• il y a 10 mois
Fred Dégoulet a reçu un piolet d’or, distinction suprême de l’alpinisme, pour l’ouverture d’une nouvelle voie extrême dans la face sud du Nuptse en Himalaya. Benjamin Védrines accumule les records en haute altitude et défie les limites du corps humain. Ces deux alpinistes de très haut niveau croisent leur regard sur leur pratique et la prise de risque qu’elle implique.

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00:00 [Musique]
00:24 Bonjour à tous, vous pouvez respirer à fond, c'est Grand Air, le magazine de la montagne et des sports de pleine nature de Télé Grenoble.
00:31 Aujourd'hui on va partir en expé Himalayenne avec des alpinistes de très haut niveau.
00:36 À ma droite Fred Dégoulé, bonjour.
00:39 Bonjour.
00:40 Guide de haute montagne, détenteur d'un pieu laidor.
00:43 En face de vous Benjamin Védrine, bonjour Benjamin.
00:46 Bonjour.
00:47 Un habitué de l'émission Grand Air.
00:49 Encore un pied laidor pour Benjamin mais de nombreux records, notamment d'ascension à plus de 8000 mètres.
00:57 C'est un projet d'un jour remporter ce trophée qui célèbre chaque année l'une des meilleures réalisations au monde ?
01:06 Non, ce n'est pas du tout un projet. Après si ça arrive, je serais très content.
01:10 C'est arrivé à Fred en 2018 ce pieu laidor, c'est une distinction qui est attribuée chaque année par un jury d'alpinistes également de très haut niveau.
01:22 Oui, dans le jury il y a plusieurs alpinistes mais il y a aussi des spécialistes, des journalistes et du coup un petit peu de tous les massifs aux Etats-Unis, en Himalaya.
01:34 C'est un jury qui est composé pas que d'alpinistes mais aussi des gens qui font partie du milieu mais qui ne font pas forcément de la montagne.
01:42 C'est la reconnaissance en tout cas pour le milieu de l'alpinisme comme on peut en avoir dans d'autres disciplines aussi mais ailleurs.
01:49 On voit les photos de la remise de ce trophée, donc c'était en 2018.
01:54 Ça change une carrière de guide, d'alpiniste d'avoir une récompense comme celle-là ?
02:00 En tout cas sur la carrière de guide, pas forcément.
02:04 Ça va peut-être ramener un ou deux, on va dire fans mais sinon on va dire que ça améliore un petit peu la relation avec les sponsors.
02:15 Vous avez une carte de visite ?
02:17 Au moins qui est valide, il y a le petit machin certifié conforme.
02:20 Parce qu'il n'y a pas toujours beaucoup de Français qui remportent cette distinction.
02:24 Il y en a eu ces dernières années, c'est monté un peu en puissance.
02:28 Tous les 2-3 ans il y a des Français, la promo 2023 c'est aussi des Français qui ont remporté ce Piolet d'or.
02:33 On avait eu Ulysse Billon aussi 2 ans avant vous.
02:37 Alors vous n'étiez pas seul sur ce trophée, on l'a vu.
02:39 Il y avait Benjamin Guigonnet et Elias Mirou qui vous ont accompagné.
02:44 Vous étiez tous les trois sur cette expédition au Nupcé.
02:47 Elle date de l'année d'avant 2017 mais elle est revenue dans l'actualité du moment.
02:53 Puisque un film retraçant cette aventure est sorti.
02:56 Il a été présenté d'ailleurs au Rencontre Ciné Montagne de Grenoble.
03:00 Il y a mis du temps à émerger ce projet de film.
03:03 On va dire que c'est un gros mammifère.
03:05 Ça vient d'une gestation qui a duré 5 ans.
03:07 Plus long que les baleines et tout ça.
03:11 Mais qui finalement, on est content d'avoir attendu aussi longtemps.
03:17 Parce que c'est un bijou.
03:19 On est heureux de le regarder.
03:21 On ne s'ennuie pas.
03:23 C'est profond.
03:25 C'est sincère.
03:27 C'est un film qui va, je l'espère, un peu marquer son petite époque.
03:33 Et puis voilà.
03:35 Nous, on est tous contents au sein de la cordée du Gang des Moustaches.
03:39 Que ça soit sorti comme ça.
03:41 - Votre exploit avait marqué aussi son époque il y a 6 ans.
03:47 Le Nubseh en Himalaya, ce n'est pas un 8000.
03:50 Il est peut-être moins connu que les 14 autres grands sommets.
03:54 Mais il côtoie notamment le toit du monde.
03:56 C'est dans le secteur de l'Everest.
03:58 - Nous, on avait un peu l'habitude de dire que le Nubseh faisait de l'ombre à l'Everest.
04:03 Mais oui, en fait, il est connecté à l'Everest.
04:06 Si on continue la rête qui part de l'Everest, qui va au Lotseh, arrive sur le Nubseh.
04:12 Il est sur toutes les photos de tous les trecs qui sont connus.
04:17 Qui retracent un petit peu le chemin jusqu'au cran de base de l'Everest.
04:20 On le voit tout le temps.
04:21 - On voit là ces 3 sommets, effectivement, qui forment un cirque.
04:25 Et cette face sur laquelle vous vous êtes échiné.
04:30 Une face impressionnante.
04:31 On connaît les grandes Joraz dans les Alpes.
04:33 On connaît les faces de plus de 1000 mètres.
04:34 Mais là, on est dans une autre dimension.
04:36 - Et oui, c'est deux fois la face des grandes Joraz.
04:39 Un peu le même profil, on va dire.
04:41 Et avec de l'altitude en plus pour pimenter le jeu.
04:46 Et puis un peu d'exposition quand même.
04:48 - Oui, un petit peu.
04:49 7861 mètres, je crois, le point culminant de cette grande muraille.
04:55 Benjamin, vous avez déjà lorgné du côté du Nubseh.
04:57 Parce que vous allez régulièrement dans ce secteur, en tout cas en Himalaya.
05:00 - Moi, oui, j'y étais allé assez tôt.
05:02 Je me souviens plus, c'était 2013 peut-être, avec ma copine au pied du Nubseh.
05:05 De la face sud.
05:06 Et au même titre que la face sud de la Napurna,
05:08 c'est des choses qui marquent quand tu es au pied.
05:10 Pour nous, en tant qu'alpiniste, d'un trait d'un seul,
05:13 jusqu'au sommet, ça file et puis c'est raide.
05:16 Et puis avec un oeil de montagneur passionné,
05:19 tu imagines forcément des lignes.
05:21 Et puis, tu lorgnes un petit peu tout ce qui a déjà été fait.
05:24 Par pas mal de Français, notamment.
05:26 Et puis, tu vois ce qui n'a pas été encore fait.
05:28 Et je m'en souviens parfaitement bien.
05:30 Mais après, en 2017, quand ils y avaient été,
05:33 nous, on était à l'est du Népal à ce moment-là.
05:36 Donc, on savait qu'ils étaient dans cette face.
05:38 Et donc, c'était assez rigolo de penser à eux.
05:41 Par rapport à la météo, par rapport aux conditions,
05:44 par rapport à l'engagement qu'on prenait nous aussi.
05:47 Donc, il y avait un petit lien. C'était assez rigolo.
05:49 - Alors, les lignes ne sont pas évidentes à trouver.
05:51 Elles ne sont pas non plus évidentes à réaliser.
05:53 Il y a eu deux tentatives avant le succès de 2017.
05:56 2015 et 2016.
05:58 Vous n'avez pas participé, vous, Fred, à la première ?
06:01 - Non, la première fois, ça m'a fait peur.
06:04 Je m'étais dit que c'était trop grosse marche
06:06 par rapport à ce que j'avais réalisé avec l'équipe.
06:08 Mais il y avait Benjamin et Elias qui étaient motivés comme jamais.
06:11 Donc, ils y sont allés tous seuls.
06:13 Moi, je leur avais dit faites un peu d'expérience
06:16 et je vous rejoindrai après.
06:18 Parce que j'avais besoin d'avoir un peu plus de retour
06:21 par rapport à ce que seules les photos m'amenaient comme information.
06:25 Donc, ils y sont allés en mode guerrier.
06:28 Ils ont eu des conditions ultra sèches.
06:30 Donc, c'était impossible de gravir quoi que ce soit.
06:32 Il y avait des chutes de pierre en continu.
06:34 Mais ils ont pu ramener des photos, des informations cruciales
06:39 qui nous ont permis après avec Robin et moi
06:43 de se motiver pour revenir à quatre.
06:46 - Donc, en 2016, vous y êtes allé à quatre.
06:49 C'est ce que vous appelez le gang des moustaches.
06:51 On comprend pourquoi parce que...
06:53 - Oui, j'ai gardé un peu.
06:55 - Voilà, vous l'avez gardé.
06:56 Tous ne l'ont pas gardé.
06:57 Mais à l'époque, que ce soit Elias Mihirou, Benjamin Guigonnet ou vous, Fred,
07:01 vous aviez des belles moustaches.
07:03 Je crois que vous êtes le seul d'ailleurs à l'avoir conservé.
07:05 - Oui, Benjamin, il a toujours la barbe.
07:08 Donc, il peut l'avoir quand il veut.
07:10 - Oui, il suffit de...
07:11 - Robin, il en a une petite aussi.
07:13 Mais non, non, c'est resté comme ça.
07:17 C'est un peu notre marque de fabrique, on va dire.
07:20 - Alors, en 2016, vous butez une nouvelle fois, un peu plus haut quand même.
07:23 Là, vous aviez gravi une partie de la face.
07:25 - Oui, oui, là, on va dire qu'on avait le talent, mais on n'avait pas l'expérience.
07:30 Et donc, on s'est échoué à 400 m du sommet.
07:34 Donc, c'était hyper frustrant.
07:36 Et puis, c'était surtout la première fois qu'on n'arrivait pas à un sommet
07:39 alors qu'on partait en expé.
07:41 D'habitude, on arrivait toujours à faire quelque chose.
07:44 Et là, c'est la première fois où ça nous a séché net.
07:48 Donc, ça nous a marqué.
07:50 - Vous avez eu du mal, vous, personnellement, à digérer cet échec.
07:53 - Oui, on est rentré le coup, on s'est arrêté.
