Hausse du trafic et de la consommation de drogue : malaise dans la société

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 29 Août 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Transcript
00:00 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La semaine dernière, un jeune de 17 ans, un enfant de 10 ans, trouvait la mort anime
00:10 dans le quartier de Pisse 20 dans le cadre de violences inédites autour de plusieurs
00:14 points de deal.
00:15 Ce carrefour local devenu stratégique pour les trafiquants de drogue et l'illustration
00:21 d'un nouveau théâtre d'opérations illicites mis en place depuis quelques années par les
00:26 filières dans les petites ou les moyennes villes.
00:30 Et c'est là l'une des nouveautés.
00:33 On le découvre ou on le savait, vous le saviez probablement Michel Gandillon, bonjour.
00:39 Vous êtes un expert, vous avez publié « Drugstore, drogue illicite et trafic » en France aux
00:44 éditions du Cerf.
00:46 Mais enfin, c'est quelque chose aujourd'hui qui est su par les politiques.
00:52 Notamment, je vais vous faire entendre par exemple l'extrait d'une interview du maire
00:57 du Creusot qui explique comment un réseau s'est implanté dans sa ville.
01:01 « Là, en l'occurrence, c'était ce qu'on n'avait jamais connu jusqu'à présent,
01:05 c'est-à-dire un réseau parisien, des caïds de la drogue parisiens qui sont venus s'installer
01:12 ici.
01:13 Nous sommes une ville qui est connectée à 1h15 de Paris, à 40 minutes de Lyon par le
01:19 TGV, connectée par l'autoroute également, et puis calme, très calme, avec des forces
01:24 de police très réduites du coup.
01:25 Et donc, vous savez, ce marché-là, il répond aux mêmes règles que les autres marchés.
01:31 On va travailler là où c'est le plus facile.
01:33 Et donc, on va s'installer dans une ville où on peut aller, venir assez rapidement,
01:37 pas trop déranger bien entendu, pas trop surveiller bien entendu.
01:41 Et c'est comme ça qu'un réseau vient s'installer sur une ville moyenne comme la
01:45 nôtre, encore une fois réputée très calme, et qui est très calme.
01:49 Le maire du Creusot, Michel Gandillon, votre réaction ?
01:52 Écoutez, ce que décrit ce maire n'est pas franchement surprenant parce que le phénomène
01:57 d'implantation des réseaux dans les villes moyennes est indissociable de la croissance
02:02 très importante du marché des drogues en France depuis quelques années, depuis deux
02:06 décennies avec une accélération notable depuis une dizaine d'années.
02:11 Donc, le marché, c'est à la fois une offre et une demande.
02:15 La demande de drogue a bien sûr beaucoup augmenté, et notamment de cocaïne.
02:20 C'est le phénomène relativement nouveau.
02:22 C'est l'explosion du marché de la cocaïne en France.
02:25 La résine de cannabis est plutôt un classique.
02:28 Et cette consommation…
02:29 Classique en régression ou alors est-ce que la cocaïne se surajoute ?
02:32 Elle est plutôt en stabilisation.
02:33 C'est-à-dire, oui, la cocaïne se surajoute au marché du cannabis qui a fortement augmenté
02:40 depuis 20 ans mais qui depuis quelques années se stabilise.
02:43 Il n'en reste pas moins qu'effectivement la France est le premier marché en Europe
02:47 de la résine de cannabis.
02:50 Donc, c'est un marché qui reste stratégiquement très important pour les trafiquants.
02:54 Mais le marché qui explose aujourd'hui, c'est le marché de la cocaïne.
02:57 Est-ce que c'est quantifiable ? C'est pas facile Michel Gandillon.
03:01 Mais si on devait mettre des chiffres sur la croissance de ces marchés ?
03:06 Alors on peut dire qu'aujourd'hui il y a 600 000 consommateurs dans l'année de
03:11 cocaïne en France, que ce marché en une vingtaine d'années a été multiplié par
03:15 cinq pour les usages dans l'année.
03:17 Et on sait à peu près évaluer le chiffre d'affaires de la cocaïne en France.
03:23 Et on estime que ce chiffre d'affaires a doublé entre 2010 et 2017 et se situe autour
03:29 de 2 milliards d'euros.
03:30 Donc c'est considérable, c'est considérable, c'est conséquent.
03:35 Et effectivement, cette offre et cette demande est en pléthorique.
03:40 Elle se développe dans les villes moyennes.
03:42 Alors cannabis, cocaïne, les drogues de synthèse, parce que ça c'est la nouveauté.
03:47 Est-ce que c'est important ? Est-ce que ça demeure marginal ?
03:50 Alors les drogues de synthèse, elles aussi se sont beaucoup développées, notamment
03:54 l'ecstasy.
03:55 L'ecstasy, alors c'est pas franchement une nouveauté puisque l'ecstasy a commencé
03:59 à se développer sur le marché français à partir des années 90, dans le sillage
04:05 du mouvement contre-culturel techno.
04:07 Mais en Europe, il y a cette dimension effectivement européenne puisque l'Europe devient un
04:14 producteur croissant de drogues.
04:16 C'est-à-dire que les drogues, c'est pas l'Afghanistan, c'est pas la Colombie,
04:21 mais c'est aussi l'Europe.
04:22 Mais où produit-t-on ?
04:23 Les Pays-Bas.
