Politique : à la recherche des classes moyennes

  • il y a 7 mois
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00:00 « Les matins de France Culture »
00:04 Guillaume Erner
00:07 La place des classes moyennes dans le discours politique, c'est pratiquement devenu un passage obligé.
00:13 Par conséquent, Gabriel Attal et Emmanuel Macron ont sacrifié à ce rite avec, par exemple,
00:20 ce qu'a dit le Premier ministre Gabriel Attal le 13 janvier dernier.
00:24 Tous ces Français qui travaillent, qui sont juste au-dessus des aides,
00:27 mais n'ont pas un patrimoine qui leur permette de s'en sortir.
00:31 Bonjour Agathe Cagé.
00:33 Bonjour.
00:34 Vous êtes politiste, co-fondatrice et présidente du cabinet de conseil Compas-Label,
00:38 ancienne conseillère de Vincent Péion et de Benoît Hamon.
00:41 On vous doit « classe figée » aux éditions Flammarion.
00:44 C'est un livre à paraître le 24 janvier prochain.
00:48 Cette manière d'utiliser l'expression « classe moyenne » dans le discours politique, qu'est-ce qu'elle vous inspire ?
00:54 C'est une facilité, mais c'est vraiment quelque chose d'anachronique.
00:57 C'est-à-dire que quand Emmanuel Macron et quand Gabriel Attal parlent de la France des classes moyennes,
01:01 ils parlent d'une réalité qui n'existe plus.
01:03 Alors je sais qu'Emmanuel Macron a pu vouloir à une époque s'inscrire dans les pas de Valéry Giscard d'Estaing,
01:08 et qu'il peut donc se référer à une France magnifique des Trente Glorieuses.
01:12 Il faut rappeler, non pas qui était Valéry Giscard d'Estaing quand même.
01:15 Valéry Giscard d'Estaing rêvait de la France des classes moyennes.
01:19 La France des Trente Glorieuses a été une France des classes moyennes
01:21 jusqu'à la crise financière de 2008.
01:24 On a pu parler de la France des classes moyennes.
01:26 Il en rêvait notamment pour des raisons politiques, parce que pour lui c'était, selon le titre de son ouvrage, deux Français sur trois.
01:32 Exactement. Et à l'époque ça correspondait à une réalité.
01:34 Le problème c'est qu'aujourd'hui, en parlant de la France des classes moyennes,
01:37 Emmanuel Macron et le Premier ministre appliquent une grille de lecture fausse sur la réalité française.
01:42 Alors pourquoi ils le font ? Pour deux raisons.
01:44 D'abord, une facilité statistique.
01:46 D'un point de vue statistique, on pourra toujours dire qu'il y a des classes moyennes,
01:48 comme on pourra toujours dire qu'il y a 10% de Français les plus pauvres et 10% de Français les plus riches.
01:53 Ensuite, c'est une forme de facilité électorale.
01:56 On se dit que les classes moyennes, c'est au milieu, ça regroupe à peu près toujours dans une perspective giscardienne,
02:02 deux tiers des Français.
02:03 Donc si je dis que je m'adresse aux classes moyennes, finalement je vais peut-être avoir la chance de m'adresser à une forme de majorité dans le pays.
02:12 Le problème c'est que si vous appliquez une grille de lecture fausse sur la réalité,
02:17 vous allez apporter des réponses politiques fausses.
02:20 Et c'est à ce sens pourquoi, en partie, les réponses proposées par le Président de la République lors de sa conférence de presse ce lundi
02:27 ne répondent absolument pas à la réalité où ont vécu des Français.
02:30 Alors on va revenir sur cette définition des classes moyennes.
02:33 Mais là, en tout cas, Gabriel Attal donnait une définition et on a l'impression au travers de ce thème
02:42 qu'il visait notamment ces classes moyennes inférieures, peut-être celles, mais là aussi on rentre dans le débat sur le terme,
02:50 évidemment, polysémique à Gatte-Cagé, par exemple ceux qui ont milité avec les gilets jaunes.
02:57 C'est extrêmement compliqué le discours de Gabriel Attal parce que quand il parle des classes moyennes,
03:03 il se met directement à parler d'opposition.
03:06 C'est-à-dire les classes moyennes qui travailleraient par rapport à des classes populaires qui ne travailleraient pas.
03:12 C'est sous-jacent dans son discours alors qu'on sait bien que les classes populaires travaillent autant que les autres dans le pays.
03:20 Il se met à parler d'une France des gilets jaunes pour désigner peut-être une France périurbaine par rapport à une France urbaine
03:28 à laquelle il faudrait apporter d'autres types de réponses.
03:31 Il restructure un certain nombre d'oppositions pour essayer de solliciter une nouvelle dynamique dans son électorat,
03:37 mais ce sont des oppositions qui sont en partie fictives, qui ne fonctionnent plus très bien.