07:57 C'était un traumatisme, on va dire.
08:00 On a vécu ça comme un choc, tous.
08:05 Et on a suivi une petite dépression d'un mois, tout ça.
08:09 Un truc sympa, quoi.
08:11 Mais bon, après, on a vite remonté une expé
08:15 pour essayer de finir le travail.
08:19 - Ça fait partie, pourtant, du jeu de l'alpinisme
08:21 et encore plus de l'himalayisme,
08:23 de savoir qu'on n'est pas sûr d'arriver en haut.
08:26 Vous aussi, Benjamin, quand vous n'arrivez pas à un objectif,
08:29 ça vous frustre au point de parfois déprimer ?
08:32 - Je pense que ça dépend du caractère qu'on a.
08:34 Mais si on a un caractère où on est sûr de la voie qu'on a envie d'ouvrir,
08:39 de parcourir, de la passion qu'on a pour une face, pour une montagne,
08:43 si on a un lien particulier qu'on a créé,
08:45 à ce moment-là, ça me paraît évident de vouloir revenir sur les pas où on a buté.
08:50 Et ce n'est pas propre à chacun.
08:52 Il y en a qui vont se dire "c'est trop dur, c'est trop compliqué,
08:54 je vais voir une autre montagne, peut-être plus facile,
08:56 avec laquelle je vais avoir un sentiment d'accomplissement plus rapide".
09:00 Et là, pour des phases comme ça, on sait que c'est 50/50,
09:03 voire peut-être moins de chances d'arriver au terme d'une expédition réussie.
09:08 Et retourner, c'est le signe d'un alpiniste accompli qui est passionné
09:13 et c'est ce qui fait des grands exploits comme ça.
09:15 - Il y a une forme de sagesse aussi, de savoir renoncer,
09:18 de se dire "là, on est aux limites et on ne veut pas aller plus loin, Fred".
09:22 - Oui, c'était le renoncement qu'on s'est infligé.
09:29 Ça a été très dur sur le moment.
09:32 Parce que quand on était sur les dernières parties,
09:36 ça a duré 8 heures, 7 dernières journées avant de renoncer.
09:40 On savait qu'on avançait doucement, mais on savait qu'on s'approchait quand même du sommet
09:44 et qu'on peut aller très loin dans la douleur et dans la souffrance.
09:49 Et on s'imaginait aller jusqu'au bout, quitte à presque pas revenir.
09:54 C'était quelque chose qu'on avait envisagé dans notre inconscient.
10:00 Et là, de se dire "non, on va redescendre", c'est très dur.
10:04 Et puis en plus, avec l'altitude, le manque d'oxygène,
10:06 on n'a pas toute notre capacité à réfléchir correctement.
10:09 Donc c'est quelque chose qui est dur et qui...
10:14 Moi, je trouve que c'est même courageux de pouvoir se dire "j'arrête là".
10:21 Comme ça, je redescends vivant avec tous mes orteils, tous mes doigts.
10:25 C'est quelque chose que j'imagine où on peut passer outre
10:32 et on peut rester là-haut, ça c'est sûr.
10:34 - Il y en a beaucoup qui sont passés outre et qui ne sont pas redescendus.
10:39 Vous n'êtes pas passé très loin, vous, Benjamin, à aller au sommet coûte que coûte,
10:43 quitte à ne pas redescendre. C'était au Cadeux, il y a deux ans, je crois ?
10:48 - Oui, c'était il y a deux ans, il y a un an et demi.
10:51 Et oui, effectivement, au Cadeux, je ne suis pas passé loin.
10:54 Mais c'est tout le problème entre l'équilibre, le bénéfice-risque
10:57 et puis l'engagement qui est nécessaire pour ce genre de projet
11:00 par rapport au commun des mortels, comment les gens voient l'engagement.
11:04 Déjà, d'aller au pied de la face, de s'engager dans une face comme ça,
11:06 c'est déjà trop. Alors nous, alpinistes, on ne sait jamais trop
11:10 où mettre la barrière de dire "stop". Parce qu'il y a un moment donné,
11:14 l'Himalayisme surtout, on a tellement engagé au niveau du temps
11:18 qu'on consacre à une expédition, de l'argent qu'on peut mettre dedans,
11:21 de tous les sacrifices qu'on fait sur le plan affectif.
11:23 On laisse certains membres de notre famille, notre copine, etc.
11:27 Et on se retrouve des fois tout seul, à trois, deux, quatre,
11:31 dans un camp de base et on est là pour aller au sommet, faire une voie.
11:35 Donc en fait, au bout du premier mois, on essaye et puis on est à 200 mètres
11:40 de ce qui peut être un succès. C'est vrai que c'est très difficile
11:43 de se dire "allez, on ne va pas être plus aimanté que ça" et on redescend.
11:48 Juger les conditions en montagne, on sait que ce n'est jamais facile.
11:51 Est-ce que ça va être plus facile ? Est-ce que la météo va être vraiment
11:54 ce qu'on a sur le téléphone portable ? On sait que c'est très peu prévisible,
12:00 beaucoup moins que dans les Alpes, la météo. Donc est-ce qu'on peut
12:02 faire confiance ou pas ? Ce n'est jamais évident. Et moi, c'est vrai qu'au cas d'eux,
12:06 j'ai voulu pousser un petit peu le bouchon en me disant "allez, ma petite étoile
12:09 va faire que ça va se passer correctement, ça va être positif".
12:14 Et puis il y a quelque chose qui n'a pas marché, auquel je ne m'attendais pas.
12:18 C'était le corps qui, lui, a dit "stop". Mais quelque chose qui n'arrive pas
12:23 dans les Alpes, normalement. Une hypoxie sévère.
12:26 - Vous lâchez complètement à quelques centaines de mètres sous le sommet.
12:31 On vous voit quelques minutes avant que vous soyez vraiment au bord de l'épuisement.
12:34 - Oui, là, c'était sous le CERAC bottleneck. Donc en gros, à peu près à partir
12:38 de la base de ce CERAC, ce qui est un énorme CERAC très symbolique
12:41 de la voie normale, à partir de 8300 exactement, j'ai commencé vraiment
12:45 à être dans une hypoxie sévère. Donc mon rythme s'est radicalement ralenti.
12:50 Et puis ma conscience s'est altérée. Tous mes sens, mon éveil ont été dégradés.
12:56 Et en fait, je ne me souviens vraiment de rien entre ce début de la 8003,
13:01 ce début des problèmes, jusqu'à 8004. Parce qu'en fait, j'ai quand même
13:04 continué à monter, mais je n'ai pas de souvenir de ce passage-là.
13:08 C'est assez particulier, je dois l'admettre, parce que d'habitude,
13:11 on sait pourquoi on renonce. Et là, au cas 2, je sais que j'ai commencé
13:14 à descendre, mais je n'ai pas le souvenir d'avoir pris la décision
13:17 et je n'ai pas d'image qui me revienne.
13:19 - Donc il y a une zone d'incertitude, vous ne savez pas exactement où c'est passé.
13:22 - Oui, je ne sais pas exactement ni où je me suis arrêté, parce que ma montre,
13:25 en fait, s'est arrêtée à 14 heures d'effort parce qu'elle n'avait plus de batterie.
13:29 Et je n'ai qu'un signe, en fait, spatial. Je me souviens vraiment avoir vu
13:36 le corps d'un alpiniste qui était décédé l'hiver dernier. C'était un Écossais
13:42 qui était... Je ne me souviens plus le nom de ce guide pakistanais
13:45 avec lequel il était, mais en gros, il voulait faire la première hivernale
13:48 du K2. Il avait échoué parce que c'était Nims Day et son équipe
13:53 qui étaient arrivés avant eux. Et il voulait quand même le faire,
13:56 même si c'était la seconde ou même la troisième.
13:59 C'était quelque chose d'obsessionnel. Du coup, ils ont échoué.
14:02 Les deux sont décédés. Et il y a ce corps qui est toujours là-haut,
14:07 à peu près à 8 350, justement. Alors, ce n'est pas drôle, mais en tout cas,
14:11 c'est vrai que ça m'a permis au moins de savoir à peu près où je m'étais arrêté.
14:14 Et j'avais pas de descendeur, c'est-à-dire que je n'avais pas un outil
14:17 qui me permettait de descendre facilement sur les corps de fils
14:20 qui étaient installés sur une voie normale en Himalaya. Sur les 8 000,
14:24 il y a des corps de fils chaque année. Et donc, j'ai voulu regarder
14:27 sur ce corps s'il n'y avait pas un descendeur qui aurait pu me servir,
14:30 vu que ça ne lui servait plus à ce pauvre Écossais.
14:34 Et il n'en avait pas, malheureusement. J'ai dû continuer la descente.
14:37 Et pour la petite histoire, j'aurais pu terminer comme cet Écossais.
14:41 Et ce qui a fait que je m'en suis sorti, c'est à la fois ma bonne étoile
14:46 qui m'a fait redescendre de moi-même, mais surtout, avant tout,
14:49 les alpinistes qui étaient présents ce jour-là, qui, eux,
14:51 descendaient également de la voie normale et qui m'ont porté assistance.
14:55 - Il y a finalement une solidarité au-dessus de 8 000.
14:57 On dit souvent que chacun pour soi.
15:00 - Oui, c'est ça. C'est que c'est un monde qui est un petit peu,
15:03 parfois, mal compris, un peu catalogué.
15:08 C'est vrai qu'on pense tout le temps à l'individualisme dans le monde des 8 000.
15:12 Et ce n'est pas tout le temps le cas. Il y a parfois, comme moi, je l'ai vécu,
15:15 beaucoup de solidarité envers des alpinistes qui ne sont pas du tout les mêmes, en fait.
15:22 Parce qu'on ne joue pas du tout aux mêmes défis.
15:26 Mais pourtant, on est au même endroit. On se rencontre au même moment.
15:29 Là, c'est ce qui est arrivé pour moi.
15:32 Et s'ils n'avaient pas été là, s'ils ne m'avaient pas donné un petit peu d'oxygène
15:35 et un petit peu aidé mentalement aussi à provoquer cette descente,
15:39 et bien peut-être que j'y serais resté.
15:41 Donc, on peut quand même noter ce phénomène.
