changer
05:48 par-ci, par-là, une fois tous les 4, 5 ans.
05:50 L'alimentaire, c'est tous les jours.
05:51 L'alimentaire à plus de 22% d'inflation, le choc, vous le chantez.
05:55 Puis même le salaire réel, il a fait -3,2% en France.
05:59 À la crise de 2008, on était à un peu plus d'un pour cent.
06:03 Donc non, il y a une vraie perte de pouvoir d'achat.
06:05 Alors effectivement, le dernier trimestre de 2023,
06:09 il y a un rattrapage des salaires sur l'inflation.
06:11 Mais vous avez ce choc du décalage que Dominique Seux a mis en avant,
06:14 le choc du décalage, c'est-à-dire que pendant pratiquement deux ans,
06:17 les gens ont dû s'adapter.
06:20 Et qu'est-ce qu'ils ont fait ?
06:22 Ils ont privilégié les discounteurs, ils ont consommé moins de viande.
06:25 En Italie, ils ont consommé moins de vin.
06:26 En Allemagne, ils ont consommé moins de saucisses.
06:28 Le consommateur s'est fortement adapté.
06:30 Et comme je l'ai dit, on partait d'une base qui était dégradée.
06:33 Donc moi, ce qui m'impressionne surtout, c'est face à ce choc,
06:36 la plasticité qu'ont eu les Français, même les populations européennes.
06:39 - Dominique Schelcher, le patron du Sistopub,
06:40 qui était invité à ce micro avant-hier matin,
06:44 nous a donné sa grille de lecture, qui je crois est la bonne.
06:47 Et quand on évoque une baisse de la consommation alimentaire de 10 %,
06:51 est-ce que les Français ont diminué leur achat de 10 % ?
06:55 Non, ils ont substitué, ils ont remplacé le bœuf par le porc.
06:59 - Moins de bio aussi par exemple.
07:02 - Moins de bio, c'est-à-dire des produits moins chers.
07:05 C'est une adaptation, vous avez dit plasticité,
07:07 c'est un changement de comportement.
07:09 - Ils ne mangent pas moins, ils mangent moins bien.
07:10 - Voilà, ils mangent moins bien.
07:11 Alors après, c'est très gentil pour les produits, les marques distributeurs,
07:15 parce que ce n'est pas forcément moins bien, je ne sais pas.
07:17 Chacun jugera.
07:18 On remplace peut-être les produits de marque de Coca-Cola
07:21 par des eaux gazeuses un petit peu différentes.
07:25 C'est un changement profond.
07:26 Alors on s'en alarme quand c'est la consommation alimentaire,
07:29 on pourrait s'en alarmer aussi quand on regarde la baisse
07:32 de 8 à 10 % de la consommation d'électricité.
07:35 Mais là on se dit, c'est pas simplement,
07:38 c'est aussi vertueux pour le climat, etc.
07:41 Mais donc on voit bien qu'il y a un changement
07:43 assez considérable dans les comportements.
07:46 Sur 2024, la question c'est de savoir,
07:48 est-ce que l'inflation va diminuer ?
07:51 On a un petit désaccord là-dessus,
07:52 mais sauf surprise majeure géopolitique,
07:56 les salaires vont continuer d'augmenter.
07:58 Mais il y a des nouvelles qui sont plutôt bien.
08:01 Il y a aussi les retraites qui vont augmenter de 5,3 %.
08:04 - Qui n'avaient pas augmenté au même niveau que les prises,
08:08 qui avaient appauvri les retraités.
08:09 C'est-à-dire que normalement, il est prévu qu'il y ait une forme d'indexation
08:12 et que ça augmente au même niveau que les prix.
08:14 Mais ça a augmenté, mais en dessous de l'inflation,
08:16 ce qui fait qu'il y a eu un appauvrissement des retraités.
08:18 - Vous ne croyez pas à la Banque de France qui dit 2,5 % d'inflation sur les prix ?
08:24 - C'est possible, c'est un scénario possible.