03:42 Il y a une forme de démagogie en allant voir les personnes sur le terrain en disant
03:45 "Moi je sais que vous êtes la France qui travaille, vous êtes la France qui ne gagne pas assez,
03:49 qui ne demande pas d'aide mais qui devrait en recevoir, mais s'il se déplaçait sur un autre terrain le lendemain,
03:55 je ne pense pas qu'il dirait "Vous êtes la France qui ne travaille pas et vous êtes la France à qui on va retirer toutes les aides".
04:00 - Bon mais alors si pour vous c'est une sorte de facilité de langage,
04:03 le terme de classe moyenne qui ne correspond pas à une réalité sociale véritable, Agathe Cagé,
04:08 ces classes empêchées ou cette France empêchée, qu'elle est-elle selon vous ?
04:12 - Pour moi la véritable opposition qui structure la société française,
04:16 c'est la problématique de la capacité à répondre aux crises sociales, économiques et écologiques
04:22 qui frappent la France de manière récurrente.
04:25 Et la problématique que rencontre l'immense majorité des français, c'est de se retrouver dans une forme d'empêchement
04:33 dans son rapport au déplacement, dans son rapport au travail,
04:38 et dans la possibilité de se projeter dans l'avenir et de se projeter dans l'avenir de ses enfants.
04:43 Une forme de déterminisme très fort qui s'abat sur la quasi-totalité de la société française
04:50 et c'est ce que j'appelle la France empêchée.
04:52 Et ce problème-là appelle des réponses politiques qui ne peuvent pas se structurer autour de fausses oppositions
05:00 entre classe populaire, classe moyenne, entre France urbaine et France rurale,
05:05 entre ceux qui circulent à vélo et ceux qui circulent en train ou ceux qui circulent en voiture,
05:10 parce que tous rencontrent les mêmes formes de problèmes.
05:13 Et la forme de problème que rencontre 90% de la société française.
05:19 Pour vous, 90% de la société française est empêchée ?
05:23 90% de la société française est empêchée à la fois dans ses déplacements, dans son rapport au travail,
05:29 et est empêchée également dans la possibilité de développer une forme de projection positive dans l'avenir
05:37 et de développer ses propres ambitions.
05:40 Si vous regardez le sujet des déplacements qui est souvent un sujet, disons, un peu polémique
05:46 par rapport à ceux qui se déplacent en transport en commun ou en voiture individuelle,
05:51 si vous regardez la réalité de ce qui se passe, vous voyez des problématiques qui sont des problématiques communes.
05:56 Si vous regardez, par exemple, dans les Hauts-de-France, le problème des TER qui sont des TER qui circulent de moins en moins,
06:02 avec de plus en plus de retard, de plus en plus d'attentes.
06:06 On dit "les transports en commun sont la solution d'avenir et c'est relativement facile de se déplacer avec le réseau français".
06:15 En moyenne, aujourd'hui, dans les Hauts-de-France, si vous vous déplacez en TER, vous perdez par semaine deux heures et demie
06:21 à attendre soit des trains annulés, soit des trains en retard, soit des trains qui sont tout simplement supprimés.
06:28 Deux heures et demie par semaine, ça peut paraître pas grand chose sur une vie de travail si vous faites le cumul.
06:32 Ça semble effectivement tout à fait pénible et on en a parlé.
06:38 Si vous faites le cumul sur une vie de travail, ça correspond à six mois d'attente sur les quais.
06:43 C'est la même problématique que rencontrent les personnes qui vivent dans le Grand Paris, avec l'annulation récurrente des RER.
06:49 Et c'est la même problématique que rencontrent un grand nombre d'automobilistes quand ils n'ont plus accès aux zones à faible émission
06:56 parce que leur voiture date un peu.
06:59 Donc vous avez des problèmes similaires pour des personnes qui sont dans des situations a priori différentes,
07:04 mais qui se retrouvent dans une forme d'empêchement.
07:06 Vous voulez dire, Agathe Cagé, que l'empêchement des déplacements géographiques est une métaphore,
07:13 la cause de l'empêchement des déplacements sociaux ?
07:16 Parce que lorsqu'on parle de société figée, on parle de société figée dans la reproduction des classes sociales,
07:22 l'incapacité de sortir de sa condition.
07:24 Vous avez aussi dans la réalité une forme de déterminisme social qui est tellement fort qu'on pourrait dire d'une certaine façon
07:32 qu'en France aujourd'hui, les Français n'ont pas d'avenir qui peuvent se construire,
07:36 ils sont soumis à une forme de destin au sens des tragédies grecques du terme.
07:40 Vous avez un déterminisme social qui est extrêmement fort aujourd'hui dans la société française,
07:44 qui se joue déjà à l'école, on le sait.
