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00:00 6h30, 9h, les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:07 7h15, la question du jour avec vous Marguerite Caton, bonjour.
00:10 Bonjour Quentin et bonjour à tous.
00:11 Et ce matin vous nous parlez de Frontex.
00:13 Frontex, l'agence européenne chargée d'assister les Etats membres dans la gestion et le contrôle de leurs frontières.
00:19 Depuis que son ancien patron Fabrice Leggeri a rallié samedi le Rassemblement National et la liste de Jordane Bardella aux élections européennes,
00:26 sa mission et ses moyens reviennent dans le débat. La gauche dénonce une institution de répression des personnes migrantes qui ferait fi des droits fondamentaux.
00:34 La droite regrette le manque d'ambition face à des arrivées irrégulières en masse et la pression des ONG.
00:40 Pour débrouiller le mandat et la pratique de Frontex, nous recevons Ludivine Richefeu. Bonjour.
00:45 Bonjour.
00:46 Vous êtes maître de conférence en droit privé et sciences criminelles à l'université de Sergi-Pontoise.
00:50 Un peu d'histoire pour commencer. Revenons en 2004, il y a 20 ans. Qu'est-ce qui justifie alors la création de l'agence et quelle mission lui confie-t-on ?
00:58 Alors en 2004, l'objectif est de compenser la libre circulation instaurée au sein des frontières intérieures de l'Union européenne.
01:06 L'idée est en fait de réguler fortement les frontières extérieures, de les protéger de l'arrivée d'étrangers en situation irrégulière.
01:16 Alors même qu'au sein du territoire de l'Union européenne, il y a une libre circulation des personnes.
01:21 Avec la crise de 2015 liée au printemps arabe et à leur répression, les moyens de l'agence ont puissamment été renforcés.
01:29 Son budget est passé de 6,2 millions d'euros en 2005 à 754 millions en 2022. En 2027, Frontex comptera 10 000 agents.
01:38 Un petit mot sur ces personnels, lui dit Vinry Richepieux. Qui sont-ils ? Des policiers ? Des militaires ? Des douaniers ? De toute nationalité ?
01:46 Tout à fait. Des personnels qui sont rattachés normalement à la police, à la gendarmerie nationale, des gardes frontières, etc.
01:55 De toute nationalité, des états membres qui participent à Frontex. Certains sont détachés par les états membres.
02:02 D'autres sont détachés par les états membres. Et puis il y a du "vrai" personnel Frontex, cette fois-ci du personnel de l'Union européenne.
02:09 Et comment se répartissent les missions entre les deux ?
02:12 Les missions se répartissent de telle sorte que le personnel Frontex encadre parfois les opérations qui ont lieu par exemple en mer Méditerranée.
02:21 Et vient soutenir finalement les opérations qui sont organisées elles par les états membres.
02:27 De quand date l'autorisation d'être armé pour ces personnels ?
02:30 L'autorisation d'être armé a à peu près toujours été accordée puisque ce personnel ou ces personnes détachées étant des policiers ou des gendarmes,
02:40 ils ont dans leur état membre la possibilité de porter une arme.
02:43 Et donc si l'état membre qui gère l'opération d'interception maritime par exemple leur permet de porter leur arme et de l'utiliser,
02:53 ces personnes peuvent tout à fait en faire usage.
02:56 Donc venons-en maintenant à la mise en pratique de ce mandat contenir la migration irrégulière.
03:02 Qu'est-ce qu'exigerait le droit lorsqu'un départ est signalé ?
03:07 Par exemple, si on prend un exemple concret, on a une embarcation qui quitte les côtes tunisiennes.
03:12 Quand est-ce qu'intervient Frontex ? Que demande le droit ?
03:15 Déjà Frontex, il faut savoir que c'est une agence qui n'intervient pas forcément quand il est trop tard.
03:21 C'est-à-dire quand l'embarcation est présente en mer territoriale d'un état membre, en Italie par exemple.
03:26 Elle peut intervenir déjà en amont et là elle apporte un soutien logistique et opérationnel aux états tiers.
03:33 Donc Algérie, Maroc, Tunisie par exemple pour les côtes maghrébines.
03:36 Concrètement un soutien opérationnel ça serait ?
03:38 L'envoi de personnel Frontex, de personnel détaché des états membres, l'envoi de matériel, etc.
03:46 Ce genre de voies.
03:48 Et lorsque le navire, l'embarcation pénètre en eau territoriale, dans ces cas-là, déjà ce navire doit être détecté.
03:56 Et là c'est toute la gestion d'informations, de données collectées qui est extrêmement importante pour détecter ce navire, son positionnement.
04:02 Et envoyer ensuite des équipes de l'état membre pour l'intercepter.
04:08 Le but, normalement, en tout cas le droit, ce qui le permet de faire à Frontex, c'est déjà, en tout cas ce qui l'oblige à faire normalement, de sauver cette embarcation.