04:24 Les Pays-Bas sont un des plus gros producteurs au monde de drogues de synthèse, d'ecstasy
04:28 et d'amphétamines.
04:29 Et la nouveauté, c'est qu'on produit aussi de la cocaïne, notamment en Espagne,
04:35 aux Pays-Bas et en Belgique, surtout en Espagne.
04:37 Et dernièrement, de la méthamphétamine avec des accords entre le crime organisé néerlandais
04:43 et les cartels mexicains.
04:44 Donc l'Europe est particulièrement touchée.
04:47 Je ne parle pas non plus de l'explosion de la production d'herbes de cannabis avec
04:51 l'Espagne qui joue un rôle fondamental dans le processus.
04:56 Donc vous voyez que la France est entourée de…
04:58 Ça c'est important ce que vous voulez dire parce qu'on a la sensation qu'on a ce
05:01 qu'on appelle des têtes de réseau qui sont loin dans des pays étrangers.
05:06 On parle par exemple du Maroc, de l'Algérie, voire de la Syrie par exemple, où on produirait
05:12 du Cap Tagon.
05:13 Et vous nous dites qu'il y en a aussi de la drogue produite en Europe.
05:17 Oui, oui, c'est une réalité.
05:20 Alors pour le cannabis, ça remonte aux années 80, surtout aux Pays-Bas.
05:26 Et puis ça s'est énormément développé, notamment en Espagne.
05:30 L'industrie des drogues de synthèse s'est énormément développée dans les Pays-Bas
05:34 à partir des années 90.
05:36 Et puis on produit alors effectivement ce qui est inquiétant de la cocaïne, de la
05:41 méthamphétamine et même de l'héroïne.
05:43 Bon, augmentation des ventes de drogue.
05:47 On comprend bien effectivement pourquoi dans ces conditions cela touche aussi les villes
05:52 moyennes.
05:53 C'est Thurie auquel on assiste.
05:55 Je parlais par exemple de ce qui s'est passé à Nîmes.
05:57 A quelle logique tout cela obéit-il ?
06:00 C'est difficile de généraliser ce qui se passe.
06:04 Il faudrait voir les dossiers au cas par cas.
06:06 Alors on peut imaginer effectivement qu'il y a des phénomènes de concurrence, c'est-à-dire
06:11 qu'une même cité peut abriter plusieurs points de deal animés par des réseaux qui
06:16 sont concurrents, qui se font concurrence et qui soldent leur concurrence par des moyens
06:22 extrêmes, des moyens que l'on connaît.
06:24 On sait par exemple qu'à Marseille, la fameuse rivalité entre la DZ de Mafia et
06:29 l'autre groupe.
06:30 Et là, il va falloir que vous m'expliquiez parce que je ne connais pas la rivalité
06:36 entre ces deux ventes.
06:37 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'à Marseille, on sait qu'il y a deux groupes
06:43 qui tiennent le trafic de drogue ?
06:44 Non, il y a beaucoup d'autres groupes.
06:46 Mais il y a deux groupes qui tenaient notamment dans la cité de la paternelle des points
06:52 de vente, qui coexistaient jusqu'à récemment et qui se font la guerre depuis quelques mois
06:58 et donc qui sont largement responsables de la vague d'homicides à Marseille.
07:02 Et face à cela, la police ne peut mettre ou alors elle intervient mais ça ne suffit
07:08 pas ?
07:09 L'action de la police…
07:10 Alors, il y a deux types de réponses.
07:13 Il y a le travail quotidien de la police judiciaire à Marseille et qui a notamment
07:17 remporté un certain nombre de succès récemment en interceptant des groupes de tueurs, des
07:22 équipes de tueurs qui sont engagées par les trafiquants pour liquider leurs concurrents.
07:26 Donc, il y a un certain nombre de réponses d'ailleurs à long terme qui sont développées
07:32 par la police judiciaire marseillaise, notamment le développement du volet de la lutte contre
07:36 le blanchiment d'argent.
07:37 Et puis, il y a ce que j'appelle la politique de la rustine qui consiste à chaque homicide,
07:43 à chaque événement, à envoyer des groupes de CRS mais ce qui n'est pas franchement
07:48 efficace pour lutter contre le trafic parce qu'il y a 4000 points de deal en France.
07:53 En tout cas, c'était l'estimation du ministère de l'Intérieur en 2020.
07:57 Ça a un peu diminué.
07:58 On ne peut pas envoyer…
07:59 Il y a moins de points de deal aujourd'hui ?
08:01 Il y aurait moins de points de deal.
08:03 Il y a une manière d'acheter de la drogue, c'est sur le Darknet, sur Internet.
08:09 Pourquoi cette manière-là ne fait-elle pas concurrence à ces différents points de deal
08:16 physiques Michel Gandillon ?
08:18 Alors, le Darknet effectivement est marginal dans l'achat de drogue parce que ça suppose
08:24 un certain nombre de maîtrise d'outils techniques que tous les usagers n'ont pas.
08:28 En revanche, ce qui se développe, c'est le phénomène des livraisons à domicile.
08:32 C'est-à-dire qu'on a constaté depuis une dizaine d'années une certaine réticence
08:37 des usagers de drogue à se rendre sur les points de deal.
08:41 Et je pense que la vague d'homicides en cours ne va pas arranger les choses.