07:46 En France, le poids du déterminisme scolaire est extrêmement élevé,
07:51 bien plus élevé que dans quasiment tous les autres pays du monde, on est quasi champion du monde du déterminisme scolaire.
07:57 Ça veut dire qu'en France, le destin scolaire des enfants se joue avant même qu'ils soient rentrés en maternelle.
08:02 Le déterminisme social est moins important qu'aux Etats-Unis, par exemple.
08:07 Le déterminisme social en France n'est pas véritablement moins important qu'aux Etats-Unis, dans la réalité d'aujourd'hui.
08:13 C'est-à-dire qu'on a une France dans laquelle la possibilité de mobilité, à la fois sur une vie et entre des générations,
08:22 s'est véritablement accrue de manière considérable aujourd'hui, pour qu'un ouvrier atteigne le salaire d'un cadre, c'est 100 ans.
08:30 Ce n'était pas le cas dans la France des classes moyennes, et ce n'était pas le cas dans la France des 30 glorieuses.
08:34 Si vous considérez aujourd'hui que la France est la même que celle d'il y a 50 ans, vous allez dire "j'apporte le même type de réponse, et je vais apporter des solutions".
08:43 Sauf que les choses ont véritablement changé, et que le déterminisme, le poids du déterminisme, s'est véritablement renforcé.
08:49 Il y a un chiffre qui est véritablement intéressant par rapport à la situation française.
08:54 Vous avez aujourd'hui, quand vous les interrogez, 9 Français sur 10 qui se sentent personnellement concernés par la pauvreté.
09:00 Si vous regardez nos voisins, c'est 6 Allemands sur 10, c'est 5 Italiens sur 10. C'est une spécificité française.
09:06 Effectivement, ça c'est une spécificité française. Mais comme vous le savez, par exemple, les inégalités, le QI2, un certain nombre d'indices statistiques,
09:12 montrent que la société française est largement moins inégalitaire que d'autres sociétés. J'ai évoqué la société américaine, mais il y aurait d'autres exemples.
09:22 Agathe Cagé, vous êtes sûre de ne pas noircir le tableau ?
09:25 Je ne noircis pas le tableau parce qu'il y a des solutions qui sont possibles. Ce que je dis c'est deux choses.
09:31 La première chose c'est que si on applique des grilles de lecture anachroniques sur la société française, on n'apportera pas les bonnes réponses aux besoins de la société française.
09:39 Et la deuxième chose que je dis c'est que la France est frappée aujourd'hui par une forme de léthargie, y compris si vous regardez le rythme de l'évolution des revenus en France
09:47 par rapport au rythme de l'évolution des revenus dans d'autres pays. L'évolution moyenne ces dernières années des salaires en France, c'est 0,5%.
09:56 Ça veut dire que si aujourd'hui, en 2024, je gagne 1500 euros par mois, en 2034 je gagnerai 1577 euros par mois.
10:04 Mon gain mensuel en rythme moyen en France aujourd'hui, ça sera moins qu'un plein de licence.
10:12 Le SMIC a beaucoup augmenté du fait de l'inflation récemment. Donc vous parlez en quoi ? En euros constants ?
10:18 Je parle du rythme moyen en euros constants ces dernières années, pas sur les derniers mois du fait uniquement de l'augmentation du SMIC pour compenser l'inflation.
10:28 Je vous parle de la léthargie qui frappe la France au niveau des revenus et qui a une spécificité dans d'autres pays par rapport aux autres pays.
10:37 Mais si c'est en euros constants, dans ce cas-là c'est en parité pouvoir d'achat. Ça veut dire que vous mettez de côté l'inflation précisément et donc il y a une augmentation du salaire dans ces conditions.
10:49 En capacité de gain de pouvoir d'achat, la France est frappée par une forme de léthargie. Et il y a un deuxième phénomène qui est extrêmement fort en matière de pouvoir d'achat.
11:01 C'est que la part des dépenses contraintes dans le budget des Français a totalement explosé. La part des dépenses contraintes dans le budget des Français, aujourd'hui c'est 30%.
11:10 Il y a 40 ans, la part des dépenses contraintes était inférieure à 15%. Ça veut dire que les Français sont extrêmement contraints dans l'utilisation de leurs revenus aujourd'hui.
11:19 Et ils ont un pouvoir d'achat qui est tellement contraint que vous avez un économiste qui s'appelle Igor Martinax qui dit pour la France aujourd'hui, il ne faut pas qu'on parle de pouvoir d'achat, il faut qu'on parle d'un pouvoir d'achat.
11:28 On va essayer de revoir ces différentes catégories et ces différents jugements que vous venez de faire Agathe Cagé sur la situation des différentes classes sociales en France.
11:41 Dans quelques instants puisque vous serez rejointe par le sociologue Louis Chauvel. 7h56 sur France Culture.