04:17 Ce sont des embarcations la plupart du temps pneumatiques, surchargées, avec des personnes à bord potentiellement vulnérables, des réfugiés.
04:24 Donc ce navire doit être "sauvé" et rattaché à un port sûr.
04:30 Donc on l'escorte ?
04:31 On l'escorte sur le port de l'état membre, l'Italie par exemple.
04:34 Et une fois sur place, ces personnes doivent être "triées", le mot n'est pas beau mais c'est le cas, pour savoir s'il y a des mineurs qui ne sont pas accompagnées.
04:44 Dans ces cas-là, elles doivent obligatoirement être prises en charge, c'est le droit qui demande cela.
04:49 Des mineurs non accompagnés ou bien des personnes vulnérables, enceintes par exemple, qui doivent être prises en charge médicalement.
04:55 Ou encore des réfugiés.
04:57 Le statut de réfugié, il est déclaratoire.
05:00 On n'attend pas qu'un état membre dise "ah d'accord, très bien, cette personne est réfugiée parce qu'il a tel ou tel critère".
05:05 La personne est réfugiée en elle-même.
05:07 Et donc le droit international demande, oblige l'état à la prendre en charge et à examiner sa demande pour pouvoir la protéger des persécutions qu'elle risque ou qu'elle subit dans son pays.
05:18 Donc ça c'est la théorie, ce que dit le droit.
05:21 Venons-en à la pratique.
05:23 Une question importante est de savoir si les gardes-côtes de Frontex refoulent les migrants.
05:27 Fabrice Leggeri a été accusé, lorsqu'il était le patron de Frontex, d'avoir couvert et dissimulé ce qu'on appelle des "push-backs".
05:33 C'est illégal ? De quoi parle-t-on exactement Ludivine Richefeu quand on parle de refoulement ?
05:36 Est-ce qu'on peut attester ces pratiques ?
05:41 Un refoulement, qu'est-ce que c'est ?
05:44 Je vous ai parlé à l'instant de l'obligation de l'état membre de prendre en charge les réfugiés, de les protéger.
05:49 Le refoulement a lieu lorsque un navire pénètre dans les eaux territoriales d'un état membre et qu'il est en fait repoussé en dehors de ces eaux territoriales sans qu'un examen ait lieu.
05:59 Là on parle d'un refoulement.
06:00 Comment on fait Frontex ? Même si c'est illégal, qu'est-ce qui se passe concrètement ?
06:03 Concrètement, le navire est détecté. Ce sont des sources journalistiques, mais autres aussi.
06:08 Un des rapports de l'Olaf, l'office européen anti-fraude, a démontré cela.
06:13 Le navire est détecté, Frontex envoie les coordonnées aux équipes d'intervention qui repoussent le navire sous la supervision de Frontex.
06:21 Puisque dans plusieurs cas, un avion Frontex survolait la zone et filmait toute l'opération.
06:27 Donc on tire le bateau ?
06:29 On l'intercède, en effet on le repousse si besoin en menaçant d'utiliser des formes coercitives.
06:38 L'usage d'une arme est par exemple possible.
06:40 Vous avez spécialement travaillé et documenté cet usage des armes dans les interventions de Frontex. Dans quelles situations vous les observez ?
06:49 Les rapports d'incidents qui m'ont été transmis par l'agence démontrent que cet usage d'une arme est la plupart du temps effectué lorsque l'embarcation ne défère pas aux ordres de l'équipe d'intervention.
07:02 On lui demande de se détourner d'une route migratoire, l'embarcation ne le fait pas.
07:08 Il y a des avertissements qui sont effectués, mais si l'embarcation est encore récalcitrante, l'usage d'une arme est effectué.
07:14 Dans tous les rapports d'incidents, il y a une phrase qui démontrerait que l'usage d'une arme est effectué en légitime défense.
07:22 Parce que, évidemment, en droit international et national, l'usage d'une arme doit être nécessaire, proportionné à l'objectif.
07:30 En quelques mots, Ludivine Richefeu, est-ce qu'à votre avis, le contenir de la migration régulière, donc le mandat de Frontex, est compatible avec le droit ?
07:39 Est-ce qu'il n'y a pas finalement une contradiction même dans les termes ?
07:44 Je pense que la contradiction même, elle naît de ce statut de l'agence dont vous avez parlé.
07:49 Au fur et à mesure de temps, depuis 2004 et le règlement qui l'a créé, plusieurs règlements sont intervenus en 2016-2019.
07:56 Aujourd'hui, l'agence a un rôle fondamental en matière de lutte contre la criminalité transfrontière.
08:02 La migration régulière est intégrée à cet objectif de criminalité.
08:07 Il est difficile dans ces cas-là de protéger aussi les droits fondamentaux.
08:11 Merci beaucoup Ludivine Richefeu. Je rappelle que vous êtes maître de conférence en droit privé et sciences criminelles à l'université de Sergipontou.
08:16 Merci à vous de m'avoir invité.

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