• il y a 9 mois
Débat éco avec Dominique Seux x Thomas Porcher. Thème de ce vendredi : "IA, des prévisions trop optimistes?"

Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Le débat écho du vendredi, bonjour Thomas Porche et Dominique Seux.
00:03 Bonjour à tous.
00:04 Cette semaine, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont reçu le rapport très attendu de
00:09 cette commission qui avait été chargée après l'été de réfléchir sur l'avenir
00:13 de l'intelligence artificielle en France, de faire des recommandations, 25 précisément.
00:19 La présidente du conseil d'administration de l'école normale supérieure, Anne Bouvreau,
00:24 et l'économiste et professeur au Collège de France, Philippe Aguillon, ont piloté
00:28 ce travail, un travail qui assume d'être, je cite, « optimiste et positif ». Un exemple,
00:34 d'ici 10 ans, l'IA, l'intelligence artificielle, pourrait doper la croissance d'un point,
00:40 et les auteurs sont confiants sur l'emploi.
00:42 Vous avez lu ce rapport l'un et l'autre, est-ce que vous partagez cette confiance,
00:46 Thomas Porche ?
00:47 Je suis un peu plus pessimiste, mais j'ai trouvé le rapport très bon.
00:51 Il y avait quelques points morts, par exemple la question environnementale, qui est très
00:55 vite passée là-dessus, la question des petites mains qui entraînent l'IA n'est même
01:00 pas abordée.
01:01 Mais après, ce que j'ai aimé dans le rapport, c'est qu'il y a une réhabilitation de
01:04 l'importance de l'État pour créer un géant de l'IA, dans l'investissement,
01:08 dans la formation, dans la structuration du marché.
01:11 Et ça, ça va à l'inverse de ce qu'on a entendu depuis une dizaine d'années,
01:14 sur le fait qu'il fallait laisser faire les entrepreneurs, le secteur privé, que
01:18 l'IA allait naître dans un garage.
01:20 Là, finalement, ce rapport contredit cette idéologie qui nous avait été vendue ces
01:24 dernières années.
01:25 - Je trouvais le rapport excellent aussi.
01:27 Il faut inciter tous ceux qui, parmi nos auditeurs, souhaitent comprendre ce qui est en train
01:32 de se passer sur l'intelligence artificielle à lire ce document qui se trouve vraiment
01:36 en deux clics, parce qu'il est très pédagogique et très clair.
01:40 Je n'ai pas lu néanmoins le même rapport que Thomas Porcher, parce que je n'ai pas
01:44 trouvé une ode à chaque page de l'État comme il semble l'avoir vu.
01:47 Il y a une ode, en tout cas, il y a une description de ce que font les acteurs et la technologie.
01:53 Et l'innovation.
01:54 Et je partage, oui, c'est vrai, cette lecture plutôt optimiste sur le plan économique
02:00 de ce qu'est l'intelligence artificielle.
02:02 Alors, même s'il faut quand même apporter une nuance immédiatement qui est que sur
02:06 le plan technique, l'intelligence artificielle générative n'est pas encore complètement
02:10 au top.
02:11 J'ai posé une petite question très simple à deux copilotes qui est l'IA de Microsoft
02:17 et à Chad Jepiti.
02:18 Quel est l'âge d'Ali Baddou et Thomas Porcher ?
02:20 Eh bien, écoutez, ils n'apportent pas la même réponse.
02:22 Vos dates de naissance ne sont pas les mêmes et donc ça pose un petit problème.
02:25 Et après j'ai demandé à eux deux…
02:26 Mais on attend une intelligence artificielle française qui, elle, aura la bonne réponse.
02:30 Oui, je leur ai demandé aussi quelle est la couleur du logo de France Inter.
02:33 Chad Jepiti m'a répondu bleu et Copilot m'a répondu blanc sur fond rouge.
02:38 Ce qui me semble, selon mes informations, plus exact.
02:41 Ouh, alors ils sont d'Altonien.
02:42 Mais Thomas Porcher, pourquoi vous étonnez que ce rapport se tourne vers l'État alors
02:48 qu'aujourd'hui les grandes entreprises de l'intelligence artificielle sont toutes
02:54 américaines ?
02:55 Oui, mais il y a eu une place importante de l'État dans toutes les innovations numériques
02:59 aux États-Unis.