08:46 Et donc, les trafiquants y répondent en développant des livraisons à domicile via, en utilisant
08:52 les réseaux sociaux et en ayant des fichiers clientèle pour répondre à la demande.
08:58 Donc, ça évite aux usagers, à beaucoup d'usagers, notamment dans les métropoles,
09:04 de se rendre sur les points de deal.
09:07 Est-ce que ça veut dire aussi que finalement, les opérations qui sont menées, ce qui est
09:13 appelé par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, le pilonnage des points
09:17 de deal, est-ce que ça peut contribuer par exemple à décourager les consommateurs,
09:23 ceux qui voudraient acquérir de la drogue dans ces lieux-là ?
09:26 C'est sûr que les homicides plus la présence policière peut dissuader les consommateurs.
09:32 Mais les trafiquants ont trouvé la parade en développant, c'est ce que je disais,
09:37 la livraison à domicile.
09:38 On a parlé d'ubérisation du trafic de drogue.
09:41 Souvent, cette livraison à domicile est adossée à des gros points de deal.
09:47 Donc, c'est la continuation de la vente de drogue par d'autres moyens.
09:51 Si on compare la situation en France à la situation dans d'autres pays européens,
09:58 parce qu'en Belgique, par exemple, là aussi, on a une situation qui est tout à fait terrible.
10:05 M.
10:06 Gandillon ?
10:07 Aux Pays-Bas et en Belgique, en fait, il faut savoir que ce qui se passe aux Pays-Bas et
10:12 en Belgique, du point de vue du marché des drogues, est fondamental puisque les Pays-Bas
10:17 et la Belgique, via Rotterdam et envers, sont les deux grandes portes d'entrée de la
10:20 cocaïne sur le marché européen.
10:21 On a saisi 110 tonnes de cocaïne dans le port d'envers l'année dernière.
10:26 Donc, ces flux de cocaïne qui passent contribuent au renforcement du crime organisé.
10:31 Et une fraction du crime organisé néerlandais, notamment la Mocro-Mafia, joue un rôle de
10:38 plus en plus important, monte en puissance et menace les plus hautes autorités politiques
10:44 du pays.
10:45 Oui, c'est-à-dire qu'il y a eu des tentatives de kidnapping de ministres en Belgique ?
10:49 Oui, alors il y a eu une tentative, mais surtout plus grave, il y a eu des assassinats d'avocats,
10:54 de journalistes, des règlements de comptes aussi, notamment dans la ville d'envers.
10:59 Donc, c'est une réalité qui inquiète beaucoup les autorités qui viennent, effectivement,
11:05 en Belgique, de renforcer considérablement le pouvoir des douanes pour lutter aussi contre
11:10 la corruption dans les ports.
11:12 Et l'État néerlandais vient d'allouer un fonds de 500 millions d'euros pour lutter
11:17 contre le crime organisé.
11:18 Michel Gandillon s'est souvent invoqué la situation aux Pays-Bas, notamment, pour
11:23 dire voilà, si on légalise le cannabis, en fait, la situation empire et puis de toute
11:29 façon, le cannabis, ce n'est plus la question.
11:30 Alors, le problème des Pays-Bas, c'est qu'ils n'ont pas légalisé le cannabis.
11:33 Ils ont dépénalisé le cannabis, qui n'est pas la même chose, et autorisé l'ouverture
11:39 des coffee shops.
11:40 Le problème des Pays-Bas, c'est que donc, ils ont dépénalisé l'usage, mais ils n'ont
11:44 pas régulé l'offre de cannabis.
11:47 Donc, le paradoxe de cette politique, c'est qu'ils ont laissé l'offre au crime organisé.
11:51 - Michel Gandillon, je rappelle le titre de votre ouvrage « Drugstore, drogue illicite
11:56 et trafic en France » aux éditions du Cerf.
11:59 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour évoquer aujourd'hui le marché de la
12:04 drogue, mais aussi poser cette question simple.
12:07 Pourquoi tant de consommateurs ? On sera avec un psychologue, Jean-Pierre Coutron.
12:12 8h21, cocaïne, cannabis, 3 MMC.
12:16 Le marché de la drogue en France semble aujourd'hui bien se porter, avec une explosion de la consommation
12:21 de certains produits, auparavant limités à certains pans de la population.
12:24 Le profil type de l'usager est-il en train d'évoluer ? Que disent ces évolutions de
12:30 notre société ? Comment s'y adapter ? Nous sommes en compagnie de Michel Gandillon, qui
12:36 est expert associé au CNAM.
12:37 On vous doit notamment « Drugstore, drogue illicite et trafic en France ».
12:43 Et nous recevons Jean-Pierre Coutron.
12:46 Bonjour, vous êtes psychologue, président de la Fédération Addiction.
12:49 Vous avez co-dirigé l'ouvrage « Addictologie » aux éditions du Néo.
12:54 Jean-Pierre Coutron, pourquoi les Français se droguent-ils autant ?
12:57 - Alors, pourquoi ils se droguent autant ? Parce que les substances psychoactives, plutôt
13:02 que les drogues, parce que les drogues c'est une catégorie juridique ou autre.
13:06 Les substances psychoactives ont un pouvoir extraordinaire de répondre à trois grands
13:10 besoins humains.
13:11 Autour de la boîte du plaisir, autour de la boîte de la douleur et des souffrances,
13:16 autour de la boîte des performances.