11:55 8h21, on évoque les classes moyennes en politique. Dans sa conférence de presse avant-hier, Emmanuel Macron a affirmé sa volonté de vouloir soutenir la France de l'angle mort.
12:06 Ces classes moyennes menacées de paupérisation, coincées entre les plus précaires qui bénéficient d'aides et d'allocations et les classes supérieures aisées.
12:14 Ces populations font l'objet donc d'une attention renouvelée dans le discours politique à l'aube des prochaines échéances électorales.
12:22 Nous sommes en compagnie d'Agathe Cagé, politiste, cofondatrice et présidente du cabinet de conseil Compas Label, ancienne conseillère de Vincent Péillon et de Benoît Hamon.
12:31 Vous allez publier le 24 janvier prochain « Classes figées aux éditions Flammarion ».
12:36 Et nous sommes en duplex avec Louis Chauvel. Bonjour.
12:40 Bonjour.
12:41 Louis Chauvel, vous êtes sociologue, chercheur à Sciences Po. On vous doit les classes moyennes à la dérive aux éditions du Seuil.
12:48 Un mot tout d'abord pour définir ces classes moyennes et pour tenter d'essayer de clarifier cette expression évidemment polysémique.
12:57 C'est à moi que vous confiez cette mission.
13:01 Écoutez, oui, puisque vous avez écrit les classes moyennes à la dérive, je me suis dit...
13:06 Mission impossible pour la raison qu'en comparaison internationale, vous voyez que tous les pays ont des définitions extrêmement différentes des classes moyennes.
13:14 Au fur et à mesure du temps, en France, l'expression a changé considérablement.
13:20 Le point commun important partout sur la planète, c'est qu'il y a quelque chose entre l'aristocratie, les élites supérieures, la classe dirigeante tout en haut et le capitalisme,
13:33 tout en bas, le proletariat, les esclaves, les personnes qui obéissent et que cet entre-deux a connu des modifications considérables entre l'époque de Balzac,
13:45 on commençait à parler des classes moyennes jusqu'à nos jours, il y a eu d'immenses fluctuations, des fluctuations extrêmement dangereuses politiquement,
13:54 comme on le verra tout à l'heure certainement. Le point important, c'est que...
13:59 - J'aimerais que vous clarifiez à quoi pensez-vous que l'on se...
14:03 - Nous avons un monde de classes moyennes salariées qui a culminé dans les années 80 au début de la période mitterrandienne, si vous voulez.
14:11 Ces classes moyennes salariées qui n'étaient pas grand-chose au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, sont devenues le centre exact,
14:21 le baricentre du monde social, économique et politique français et le centre du progrès et du projet social de grandes sociétés de classes moyennes salariées
14:32 avec états-providence dense et avec une école qui fonctionne et qui tire vers le haut l'ensemble de la société.
14:43 Et typiquement, ce centre de sociétés de classes moyennes, ce sont avant tout les salariés intermédiaires, ce qu'on appelle aujourd'hui les professions intermédiaires.
14:54 Aujourd'hui, on voit les professions intermédiaires comme plutôt en bas, si vous voulez.
15:00 A l'époque, ces professions intermédiaires étaient le fer de lance du projet et du progrès culturel, technologique, technocratique, organisationnel d'une société française qui se redressait.
15:17 Je rappelle qu'à l'époque, avec 5% de croissance en termes réels par an pendant 30 ans, c'est tout l'écart entre le français moyen qui marche à pied ou en transport en commun dans des corons
15:29 jusqu'à la France, des maisons individuelles avec jardin de 500 mètres carrés et deux voitures par foyer, qui est l'idéal de vie en dehors des vacances au sport d'hiver de ces classes moyennes dont on parle.
15:44 Ces classes moyennes, qui représentent un gros tiers du salariat encore aujourd'hui, ont connu une expansion extraordinaire de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours.
15:57 Mais aujourd'hui, et c'est un petit peu l'objet du livre de Madame Cagé, c'est une classe moyenne qui est de plus en plus figée.
16:07 Elle ne tenait que par la dynamique. Maintenant, le ralentissement produit ce que l'on connaît de la bicyclette du président Mao.
16:17 C'est comme la révolution. Quand elle s'arrête, elle tombe. C'est pas le président Mao, peu importe, mais on voit l'idée.
16:24 Le point le plus important, c'est que d'un point de vue numérique, c'était un groupe social en expansion extrêmement rapide de rien.
16:32 Ils sont devenus presque tout, ou peu s'en faut, et ils étaient surtout en croissance économique extrêmement rapide, dans un contexte extrêmement optimiste, notamment de celui de l'école.
16:44 Et ça n'est plus le cas, Louis Chauvel. Vous êtes en duplex, mais ça ne peut pas être quand même un monologue, Louis Chauvel.