03:00 En amont de la chaîne d'innovation, c'est toujours l'État qui a investi.
03:02 Pour Internet, c'était DARPA.
03:03 Quand vous regardez l'iPhone, sur la reconnaissance vocale, l'écran tactile, Internet, le GPS,
03:10 tout ça c'est des inventions finalement où l'État a investi en amont.
03:12 Et là, ce rapport, dans les sept recommandations, la première recommandation c'est quoi ? Sensibiliser
03:17 les Français à l'intelligence artificielle.
03:19 Très bien.
03:20 La deuxième, investir 5 milliards de l'État français.
03:22 5 milliards, c'est les écoles…
03:23 Dans les entreprises du numérique ?
03:24 Effectivement.
03:25 Ce qui n'est rien par rapport aux sommes investies par les gars femmes.
03:27 Ce qui n'est rien mais ce qui représente les 5 milliards d'économies qu'on va
03:29 faire sur l'ensemble des ministères, sur l'éducation, etc.
03:32 Oui, mais ça reste très faible par rapport aux montants investis aux États-Unis par
03:35 les entreprises privées.
03:36 Ah bah bien, non, par aussi l'État.
03:38 Et d'ailleurs au Japon, pardon, en Chine et aux États-Unis, qui représentent les
03:45 deux poids lourds dans l'intelligence artificielle, il y a des investissements massifs de l'État
03:49 américain et de l'État chinois.
03:50 Et ensuite, le rapport dit qu'il faut restructurer le marché pour que puisse émerger ce concurrent
03:58 européen face au concurrent chinois et américain.
04:00 Donc on voit bien quand même que l'État a un rôle et que l'État a un rôle dans
04:04 le fait que cette innovation serve l'intérêt public.
04:07 Du moins, c'est ce que dit le rapport.
04:08 Il se trouve que j'ai rencontré il y a quelques jours le dirigeant de la nouvelle
04:12 startup française qui s'appelle Mistral, dont on parle beaucoup.
04:15 Sonia Devilleur avait reçu dans ce studio Arthur Mensch qui est le patron de Mistral.
04:19 C'est une jeune startup qui pèse 2 milliards d'euros de valorisation.
04:24 Ils sont 34 salariés et c'est elle qui a ouvert un bot conversationnel qui s'appelle
04:30 Le Chat.
04:31 Au cours de la rencontre, il ne me semble pas que le mot État ait été prononcé.
04:35 Donc je crois qu'il faut… Vous savez, ce qui se passe, Ali, c'est qu'on en
04:40 a déjà parlé au moins une reprise depuis la rentrée, ça progresse et ça avance dans
04:44 les entreprises à une vitesse assez stupéfiante.
04:49 Alors attention, l'intelligence artificielle existe depuis des années.
04:52 Vous vous souvenez que Kasparov avait été battu par DeepMind aux échecs en 1997.
04:57 Donc c'est très vieux.
04:58 Mais ce qui est nouveau, c'est l'intelligence conversationnelle.
05:00 Je pose une question en langage humain et il répond en langage humain.
05:06 Ça, ça se répand dans toutes les entreprises.
05:08 Que chaque auditeur se dise « est-ce que j'ai déjà utilisé, dans mon cas professionnel
05:11 ou personnel, un bot conversationnel depuis un an ? » La réponse est, à mon avis,
05:18 immensément majoritairement oui.
05:20 Alors soyons concrets, Thomas Porcher, dans quel secteur voit-on arriver l'intelligence
05:24 artificielle ? Arriver vite et changer les choses en priorité ?
05:28 Dans toutes les tâches où il y a des répétitions.
05:30 Ça peut être les conseillers de clientèle, ça peut être les chauffeurs, ça peut être
05:35 la santé.
05:36 Il y a tout un tas de secteurs qui vont être affectés, comme ça a été le cas avec l'arrivée
05:40 d'Internet où on a fermé toutes les banques physiques pour privilégier les banques en
05:45 ligne.
05:46 Donc il va y avoir un impact.
05:47 Maintenant, il faut toujours faire attention parce qu'on a un passif.
05:49 Encore une fois, Internet, au début on nous a vendu que ça allait sauver le monde, qu'il
05:54 n'y allait plus avoir de pauvreté, que ça allait augmenter très fortement la productivité.
05:57 Toutes les études ont montré que la relation n'était pas toujours établie entre le
06:01 fait qu'il y ait Internet et la productivité.
