L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 2 Avril 2024)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Fort de 31% d'intention de vote aux européennes selon un récent sondage Ipsos, le Rassemblement
00:11 national distance largement la Macronie et la gauche, souffrant toujours plus de divisions
00:17 et des conséquences de virages idéologiques, incompris de leur base électorale depuis
00:23 10 ans.
00:24 Alors qu'il représente pourtant près de 30% des intentions de vote, les socialistes,
00:30 écologistes, insoumis, communistes, peinent toujours à s'entendre.
00:34 Quel état pour la gauche ? Dans quel état cher ?
00:37 Avec vous Philippe Corcuf, bonjour.
00:39 Vous publiez un pamphlet au sujet de l'état de la gauche, ça s'intitule "Les tontons
00:45 flingueurs de la gauche, lettres ouvertes à Hollande, Macron, Mélenchon, Roussel,
00:50 Ruffin, Onfray" aux éditions textuelles, il est co-écrit avec Philippe Marlière.
00:56 Pour vous Philippe Corcuf, dans quel état est la gauche aujourd'hui ?
01:00 La gauche est en état de crise parce qu'elle a relevé un défi historique, c'est-à-dire
01:06 que pendant tout le XXe siècle a été dominé à un niveau international par deux pôles,
01:11 le pôle communiste et le pôle social-démocrate.
01:14 Ces deux pôles se sont effondrés pour des raisons différentes.
01:18 Le pôle communiste à cause du stalinisme, après la chute du mur de Berlin en 1989 c'était
01:25 évident, et le pôle socialiste s'est agrégé plus lentement à partir de la conversion
01:31 de la social-démocratie européenne à une certaine forme de néolibéralisme.
01:34 Il y a un défi énorme à relever, et au lieu de relever ce défi, beaucoup des forces
01:42 qui composent la gauche, toutes ces composantes, sont plutôt dans une logique d'autodestruction.
01:47 A la crise historique, elles rajoutent des logiques d'autodestruction qui sont délétères.
01:53 Nous, on a voulu pointer quelques figures, simplement politiques ou intellectuelles,
01:59 avec Michel Onfray, qui ont contribué à cette désagrégation et qui facilitent l'extrême
02:06 droitisation politique aujourd'hui.
02:08 Si je vous ai invité, Philippe Corkuv, c'est parce que votre voix est souvent une voix
02:12 dissonante.
02:13 On a l'habitude de dire par exemple que l'une des questions qui pose problème à la gauche
02:18 aujourd'hui, c'est l'existence de deux familles irréconciliables, je vais dire de
02:22 manière schématique, une famille qui serait la famille laïque ou laïcarde, et l'autre
02:29 famille qui serait une famille radicale et qualifiée de "wauquiste" par ses ennemis.
02:39 Vous vous refusez finalement cette dichotomie et vous refusez bien entendu aussi de vous
02:44 assimiler à l'une ou l'autre branche.
02:46 Oui, parce que la gauche, cette autodestruction dont j'ai parlé, elle est le fait notamment
02:53 de deux tendances.
02:55 Une tendance que certains vont rappeler républicaine, avant république c'était utilisé par tout
02:59 le monde, maintenant c'est un sens beaucoup plus restreint, et qui s'est notamment focalisée
03:04 sur un usage assez intolérant de la belle référence à la laïcité, à la loi de
03:09 1905, en se focalisant particulièrement sur les musulmans, une stigmatisation des musulmans.
03:15 Et puis de l'autre, la gauche radicale, sous la houlette des insoumis, a connu une période
03:24 dite de dégagisme, qui à la fois est nationaliste, qui politise beaucoup les ressentiments et
03:32 les frustrations, plutôt que de se poser la question de l'émancipation, et minore
03:39 au mieux la question de l'antisémitisme, dans le cadre de Jean-Luc Mélenchon, c'est
03:43 un peu plus grave même, parce que la répétition d'ambiguïté fait qu'on peut se poser la
03:47 question.
03:48 Alors, donc elle est prise en tenaille entre ces deux formes, et ce qu'oublie la gauche,
03:53 c'est le méchage d'émancipation, qui est né pendant la révolution française,
03:59 qui s'est transformé avec le mouvement ouvrier, avec le mouvement féministe, avec le mouvement
04:02 anticolonial, antiraciste.
04:03 Cette exigence d'émancipation, elle est finalement aplatie autour de ces deux pôles
04:10 qui paraissent et réconciliables, mais qui, sous des modalités différentes, participent
04:14 à l'autodestruction de la gauche.