15:45 - Au Nupçi, il y avait moins de monde. Vous étiez seul sur la paroi.
15:48 Donc, vous ne pouviez ne compter que sur vous trois, ce qui réduit aussi un peu la donne.
15:54 Alors, lors de la première tentative, il y avait également une grande star
15:58 de l'alpinisme et de l'himalaymisme de l'époque, Ouli Jetek,
16:01 qui faisait partie de la première tentative.
16:05 - En fait, c'était un concours de circonstances.
16:07 Il y avait Elias et Benjamin qui faisaient une cordée.
16:10 Puis, il y avait Uli avec Colline Allais qui faisait une autre cordée.
16:13 Ils avaient deux projets différents.
16:16 Mais les conditions du moment ont fait qu'ils se sont rejoints
16:19 pour essayer de faire quand même quelque chose.
16:21 Donc, la voie historique de Chris Bonnington.
16:24 Et même ça, ça n'a pas fait parce que, comme on disait, la météo n'était pas vraiment fiable.
16:28 Ils n'ont eu qu'une journée de beau. Après, il est tombé de la neige.
16:32 Donc, ils ont fait 2000 mètres le premier jour.
16:34 Et puis après, ils sont redescendus.
16:36 - Et puis, je crois qu'on le voit là sur ces images, Ouli Jetek.
16:38 Même s'il y avait un groupe de quatre, il y allait quand même tout seul,
16:42 sans corde, à sa façon, on va dire.
16:44 - D'ailleurs, on en parlait pas si longtemps que ça avec Benjamin et Elias.
16:48 C'est qu'il a dicté un petit peu cette façon de faire.
16:54 Alors qu'ils étaient quatre, tout le monde était en solo.
16:56 C'est assez perturbant.
16:58 Nous, on a pas, que ce soit Benjamin ou Elias, on n'a pas l'habitude de faire du solo.
17:04 Et en fait, ils ont été contraints par des noms dits à faire du solo tous ensemble.
17:08 Et ça les a un peu perturbés, on va dire.
17:12 - Alors, c'était un sprinter des cimes Ouli Jetek.
17:14 Et il s'est tué juste derrière cette tentative au nupsé et au nupsé, justement, sur la voie normale.
17:21 Sur une autre, l'eau phase de l'autre côté.
17:25 Il incarnait un alpinisme technique quand même, rapide, léger, souvent solitaire.
17:30 C'est des critères qui vous correspondent bien, Benjamin ?
17:33 - Oui, c'est vrai que je passais de la mort de Ouli Jetek à savoir si ça m'inspirait.
17:41 - Pas sa mort, mais son parcours.
17:43 - En vrai, tout son passé, oui, de son vivant.
17:45 C'est évident que c'est quelqu'un qui a marqué son époque.
17:47 Même s'il y a des zones d'ombre sur ce tableau, qui à la base est quand même magnifique.
17:53 Il avait un niveau technique aussi bien en escalade libre.
17:56 Il était capable de grimper des longueurs extrêmement dures, proches presque du 9a.
18:00 En endurance, c'était quelqu'un qui avait une méthodologie.
18:04 C'est vrai qu'il s'entraînait pour ses projets.
18:06 En alpinisme, c'est quelque chose qui est plutôt rare.
18:09 On n'est pas habitué à le voir.
18:11 Et puis, en escalade mixte, c'est-à-dire avec les piolets, la glace, le rocher, etc.
18:15 Il y a des vidéos qu'on connaît au Ben Nevis où il engage, il est prêt à aller loin.
18:21 Et en même temps, il gère cette gestion du risque justement de manière assez...
18:27 Ouais, à sa façon.
18:30 Moi, ça m'avait marqué.
18:32 Et puis surtout, la vitesse qu'il a pu démontrer sur les faces nord des Alpes.
18:39 Et puis en Himalaya, c'est quelque chose qui effectivement m'inspire.
18:43 Évoluer rapidement dans une montagne, je pense que ça parle à tout le monde.
18:48 On a tous envie à un moment donné de voir ce qu'on vaut, d'aller vite, de regarder le temps qu'on a mis, etc.
18:54 C'était poussé à l'extrême chez Yuli, mais ça a marqué son temps.
18:58 Et on le voit aujourd'hui, les générations qui ont suivi finalement,
19:03 suivent d'une certaine manière aussi cette forme d'alpinisme léger, rapide, efficace.
19:08 C'était un alpiniste attachant, en tout cas, qu'on avait l'habitude de recevoir régulièrement ici sur le grand air,
19:12 même s'il était suisse.
19:13 Il venait notamment aux rencontres sciennes et montagnes à l'époque.
19:17 Et Benjamin Soulil a sa prise de risque, son engagement.
19:21 Il avait, j'ai envie de dire, une vision assez réaliste de ce qu'il faisait.
19:26 Mais c'est aussi quelque chose qui est très dangereux.
19:29 À certains moments, tu penses que tu vas toujours avancer plus loin, plus loin.
19:36 Et c'est une route sans unique.
19:42 C'est la mort à la fin.
19:44 Et ça, c'est pas facile à digérer.
19:48 C'était presque prémonitoire, ce petit bout d'interview, Fred, quand on sait qu'il s'est tué par la suite.
19:55 C'est sûr, moi, l'ascension du Nubcé, ça a été vraiment un révélateur de tout l'engagement que ça comprend
20:06 de faire des performances en Himalaya.
20:09 Mais ça a des enjeux, clairement.
20:11 C'est un enjeu qui est...
20:14 C'est sûr, toutes ces faces qui sont gigantesques, qui restent des problèmes en Himalaya,
20:19 c'est pas pour rien.
20:21 C'est qu'elles sont dangereuses.
20:23 Et avant de réussir cette ascension, qui est l'aboutissement de ma carrière d'alpiniste,
20:31 je me mettais des œillères, tout clairement, pour pouvoir essayer, pour pouvoir y aller.
20:37 Je me mettais des œillères pour ne pas voir tous les dangers que ça impliquait.
20:42 Et le fait de réussir, ça m'a ouvert complètement les yeux.
20:45 Et je sais que je réfléchis beaucoup plus sur mes objectifs.
20:52 Et je sais que je ne retournerai pas dans une face comme ça.
20:57 Pour moi, c'est clair et net.
20:59 Ça demande beaucoup de sacrifices et surtout une acceptation du risque
21:07 que pour moi, j'ai du mal à accepter parce que j'ai réussi, avec des œillères.
21:13 Mais avant de réussir, j'aurais pu garder mes œillères encore longtemps.
21:20 On voit les images de cette ascension, de cette face, effectivement, raide, technique, immense.
21:28 Ne serait-ce que là, avec cette vue plongeante, toute la dimension de cette paroi,
21:36 en sachant que vous étiez seul, trois petits Français perdus.
21:40 Oui, on est là et on sait que là-haut, il n'y a personne qui peut nous venir à la rescousse.
21:46 S'il se passe un truc, on est seul au monde à pouvoir gérer une crise ou n'importe.
21:51 C'est un terrain mixte ? C'est quoi le plus compliqué ? La glace, le rocher ?
21:55 C'est à 90%, même 95% de la glace et de la neige.
22:00 Et puis de temps en temps, on met un peu les piolets dans du rocher.
22:04 Ça reste du mixte, mais c'est une grosse part qui est en glace,
22:09 donc technique cascade de glace, on va dire.
22:11 Avec la pente très raide, très raide.
22:14 La pente très raide, très très raide.
22:16 Le profil est assez incroyable.
22:19 Après, c'est un peu notre domaine de prédilection, la glace.
22:25 Donc ça tombait bien. On ne choisit pas nos objectifs au hasard.
22:28 Et puis il y a l'altitude, parce que là, on voit déjà sur ces images que vous avancez tranquillement,
22:33 mais parce qu'on est à plus de 7000 mètres d'altitude pour la fin de la voie.
22:39 Je crois qu'il y avait du 75 mètres à l'heure.
22:41 Même moins, 50 mètres à l'heure.
22:43 De dénivelé.
22:44 Oui, c'est horrible.
22:46 Après, nous, on faisait partie de la génération où on ne s'entraînait pas vraiment.
22:50 On ne faisait que guider toute l'année et ça servait de fond d'entraînement.
22:56 Mais avec un peu d'entraînement spécifique, on aurait pu aller plus vite,
23:02 mais ce n'était pas notre manière de faire à l'époque.
23:05 - On peut demander des conseils à Benjamin, parce que même à plus de 8000 mètres,
23:08 Benjamin, il tourne à 300 ou 400 mètres d'heure sur les grosses ascensions.
23:13 - Oui, mais comme dit Fred, c'est sûr que ça demande un petit peu d'entraînement
23:18 et de sacrifice dans l'idée qu'il faut faire plus d'endurance à une époque de l'année
23:23 et délaisser un petit peu les autres choses que sont le travail de guide,
23:27 parce qu'on ne va pas si vite avec le travail de guide et puis on se fatigue sans s'entraîner finalement.
23:31 Et puis l'escalade aussi, c'est chronophage et on ne peut pas tout faire.
23:35 - Vous avez passé combien de jours dans cette face ?
23:38 - Du coup, 8.
23:40 - Avec des bivouacs forcément dans la paroi, c'est toujours un moment un peu particulier.
23:46 Il faut déjà trouver la place quand c'est très raide.
23:48 - Oui, après, on avait bien étudié le truc et on trouvait des zones de pente raide,
23:55 donc dans du, on va dire, dans du 50.
23:58 Et on arrivait à creuser avec une heure et demie d'effort en moyenne,
24:01 entre une heure et une heure et demie, qui puisaient dans les réserves.
24:05 Mais on arrivait à se mettre quand même bien à l'aise dans la tente.
24:08 On était dans une petite cocoon, on était bien à l'abri du vent, de tout.
24:12 - Avec une belle vue.
24:14 - La vue est superbe.
24:16 C'est top.
24:17 Après, quand on est dans la tente, on voit plus le vide.
24:19 C'est comme si on était au camping.
24:21 - Oui, on va dire ça comme ça.
24:24 Il ne faut pas sortir dans la nuit quand même.
24:26 - Non, il y a un peu de logistique concernant ne pas sortir pendant la nuit pour faire ses besoins.
