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En cette rentrée littéraire de janvier, un livre d’une centaine de pages a tapé dans l'œil d'Arnaud Viviant.

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Transcription
00:00 - Arnaud Vivian, en cette rentrée littéraire de janvier, un petit livre d'une centaine
00:05 de pages vous a tapé dans l'œil.
00:07 - Oui, la littérature a aujourd'hui un ennemi clairement identifié et c'est le temps.
00:13 L'affaire n'est pas tout à fait nouvelle.
00:15 Au début du XXème siècle, Anatole France disait déjà « la vie est trop courte et
00:20 Proust est trop long ». Sauf que le temps de lire doit aujourd'hui se battre contre
00:25 des ennemis toujours plus redoutables, le temps de regarder une série télévisée,
00:30 le temps d'écouter un podcast, d'aller au cinéma ou à un concert et bien sûr le
00:34 temps de scroller sur les réseaux sociaux.
00:36 Depuis quelques mois, dans l'édition, on observe un phénomène nouveau, celui du petit
00:42 livre.
00:43 De cent pages, pas plus.
00:45 Cela a commencé en septembre avec « L'amour » de François Bégaudot où le romancier
00:50 est encapsulé dans un tour de force flaubertien, 50 ans de la vie d'un couple en 90 pages.
00:55 Un mois plus tard, en octobre 2023, un autre livre de 90 pages m'a fait l'effet d'un
01:02 coup de poing.
01:03 On n'en a pas beaucoup parlé, hélas.
01:05 Il s'intitule « Les Aves ». Il est signé Jérémie Lefèvre aux éditions Incultes.
01:11 De quoi s'agit-il ? Des cogitations à la fois drôles et sérieuses d'un homme qui
01:17 se demande pourquoi l'actrice Léa Sédoux a accepté d'être l'ambassadrice de
01:23 la marque Louis Vuitton.
01:25 Un livre à mesure aussi important que les choses de Georges Pérec sur la société
01:29 de consommation.
01:30 Sauf que là, il s'agit de la société de surconsommation.
01:34 Et puis voilà que c'est un autre petit livre qui fait pour moi l'événement de
01:39 cette rentrée de janvier.
01:40 Oui, alors pardon pour le suspense, ce petit livre s'intitule « Sans valeur ». Rien
01:46 que le titre fait envie et il est signé Gaël Obiegli.
01:50 Cet écrivain qui a déjà publié une dizaine de romans n'est peut-être pas très connu
01:54 du grand public, mais cela fait un moment que la critique littéraire la tient pour
01:58 une voix importante de la littérature française contemporaine.
02:02 L'histoire est simple.
02:03 Gaël Obiegli doit déménager.
02:05 Elle est donc prise dans cette activité que nous connaissons tous, jeter ou garder.
02:10 Cela lui rappelle au passage un enfant qu'elle a décidé de ne pas garder.
02:15 Faire le tri donc.
02:16 Selon quels critères ? Qu'est-ce qui relève de l'archive et qu'est-ce qui
02:19 relève du déchet ? C'est alors qu'en bas de chez elle, elle tombe sur ce qu'elle
02:24 appelle elle-même un petit tas d'ordures.
02:27 De quoi s'agit-il ? Des fragments d'une vie inconnue jetés sur le trottoir.
02:31 Et il y a là-dedans des bouts d'ordonnances, des photos, un billet de PMU.
02:35 Ce petit tas d'ordures, Gaël Obiegli raconte qu'elle ne peut pas s'empêcher de le
02:39 ramener chez elle.
02:40 Elle le met dans un cageot, parfois son chat joue avec.
02:43 Derrière, il y a bien sûr l'idée de la mort.
02:46 Que va-t-on décider de laisser derrière soi au vivant ? Gaël Obiegli raconte, comme
02:50 dit Warhol, écrit dans « Ma philosophie de A à B et vice-versa » que s'il a
02:54 peur de la mort, c'est uniquement parce que sa mère trouverait chez lui, en plus
02:58 du vibromasseur, tout ce qu'il a écrit sur elle dans son journal.
03:02 Voici donc un petit livre qui, de façon drôle et simple, pose des questions métaphysiques
03:08 assez vertigineuses.
03:09 Si on pense à quelqu'un en lisant Gaël Obiegli, c'est à Samuel Beckett, dont Jacques
03:14 Lacan disait « Pour ce qui est des poubelles, en s'étant dominé par le génie de Samuel
03:19 Beckett, nous en connaissons un bout ». Est-ce un hasard si, à la fin de sa vie, Beckett
03:25 écrivait des livres de plus en plus courts ? Je ne crois pas.

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