13:17 On veut augmenter nos performances, on veut diversifier nos plaisirs ou en faciliter le
13:24 ressenti et puis on veut à d'autres moments moins souffrir, ne plus du tout souffrir.
13:29 Et il y a des produits qui permettent d'avoir ce résultat en quelques minutes.
13:34 Et puis parfois, vous l'avez décrit ce matin avec Michel Gandillon, avec beaucoup
13:40 de précision, dans un marché qui a une accessibilité, une offre, une facilité de rencontre qui
13:47 devient étonnante.
13:49 Et donc, je peux de temps en temps dire à mon fils qui a mal, prends sur toi, fais preuve
13:54 de courage, fais un exercice mental pour moins ressentir la douleur.
13:59 Il peut croiser quelqu'un qui lui dit, prends cette substance, dans quelques minutes, tu
14:05 ne sentiras plus la douleur.
14:06 Je peux lui dire, ce n'est pas bien d'avoir choisi la solution chimique.
14:10 Il peut me dire, qui es-tu pour me dire ça ? Regarde, ta solution à toi n'a pas marché.
14:15 Voilà.
14:16 Donc, ces substances picoactives ont ce pouvoir-là.
14:19 Jean-Pierre Coutron, entre le médicament qui va vous permettre d'apaiser une douleur
14:24 et le fait de prendre de la cocaïne, est-ce que pour vous, qui êtes psychologue, est-ce
14:30 qu'on a affaire à un même phénomène ?
14:32 Alors, beaucoup de ces substances ont ce double visage.
14:36 C'est une autre chose.
14:37 Beaucoup de ces substances sont dans une certaine présentation des médicaments et dans une
14:42 autre présentation des drogues.
14:44 C'est ça aussi qui est intéressant à penser.
14:46 C'est-à-dire qu'il n'y a pas les bons objets, les mauvais objets.
14:49 Il y a des substances qui, selon leur présentation, selon leur utilisation, selon leur mode de
14:57 prescription, de rencontre, vont avoir telle catégorie de classification.
15:04 On dira c'est un médicament et tel autre.
15:05 Le cannabis, aujourd'hui, c'est une partie du débat, s'ouvre à des usages médicaux.
15:10 Les opiacés ont depuis très longtemps des usages médicaux.
15:15 On a retiré de l'usage médical un certain nombre de produits qui permettaient de ne
15:19 pas prendre du poids et autres et qui sont devenus entièrement des drogues.
15:24 Donc, on a des produits, et ne parlons pas de l'alcool, qui bénéficient d'un statut
15:29 médian assez extraordinaire.
15:31 Michel Gandillon, vous le dites d'ailleurs dans votre livre « Drugstore » publié
15:35 aux éditions du CERN, vous dites qu'il y a un usage des drogues entre homo economicus
15:40 et homo festivus.
15:42 Oui, absolument, parce que les drogues répondent à un air du temps aussi.
15:48 Je crois que c'est très important.
15:49 Il y a des cycles des drogues.
15:50 Il y a eu un cycle de la cocaïne dans la société française dans les années folles.
15:54 Il y a un deuxième cycle de la cocaïne qui part des États-Unis, d'ailleurs, dans les
15:57 années 80.
15:58 Les années 80, c'est un peu la mise en place du néolibéralisme, de la société de concurrence,
16:04 de l'enterrement des utopies soixante-huitardes.
16:06 Donc, l'apparition de la cocaïne répond bien à des nécessités sociales, la société
16:12 de compétition, la société où il faut être fort, c'est un stimulant.
16:15 Pareil pour les amphétamines.
16:18 Et a contrario, on le voit pour la souffrance.
16:22 Il y a l'épidémie des opioïdes aux États-Unis qui a tué près de 700 000 personnes en une
16:28 vingtaine d'années et qui est là, et l'expression des souffrances, des perdants de la mondialisation,
16:34 de la mondialisation malheureuse, de la "Rose Belt" américaine.
16:37 Donc, je pense qu'il faut aussi politiser cette question des drogues.
16:42 Jean-Pierre Coutron parlait de société addictogène, c'est-à-dire qu'on vit aussi dans une
16:47 certaine société, un certain type de société qui peut favoriser des comportements addictifs.
16:54 Mais alors, justement, Jean-Pierre Coutron, si on compare par exemple avec la situation
16:57 aux États-Unis, puisque aux États-Unis, les opiacés provoquent une crise terrible
17:02 avec une augmentation de la mortalité incroyable chez des personnes qui sont des personnes
17:08 jeunes pour la plupart.
17:10 Est-ce que lorsqu'on a cette drogue en vente libre, je sais bien que drogue, c'est une
17:17 catégorie journalistique puisque vous ne voyez pas les choses de la même façon, mais
17:20 lorsqu'on a la possibilité de prendre une substance psychoactive peu chère en vente
17:26 libre, est-ce que dès lors cela diminue la vente des drogues illicites, même si la catégorie
17:33 est parfaitement arbitraire ?
17:35 Je ne vais pas répondre tout de suite, je vais prendre un tout petit détour.
17:38 D'abord, pour reprendre ce que disait Michel Gandillon, c'est-à-dire que les grandes
17:42 catégories que je vous ai données de fonction des drogues, il faut les réinscrire ensuite
17:46 dans des cultures.
17:47 Et ça, c'est extrêmement important.
17:49 Les cultures ne sont pas protectrices, mais elles participent de cet environnement.