08:26 Mais comme aujourd'hui, le grand maître, ça reste quand même la géopolitique,
08:29 puisque cette inflation, elle vient, bon certes,
08:31 d'une détérioration du commerce suite à la sortie du Covid,
08:34 mais elle vient majoritairement du conflit entre la Russie et l'Ukraine,
08:37 qui a fait un choc sur l'énergie.
08:39 Et rien ne nous empêche d'imaginer un scénario comme beaucoup l'imaginent.
08:43 Par exemple, Joseph Tiglitz, qui a établi ce scénario,
08:47 qu'il y ait un choc pétrolier également.
08:49 - Il y a la fin des boucliers tarifaires aussi,
08:51 qui est prévue sur l'électricité par exemple en milieu d'année.
08:53 - Effectivement, l'électricité va augmenter de 10 % normalement en février.
08:58 Donc on n'est pas sûr.
08:59 Et puis après, il faut voir à quel prix nous avons baissé cette inflation.
09:01 Nous l'avons baissée au prix d'une dizaine de hausses successives de taux
09:06 qui a impacté très fortement l'activité économique et notamment l'achat de logement.
09:10 Au-delà de celui qui voit le verre plutôt à moitié vide,
09:14 et celui qui voit le verre plutôt à moitié plein, qui est plutôt moi.
09:21 Évidemment, nous ne savons pas très bien ce qui va se passer.
09:23 Ce qu'on peut noter, c'est l'année dernière, on s'était largement trompés,
09:26 puisque chacun disait que l'inflation va durer beaucoup plus longtemps qu'elle ne dure pour l'instant.
09:32 Et on a plutôt un attassement.
09:35 Il y a deux questions qui se posent.
09:38 Il y a des hausses, par exemple, de tarifs d'assurance qui arrivent, de mutuelles.
09:43 Et vous avez probablement l'assurance, on voit bien,
09:47 Maxence Lambrecht en parlait à l'instant, sur les catastrophes naturelles et autres.
09:52 On va avoir un certain nombre de choses qui vont arriver, qui vont être désagréables.
09:57 - Thomas Porcher, quelles conséquences ça peut avoir tout ça ?
09:59 - La conséquence, c'est ce qu'on a dit, c'est un appauvrissement général de la population française.
10:04 C'est ce qui s'est passé.
10:06 - Ça peut peser sur la croissance ?
10:07 - S'il n'y a pas de consommation, il y a moins de croissance.
10:10 Mais déjà, on pèse sur la croissance avec la hausse des taux qui a freiné l'activité.
10:14 C'est-à-dire que pour maîtriser cette inflation, nous avons choisi de baisser l'activité.
10:19 La situation n'est pas fameuse quand on regarde les indicateurs.
10:23 Il y a eu un appauvrissement général et une perte d'activité.
10:27 Il faut vite sortir de cette période-là.
10:29 Je ne suis pas sûr que la solution choisie par les banques centrales,
10:32 d'augmenter les taux, était forcément la bonne solution.
10:34 Je pense qu'au moins, un minimum, on aurait dû faire comme aux Etats-Unis,
10:37 c'est d'accompagner une politique budgétaire forte pour soutenir l'activité.
10:40 - Alors, nous avons... - En un mot, Dominique Seuris.
10:42 - Oui, en un mot, il n'y a pas eu de récession pour l'instant,
10:44 donc ça c'est plutôt une réussite des banques centrales.
10:46 Et la France a mis une politique budgétaire quand même très puissante,
10:50 puisque le coût des boucliers tarifaires sur l'énergie, c'est 50 milliards d'euros.
10:56 - Coup pour les finances publiques.
10:57 - Pour les finances publiques, c'est-à-dire pour le contribuable.
10:59 C'est 50 milliards.
11:00 Toutes les revalorisations qui sont justifiées, de toutes les prestations, etc.
11:04 Cette année, c'est 25 milliards.
11:07 Donc on voit qu'on est dans des sommes fantastiques.
11:09 Il est temps, je pense, de désarmer en partie les boucliers,
11:12 notamment pour ceux comme vous et moi qui n'en ont pas besoin.
11:15 - Dominique Seux, Thomas Porcher, merci beaucoup à tous les deux
11:18 à suivre les mots de l'année dernière de la série.

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