24:32 On essaie de se forcer le soir avant d'aller dans la tente parce qu'après, c'est compliqué.
24:36 - Soit vous n'êtes pas fan, Benjamin, du bivouac en haute montagne.
24:40 - Non, si j'ai à donner une réponse claire, je ne pense pas être un grand fan.
24:46 Je ne sais pas si Fred est vraiment un grand fan non plus.
24:48 - Moi, j'aime bien, moi, ça ne me dérange pas.
24:50 - Ça dépend quand on est dans la tente.
24:53 Quand on était au Pendras, à peu près à la même époque, on était trois.
24:57 Et les deux nuits qu'on a faites dans la face,
24:59 parce que c'était bien moins long que la face sud du Nipté,
25:02 on dormait à chaque fois finalement deux dans la tente et un dehors.
25:06 C'est parce qu'on n'avait pas assez de place pour mettre la tente de manière intégrale et intégralement plate.
25:12 Il y avait de la glace.
25:13 Et puis, une autre fois, c'est parce qu'il y avait une grande cavité rocheuse
25:16 qui nous permettait d'être totalement à l'abri des coulées de neige.
25:20 Et il ne faisait pas si froid que ça.
25:22 Je me souviens d'ailleurs de cette période de partout.
25:24 C'était général au Népal.
25:26 C'était une période assez douce.
25:28 Et donc, moi, je préférais dormir dehors.
25:30 Je suis assez claustrophobe dedans, même si des fois, je me force à le faire.
25:33 Et il n'y a pas de souci.
25:34 J'arrive à dormir, mais à choisir, je préfère dormir dehors.
25:37 - Le bivouac le plus haut sur cet exprès, c'était à plus de 7400 mètres, c'est ça ?
25:41 - Oui, 7450.
25:43 Celui-là, il coûte...
25:45 En plus, on cumule les nuits, donc ça menuise au fur et à mesure.
25:49 Et puis là, du coup, on a fait deux nuits à ce dernier bivouac.
25:53 Et c'est vrai que là, la sixième nuit, c'est dur.
25:58 Très, très dur.
25:59 Et puis on se consomme.
26:01 On se...
26:02 Ouais, le corps, il brûle de l'énergie, même à rien faire.
26:05 - Ouais, juste en restant sous la tente.
26:07 - Oui, oui.
26:08 Et cette dernière nuit, à la descente, là, on n'a pas dormi, je crois.
26:14 On n'a pas dormi.
26:16 Et puis, ouais, au bout d'une semaine, on avait tous perdu 6 ou 7 kg.
26:20 - Quand vous êtes là, là, au dernier bivouac et qu'il reste cette arête,
26:24 à peu près 400 m de dénivelé, vous savez que vous allez y aller
26:27 ou il y a encore de l'incertitude à ce moment-là ?
26:28 - Ça nous a surpris, d'ailleurs.
26:30 En fait, ce dernier bivouac, on est arrivé de nuit.
26:33 Donc on n'a pas pu voir la suite.
26:36 Enfin, moi, j'ai pu voir vite fait avant qu'il fasse nuit.
26:39 Mais j'étais là, mais c'est pas fini, c'est pas fini.
26:42 Je pensais qu'on allait arriver sur une grande pente de neige.
26:44 Et non, il y avait encore 2, 3 longueurs un peu de mixte.
26:47 Et c'est vrai que le matin, j'étais là.
26:49 Heureusement, c'était pas moi de grimper le matin.
26:51 Donc j'ai laissé Elias et Benjamin faire franchir ces 2 dernières longueurs.
26:55 Et puis je me suis occupé de la dernière partie en neige.
26:58 Mais ouais, c'est jamais fini.
27:01 On croit que c'est fini, mais ça n'en finit jamais, en fait.
27:04 - Ah, sinon, c'est pas marrant. - Ah non, non, non.
27:07 - Bon, la délivrance, c'était quand même...
27:09 T'es arrivé, c'était le 19 octobre 2017, l'arrivée au sommet.
27:13 Et le gang des costauds, le gang des moustaches, là,
27:16 qui finalement vont craquer comme des gamins.
27:19 - Les images...
27:21 Ce qui est cool avec tout ce qu'on a ramené,
27:23 c'est que tout est commenté, tout est discuté
27:30 comme si on voulait faire un film, mais c'était pas notre problème.
27:34 - C'était pas prévu, c'était spontané à ce moment-là.
27:36 - Tout est spontané et ça sert énormément au film
27:39 parce qu'on ment pas, on est dans l'émotion,
27:42 on est dans l'analyse, on est dans tout, tout le temps.
27:45 Et c'est un petit trésor qu'on a ramené, c'est bien.
27:48 - On va regarder une petite séquence, justement, des moustaches qui craquent.
27:52 - Oh, les gars ! Putain !
27:55 - Ça fait presque 3 ans.
27:57 - Y a pas un poil devant, t'as vu ?
27:59 - 3 ans. - Y a un truc de dingue !
28:01 - Oh, putain !
28:03 - Merci, les gars.
28:07 - Regardez ça.
28:14 - Merci, Fred.
28:16 Merci pour tout. - Bravo !
28:18 - Mon pote.
28:20 - Mon pote.
28:22 - Oh, mon...
28:24 Oh, mon Dieu, je m'en bats la gorge.
28:26 - C'est fou.
28:31 - J'ai vu que c'est des moments qui vont rester marqués.
28:33 - À chaque fois que je le regarde, j'ai presque les larmes qui reviennent.
28:36 C'est... Ouais.
28:38 Moments qui sont extrêmement précieux pour nous.
28:40 - L'émotion est plus forte quand on est en groupe
28:43 parce que Benjamin connaît aussi cette joie d'arriver au sommet,
28:46 mais vous êtes souvent tout seul, Benjamin.
28:49 - Souvent, oui. Je sais plus si c'est souvent ou pas en proportion,
28:52 mais ce qui est beau là-dedans, c'est qu'au-delà de la performance,
28:57 c'est ce lien qu'il y a avec cette montagne, avec cette voie.
29:00 Ça vaut l'enchaînement de plusieurs montagnes
29:03 sur plusieurs continents, le fameux trophée d'Esses.
29:06 À côté de ça, finalement, cette histoire,
29:08 elle montre qu'il n'y a pas besoin forcément de viser ce genre de défi
29:13 et que se suffire d'une seule phase,
29:15 ça peut nous amener à ce genre d'émotion.
29:17 Ce qu'on recherche en tant qu'alpiniste, c'est l'émotion, c'est le Graal,
29:20 mais le Graal, c'est nous qui le construisons.
29:22 Ce n'est pas écrit à l'avance.
29:24 Et ça, il ne le savait pas trois ans avant.
29:27 Ça s'est fait au fur et à mesure.
29:29 Et donc là, quand il craque, c'est trois ans qui d'un coup se délient.
29:34 C'est beau, du coup. J'adore.
29:36 - C'était vraiment une délivrance pour nous à ce moment-là.
29:39 - On le sent très bien.
29:41 - Un poids.
29:43 - Pour nous, ces moments, c'est toujours difficile de décrire ce qu'on vit là-haut.
29:49 Mais voilà, à ce moment-là, c'est trois ans d'un projet,
29:54 beaucoup d'énergie, de sacrifice, d'argent, de tout un tas de choses
29:59 qui ont un point d'orgue et ce point d'orgue, il va durer un quart d'heure.
30:05 C'est complètement hallucinant.
30:07 Et c'est pour ça que c'est intense.
30:09 C'est que c'est des moments qui sont rares dans une vie, qui sont...
30:12 Moi, j'appelle ça des diamants dans une vie.
30:15 C'est assez rare, c'est précieux et ça va durer toute notre vie.
30:21 - Alors, j'ai un petit diamant également dans la vie de Benjamin Vidaline.
30:24 La dernière fois qu'il est arrivé au sommet d'un Vimy, ça donnait ça.
30:27 - Ah ! Ah, putain !
30:31 Ah, putain, mais c'est énorme !
30:34 Ah !
30:36 - Ah, le cri de la délivrance.
30:39 - Moi, j'ai pas l'habitude d'être expressif quand je rêve au sommet.
30:42 Parce que j'ai été éduqué comme ça, je sais pas.
30:44 Puis je suis assez pudique avec les copains.
30:47 Quand on arrivait au sommet, Léo, Bion, tout ça, on serrait la main
30:50 et puis on descendait, quoi.
30:52 Et puis là, c'est vrai que c'est naturel.
30:54 Enfin, vraiment, ça vient du fond du cœur.
30:56 J'étais vraiment très content de ce que j'avais fait.
30:58 Et pareil, j'ai souvent du mal à le dire et je suis souvent insatisfait
31:01 de ce que je fais.
31:02 Et là, il y avait un truc, je sais pas, qui s'est passé entre ce que je voulais
31:07 et ce que j'avais fait, qui était très proche, quoi.
31:10 Et voire même qui surpassait un petit peu mes attentes, ouais.
31:13 - Bon, et Fred le disait, c'est quelques minutes au maximum,
31:16 ce moment où on peut profiter du sommet.
31:19 Forcément, il faut redescendre.
31:22 Là, vous aviez un beau challenge, quand même.
31:25 On se relâche pas quand on est là-haut.
31:27 Alors, le panorama est magnifique.
31:28 Là, on voit l'Everest et le Lotse derrière vous.
31:32 Mais il y a une descente qui, je pense, doit aussi prendre un peu d'énergie mentale.
31:36 - Ouais, en fait, quand on arrive au sommet, c'est un peu
31:39 quand on est dans l'œil du cyclone.
31:41 Avant, c'est un peu la guerre.
31:43 On arrive au centre, enfin, dans l'œil du cyclone, c'est le calme absolu.
31:46 C'est cool.
31:47 Et puis après, il faut repartir dans la tempête parce qu'on sait que
31:51 c'est pas difficile de descendre, mais on est amenuisé,
31:55 enfin, on est vraiment diminué physiquement.
31:57 Mentalement, on a puisé déjà.
31:59 Donc, on n'est pas à 100 % lors de la descente.
32:01 C'est pour ça qu'il arrive de temps en temps des accidents,
32:05 des fautes de jugement, des erreurs d'itinéraire.
32:09 C'est tout à fait compréhensible,
32:12 vu le fait qu'on est donné 100 % pendant plus d'une semaine.