04:16 - J'aimerais pas qu'on croit que ce livre ou votre pensée, Philippe Corcuve, soit uniquement
04:22 négative.
04:23 Vous rendez par exemple hommage à deux figures de la gauche, j'aimerais que vous nous expliquiez
04:27 pourquoi.
04:28 Rosa Luxembourg et Pierre Mendès France.
04:30 La gauche a beaucoup été structurée par l'opposition entre révolutionnaire et réformiste.
04:35 Avec Philippe Marliard, il nous semble que c'est une distinction dépassée, et qu'on
04:40 a voulu voir du côté de Pierre Mendès France un grand réformateur, mais qui est associé
04:46 à une certaine forme d'éthique politique qui a beaucoup été perdue du côté du camp
04:50 réformiste.
04:51 Et puis Rosa Luxembourg, dans le mouvement révolutionnaire, incarne une hostilité
04:55 à la dérive autoritaire léniniste, et défend la liberté d'expression, le pluralisme,
05:03 donc une autre vision de ce qui a dominé d'une certaine façon la vision qui est devenue
05:07 ce qu'on a appelé communiste.
05:08 Et donc il faudrait associer cette exigence réformatrice basée sur l'éthique avec
05:15 une radicalité, mais qui est très soucieuse de la question de la liberté, des libertés
05:20 et du pluralisme.
05:21 Et parmi les penseurs vivants, qui sont ceux, Philippe Corkuf, qui peuvent être utilement
05:30 mobilisés par la gauche ?
05:31 C'est compliqué ça, c'est-à-dire que les penseurs se sont beaucoup éloignés
05:41 d'une certaine façon de la politique, et on a de plus en plus de mal, c'est-à-dire
05:45 que c'est aux mouvements sociaux, aux organisations, à se saisir de morceaux.
05:52 Il y a des morceaux très intéressants pour repenser la démocratie, chez Jacques Rancière
05:58 par exemple.
05:59 Il y a des choses très intéressantes pour refuser l'identitarisme, chez Judith Butler,
06:06 et pourtant Patatras, Pantin et Judith Butler, finalement, de manière non clairement intentionnelle,
06:14 ont alimenté des formes de légitimation de l'antisémitisme.
06:17 Il faut expliquer ce qu'est cette conférence donnée à Pantin, Philippe Corkuf.
06:23 Oui, Judith Butler est intervenue dans une réunion dite décoloniale pour parler à
06:29 la fois de l'antisémitisme et de son instrumentalisation, et c'est là qu'elle a avancé l'idée
06:35 que le Hamas est un mouvement de résistance, tout en condamnant le Hamas.
06:39 Ses propos sont très composites, c'est pas clairement, contrairement à ce qui a été
06:44 dit, un soutien au Hamas, mais il y a une certaine forme de légitimation qui s'est
06:48 opérée, et il y a aussi un scepticisme, c'était la veille du rapport de l'ONU sur les violences
06:57 sexuelles et les crimes sexuels perprétrés le 7 octobre par le Hamas, il y avait un scepticisme
07:02 sur la réalité de ces viols et de ces crimes sexuels.
07:05 Et donc voilà, quelqu'un qui peut nous permettre de penser à la fois la question
07:09 de la vulnérabilité et de refuser l'enfermement dans une identité fixe, dans un cadre politique,
07:17 elle va finalement alimenter l'identitarisation sous un certain angle.
07:22 Donc c'est très difficile aujourd'hui la question du rapport entre les penseurs et
07:28 la politique, parce que d'une certaine façon, il faudrait utiliser les penseurs contre eux-mêmes.
07:33 Mais alors justement, lorsque vous évoquez Judith Butler, vous dites en substance que
07:40 sa pensée est plus fine que sa dernière expression, donc celle que vous venez d'évoquer à Pantin,
07:46 et vous avez publié dans le Nouvelle Obs une tribune où vous faisiez de Judith Butler
07:54 et de Bernard-Henri Lévy deux pôles du débat contemporain.
07:59 Pourquoi prendre ces deux penseurs-là ? Qu'est-ce que vous vouliez dire au sujet de BHL et de
08:06 Judith Butler ?
08:07 Chez Judith Butler, il y a une légitimation contradictoire et partielle du Hamas avec
08:15 une difficulté de nommer ce qui s'est passé le 7 octobre, parce que ça ne rentre pas
08:19 dans le cadre qui va être privilégié dans son intervention, qui est l'idée que tout
08:23 serait colonial, et qu'il n'y a pas des formes de violence et d'oppression qui
08:27 échapperaient à la question de la colonialité.