17:54 La culture américaine n'est pas la même que la culture française, même s'il y a
17:58 de plus en plus de correspondances.
18:00 Une partie du transfert des modes de consommation d'un pays à l'autre a été cet effet du
18:07 mélange des cultures.
18:08 La deuxième chose, c'est que même aux États-Unis, ce qui se passe dans le nord des États-Unis
18:13 n'est pas tout à fait la même chose que ce qui se passe en Californie.
18:16 Et l'épidémie autour du fentanyl a commencé dans une région très particulière.
18:24 La troisième chose, c'est qu'autour de ces fonctions, il y a des phénomènes de
18:29 marketing.
18:30 Puisqu'il y a une offre, il y a une présentation.
18:33 L'histoire du fentanyl, c'est aussi l'histoire d'un médicament, d'abord, que l'on va
18:38 faire sortir de l'indication médicale qu'il avait pour lui faire prendre en charge une
18:44 partie de ses souffrances sociales, de ses catégories sociales qui avaient été frappées
18:49 par la crise économique.
18:51 Et quand vous donnez un médicament qui est là pour traiter certaines douleurs physiques,
18:55 pour traiter des douleurs sociales, vous créez, ce qu'on a créé là, une épidémie de
19:01 drogue.
19:02 Alors ensuite, pour revenir à votre question, est-ce qu'il y a des effets de matelados ?
19:05 Est-ce qu'on passe d'un produit à un autre ?
19:07 Oui, parce que si vous voulez, ce n'est pas la même chose du point de vue social lorsque
19:11 vous avez une drogue qui est en vente libre et qui est peu chère, et lorsque celle-ci
19:16 est idicide et vendue à des sommes considérables.
19:20 Ce sont des choses sur lesquelles on travaille.
19:22 Alors moi, là, je suis prudent, ce n'est pas tout à fait mon domaine.
19:25 J'attendrai d'être un peu plus sûr.
19:29 Ce qu'on peut voir, c'est que par exemple, le consommateur réfléchit de façon très
19:36 pragmatique.
19:37 Quelle est la facilité d'accéder vers ce produit ? Qu'est-ce qu'il entend dire
19:40 du produit ? Qu'est-ce qu'on lui a vendu comme efficacité ? Et puis, qu'est-ce qui
19:44 n'est plus à la mode ?
19:45 Justement, puisqu'on parle de mode, j'ai vu que la consommation d'alcool des Français
19:52 diminuait.
19:53 Est-ce que par exemple, on peut imaginer qu'il y a moins d'alcool consommé, plus de drogue
19:57 consommée ? Ça, au moins, ça doit parler à la dictologue que vous êtes.
20:00 Oui, il y a une consommation d'alcool qui diminue, c'est celle du vin.
20:06 Le vin comme alcool traditionnel perd.
20:10 Il y a des alcools qui connaissent un étonnant succès.
20:12 Il y a une certaine boisson qui mélange un bitter avec une sorte de champagne qui a
20:19 emporté le marché.
20:20 Je vais le dire sur un autre produit, un produit qu'on ne voyait quasiment plus en France,
20:24 le gin, devient un produit.
20:26 Ça, ce sont des modes, mais sur le plan presque fonctionnel.
20:30 Sur le plan fonctionnel, vous avez tous les jours des témoignages de la bataille qui
20:37 se livre entre le cannabis et l'alcool, y compris autour des religions, y compris
20:44 autour des pratiques générationnelles.
20:47 Les religions, c'est-à-dire ?
20:49 C'est-à-dire que le cannabis est un produit qui a un statut particulier par rapport à
20:56 l'alcool, qui est strictement interdit dans un certain nombre de religions.
21:01 L'alcool en France est inscrit dans une tradition catholique, le village français.
21:09 Donc, vous avez des représentations qui font qu'un produit devient désuet et qu'un
21:14 autre produit va prendre sa place.
21:17 Et autour du cannabis, on est dans un débat qui me paraît, moi, complètement absurde
21:22 parce que ce produit a une demande.
21:24 Ce matin, le maire du Creusot commence son interview en disant « c'est un marché
21:28 comme les autres ».
21:29 Dans la séquence que vous avez passée, qu'est-ce que vous discutez après avec Michel Gandillon ?
21:34 La production, le mode de consommation, le mode de distribution.
21:37 Il faut réfléchir en termes de marché.
21:39 Ce qui est étonnant, Michel Gandillon, vous nous l'avez fort bien expliqué, il y a
21:43 une professionnalisation de ce marché.
21:46 Vous nous avez parlé de marketing.
21:48 On sait qu'il y a aujourd'hui des techniques de plus en plus sophistiquées, de livraison.
21:53 Bref, tout ceci pourrait passer pour un business comme un autre à ceci près qu'il y a des
22:01 morts, qu'il y a une forme de sauvagerie et de brutalité.
22:05 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ça réunit les deux mondes ? Ça veut dire qu'on
22:10 a affaire finalement à des mafias qui utilisent les techniques des entrepreneurs traditionnels
22:16 ?
22:17 C'est un commerce.
22:18 C'est un commerce, une offre qui rencontre une demande, sauf qu'effectivement, ce commerce
22:24 est prohibé.
22:25 Prohibé par la loi, mais ceci ?
22:30 Dans les faits, il y a de tels niveaux de consommation aujourd'hui en France que peut-on
22:35 parler de prohibition.