16:55 Lorsqu'on évoque ces classes moyennes, est-ce que vous avez la sensation que leur situation en France est plus bloquée qu'ailleurs ?
17:07 En fait, tout dépend des indicateurs, et donc dès lors, le débat va être extrêmement difficile. En France, il y a un problème immense, qui est celui de la repatrimonialisation.
17:20 Cette repatrimonialisation, c'est le fait que les classes moyennes des années 1970 pouvaient faire toute leur vie sans accès au patrimoine.
17:30 Je rappelle qu'au début des années 1980, un prof certifié du secondaire à Paris pouvait acheter, avec une année de salaire, 9 m² à Paris.
17:44 Le salaire permettait de se loger, et de se loger décemment, et d'épargner pour la génération suivante. Aujourd'hui, la même personne ne peut acheter que 3 m², et ce ne sera pas dans le même quartier.
17:55 Et en fait, vous avez une réduction extrêmement forte en France de la taille du salariat en termes de pouvoir d'achat comparée aux plus-values longues du logement et de la crise du logement.
18:12 L'un des noeuds centraux des difficultés françaises, c'est le logement, c'est le patrimoine, et tout ce que ça engage aussi tout autour.
18:21 C'est-à-dire que les gens qui n'ont que leur salaire pour pleurer sont obligés d'habiter de plus en plus loin, dans des zones de plus en plus désertifiées du point de vue des services.
18:32 - Donc alors ça c'est la situation effectivement sur le plan du logement, mais si on compare ça avec d'autres classes moyennes dans d'autres pays Louis-Chauvel ?
18:42 - Pour le dire très vite, nos jeunes compatriotes qui partent au Québec découvrent une société difficile, souvent avec des risques de pauvreté peut-être plus élevés, mais surtout avec une plus forte fluidité.
18:57 C'est-à-dire que le problème de la société française, en plus de cette repatrimonialisation, c'est le fait que, comme le dit Ackad, c'est un peu le titre de son livre, la société française est extrêmement figée par rapport au point de départ patrimonial et un petit peu des diplômes.
19:13 Dans des sociétés telles que le Québec, telle que même la Suisse ou bien d'autres encore, il existe une seconde et une troisième chance qui donne de la fluidité encore à des sociétés qui ont connu aussi un temps une dynamique de repatrimonialisation.
19:29 Et les petits français qui sont aujourd'hui sur le plateau de Montréal, du Mont-Royal à Montréal, connaissent effectivement une fluidité.
19:37 - Une fluidité dans les deux sens. Agathe Cagé ?
19:39 - Sur la base de ce constat qu'on partage avec Louis Chauvel, ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est de retrouver une forme d'émancipation collective.
19:46 La promesse d'Emmanuel Macron, des premiers de cordée, c'était la promesse d'une forme d'émancipation individuelle qui allait ruisseler sur le reste de la société.
19:53 Ça n'a absolument pas fonctionné et en plus ça ne correspondait pas aux besoins ni aux attentes de ce que j'appelle les classes figées.
20:01 On a besoin d'une émancipation collective qui passe par l'école, qui passe par le travail, qui passe également par une forme démocratique
20:09 dans laquelle on ne cesse d'assommer les français d'injonction à la résilience, mais à travers laquelle on construit démocratiquement avec eux les transitions qu'on devra conduire.
20:21 Le rôle émancipateur de l'école, c'est quelque chose qu'on a perdu et c'est quelque chose qui est fondamental.
20:26 Le rôle de l'école en France et le rôle de l'école républicaine, ce n'est pas de faire un tri entre les élèves.
20:32 Le rôle de l'école républicaine, c'est de faire réussir au plus haut niveau tous les élèves.
20:37 Or, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui du fait du poids du déterminisme scolaire ?
20:40 C'est que quand vous regardez à 15 ans les résultats PISA, un enfant sur cinq qui a des bons résultats scolaires,
20:47 mais qui est issu de milieux défavorisés, ne se projette pas dans les études supérieures.
20:51 Pourquoi il ne se projette pas dans les études supérieures ? Pour des raisons géographiques,
20:56 parce qu'il ne va pas avoir accès, du fait d'une mobilité empêchée, à ses études.
21:00 Il ne se projette pas dans ses études supérieures parce que politiquement, on n'a pas trouvé des solutions.
21:04 Aujourd'hui, en France, vous avez 700 000 étudiants boursiers, vous avez 230 000 logements sociaux pour les étudiants.
21:11 On a refermé la possibilité d'émancipation et l'école doit permettre de retrouver ça.
21:18 Le débat actuel sur comment on recrée, et est-ce qu'on veut, est-ce qu'on veut de la mixité sociale,
21:23 est-ce qu'on veut de la mixité scolaire, c'est essentiel.
21:25 Les premiers de cordée ne souhaitent absolument pas de mixité sociale et de mixité scolaire,
21:29 et pourtant c'est ce dont la France a besoin.