32:17 Donc, oui, quand on arrive sur la phase descendante,
32:20 on se replonge dans la bulle, mais de manière diminuée, quoi.
32:25 - Benjamin a une solution.
32:26 Lui, les 8000, il y descend avec une voile dans le dos.
32:29 C'est plus rapide, moins dangereux, finalement,
32:32 quand on a réussi à décoller.
32:33 - Voilà, c'est important de le dire.
32:35 Quand on a réussi à décoller, parce que c'est vrai qu'on se pose souvent la question.
32:38 On se dit oui, c'est plus facile d'imaginer une ascension
32:41 avec un parapente dans le dos parce qu'on peut descendre facilement en volant.
32:45 Et en fait, ce n'est pas le cas.
32:46 Il y a souvent des conditions qui sont défavorables,
32:48 même si les prévisions météo annoncent un vent très faible.
32:51 Et c'est ce qui est arrivé la première fois que je vais au Broad Peak.
32:53 C'est que je pense vraiment décoller.
32:55 Et en fait, il y a 45 km à l'heure.
32:56 C'est impossible.
32:57 Donc je redescends à pied.
32:59 Il faut toujours avoir en tête que quand on monte avec une voile,
33:02 il faut toujours imaginer redescendre à pied.
33:05 - Ça fait partie aussi des aléas de la montagne.
33:09 - Mais par contre, c'est vrai qu'une fois que tu as la voile déposée sur le sol
33:12 et qu'il y a les conditions qui sont propices,
33:15 le temps de jouissance est prolongé, on va dire.
33:18 Parce que tu sais que là, il y a un truc qui va arriver
33:20 qui va être quand même vraiment dément.
33:23 - Descendre en quelques minutes d'un 8000, ça paraît complètement...
33:26 - Oui, c'est improbable.
33:28 Parce que 8000, c'est inaccessible pour les hélicoptères,
33:31 pour tout ce qui est volant.
33:32 C'est une zone où si il t'arrive quoi que ce soit,
33:35 effectivement, personne ne peut rien pour toi,
33:36 même ceux qui sont sur le chemin.
33:38 Alors au cas d'eux, c'était très spécifique.
33:40 Mais si physiquement, tu ne peux pas bouger,
33:42 alors décoller et puis en 25 minutes,
33:44 arriver au camp de base où il y a tout le monde et c'est la fête, etc.
33:47 C'est un contraste vraiment absolu entre cette zone vraiment de la mort
33:51 où tout doit être minutieusement fait, etc.
33:53 Et puis après, en 25 minutes, tu es au petit déjeuner,
33:57 à manger ton omelette et c'est assez contrasté.
34:00 - J'ai vu que le Nubcée Est à 6803 m,
34:04 est aujourd'hui le dernier plus haut sommet vierge de l'Himalaya.
34:09 - En fait, il y a sept sommets sur cette muraille du Nubcée
34:12 et je pense qu'il y en a plus de la moitié qui ont été gravis.
34:17 Alors le Nubcée Est...
34:20 - 7803, c'est aujourd'hui a priori.
34:22 - Donc c'est le Nubcée Nup1, sûrement.
34:25 - Peut-être. Vous connaissez mieux le coin que moi.
34:28 - Et du coup, probablement, il y a...
34:31 Oui, parce qu'il s'étale sur, je ne sais pas, peut-être un kilomètre,
34:34 ces sept sommets, donc oui, forcément un petit...
34:37 - Vous auriez pu faire l'effort de faire le kilomètre aller-retour
34:39 pour régler ce problème, non ?
34:41 - C'est ce qu'il recherche.
34:43 - C'est vrai que quand je suis arrivé là-haut,
34:45 j'étais content de redescendre directement.
34:48 - En tout cas, ça fait un objectif pour Benjamin.
34:50 - La couronne du Khumbu.
34:52 - C'est vrai que l'Elisabeth, c'était une dame qui était très connue,
34:56 qui s'occupait de l'Himalayan database,
34:59 et qui avait défini que ce fer à cheval,
35:02 qui part du Nubcée, l'Otse et Everest,
35:04 c'était vraiment le challenge absolu de l'Himalayisme.
35:07 Et c'est vrai que quand on voit...
35:09 Justement, je regardais l'arrête tout à l'heure, quand il y avait la vidéo,
35:11 et j'imaginais, je me projetais,
35:13 et puis en fait, les arrêtes comme ça, c'est terrible.
35:16 C'est pire qu'une longueur à grimper avec une corde à mettre des broches.
35:21 Il faut toujours faire attention.
35:23 Un coup, il y a une corniche, un coup, à droite, la neige est réchauffée.
35:26 Il y a le vent tout le temps.
35:28 - C'est l'enfer.
35:29 - Oui, il y a un challenge qui n'est pas que technique,
35:31 qui est vraiment aussi logistique, météorologique.
35:34 Enfin, c'est...
35:35 - Et puis là, on est quasiment à 8000 tout le long.
35:38 - En plus, il y a cette exposition à l'altitude qui est constante.
35:41 - Ça veut dire plusieurs bivouacs à 8000.
35:43 - Oui, non, je ne sais pas si ça se fera un jour.
35:45 Sans oxygène, peut-être.
35:47 - Bon, on verra. En attendant, vous avez d'autres défis.
35:49 Vous allez régulièrement en Himalaya.
35:51 Vous y étiez au printemps dernier, au Nanga Parbat.
35:56 - Oui, alors le Nanga Parbat, c'est le dernier 8000 le plus à l'ouest de la planète.
36:00 Et c'est au Pakistan, toujours.
36:03 C'est encore dans l'Himalaya.
36:05 Parce qu'en fait, le Pakistan, c'est assez particulier.
36:08 Il y a le Karakoram, qui est un peu plus au nord, là,
36:11 où il y a le K2, justement.
36:13 Et hop, l'Himalaya, il part dessous et il se prolonge jusqu'au Nanga Parbat.
36:17 Et donc, on est parti au printemps,
36:21 plus tôt que d'habitude, par rapport aux expéditions classiques.
36:24 Et notre but, c'était de gravir la face sud du Nanga Parbat,
36:27 qui est une des plus grandes faces au monde.
36:29 Ça fait 4500 mètres, en gros, du sol plat jusqu'au sommet.
36:33 Et cette face sud, en fait, elle est très peu convoitée.
36:37 Parce que déjà, c'est très difficile de parcourir ces 4500 mètres
36:41 et arriver jusqu'au sommet.
36:42 Il y a plein de variables qui font qu'aucune expédition commerciale
36:46 n'y met les pieds.
36:47 Et au niveau du style alpin, donc en gros, sans cordes fixes,
36:50 sans oxygène, comme nous, on a voulu le faire.
36:52 Ça demande, de la même manière, soit une chance énorme
36:56 avec un créneau météo très favorable d'une semaine, dix jours,
37:00 avec une neige ferme.
37:01 Et là, on peut imaginer peut-être, en quatre, cinq jours,
37:04 aller au sommet.
37:05 Et soit, sinon, ça demande des efforts, comme nous,
37:08 de faire qui sont terribles, où en fait, on s'enfonçait
37:11 dans la neige.
37:12 Il y avait beaucoup de neige fraîche.
37:14 Et on a dû prendre des raquettes.
37:15 Il fallait être pas trop tard, parce qu'en fait,
37:18 pour descendre en style alpin, il ne faut quand même pas trop
37:20 qu'il y ait chute de pierre, parce que ça demande du temps
37:22 de faire les rappels, etc.
37:23 Tout est plus long en style alpin.
37:26 On a tenté ça avec David Gauthleur, voilà, en juin.
37:29 Et malheureusement, on n'a pas pu aller jusqu'au sommet.
37:32 - Vous regardez une frustration de cet expé ?
37:35 - Non, non, non, pas du tout.
37:36 Je ne regarde pas une frustration.
37:37 Sur le moment, c'était très dur de faire demi-tour
37:39 à 7500 m.
37:40 Là, c'est quand on fait la trace.
37:41 En fait, là, quand on fait la trace, on a les raquettes.
37:44 Et pourtant, on s'enfonce quasiment jusqu'au genou.
37:47 Et en fait, c'était un endroit paradisiaque
37:50 au niveau du camp de base.
37:51 Et on pouvait faire du parapente comme ça quasiment tous les jours.
37:54 Et vu qu'on est à 3500 m, c'était sec jusqu'assez haut.
37:58 Et on pouvait, du coup, marcher, randonner 1000 m.
38:01 Et puis hop, décoller.
38:02 Et c'est un endroit qui est tellement sous une immense forteresse
38:06 qui est le Nanga Parbat,
38:07 que tous les vents généraux qui viennent souvent d'Ouest,
38:11 dans cette région, font que ce petit paradis,
38:14 il est à l'abri des vents.
38:15 Et donc, on pouvait quasiment voler tous les jours.
38:17 Et pour nous, c'était une chance énorme.
38:19 Parce qu'avec David, on a tous les deux une voile de parapente.
38:21 On pilote.
38:22 Et de pouvoir bouger comme ça d'un camp de base,
38:25 c'était une chance.
38:26 Parce qu'en Alaska ou dans d'autres camps de base
38:29 où il y a du vent dès 10h du matin, etc.
38:32 Soit il y a de la neige autour du camp de base
38:33 et tu ne peux pas trop bouger, il y a des crevasses directement.
38:35 En Alaska.
38:36 Et soit, tu es dans des régions où il y a du vent,
38:38 ça turbine à 10h du matin et ça te démotive pour aller voler.
38:41 Tu n'as pas envie de te mettre en torche et te faire mal à cause de ça.
38:44 Et puis voilà, le camp de base du Nanga Parbat,
38:47 c'est plat, c'est herbeux, il y a des chèvres,
38:50 il y a des gens qui vivent.
38:51 C'est très particulier, ce n'est pas habituel.
38:53 - Alors, au même moment que vous, quasiment au même endroit,
38:57 il y avait une alpiniste française qui, elle, n'a pas buté.
39:01 On la voit sur ces images.
39:03 Elle s'appelle Sophie Laveau.
39:05 Elle était la première française à réussir la série des 14 8000.
39:10 C'était son dernier, le Nanga Parbat.