22:38 Donc effectivement, comme ce marché est interdit, il est pris en main par des organisations
22:45 criminelles et qui ont une manière de régler leurs problèmes de concurrence très particulière.
22:50 On le voit.
22:52 Et une manière aussi de considérer l'expansion de leur business avec des sommes considérables
23:01 qui font que les États, puisque vous nous avez parlé à la fois de la situation en
23:06 France, mais la situation en Belgique, aux Pays-Bas, sont de plus en plus démunis.
23:09 Les États sont effectivement de plus en plus démunis face à la masse de drogue qui
23:16 arrive et qui est produite sur le vieux continent.
23:19 Il y a encore quelques années, la violence liée aux drogues était surtout attachée
23:25 à des pays du tiers-monde, des pays comme le Mexique, comme la Colombie, voire l'Afghanistan.
23:30 Et aujourd'hui, cette réalité de la violence liée aux drogues, d'ailleurs le directeur
23:35 Alexy Gouzdil de l'Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie l'a dit
23:38 clairement, on est face à des phénomènes qu'on pensait être l'apanage des pays
23:43 du tiers-monde.
23:44 Donc cette montée en grade de la violence criminelle liée aux drogues, des phénomènes
23:50 de corruption.
23:51 On n'a pas parlé de la corruption, mais dans son dernier rapport sur l'état de la
23:55 menace, l'OFAS, l'Office anti-stupéfiants, s'inquiétait du développement de la corruption
24:00 des pouvoirs locaux et des municipalités.
24:02 C'est-à-dire qu'on a des maires aujourd'hui, des élus municipaux qui sont confrontés
24:06 à l'existence d'enclaves criminelles, de groupes relativement puissants, qui ont
24:09 un pouvoir d'intimidation, de corruption.
24:11 Et que c'est une menace qui est prise aujourd'hui très au sérieux par l'état français.
24:17 Il y a eu un rapport du Sénat récemment sur la question.
24:19 Et on considère qu'on a là des maires qui achètent la paix sociale ou leur propre
24:26 paix ?
24:27 L'achat de la paix sociale, effectivement, on a parlé de politique des grands frères.
24:32 Il y a eu un certain nombre de scandales ces dernières années.
24:34 Je pense à l'affaire Sylvie Andrieux en 2007 à Marseille.
24:38 Rappelez-nous.
24:39 Effectivement, c'était une élue des quartiers nord qui finançait, qui a dilapidé 700
24:45 000 euros de subventions à des associations tenues par des trafiquants de drogue pour
24:52 à la fois avoir la paix sociale dans le quartier et éventuellement des voix.
24:56 Et ce phénomène s'est répété depuis dans des villes comme Aubervilliers, comme
25:00 Bagnolet, comme Saint-Denis, avec des phénomènes de corruption touchant directement les équipes
25:05 municipales.
25:06 Il y a eu l'affaire de Cancleu aussi, qui est très symptomatique.
25:09 Cette petite commune de 15 000 habitants au nord de Rouen où le maire a dû démissionner,
25:15 elle était sujette à des pressions très importantes des trafiquants.
25:17 Jean-Pierre Coutron, alors ça c'est l'impuissance des pouvoirs publics, l'impuissance des
25:21 psychologues.
25:22 Lorsqu'il s'agit, il y a quelques années encore, on disait il n'y a pas de drogue
25:27 et heureux.
25:28 On a lu le livre du professeur Olivenstein, qui était un best-seller.
25:33 Et on se demandait comment on pouvait soigner les drogués puisque ceux-ci n'étaient
25:39 pas heureux.
25:40 Aujourd'hui sont-ils heureux ? Est-ce qu'on a affaire à un phénomène qui est tellement
25:44 massif que plus personne n'a la candeur de croire que ceux-ci pourraient être guéris ?
25:49 Je vais peut-être me lancer dans quelque chose de compliqué vu le peu de temps qui
25:53 nous reste.
25:54 Mais il y a des usagers heureux, bien évidemment.
25:56 Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne prennent pas certains risques en termes de santé.
25:59 Mais il y a des consommateurs.
26:01 Donc le professeur Olivenstein avait tort ?
26:03 Non, parce que lui parlait des drogués, de ceux qui en ont perdu le contrôle.
26:07 Mais sur toutes ces substances, il y a des personnes, il y a des fumeurs de cannabis
26:11 heureux, il y a des consommateurs d'alcool heureux, il y a même des consommateurs…
26:16 ponctuellement c'est plus compliqué.
26:17 Parce que chaque drogue a ses caractéristiques.
26:20 Il y a des consommateurs de cocaïne qui peuvent rester sur des périodes à un stade où
26:24 ils sont heureux.
26:25 Et c'est bien parce qu'ils ont cet effet-là, l'effet qu'ils souhaitaient, qu'ils
26:30 en sont contents.
26:31 Et puis selon les substances…
26:32 C'est bien, attendez, parce que ça veut dire que vous donneriez une ordonnance ?
26:35 C'est-à-dire que vous considérez que si on réussit à mener une vie normale tout
26:41 en se droguant, on peut continuer à se droguer ?
26:43 Encore une fois, ce qui fait la complexité de ces produits, c'est qu'ils ont un
26:46 effet positif et qu'ils ont ces effets négatifs.
26:48 Mais c'est le même produit.