21:31 Jean-Les-Marie, la promesse d'Emmanuel Macron en 2017 ne concernait pas seulement les fameux premiers de cordée,
21:37 c'était aussi l'UT, il l'a répétée d'ailleurs lors de sa conférence de presse cette semaine,
21:41 contre la fameuse assignation à résidence.
21:44 Le candidat Macron en 2017 disait lutter pour plus de mobilité, pour plus de fluidité,
21:51 notamment en faveur de ces classes moyennes.
21:53 Le candidat Macron faisait à la fois une promesse de lutte contre l'assignation à résidence,
21:57 mais en même temps dans les politiques qu'il a mis en place,
22:01 il a demandé aux français par exemple de renoncer à 5 euros d'aide pour le logement,
22:06 en échange de la possibilité de réduire les impôts sur les plus fortunés dans le pays,
22:13 c'est-à-dire qu'il a contribué d'une certaine manière à renforcer l'état ministre social.
22:17 L'exemple est un...
22:19 Vous évoquez en fait la diminution des APL pour certaines catégories de 5 euros,
22:23 et vous la mettez en regard par exemple de la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune électorale.
22:29 Prenons un autre exemple, le président Macron lors de sa conférence de presse lundi,
22:33 qu'est-ce qu'il a demandé à la majorité des français ?
22:35 Il a dit à la majorité des français "on va continuer à faire comme ce qu'on a fait depuis le début de mon quinquennat,
22:41 c'est-à-dire que je vais continuer à vous demander de vivre sous contrainte
22:45 et d'accepter une forme de dégradation continue de votre situation,
22:50 tout en vous promettant de vous protéger par des petits boucliers".
22:53 C'est typique sur l'augmentation du prix d'électricité,
22:55 où Emmanuel Macron a interrogé en disant "attention, l'impact sur le pouvoir d'achat des français
23:02 d'une augmentation de 10% des prix d'électricité ne va-t-il pas être trop fort ?"
23:06 et Emmanuel Macron répond "les français doivent s'en satisfaire,
23:09 parce que si vous regardez l'Espagne ou si vous regardez l'Allemagne,
23:12 le prix de l'électricité est plus fort ailleurs".
23:15 Qu'est-ce que vous en pensez de cette comparaison Agathe Cagé ?
23:18 Le besoin aujourd'hui véritable, c'est de redonner une possibilité...
23:24 Non mais il faut faire des comparaisons internationales,
23:27 parce qu'évoquer la France comme si c'était un pays suspendu dans les nuages,
23:33 c'est-à-dire que les tarifs de l'électricité et de l'énergie ont augmenté dans un contexte particulier,
23:38 par rapport à ça, ces boucliers...
23:40 Vous consacrez le dernier chapitre de Classe Figée à ces boucliers que vous qualifiez de petits,
23:44 mais d'autres pays ne les ont pas faits.
23:46 Non mais le bouclier tarifaire a réussi à protéger les français, et c'était nécessaire.
23:53 La difficulté aujourd'hui, c'est qu'on retire le bouclier et qu'on dit aux Français...
23:57 Donc en fait, ces boucliers ne sont pas petits, c'est le fait qu'ils soient supprimés qui vous dérange.
24:02 C'est-à-dire qu'au lieu de proposer des solutions de long terme,
24:05 on protège à très court terme, et tout d'un coup, on met les français face à des murs qui fragilisent...
24:12 Autre exemple sur les classes moyennes, Agathe Cagé.
24:14 Pendant la période du Covid, il y a eu un certain nombre d'aides en France
24:19 qui n'ont pas été mises en place dans d'autres pays.
24:23 Non mais le but... La véritable question, c'est quel est le but du politique ?
24:29 Est-ce que le but politique, c'est de proposer aux français une forme d'horizon...
24:33 - De protéger... - Non mais de proposer aux français une forme d'horizon émancipateur
24:38 en leur disant "on va vous proposer un projet qui va vous permettre, demain,
24:43 de retrouver de la marge de manœuvre en termes de consommation, en termes d'accès à la propriété,
24:49 en termes d'un travail qui est pas seulement le mot qu'emploie Emmanuel Macron, un job, mais un véritable métier,
24:54 ou est-ce que je vais vous dire "écoutez, soyez contents, en France, la situation est quand même
25:00 un tout petit peu meilleure que les quelques exemples que je prends chez mes voisins,
25:04 parce que sur d'autres exemples, la situation est beaucoup plus compliquée en France,
25:07 et comme je trouve des comparaisons où la situation française est mieux qu'ailleurs,
25:11 alors s'il vous plaît, ne mettez pas en avant les difficultés.