39:14 Elle y est arrivée, au sommet, guidée par un Sherpa.
39:18 Là, on voit les images de François D'Amilano au guide de Chamonix.
39:22 Il l'a également accompagnée au sommet.
39:25 C'est un exploit.
39:27 Depuis 1986, c'est Renaud Messner qui avait été le premier alpiniste
39:30 à réussir ces 14 plus hauts sommets de la planète.
39:34 Aucun Français ou aucune Française n'avait réussi ce challenge en 37 ans.
39:39 Elle a fait ses sommets.
39:42 La performance a été diversement commentée dans le milieu de l'alpiniste.
39:46 J'avais envie d'avoir votre ressenti, à tous les deux,
39:50 sur ce qu'a pu faire Sophie Laveau, qui est une amatrice, entre guillemets.
39:54 Elle s'est consacrée de façon professionnelle à ce défi
39:56 pendant une dizaine d'années,
39:57 mais elle n'a pas le niveau que peuvent avoir la plupart des grands Himalayistes français.
40:02 - Nous, c'était marrant parce qu'on était vraiment juste de l'autre côté,
40:05 au même moment.
40:06 C'est-à-dire qu'eux, ils étaient versant Diamir, la voie normale.
40:09 Et nous, on était versant Rupal, versant Sud.
40:11 Et on savait qu'ils étaient sur la même montagne que nous,
40:14 mais dans un style totalement différent, donc en style Himalayan,
40:17 et qu'elle convoitait, effectivement, le dernier sommet pour collectionner les 14.
40:21 Et donc, c'était marrant.
40:22 On ne savait pas quel jour ils allaient y aller, etc.
40:24 Et nous, quand on était à 7h05, on a mis notre tête de l'autre côté
40:27 et on s'est dit, on va voir tout le monde, toute la caravane,
40:29 souvent des humilistes, qui montent vers le sommet.
40:32 Et en fait, ce n'était pas du tout le cas.
40:33 Ils étaient en retard un petit peu sur leur manœuvre aussi
40:36 de mettre en place les cordes fixes, les camps, etc.
40:39 Parce que des gens comme Sophie, voilà, ils ne vont pas s'aventurer devant.
40:43 Ils vont attendre qu'il y ait eu le travail de leur guide qui soit fait
40:48 avec une trace de fait, etc.
40:50 pour après envisager aller jusqu'au sommet.
40:52 Et donc, ça leur a pris plusieurs jours et ils ont été juste au dernier créneau.
40:55 Et pour répondre à ta question sur cet exploit ou non,
41:00 dans notre communauté, en tout cas, moi, personnellement,
41:03 je le perçois comme n'étant pas un exploit collectif,
41:06 parce que c'est du style himalayain sur quasiment tous les sommets,
41:11 sur tous les sommets.
41:12 - On remonte des cordes fixes.
41:13 - Voilà, on remonte des cordes fixes.
41:14 Et puis, c'est guidé.
41:16 Donc, ça veut dire qu'il y a une indépendance qui n'est pas présente.
41:19 Il y a des qualités d'alpiniste qui ne sont pas forcément présentes
41:22 du fait qu'il y a quelqu'un qui s'occupe de sa sécurité.
41:25 Il y a quelqu'un qui s'occupe des nœuds décisionnels,
41:27 même si Sophie, j'imagine qu'elle doit aussi donner son avis
41:30 à plusieurs moments.
41:32 Et puis, de nos jours, en fait, on peut imaginer faire
41:37 beaucoup mieux en termes de humilisme, sans oxygène.
41:42 Ça peut être fait, ça peut être aussi, comme moi,
41:45 j'ai pu le faire peut-être avec des records en partant du camp de balle
41:47 jusqu'au sommet.
41:50 Moi, j'attends encore quand même un alpiniste.
41:53 Il y avait Jean-Christophe Lafay qui, à l'époque, avait tenté
41:56 de faire ses 14 8000 avec son style à lui, soit tout seul en hiver,
41:59 soit tout seul en été, soit par des voies nouvelles, etc.
42:03 Et ça a marqué, je trouve, d'une autre manière, la collection des 14.
42:08 Voilà, moi, c'est mon avis, en tout cas, du point de vue personnel,
42:12 ça reste quelque chose qui est quand même pas négligeable
42:14 parce qu'il faut retourner à chaque fois sur ses sommets,
42:16 faire des camps de base, il faut partir longtemps de chez soi,
42:19 c'est souvent inconfortable.
42:21 On voit que le résultat, mais il y a quand même avant tout
42:25 beaucoup de moments d'oude, beaucoup de moments où
42:27 c'est pas toujours facile, même s'il y a ces bouteilles d'oxygène,
42:30 même s'il y a ces guides, etc.
42:32 Mais c'est comme si je comparais un petit peu la plongée sous-marine
42:35 avec oxygène, avec bouteilles, en gros, et les alpinistes.
42:39 Donc, aller à 100 m sous le niveau de la mer avec une bouteille d'oxygène,
42:42 c'est pas si facile, c'est relativement aussi risqué,
42:45 mais ça se fait, quoi.
42:47 - Il y a un protocole.
42:48 - En suivant le protocole, c'est accessible, finalement, assez vite.
42:51 Pour un alpiniste, par contre, ça prend beaucoup plus de temps,
42:53 ça n'a strictement rien à voir.
42:55 Donc, nous, les alpinistes, c'est vrai qu'on joue, on obéit,
42:57 en quelque sorte, à certaines règles qui nous amènent à avoir du mérite
43:01 et qui nous amènent à voir la montagne d'une manière
43:04 qui n'est pas la même que ce style-là.
43:07 - En tout cas, aucun Français, même des grands noms
43:09 comme Jean-Christophe Lafay ou Benoît Chamou avant lui,
43:12 ou Éric Escoffier, Jean-Benoît Mouffi, n'ont essayé.
43:15 - Oui, mais ça montre justement que c'est plus difficile.
43:16 - Ils n'ont pas réussi.
43:17 - Effectivement, et que c'est plus difficile
43:18 et que c'est quelque chose, une quête qui reste encore à faire.
43:21 Alors, je ne dis pas qu'il faut la faire.
43:23 Peut-être que c'est inutile, mais en tout cas,
43:26 si ça n'a pas été fait, c'est pour une bonne raison.
43:28 Il y en a beaucoup qui ont essayé, quand même.
43:30 - Tous ceux que j'ai cités sont morts.
43:31 D'ailleurs, dans ce défi, ils sont morts sur des voies normales.
43:33 Ils ne sont pas morts sur des faces compliquées.
43:35 Ils sont morts sur des voies normales de 8000.
43:37 Jean-Christophe Lafay, c'était en hiver,
43:39 mais ça restait la voie normale.
43:41 - En hiver.
43:42 - Et en hiver, effectivement, ça change un peu la donne.
43:45 Mais Benoît Chamou, par exemple, qui avait été le premier,
43:47 je crois que c'était son dernier sommet.
43:49 Il n'est pas redescendu.
43:52 Fred, comment vous percevez cette...
43:54 Alors, je ne vais pas dire exploit,
43:55 mais en tout cas, cette performance, en tout cas...
43:57 - Moi, je vois ça comme...
43:59 Oui, c'est une performance physique.
44:02 - Elle restera la première française ou française
44:04 à réussir ce défi, quand même.
44:06 - Oui, c'est...
44:07 Tant mieux pour elle, je dirais.
44:09 Et si ce n'était pas elle,
44:10 ça serait forcément quelqu'un d'autre derrière.
44:12 - Elle a 37 ans. On l'attendait.
44:14 - Mais après, moi, cette quête des 14 8000,
44:17 ça ne m'attire pas du tout.
44:20 Et puis j'ai l'impression qu'on peut,
44:22 comme a montré Nims Daï,
44:24 comme a montré la Record Man maintenant,
44:27 il suffit juste d'avoir de l'argent pour les faire.
44:30 - C'est pour ça que c'est juste une question d'argent.
44:32 - C'est de l'argent, de la logistique
44:34 et un peu de motivation, quand même.
44:36 Ça, c'est sûr, c'est indéniable.
44:38 Mais je trouve que le fait d'utiliser de l'oxygène
44:41 et puis d'avoir toute cette panoplie d'artifices derrière,
44:44 que ce soit les guides Sherpa,
44:46 ceux qui portent l'oxygène, ceux qui guident, tout ça,
44:50 ça enlève de la performance,
44:53 parce que ça reste des artifices.
44:56 Et que le faire tout seul et sans oxygène, sans Sherpa,
45:02 tout ça, c'est un autre jeu.
45:06 - On va quitter l'Himalaya pour finir cette émission.
45:09 On a encore quelques petits sujets abordés avec vous.
45:12 Et dans nos Alpes,
45:13 qui est aussi un terrain de jeu très agréable, très varié,
45:16 où on peut faire de belles choses,
45:18 même si l'altitude est moins élevée.
45:20 Benjamin, vous avez ouvert cet été une nouvelle face,
45:23 une nouvelle voie dans la face sud de la mège,
45:26 pratiquement à la maison, j'ai envie de dire.
45:28 - Oui, parce qu'une nouvelle face, ça aurait été...
45:30 - Non, c'était un gros secours.
45:32 - Il faut creuser longtemps.
45:33 - On a trouvé une face qui n'existait pas.
45:35 Une nouvelle voie dans la face sud.
45:37 - On a fait une voie dans la face sud de la mège avec deux copains.
45:40 Et c'est vrai que finalement, on se rend compte que dans les Alpes,
45:42 on peut faire joujou et encore pendant pas mal de temps,
45:46 même toute une vie sans problème.
45:48 C'est différent de l'Himalaya,
45:49 mais il faut avoir un peu d'imagination pour créer ces lignes.
45:52 Mais voilà, on a réussi à trouver un petit bout de rocher.
45:56 - Vous êtes parti de la Grave, côté nord,
45:59 pour contourner la mège et attaquer la face sud qui se trouve...
46:03 - Ça fait du bien de voir des belles montagnes.
46:05 - Avec du beau soleil.
46:07 Ça, c'est le refuge du Prémontoire qui est au pied de la face.
46:10 Et vous avez fait trop de bruit, vous en virez.
46:12 Comment ça se fait que...