26:49 Pas pris pareil, pas pris sous les mêmes présentations, pas pris dans les mêmes contextes,
26:54 pas pris avec les mêmes personnalités.
26:56 Donc, votre question est un peu provocatrice, mais qui ouvre là, qui fait réfléchir.
27:00 Oui, il y a des usagers heureux.
27:02 Oui, les consommateurs pathologiques, les drogués, eux ne sont pas heureux.
27:08 Mais les drogues ne sont pas toutes équivalentes.
27:10 Il y a des drogues qui sont beaucoup plus addictives, beaucoup plus destructrices.
27:13 Bien sûr, c'est pour ça que quand je disais drogue, ce n'était pas pour renvoyer à
27:16 une mauvaise catégorie journalistique.
27:18 C'était pour dire ensuite qu'il faut regarder produit par produit, les risques
27:22 pris avec une substance comme le fentanyl ne sont pas les mêmes risques que pris avec
27:27 un médicament en bosse d'opium prescrit par un médecin.
27:30 Justement, si je vous demandais...
27:32 Il y a des catégories pharmacologiques, la demi-vie, qui fait qu'on est plus vite accro
27:37 avec telle substance qu'avec telle autre.
27:38 Lesquelles justement ?
27:39 Le fentanyl ou un certain nombre d'eau piacée ont des caractéristiques qui font qu'il
27:43 est beaucoup plus difficile de rester dans la zone d'un usage contrôlé qu'un eau
27:48 piacée qu'on vous donne parce que vous avez eu une opération et que vous avez, pendant
27:51 quelques mois, besoin encore d'être accompagné dans votre douleur.
27:54 Et on le voit aujourd'hui avec les prescriptions d'eau piacée sur indication médicale.
28:01 On le voit en France ?
28:02 En France, oui.
28:03 Il y a tout un débat aujourd'hui sur la prescription d'eau piacée en médecine
28:06 générale, en médecine de ville, en post-opératoire où il faut à la fois garder le service donné
28:12 par l'eau piacée pour calmer la douleur mais ne pas faciliter.
28:15 Des personnes qu'on récupère ensuite en addictologie quelques années plus tard et
28:19 on leur demande comment vous avez commencé parce que j'avais pris un traitement pour
28:23 telle et telle raison de douleur somatique.
28:26 Mais là aussi, si on sort de ces drogues qui sont des médicaments détournés de leur
28:31 usage pour aller vers les drogues vendues par des dealers de la cocaïne ou drogues
28:37 de synthèse, quel regard portez-vous sur la dangerosité de ces drogues-là ?
28:42 Le regard que je porte, je vais revenir là encore un tout petit peu en amont sur ce que
28:47 disait Michel, c'est la grande diversité.
28:48 C'est-à-dire qu'on a un magasin où on peut tout avoir et on va prendre un produit
28:54 pour se stimuler à un moment, on va prendre un produit pour s'apaiser à un autre moment
28:59 et donc on va avoir des produits comme la cocaïne qui deviennent des produits de consommation
29:04 de plus en plus courantes.
29:06 Dans des métiers, c'était dit par Michel, qui demandent d'avoir cette espèce de stimulation,
29:14 on va avoir là des personnes qui vont rentrer avec un motif qu'ils trouvent tout à fait
29:18 légitime, c'est pour être plus performant, c'est pour répondre à la demande et qui
29:23 vont se retrouver quelques mois plus tard avec une perte de contrôle parce que ce produit
29:28 n'est pas aussi simple que ça à contrôler.
29:29 La cocaïne par exemple est un produit qui n'est pas aussi simple que ça à contrôler
29:33 sur la nature.
29:34 Voilà, c'est là où j'aimerais vous entendre.
29:36 Si on classait ces produits par rapport à…
29:39 Parce que par exemple le fentanyl, d'après ce que j'ai cru comprendre, ce médicament
29:44 est à une puissance d'addiction folle.
29:47 Oui, alors, c'est pas que je ne vais pas vous répondre, mais David Knott a fait un
29:51 classement.
29:52 Le problème du classement, c'est quels paramètres vous regardez en premier.
29:55 Si vous regardez la dépendance, il y a des produits que vous mettez en premier.
29:59 Si vous regardez la perte de contrôle, il y a des produits que vous mettez en premier.
30:02 Si vous regardez les conséquences somatiques, il y a des produits que vous mettez en premier.
30:06 Voilà, si vous regardez le cancer, vous allez monter l'alcool, monter le cannabis et
30:10 baisser d'autres drogues.
30:11 Si vous regardez la dépendance, vous allez monter les opiacés et baisser dans le classement
30:16 d'autres drogues.
30:17 Si vous essayez de paraméter de trous, mais quand on paramètre, on a des subjectivités
30:21 de celui qui va créer, donner trois points à ça, trois points à ce risque.
30:25 Mais effectivement, le point important dans ce que vous dites, c'est que les drogues
30:28 ne sont pas comparables.
30:29 Produit par produit, on a des risques très différents.
30:33 Et si on regarde le risque de la dépendance, si on regarde le risque du craving, la perte
30:38 de contrôle, la perte de contrôle, si on regarde le risque de la maladie somatique,
30:42 on va mettre tel ou tel produit en tête de liste.
30:45 Michel Gandhi, on a beaucoup parlé des échecs de la lutte antidrogue.