25:14 Le véritable rôle du politique, à mon sens, au regard de la situation d'empêchement
25:18 dans laquelle se trouve la majorité des français, c'est de retrouver un horizon émancipateur
25:22 et de ne pas leur demander, de considérer que la dégradation de leur situation,
25:26 c'est peut-être difficile, mais comme ça peut être pire ailleurs, ils devraient s'en contenter.
25:29 Qu'est-ce que vous en pensez, Louis Chauvel ?
25:31 Oui, en fait, cette question de comparaison internationale souligne avant tout le fait
25:35 que ce qui est spécifique à la société française, c'est que les classes moyennes
25:40 et les classes moyennes inférieures sont extrêmement demandeuses,
25:44 on peut appeler ça de projet d'émancipation, on peut appeler ça de projet de démocratie
25:51 qui puisse inclure économiquement et socialement la majorité de la population.
25:57 La dernière fois que le président a convoqué tous les intellectuels de France et de Navarre,
26:04 c'était juste au moment du mouvement des Gilets jaunes, on se rappelle le mouvement des Gilets jaunes,
26:09 une extrême frustration, beaucoup plus forte en France que n'importe où ailleurs,
26:14 qui était à l'époque reliée par les petites classes moyennes, en particulier d'indépendants,
26:21 je ne vous fais pas un rappel intégral sur ce qu'était le mouvement des Gilets jaunes,
26:26 la situation était quand même très difficile, Paris avait été quasiment mis à sac sur les Champs-Elysées
26:33 et bien évidemment au Palais de l'Elysée, on commençait à s'inquiéter fort de la situation.
26:39 La situation aujourd'hui en France est à la limite encore pire, simplement parce que le Covid est passé,
26:46 le quoi qu'il en coûte, qui a coûté beaucoup, est passé lui aussi par là,
26:54 la boîte à cash, c'est-à-dire la capacité à prélever de l'argent sur la population et sur les entreprises,
27:01 la capacité fiscale est devenue extrêmement faible, les frustrations par conséquent vont augmenter considérablement en 2024,
27:10 simplement parce qu'on n'en a plus les moyens, la boîte à cash a bien fonctionné et les boucliers ont bien fonctionné,
27:17 sauf qu'ils ne font que ce qu'ils font, c'est-à-dire ne pas produire,
27:23 et la grande différence avec les autres pays européens, c'est qu'il y a une demande ici de démocratie qui est considérable,
27:31 qui est peut-être même excessive, on pourrait le dire ainsi.
27:34 Je vous laisse juge Louis Chauvel de savoir si une demande de démocratie est excessive,
27:39 mais si on prend par exemple l'Allemagne, il y a aujourd'hui des mouvements sociaux comparables,
27:47 les agriculteurs, les camionneurs, la situation est identique. En Italie, le résultat des urnes a montré également le degré de colère,
27:58 j'ai l'impression que sur cette, en tout cas en Europe aujourd'hui, vis-à-vis de cette question du pouvoir d'achat et des frustrations sociales,
28:10 il y a un certain nombre de pays où celle-ci est également très vive. Qu'est-ce que vous en pensez Louis Chauvel ?
28:16 Oui, comme je le disais, l'extrême droite à 30%, c'est quelque chose d'extrêmement peu commun à l'échelle européenne ou ailleurs,
28:31 ça signale effectivement des frustrations extrêmement fortes liées à un écart croissant entre le discours politique et les réalités économiques connues par les vrais gens,
28:42 et que cette situation-là, beaucoup plus en France qu'ailleurs, donne lieu à des effondrements successifs de strates sociales,
28:52 c'est-à-dire que les catégories populaires maintenant…
28:55 Mais pourquoi plus en France ? Parce qu'en Italie par exemple, cette sensation est très présente et c'est elle qui a amené au pouvoir Giorgia Melloni ?
29:04 Oui, sauf qu'on ne parle pas exactement du même type de tensions, c'est-à-dire qu'en France, on a quand même un peu pris l'habitude de raccourcir les élites à la guillotine,
29:16 ou de faire différentes choses. Il y a une demande de radicalité en France qui n'a absolument pas son équivalent en Italie.
29:24 Lorsqu'on met des post-fascistes au pouvoir en Italie, je pense que la demande de radicalité, elle est là, un gars de cagé.
29:31 Là où je partage ce que dit Louis Chauvel, c'est qu'il y a un besoin d'un nouveau souffle démocratique en France.