06:02 Et que la lutte contre la pauvreté dans les pays pauvres, l'impact d'Internet reste
06:07 très incertain sur les effets de la pauvreté.
06:10 D'ailleurs, le rapport le dit bien.
06:12 Quand vous prenez la partie sur l'environnement, ils vous disent qu'il y a un coût environnemental
06:17 qui est quasiment certain, il a été établi.
06:19 Mais après, ils vous disent que les gains en termes de recherche et d'innovation peuvent
06:25 être supérieurs au coût.
06:26 Mais rien n'est assuré.
06:27 Sur l'environnement d'abord, l'électricité en France est décarbonée.
06:33 C'est un argument massif pour que les centres de données et de calcul se passent en France.
06:40 C'est un argument.
06:41 La question ne se pose pas de la même manière en France qu'ailleurs.
06:44 Je suis ravi qu'on puisse être d'accord là-dessus.
06:45 Où est-ce que, très concrètement, c'est pour les codeurs ? Plus 50% de productivité
06:53 pour les codeurs, ça va gagner un temps fou.
06:55 Sur évidemment les téléconseillers, mais en fait, dans les entreprises aujourd'hui,
07:00 dans la plupart des entreprises, vous avez, je mentionnais Copilot, on ne va pas faire
07:03 la publicité, mais Microsoft dans les outils Word.
07:06 En fait, c'est installé, ça existe déjà.
07:08 Après, vous avez la médecine, ça démarre moins vite qu'on ne le dit jusqu'à maintenant
07:14 quand on parle à des médecins qui sont à l'hôpital, on leur dit est-ce que vous
07:17 utilisez pour la lecture des scanners ou des IRM, l'intelligence artificielle ? Ce
07:21 n'est pas la réponse majoritaire, mais c'est la traduction.
07:24 Je crains que le métier de traduction est un avenir un petit peu incertain.
07:29 Vous avez la synthèse de documents, vous avez la présentation de PowerPoint, vous
07:34 avez beaucoup de choses.
07:35 En revanche, il y a des secteurs dans lesquels on ne le verra pas tout de suite.
07:37 J'ai posé la question hier à un spécialiste du transport aérien, est-ce qu'on va l'utiliser
07:41 dans les compagnies aériennes ? Écoutez, tant que la fiabilité n'est pas 100%, non
07:48 évidemment.
07:49 Et donc, j'ai mentionné tout à l'heure l'existence du logo de France Inter, la couleur
07:54 du logo de France Inter, on voit que la fiabilité n'est pas encore tout à fait là.
07:56 Il est rouge.
07:57 Thomas Porcher, d'un mot, comment est-ce que vous, vous voyez cet optimisme se traduire
08:03 en matière d'emploi ? Puisque là, les exemples que vient de citer Dominique, ce sont des
08:08 secteurs où il y aura de la destruction massive d'emplois.
08:11 Le rapport est très intéressant là-dessus.
08:12 Oui, le rapport est très intéressant.
08:14 Il part quand même du principe qu'il faut qu'il y ait des destructions pour avoir des
08:18 créations.
08:19 Mais encore une fois, déjà, on ne parle pas des petites mains qui entraînent cette
08:24 intelligence artificielle, qui sont souvent dans des pays pauvres, qui sont payés à
08:28 la pièce 1, 2 ou 3 dollars.
08:30 Et ça, il faut en parler parce que derrière, on a l'impression quand on lit le rapport
08:33 qu'il n'y a que des innovations et qu'il n'y a pas de petites mains derrière.
08:36 Alors qu'il y a toujours des petites mains.
08:38 Après, l'impact environnemental, bien sûr, on a une électricité décarbonée.
08:41 Mais les data centers consomment énormément d'eau.
08:44 Vous savez, la semaine prochaine, vendredi prochain, c'est la journée mondiale de l'eau.
08:47 Donc, peut-être qu'il faudra en parler parce qu'il y a aussi d'autres consommations.
08:50 Et vous avez des tensions très fortes aujourd'hui dans certaines régions au niveau de l'eau.
08:53 Par exemple, c'est le cas en Espagne, à Barcelone, où ils importent de l'eau.
08:56 Donc, il y a quand même toujours des questions au développement massif de cette technologie,
09:00 des questions annexes qu'il faut prendre en compte et qui sont un peu passées très
09:02 rapidement dans ce rapport.