08:29 Elle se dit effarée par ce qui s'est passé le 7 octobre, mais elle ne sait pas quoi en
08:34 dire, elle ne sait pas le nommer d'une certaine façon.
08:36 BHL, dans un entretien avec Pierre Asqui suite à la sortie d'un livre, explique qu'il
08:43 est contre le cessez-feu à Gaza, mais à la fois qu'il pleure pour les morts palestiniens,
08:47 mais ces morts palestiniens n'ont pas de place dans son cadre, et que finalement l'important
08:51 c'est de détruire le Hamas, et que donc si des dizaines de milliers de personnes meurent,
08:55 des civils, des femmes, des enfants, des personnes âgées, finalement il pleure, mais ça ne
08:59 change rien parce qu'il n'arrive pas à mettre cette question dans son cadre.
09:02 Et on voit bien comment finalement une forme de dogmatisme empêche de penser de manière
09:09 beaucoup plus pluraliste et globale la question des rapports aux victimes, à la violence,
09:14 à l'oppression, et reste d'une certaine fixité dogmatique.
09:21 Et en même temps les deux disent, Butler dit "je souffre" avec ce qui s'est passé
09:27 le 7 octobre, BHL dit qu'il pleure, et en fait on a quelque chose de tragicomique, c'est-à-dire
09:32 une mise en scène de l'intellectuel, se mettant en scène pour parler de quelque chose
09:38 dont il ne peut pas penser.
09:39 C'est pour ça que dans ce texte j'ai fait référence à une belle citation de Maurice
09:44 Marleau-Ponty qui disait, ça visait son ami Sartre, ou son ex-ami Sartre, que "une des
09:50 maladies professionnelles principales des milieux intellectuels et académiques c'était
09:53 le manque de distance à soi".
09:56 Philippe Corcuf, il y a quand même quelque chose d'étonnant dans cette à la fois polarisation
10:02 sur le conflit israélo-palestinien, puisqu'il y a hélas d'autres conflits dans le monde,
10:06 on a eu un reportage de la rédaction qui était absolument terrible il y a quelques
10:09 minutes sur la situation au nord Kivu avec cette rébellion, le M23, qui a encerclé
10:19 2 millions de personnes avec une crise humanitaire, or c'est uniquement la référence à la
10:25 question israélo-palestinienne qui est mobilisée par la gauche.
10:29 Pourquoi ? Qu'est-ce que ça veut dire selon vous ?
10:31 On est toujours dans un piège, c'est-à-dire que la focalisation, évidemment il y a lutter
10:39 contre les formes de violences et les crimes de guerre dont sont responsables l'armée
10:43 israélienne terrible, les massacres en cours sont à condamner.
10:47 Mais on ne peut pas ne pas voir que la focalisation sur le conflit de Brochoriant a à voir avec
10:55 une remontée de l'antisémitisme, puisque ça a à voir avec l'idée qu'il y a un
11:00 être dans le monde qui est responsable de manière occulte de la plupart des maux, et
11:06 on ne fait plus attention aux autres violences, aux autres formes d'oppression, aux autres
11:09 massacres.
11:10 Et donc là il y a une forme d'antisémitisme qui répond à quelque chose qui se passe dans
11:15 la société, l'usage tactique aujourd'hui par le gouvernement de l'islamophobie.
11:20 On a vu l'interdiction de la baïa, on a vu récemment la mise en cause par le Premier
11:26 ministre d'une lycéenne dont on ne connaît rien sur sa supposée entrisme islamiste dans
11:30 un collège.
11:31 Donc on a à la fois une remontée...
11:33 Elle avait menacé le proviseur malgré tout.
11:36 Il y a eu une altercation dont les termes n'ont pas été très clairement établis,
11:41 mais l'idée qu'elle fait de l'entrisme islamiste c'est autre chose, de mettre en cause une
11:45 personne, un Premier ministre, est-ce que c'est sa fonction ?
11:47 Mais on a ces deux éléments, une stigmatisation de la population musulmane qui se sent et
11:52 on a finalement une légitimation passive par des secteurs de la gauche de la remontée
11:57 de l'antisémitisme.
11:58 - Philippe Corcuff, vous avez signé avec Philippe Marlière les tontons flingueurs de la gauche
12:03 aux éditions textuelles.
12:05 On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
12:07 - Nous sommes de retour avec notre invité, Philippe Corcuff, professeur de sciences politiques
12:18 à l'Institut d'études politiques de Lyon.
12:20 Vous publiez avec Philippe Marlière les tontons flingueurs de la gauche.
12:23 Avant de passer en revue ces tontons flingueurs, puisque le film est d'époque pompidolienne
12:28 d'ailleurs, votre regard justement sur Pompidou, la nostalgie Pompidou ?