29:37 Il y a besoin de ramener les Français vers les urnes, et ça, ça passe par le fait, tout simplement, que les politiques tiennent leurs promesses,
29:44 parce que si les Français se sont éloignés des urnes, c'est en grande partie parce qu'ils considèrent que les responsables politiques, au moment des élections,
29:50 leur font des promesses et ensuite ne les tiennent pas. Et puis il y a un besoin de lever les verrous qui, aujourd'hui, sont en train d'enfermer les nouvelles formes de démocratie participative,
30:00 et délibérative. On l'a vu avec la Convention sur les climats, où les citoyens ont porté un projet extrêmement ambitieux, avec une promesse de confiance,
30:10 "je reprendrai les mesures que vous avez réussi à élaborer de manière délibérative, démocratique et collective", et l'ensemble de ces mesures,
30:20 ou quasiment l'ensemble de ces mesures, a été totalement enterré ensuite. Et on a vu la demande, à nouveau, d'une dynamique, dans le cadre de la Convention collective,
30:28 démocratique, sur la fin de vie, pourtant convoquée par le gouvernement, où les citoyens ont dit "il y a une demande des Français d'agir extrêmement rapidement",
30:36 et depuis, le temps est suspendu, avec un discours politique qui nous dit qu'il faut que la conviction unique et individuelle d'une seule personne détermine le tempo
30:46 et le choix qui sera fait là-dessus. C'est-à-dire qu'y compris en termes démocratiques, il y a un véritable besoin de recréer une dynamique, et une participation
30:55 des Français très forte pour recréer une forme de dynamique, et pourtant, le fait de pas entendre cela, ça crée les taux d'abstention records qu'on connaît,
31:06 et ça crée une forme de malaise démocratique très fort qui contribue un peu plus à renforcer le sentiment d'empêchement que partagent les Français.
31:14 - Une dynamique à Gatte-Cager, mais juste un mot de conclusion, quel pays vous paraît aujourd'hui, occidental ou pas d'ailleurs, peu importe,
31:23 vous paraît aujourd'hui avoir cette dynamique politique ?
31:27 - Le problème, c'est qu'à force, je remets pas en cause la question, mais le problème c'est qu'à force d'aller chercher des exemples internationals...
31:35 - Juste une comparaison, parce que sinon on fait un pays suspendu dans les nuages...
31:39 - C'est pas un pays suspendu dans les nuages, à voir, vous avez des pays par exemple en Espagne, les votes blancs sont pris en compte dans le calcul des seuils,
31:52 donc quand les gens vont voter et vont vers les urnes, et votent blanc, c'est pris en compte, et ça contribue à des taux de participation aux dernières élections...
31:58 - Vous voyez la place qu'occupe aujourd'hui l'extrême droite comme pivot en Espagne ?
32:02 - En dernières élections législatives en Espagne, le taux de participation était beaucoup plus fort qu'aux élections françaises.
32:06 A la dernière élection présidentielle, vous avez 3 millions de français qui ont voté blanc.
32:11 3 millions de français qui ont voté blanc, c'est l'ensemble de la population, pas du corps électoral, c'est l'ensemble de la population de Marseille et de Paris, ensemble.
32:19 Et quand les français vont voter blanc, on leur dit "ça sera pas pris en compte".
32:23 C'est-à-dire qu'il y a en France le socle pour une démocratie qui serait revitalisée, mais il faut que des dispositions politiques permettent d'écouter cette volonté démocratique partagée par les français.
32:32 - Un mot de conclusion, Louis Chauvel ?
32:34 - Oui, justement, sur ce que vous disiez, il y a quand même pas mal de pays qui font face à leurs difficultés.
32:41 Les difficultés sont partout en Europe et généralement sur la planète, mais des pays où la politique est plus responsable, on peut citer l'Espagne, on peut citer le Portugal.
32:53 Je citerais aussi le Luxembourg comme société de classe moyenne qui est encore...
32:58 - Le Luxembourg est dans une situation, Austin.
33:00 - C'est une situation, c'est un endroit que je connais assez bien parce que j'y réside.
33:04 Le point le plus important, c'est qu'effectivement, pour faire de la démocratie, il ne suffit pas de le proclamer.
33:11 Il faut effectivement faire un peu plus qu'aller devant des gens et parler aux gens pendant des heures et des heures.
33:18 Pour cela, le président Macron a des capacités extraordinaires qui ont des limites.
33:24 Le projet émancipateur, c'est avant tout recréer une écoute à l'égard des syndicats, des corps intermédiaires, recréer de l'associatif, recréer du véritable lien social, c'est-à-dire des lieux de rencontre.
33:38 Les ronds-points des Gilets jaunes, voilà 5 ans, ont été un début de reprise démocratique au local avec de vrais débats à la base de la société française.
33:50 Sans cela, nous n'allons nulle part et malheureusement, la France qui avait une très forte tradition de société civile et de débat politique dans les entreprises, dans les usines, dans les universités...
34:03 - Vous parez effectivement être aujourd'hui dans une impasse.
34:06 Louis Chauvel, "Les classes moyennes à la dérive", c'est votre livre publié aux éditions du Seuil.
34:11 "Classes figées", c'est le livre, Agathe Cagé, que vous publierez le 24 janvier prochain.
34:17 Merci d'avoir été avec nous.

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