46:13 - Non, mais c'est comme je le disais tout à l'heure,
46:15 je suis un peu claustrophobe aussi au refuge.
46:17 Quand je peux dormir dehors, je dors dehors.
46:20 J'ai rêvé de dormir sur cette terrasse,
46:22 parce que j'avais souvent refusé le Prémontoire,
46:24 et depuis très jeune,
46:25 et je voyais toujours la fille et le fils de Frédie Meignan dormir dehors.
46:31 Et puis voilà, j'ai jamais eu l'occasion de le faire.
46:33 - Donc c'est fait.
46:34 - Là, j'ai dit à Sandrine, écoute, je prends les matelas,
46:36 je me mets à la DZ et...
46:37 Le matin, elle m'a dit, vite, enlève-les,
46:38 parce que s'il y a l'hélico qui arrive...
46:40 - Oui, ça aurait fait embêtant.
46:42 Quand on part comme ça, dans une voie inconnue,
46:45 on sait à peu près le niveau qu'on va trouver
46:47 ou il y a beaucoup d'incertitudes ?
46:49 - En fait, pour l'histoire, nous, cette section-là,
46:51 par exemple, on pourrait accéder relativement facilement.
46:54 On était venus du haut,
46:56 en parcourant à pied les 2 000 mètres de l'autre côté,
46:58 puis en descendant en rappel,
46:59 et juste en observant vite fait où est-ce qu'on voulait passer, etc.
47:02 Et après, on était remontés dans cette face,
47:04 du bas vers le haut,
47:06 avec tout le matériel, le perforateur, les pitons, les coinceurs.
47:10 Et donc c'est difficile quand même de s'en rendre compte,
47:12 mais on arrive à évaluer à peu près si ça paraît faisable ou pas.
47:16 Après, est-ce que c'est...
47:17 - C'est la louche.
47:18 - La louche, ouais, c'est à 2-3 quotations près.
47:21 Mais l'idée, c'était quand même de faire une voie
47:24 qui soit un peu difficile, en escalade libre,
47:27 un peu un challenge technique, quoi.
47:30 - Ah, il y a du bon set sur...
47:31 - Ouais, ben ça, c'est la dernière longueur, ça.
47:33 C'est magnifique parce que là, c'est un 7c.
47:36 Ça fait 25 mètres.
47:38 Et là, en fait, on est à 3 900 mètres.
47:40 Et là, quand il se rétablit de ce mouvement-là,
47:42 qui est un mouvement... c'est une fin en 7a, à peu près,
47:45 et ben boum, on arrive au sommet,
47:46 mais vraiment, on est au sommet, quoi.
47:48 D'un coup, on voit tout l'autre versant.
47:51 C'est quelque chose, quand même.
47:53 - Vous étiez avec Nicolas Jean.
47:55 - Oui, et Julien Cruvel.
47:57 - Et Julien, voilà, pour cette ouverture, donc, à la maison.
48:01 Vous parliez de l'hélico, là, sur la DZ du refuge.
48:04 Il y a eu un petit secours pendant votre ascension ?
48:07 - Oui, il y a eu malheureusement un jeune alpiniste
48:09 qui est tombé dans la voie, la Pierre-Alain, qu'on appelle...
48:12 C'est une voie qui est en face sud,
48:13 la face sud directe de la mège.
48:15 Et c'est la deuxième fois que je vois un secours dans cette voie,
48:18 justement, en étant soit d'un côté, donc à droite, comme ça, vers l'est,
48:22 et soit, la dernière fois que c'était arrivé, c'était au râteau,
48:25 et puis je voyais l'hélicoptère,
48:26 et j'avais rencontré les blessés après à la grave.
48:29 On a la chance, dans les Alpes, d'avoir un secours en montagne
48:32 qui est hyper efficace, qui marche super bien, qui est gratuit.
48:35 Donc c'est quelque chose à préserver,
48:38 et c'est beau de voir ces secouristes qui arrivent,
48:40 malgré parfois des conditions de vent difficiles, et ouais, c'est beau.
48:44 - Alors la mège, vous la connaissez bien,
48:46 vous habitez pratiquement au pied,
48:48 et puis vous l'avez gravée aussi en solo, il y a quelques années,
48:51 sans personne, sans assurance.
48:53 C'est une autre approche, quand on attaque une montagne mythique,
48:59 où on sait que là, on n'a pas le droit à l'erreur.
49:01 - Oui, c'est vrai que moi, en montagne, j'aime un petit peu tout,
49:03 donc j'ai du mal à choisir des fois entre...
49:04 Est-ce que je vais faire une voie avec des copains,
49:07 ou est-ce que je vais tenter un truc un peu rapide, etc.
49:10 Là, les conditions faisaient que...
49:12 Voilà, je pouvais tenter un peu ce défi qui était dans ma tête depuis longtemps,
49:15 et j'adore ce sentiment de légèreté,
49:18 et en fait, quand on enlève la corde, nous, en tant qu'alpiniste,
49:21 c'est rare, quoi, c'est très rare,
49:23 parce qu'on est souvent en cordée dans ces environnements,
49:25 et c'est relativement laborieux, finalement,
49:26 même si on a l'habitude de s'être cordé,
49:28 il faut quand même mettre des protections,
49:29 il faut attendre l'autre,
49:30 parce que quand on a passé un passage facile,
49:32 et bien lui, il est dans le passage difficile qu'on a fait juste avant,
49:34 donc il faut être patient, etc.
49:36 Et quand on enlève tout ça,
49:37 d'un coup, tu te dis, mais qu'est-ce qui se passe ?
49:40 Tu pars du refus du promontoire, et d'habitude, tu fais une longueur,
49:42 puis tu assures ton collègue,
49:43 et là, tu ne l'assures pas, parce qu'il n'y a personne.
49:45 Donc tu continues, tu continues, tu continues comme ça,
49:47 et ça s'enchaîne, ça s'enchaîne, ça s'enchaîne,
49:48 et en très peu de temps, tu y es.
49:50 Et ce qui marque un peu les gens, c'est justement,
49:52 mais comment tu fais pour aller si vite ?
49:53 Mais c'est parce que j'enlève tout ça,
49:55 et en fait, ce n'est pas si inaccessible du tout.
49:59 C'est qu'on est peu nombreux à le faire,
50:01 et je n'encourage personne à le faire, d'ailleurs.
50:04 - Vous enlevez la corde, Fred, parfois ?
50:05 - Je me sens hyper mal à l'aise.
50:07 Je n'ai pas du tout envie de...
50:10 Les peu de fois où j'ai fait du solo, c'était encordé.
50:13 Et bon, après, je préfère...
50:16 - C'est quoi, le solo encordé ?
50:17 - Le solo encordé, c'est qu'on a...
50:18 - Ah, auto-assuré ?
50:19 - Auto-assuré, oui.
50:20 - Ah oui, d'accord.
50:21 Oui, d'accord.
50:22 - On est tout seul, on fait trois fois les longueurs.
50:24 - Oui, c'est encore plus fastidieux, pratiquement,
50:26 que d'être encordé avec quelqu'un.
50:27 - Ce n'est pas du tout efficace.
50:29 - C'est un peu à l'opposé de ce que Benjamin aime
50:32 dans le solo intégral, où effectivement,
50:34 il n'y a pas à se soucier de manip de corde ou quoi que ce soit.
50:36 - Après, dans...
50:37 Enfin, je ne sais pas, Fred, ce que tu en penses,
50:39 mais dans le métier de guide, on est très souvent,
50:41 finalement, en solo, dans des passages en deux, trois, etc.
50:44 Il faut désescalader rapidement.
50:46 Et puis, parfois aussi, on escalade des passages
50:48 et puis on assure son client sans rien mettre,
50:50 parce que ça prend trop de temps à ce que notre client nous assure
50:52 et puis parce qu'on sait faire.
50:54 Et c'est peut-être ça aussi qui m'a donné, moi,
50:56 un petit peu une forme d'aisance.
50:58 Mais c'est vrai que le fait d'avoir la corde rassure quand même,
51:00 même si on est en...
51:01 - On reste accroché à la montagne.
51:02 - On reste accroché et normalement,
51:04 on a mis en sécurité son client,
51:05 on a quand même mis la corde soit autour d'un béquet,
51:08 d'un pointu, d'un rocher pointu,
51:10 et qui fait que si nous, on tombe,
51:12 on va se faire très, très mal,
51:13 mais on ne va pas en porter tout le monde, normalement,
51:15 si on fait bien les choses.
51:17 - En tout cas, le solo, vous le pratiquez de temps en temps.
51:19 Vous avez remis ça cet été sur un autre sommet mythique
51:22 du Massif des Écrins, l'aiguille de la Dibona,
51:24 qui est moins haute que la mège, mais qui a une forme atypique.
51:27 - Oui, l'aiguille de la Dibona,
51:29 c'est un vrai symbole du Massif des Écrins,
51:31 parce qu'elle a cette forme un peu...
51:33 On imagine vraiment un dessin de Samy Vell.
51:35 Quand on arrive du bas, c'est évident.
51:37 Après, quand on grimpe des parois sur les côtés
51:39 et qu'on la voit de profil, on est un petit peu plus déçu.
51:42 Mais vraiment, cette sensation de voir cette aiguille
51:45 qui perce le ciel,
51:47 et puis, en fait, c'est un rocher qui est incroyable.
51:50 Le nombre de voies qu'il y a sur ce caillou,
51:53 le bout de caillou, il est...
51:54 Alors là, j'ai voulu faire un petit clin d'oeil à Edlinger.
51:56 C'est pas du tout pour me la raconter ou quoi,
51:59 mais ça a été mal perçu par certains.
52:01 Non, j'ai tripé à me dire,
52:03 "Allez, tiens, je fais ça pour Edlinger."
52:05 J'ai oublié le petit short et le petit bandana, d'ailleurs.
52:07 - Il y avait plus de vide que quand Edlinger l'a fait.
52:09 Bon, le résultat aurait été le même, mais...
52:11 - Et puis, le but, c'était vraiment
52:13 de partir du parking de tout en bas, des étages,
52:16 et d'y aller à la journée.
52:18 Donc, c'est une petite journée, puisque...
52:20 - Même à l'heure, là, 1h24.
52:22 Oui, c'est toute petite journée.