09:03 Ce que dit le rapport sur l'emploi, c'est que dans 19 emplois sur 20, il existe des
09:09 tâches que l'intelligence artificielle ne peut pas accomplir.
09:13 Donc, le risque n'existe pas.
09:15 5% des emplois sont menacés.
09:18 Mais la question, c'est de savoir si ce qu'on appelle l'effet de productivité,
09:23 il existe la productivité, est supérieur à l'effet d'éviction, là où un emploi
09:28 pourrait être menacé.
09:30 C'est la différence entre…
09:31 Le calcul est un peu rapide là-dessus, moi, je trouve.
09:34 La théorie avancée est celle que vous dites.
09:36 Mais c'est la même chose qu'on nous a dit pour Internet.
09:38 Et encore une fois, les études qui ont été faites, qui ont été publiées parfois, qui
09:41 ont été publiées pour regarder l'ensemble de la vie d'Internet depuis la fin des années
09:45 90 jusqu'à aujourd'hui, montrent que les effets en productivité ne sont pas aussi
09:48 élevés que ceux qui avaient été dits.
09:50 Et ça, c'est intéressant.
09:51 Donc, s'il n'y a pas de productivité, il y a plus de destruction d'emploi que
09:54 de création.
09:55 Et ça, c'est important aussi à rappeler.
09:56 Je crois que l'intelligence artificielle remplace davantage des tâches que des emplois.
10:00 Et donc, c'est une nuance plus que…
10:02 Quelle est la nuance justement ? Explication de texte ?
10:04 La nuance, c'est-à-dire que ce sont des tâches accomplies par certaines personnes
10:07 dans le cadre de leur emploi.
10:09 Mais leur emploi est préservé.
10:10 C'est une…
10:11 Qu'est-ce que l'intelligence artificielle ? C'est de l'industrialisation des données
10:16 de l'intelligence.
10:17 Bon, eh bien, on a encore besoin derrière de l'intelligence naturelle.
10:21 Toujours sur l'optimisme et la dimension positive de ce travail, l'IA pourrait doper
10:26 la croissance d'un point…
10:28 C'est pas énorme ?
10:29 Un point par an ?
10:30 Ou c'est beaucoup ?
10:31 C'est pas mal quand on a…
10:32 En France, oui !
10:33 Là, si on avait un point de plus par an, on serait content.
10:37 Donc, avoir…
10:39 Moi, ça reste des prévisions.
10:41 Moi, c'est ça que j'ai envie de dire.
10:42 Le rapport est intéressant parce qu'il est ni pessimiste ni trop optimiste, c'est
10:46 vrai.
10:47 Mais toutes les avancées, en fait, les investissements et l'argent qu'il faut mettre et le coût
10:50 environnemental, il est certain.
10:52 Les avancées, ce sont des prévisions.
10:55 Après, dire qu'on peut se passer complètement de l'IA quand on a deux gros géants qui
10:59 s'y mettent pleinement, c'est faux.
11:01 On doit avoir notre part à prendre et il va falloir faire en sorte qu'en Europe,
11:04 on ait des IA.
11:05 Ça, c'est sûr.
11:06 L'idée de la France, c'est de savoir est-ce que cette affaire d'intelligence artificielle
11:09 remet les compteurs à zéro ? On a perdu les batailles précédentes, Internet, les
11:14 grands gars-femmes, est-ce que ça remet les compteurs à zéro ? On l'espère évidemment.
11:18 Mais c'est une chaîne complète, c'est-à-dire il y a les supercalculateurs, il y a les données,
11:24 il y a les puces, ça fait beaucoup de choses à la fois.
11:27 Mais je me dis que ce matin, il faut un peu d'optimisme sur ces sujets.
11:32 Ce n'est pas sur l'angle économique que nous devons avoir le plus de craintes, c'est
11:37 plutôt sur la malveillance et les mauvaises utilisations.
11:41 Merci à tous les deux.
11:43 Le rapport est en ligne et il est très facile à trouver sur le site du gouvernement.
11:48 J'indique que nous recevrons demain dans le Grand Entretien à 8h20 Anne Bouvreau et
11:52 Philippe Aguillon qui ont piloté ce travail sur l'intelligence artificielle.
11:56 Thomas Porchet, Dominique Seux, merci.

Recommandations