12:33 - D'abord sur Pompidou lui-même, il y a un élément qui a été signalé, c'est-à-dire
12:39 que la politique professionnelle n'est pas complètement dominée par la communication.
12:44 Par exemple, Pompidou est un spécialiste de la poésie française en même temps, il
12:49 y a une culture littéraire qui n'est pas simplement un coup de pub ou un coup de com,
12:54 comme ça peut l'être par exemple chez Emmanuel Macron.
12:57 Donc il y a quelque chose là qui a bougé dans le personnel politique professionnel.
13:01 Le danger aujourd'hui de la période, c'est le nostalgisme, c'est-à-dire qu'au lieu
13:06 d'affronter les problèmes, et c'est la même chose à gauche, on va créer un rapport
13:10 fantasmé à un passé.
13:11 Alors ça ne sera pas Pompidou pour la gauche, ça sera Mitterrand, mais on oublie que Mitterrand
13:15 c'est quand même le premier tonton flingueur de la gauche, avec le tournant néolibéral
13:19 en 1983, avec une pratique très oligarchique du pouvoir.
13:22 Et que donc, plutôt que de rêver d'un homme providentiel qui finalement n'a pas vraiment
13:31 assumé ce qu'aurait dû être une gauche d'émancipation, il vaut mieux affronter
13:35 aujourd'hui les problèmes.
13:36 Mais il y a cette tentation de se réfugier dans cette vision fantasmée de personnages
13:41 historiques.
13:42 Mais si Mitterrand était parmi nous, il vous dirait que le vrai tonton pas flingueur de
13:47 la gauche c'était Pierre Mendès-France.
13:49 Pas flingueur parce qu'il n'avait pas de flingue.
13:51 Et justement, Mitterrand dans son goût pour le pouvoir et les luttes de pouvoir, avait
13:56 une certaine forme de mépris pour Mendès-France.
13:58 Oui parce que l'intérêt de Mendès-France c'est qu'il ne refusait pas la question des
14:06 institutions et du pouvoir.
14:07 Il a été quand même Premier ministre.
14:09 Mais en même temps, il y avait un certain rapport éthique au pouvoir que n'avait pas
14:15 Mitterrand.
14:16 Donc le problème, évidemment on fait toujours des compromis si on est à la tête d'institution.
14:21 Et donc il faut avoir un sens des compromis.
14:24 Il y a des confrontations politiques, il y a des habiletés politiciennes.
14:28 Mais en même temps, peu à peu, la politique s'est réduite à l'activité tactique et
14:35 de communication.
14:36 Et finalement, Mitterrand a incarné beaucoup cette activité tactique, en dehors de la
14:42 question éthique.
14:43 Et puis peu à peu, s'est mis au cours de son premier mandat à la communication.
14:46 Jean Lemarie.
14:47 Mais Pierre Mendès-France que vous citez dans votre livre est resté très peu de temps
14:52 au pouvoir.
14:53 Peut-il rester un modèle, être un modèle dans ces conditions-là ?
14:57 Pierre Mendès-France Oui, parce que ne pas être au pouvoir, le
15:02 problème c'est ceux qui refusent complètement le pouvoir.
15:05 Et l'idée qu'on ne peut pas peser sur les institutions.
15:08 On peut peser sur les institutions à l'extérieur, c'est ma vision libertaire.
15:11 Et puis mon ami Philippe Marlier avec qui j'écris ce livre, lui pense qu'on peut
15:16 davantage peser dans les institutions.
15:18 On n'a pas exactement la même vision de ce point de vue.
15:21 Mais on met des limites.
15:24 C'est-à-dire que, est-ce qu'on peut créer un modèle de rapport à la politique
15:28 qui ne sacrifie pas tout à la durée ?
15:31 Comment se fait-il qu'on en soit arrivé à une campagne électorale d'Emmanuel
15:37 Macron pluriculturelle et qu'on arrive à une loi sur l'immigration qui emprunte
15:43 au Front National ?
15:44 Comment pour durer ?
15:46 Ça c'est le mouvement actuel de la politique.
15:50 Et donc c'est quand même une dégradation forte de la politique.
15:54 Il faut maintenir la possibilité qu'il y ait des incarnations de la politique, mais
15:57 en même temps qu'il y ait un rapport éthique à la politique.
15:59 Oui, alors ce que vous évoquez, Philippe Corkuf, de manière constante, c'est le
16:05 confusionnisme de l'époque.
16:06 Alors, il est d'ailleurs assez bien retranscrit par le fait que parmi ces six personnages
16:13 de gauche, il y en a deux qu'on ne classerait pas spontanément à gauche.