30:48 Est-ce qu'il y a des pays qui s'en sortent mieux que nous ? Est-ce qu'il y a des expériences
30:54 en cours ? Alors, on a vu qu'en Belgique, aux Pays-Bas, la situation n'était pas enviable.
31:00 Les pays du sud de l'Europe, en Espagne, au Portugal, qu'est-ce qui se passe ?
31:05 Écoutez, en Espagne, je n'ai pas l'impression que la situation soit meilleure qu'en France.
31:09 Je crois que l'Espagne a les taux de prévalence de consommation de cocaïne les plus élevés
31:13 d'Europe.
31:14 C'est aujourd'hui un pays qui est aussi gangréné par la criminalité organisée
31:19 liée à la production d'herbes de cannabis.
31:21 C'est un des plus gros producteurs d'herbes de cannabis en Europe.
31:25 L'Italie est confrontée à des saisies absolument gigantesques de cocaïne dans ses ports.
31:33 Donc, il y a une réalité européenne qui est relativement sombre.
31:37 Alors, il y a des tentatives à l'échelle mondiale de répondre par l'instauration
31:42 de marchés réguliers du cannabis.
31:45 J'ai étudié d'assez près la situation aux États-Unis qui, pour moi, du point de
31:51 vue de la légalisation du cannabis, n'est pas vraiment probante.
31:54 Pourquoi pas vraiment probante alors qu'elle est souvent montrée en exemple ?
31:58 Oui, on parle beaucoup d'or vert, de miracle américain.
32:03 Mais quand on regarde de près, je crois que le tort de ce modèle de régulation du
32:07 cannabis a été de confier la légalisation à des entreprises privées dont la logique
32:11 est d'accumuler du capital, donc d'élargir leur clientèle.
32:15 Et effectivement, au Colorado, on assiste à une explosion des déconsommations et surtout
32:20 à la mise sur le marché de produits très fortement chargés en THC avec des taux de
32:27 60-70% pour des raisons de profit.
32:30 Donc là, on a l'impression que la leçon de la crise des opioïdes, qui est liée à
32:35 la base à l'avidité des compagnies pharmaceutiques, n'a pas été tirée pour le cannabis.
32:40 Si légalisation, il doit y avoir en France, je pense qu'il ne faut surtout pas imiter
32:45 le modèle "américain" et faire quelque chose de beaucoup plus régulier.
32:50 Justement, je me tourne vers Jean-Pierre Coutron.
32:51 Je ne sais pas si un psychologue a des conseils à donner aux autorités en matière de lutte
32:56 contre les drogues, puisque pour vous, la catégorie de drogue ne signifie pas la même
33:02 chose.
33:03 Mais est-ce que ça vous étonne que ces différents pays, ceux qui légalisent, ceux qui ne légalisent
33:08 pas, aboutissent à des situations qui finalement sont tout aussi peu enviables ?
33:12 Il faudrait qu'on regarde ce qui est en train de se passer au Canada et aux États-Unis
33:17 pour aller dans ce que dit Michel Guindillon.
33:18 Il faudrait regarder état par état.
33:20 Là où je suis à peu près d'accord, c'est que confier la légalisation du cannabis
33:26 aux mêmes entreprises et à la même logique économique qui n'a pas su réguler l'alcool
33:31 et qui n'a pas su réguler le tabac, c'est-à-dire à l'avidité d'un certain nombre de
33:35 grands opérateurs, ça va être un échec.
33:37 A l'inverse, le laisser dans les mains des mafias, ça donne la situation catastrophique
33:42 que l'on a actuellement.
33:43 Donc il faudrait, c'est un vieux débat philosophique, il faudrait oser la voie médiane qui est
33:48 de laisser passer quelque chose qui correspond à une demande profondément humaine, mais
33:53 d'avoir un état suffisamment rigoureux pour le contrôler, le mettre entre des digues
33:58 qui fait que ça ne serait pas le n'importe quoi que l'on a vu avec l'alcool et que
34:01 l'on voit avec le tabac, et que l'on voit dans certains modèles de soi-disant régulation
34:08 du cannabis qui ne sont pas des modèles de régulation convaincante.
34:11 Alors qu'il y a certains états et certaines provinces canadiennes qui quand même montrent
34:15 des résultats qui pourraient nous intéresser, qui devraient nous intéresser.
34:18 Un mot de conclusion Michel Gandillon ?
34:20 Un mot de conclusion, bah écoutez, sur la France ou sur le marché global des drogues
34:26 à l'échelle mondiale ?
34:27 Sur cette situation d'échec global ?
34:28 Oui, alors l'échec, on parle beaucoup d'échec de la guerre à la drogue.
34:34 Je crois qu'on peut la mesurer de manière très concrète aujourd'hui en France par
34:39 le fait qu'on n'a jamais réalisé autant de saisies de drogue et jamais l'impact n'a
34:44 été aussi peu visible sur le marché.
34:46 On saisit énormément de drogue donc les prix devraient fortement augmenter, les puretés
34:51 diminuer parce que ça devrait créer des situations de pénurie et c'est pas du tout
34:54 le cas.
34:55 Donc ça montre, c'est fait, l'augmentation des teneurs et la stabilité des prix montrent
35:00 que la guerre à la drogue en France est un relatif échec.
35:04 Michel Gandillon, Drugstore aux éditions du Cerf, Jean-Pierre Coutron, Addictologie
35:10 aux éditions du Nou.

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