52:23 - Parce que généralement, quand on gravit la Dibona,
52:25 j'ai toujours...
52:26 Je suis toujours parti du parking,
52:27 et puis j'ai toujours fait une voie
52:28 avant de dormir au refuge, etc.
52:29 En tout cas, c'est un lieu que je connais bien,
52:31 que j'adore, et puis j'adore les gardiens
52:33 qui gardent le refuge actuellement.
52:35 - Bon, Fred, vous, vous êtes basé dans la vallée de Chamonix,
52:38 donc les défis que vous faites aussi près de chez nous,
52:41 ça se passe plutôt dans le massif du Mont-Blanc,
52:43 et l'été 2022, vous avez fait un parcours inédit,
52:46 le tour de la mer de glace,
52:49 mais pas par le bord du glacier,
52:51 par toutes les arêtes qui l'entourent.
52:53 - Par toutes les arêtes fêtières, oui,
52:55 c'était un truc qui me...
52:57 Qui m'était arrivé un peu à l'esprit il y a quelques années.
53:01 Et puis là, avec le Covid,
53:05 et puis le fait que c'était compliqué de voyager,
53:08 je me suis dit, je vais faire une mini-expé à la maison,
53:11 et je suis parti là-dessus, oui.
53:12 - Oui, mini-expé, mais Maxi, quand même, distance,
53:15 il y avait 55 km, 12 000 m de dénivelé,
53:18 les velles avertes, les droites, les courtes,
53:21 les jaurasses, notamment, au programme,
53:24 et puis on en parlait tout à l'heure pour l'Himalaya,
53:26 c'est une course essentiellement d'arêtes,
53:28 donc avec toutes les difficultés que ça peut représenter.
53:31 - Ah oui, c'est...
53:32 On va dire que c'est le terrain du guide de prédilection,
53:37 c'est un terrain où on n'a pas besoin des chaussons d'escalade,
53:41 on a un tout petit jeu de freins, de coinceurs,
53:44 une corde, et puis voilà, ça pendant 10 jours.
53:47 Donc c'est très agréable, on n'est pas très lourds,
53:50 on fait de la distance tous les jours,
53:52 donc il n'y a rien d'ennuyeux,
53:54 il faut juste arriver à préserver un peu la peau des doigts
53:58 et trouver...
53:59 Enfin, malheureusement pour nous, c'était hyper sec,
54:02 trouver des emplacements de bivouac où on pouvait faire de l'eau.
54:05 Ça, ça a été compliqué.
54:06 - Vous étiez avec Benjamin Ribert,
54:08 qui est aussi un guide de haute montagne originaire de...
54:10 - La Grave.
54:11 - La Grave, des Hautes-Alpes.
54:12 La Grave, c'est des Hautes-Alpes et l'Isère,
54:14 se partagent à 2 départements.
54:17 C'était un itinéraire qui n'avait jamais été parcouru.
54:20 Il y avait des sections pareilles
54:22 où vous étiez un peu dans l'incertitude sur ce qui vous attendait ?
54:25 - Alors, il y avait eu François D'Amelano
54:28 qui avait parcouru une traversée intégrale,
54:30 on va dire en ligne droite, plus ou moins,
54:33 qui partait de l'Iguie des Grands Montés
54:36 jusqu'au village des Contamines.
54:38 Et nous, on voulait faire la boucle,
54:40 partir de Chamme à pied, revenir à pied à Chamme,
54:42 donc on s'est dit on va faire le tour.
54:44 Et ça, c'est vrai que ça n'a jamais été fait.
54:48 Ça avait été tenté plusieurs fois,
54:50 mais imaginer cette boucle, ça demande beaucoup de temps.
54:56 Nous, on avait bloqué un mois, un mois et demi
54:58 pour essayer d'avoir un créneau météo
55:00 et puis préparer le projet
55:01 parce qu'il fallait quand même monter la nourriture à certains endroits.
55:05 - Vous avez fait des points de dépôt stratégiques ?
55:06 - On a fait une stratégie confort.
55:08 - Il y avait quelques refuges prévus sur l'itinéraire ?
55:11 - Oui, oui, du coup, on a dormi à Refuge du Torino,
55:13 qui est sur la frontière.
55:15 On n'a pas dormi au Cosmic parce qu'on était trop tôt,
55:19 mais on a pris une omelette.
55:21 - Bivouac de la Fourche, on y passe quand on fait cette traversée ?
55:24 - Oui, on y passe, on y est passé.
55:26 C'est vrai qu'on le voit dans le film,
55:28 on sent que quand on rentre, le bivouac est penché.
55:33 On a passé d'ailleurs une mauvaise après-midi,
55:35 on n'a pas très bien dormi.
55:37 En plus, moi, je suis allé faire un tour en dessous
55:39 et je voyais que c'était pas du tout stable.
55:42 On voyait des rochers avec du jour entre.
55:46 On s'est dit que ça n'allait pas durer longtemps.
55:48 Et effectivement, 6 semaines après, il était par terre.
55:50 - Vous avez peut-être été un des derniers
55:52 à passer une nuit dans ce bivouac ?
55:54 - Je pense qu'on était les derniers
55:55 parce que c'était impossible de rejoindre le bivouac
55:57 par la Combe Maudite.
56:00 Il n'y avait plus de neige, plus de rochers,
56:02 ça se cassait la gueule partout.
56:04 - Maintenant, en plus des chutes de pierres,
56:06 il faut faire attention quand on est à la haute montagne.
56:07 Aux chutes de refuge, ça commence à se compliquer,
56:10 ça fait peur quand même, Benjamin, j'imagine,
56:12 vous qui êtes la jeune génération,
56:14 de se dire que même les refuges
56:16 sont victimes du réchauffement climatique.
56:18 - Oui, après, il faut qu'on s'adapte.
56:20 De tous les cas, on a l'habitude de le faire
56:22 depuis tout le temps, nous, les guides,
56:24 on est une profession qui est habituée
56:26 à cette chose-là, qui est l'adaptation.
56:28 C'est le cœur de notre métier.
56:30 Il y a des courses qu'on fait plutôt en saison
56:32 et qu'on ne fait plus après en août.
56:34 Et généralement, on arrive quand même toujours,
56:37 je trouve, à faire des saisons, des belles saisons.
56:39 - C'est compliqué.
56:41 - Qui s'adaptent aux conditions.
56:42 Et les gardiens de refuge commencent à s'adapter également.
56:44 Ils ouvrent de plus en plus tôt.
56:46 On arrive à avoir des gardiens qui étaient habitués
56:48 à ouvrir plus tôt à partir de mi-juin
56:50 et commencent à ouvrir à partir de fin mai maintenant,
56:53 notamment dans les écrins.
56:55 Je pense qu'il y a un changement qui opère.
56:57 Les clients, pareil, nous appellent pas mal
56:59 pour le mois de juin.
57:00 C'est un mois qui est de plus en plus propice.
57:02 Donc ça se décale.
57:04 La saison est différente d'autrefois, c'est sûr.
57:06 Et après, il y a des zones qui sont moins sujettes
57:09 aux éboulements que d'autres.
57:10 Et ça, certains sont plus à même de le dire,
57:14 mais Ludovic Ravanel en connaît beaucoup,
57:20 des lieux comme ça qui ont une structure géologique
57:23 plus forte, plus renforcée.
57:25 Et d'autres lieux qu'on connaît,
57:27 où à force d'échanger avec les collègues, etc.,
57:30 on sait qu'il y a des zones qui sont à éviter
57:31 quand c'est vraiment tout sec.
57:33 - Pour éviter le refuge qui s'écroule, en tout cas, Fred,
57:35 et Benjamin, on finit la traversée en bivouacquant.
57:38 C'était finalement plus safe de se trouver
57:41 une petite place à la brie.
57:43 - Quand on est sur les arêtes,
57:44 il n'y a rien qui peut nous tomber dessus.
57:46 - C'est vrai, l'orage peut-être.
57:49 - Oui, voilà.
57:50 Et après, je continue par rapport aux saisons de guide.
57:54 On a aussi de plus en plus de clients qui grimpent,
57:57 donc ils veulent faire des grandes voies.
57:59 Et ça, ça nous arrange pas mal,
58:01 parce que les grandes voies d'escalade,
58:04 elles sont plutôt...
58:05 Enfin, les beaux spots sont plutôt assez bas en vallée.
58:08 Je pense, bon, après, Verdon, les Calanques, tout ça,
58:13 c'est un milieu pour les guides aussi,
58:15 pour les moniteurs d'escalade aussi.
58:17 Et moi, j'ai tendance à essayer de faire pousser les gens,
58:20 justement, au plus chaud de l'été,
58:21 à pratiquer l'escalade dans les Dolomites, tout ça.
58:24 Donc on s'adapte, ouais.
58:26 - Benjamin n'aurait pas aimé la taille de la tente, là,
58:28 pour bivouacquer à 2.
58:29 - Oui, mais c'est blanc, je pense que c'est rassurant.
58:31 - D'accord.
58:32 - Ça défend la couleur aussi.
58:33 - Dernière petite image de cette émission,
58:35 c'est l'arrivée quand même de cet ultra-tour
58:38 de la mer de glace à l'UTM-G.
58:40 Alors, il y avait moins de monde que pour l'UTMB,
58:43 la Mecque du Trail, fin août, à Chamonix,
58:45 mais il y avait quand même un petit comité d'accueil.
58:47 - Et ouais, on a failli lâcher une larme,
58:50 mais heureusement, on s'est fait arroser de champagne.
58:52 (rires)
58:53 C'était marrant.
58:54 On était bien crados, à ce moment-là.
58:57 Ça collait fort.
58:59 (rires)
59:00 - Voilà, merci en tout cas à tous les deux
59:04 de venir sur le plateau de Grand-Terre,
59:06 nous faire vivre vos aventures par procuration.
59:09 Je vous souhaite de belles autres aventures à venir.
59:13 Et puis nous, on se retrouve très prochainement
59:16 dans cette émission avec d'autres acteurs de la montagne.
59:19 Vous pouvez revoir toutes les émissions de Grand-Terre
59:22 en replay sur notre site telegrandop.net.
59:25 (indicatif musical)
59:28 (indicatif musical)
59:31 (indicatif musical)
59:34 [Musique]

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