16:18 Donc je décide, Hollande, Macron, Mélenchon, Roussel, Ruffin, Onfray, il faut effectivement
16:23 faire des efforts dans son passé pour se souvenir qu'Emmanuel Macron et Michel Onfray
16:30 ont été à gauche.
16:31 Oui, l'important c'est le processus qui a contribué à dérégler les rapports gauche-droite
16:38 et a fait tomber une série de repères qui définissaient un certain sens de la justice
16:43 sociale, de ce que pourrait être une société meilleure.
16:45 Emmanuel Macron, en même temps, a joué cette dégradation, donc il vient du Parti
16:51 Socialiste, donc il a joué un rôle dans ce sens.
16:53 Et Michel Onfray, il faut savoir qu'il était, pendant toutes les années 2000, une
17:00 figure consensuelle à gauche.
17:02 Il s'exprimait dans l'humanité, dans Politis, dans France Culture, dans le monde.
17:06 Et qu'aujourd'hui, maintenant, il est à CNews, donc il a incarné une gauche radicale.
17:11 La culture n'est pas un organe de la gauche, je le précise.
17:13 Oui, mais je veux dire qu'il s'est exprimé, à France Culture, des positions de gauche,
17:18 de gauche libertaire, ses cours, disons, à l'Université Populaire de Caen.
17:23 Mais il y a eu cette évolution.
17:26 Comment on peut passer d'une figure libertaire de la gauche radicale à une figure de l'extrême
17:30 droite aujourd'hui ?
17:31 Là, je vous pose la question.
17:32 Eh bien, il y a ce mouvement de dérèglement des repères que j'appelle confusionniste.
17:37 C'est-à-dire que, pour ma part, les succès de l'extrême droite en France ne sont pas
17:42 simplement les résultats du travail politique de l'extrême droite, mais de l'effondrement
17:47 intellectuel de la gauche et de la droite modérée, ce que j'appelle confusionniste.
17:51 C'est-à-dire que, peu à peu, on va associer des thèmes d'extrême droite, de droite
17:55 et de gauche.
17:56 On va les mêler, on va se fixer sur des identités positives comme l'identité nationale, ou
18:02 négatives comme l'identité musulmane, ou ça peut être l'identité juive.
18:07 Donc, il va y avoir cette prégnance de l'identitarisme dans les débats politiques, ce retour du
18:12 nationalisme, le fait que, aussi bien Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon vont recourir
18:19 souvent quand ils sont en difficulté politique à des schémas d'analyse conspirationnistes.
18:23 On l'a vu, Macron, avec l'affaire Benalla, où tout de suite, il a mis en avant un complot.
18:28 Mais Jean-Luc Mélenchon, quand il y a eu des perquisitions dans les sièges de ses
18:33 partis et chez lui, a tout de suite fait monter un complot, un an après même il a parlé
18:37 d'un complot mondial qu'il visait, l'huile ou l'eau, etc.
18:41 Donc, ce faisant, on détruit la critique des discriminations, des injustices, etc.
18:46 parce qu'on va considérer que, peu à peu, ce qui va mal dans le monde, c'est parce
18:49 qu'il y a des gens malfaisants qui sont dans l'ombre et qui nous veulent du mal.
18:53 Et on a, peu à peu, acclimaté, on confondu la critique sociale avec le conspirationnisme.
18:58 Donc, c'est ça, peu à peu, et finalement, il a évalué dans ce sens, Michel Onfray,
19:05 dans son mouvement d'évolution vers l'extrême droite, un des premiers moments conspirationnistes,
19:10 c'est par exemple, il va être le seul, au moment des primaires du Parti Socialiste,
19:14 au moment où Benoît Hamon va être élu, il va dire qu'il y a eu un complot, que c'est
19:19 François Hollande qui a trafiqué les urnes pour faire élire Hamon, mais faire élire
19:24 Hamon pour faire gagner Macron.
19:26 Et on voit le caractère torturé et, évidemment, complètement imbécile du point de vue de
19:32 l'analyse politique, parce qu'on cause le fait qu'à l'époque, Hollande et Macron
19:36 étaient opposés, justement.
19:37 Donc, l'idée de truquer les urnes, alors qu'il n'y a eu aucune plainte au Parti Socialiste
19:40 sur cette première, et le basculement, disons, vers l'extrême droite de Michel Onfray a
19:45 beaucoup à voir avec le basculement dans le conspirationnisme.
19:47 - Jean Leibary.
19:49 - Mais pendant toutes ces années, en même temps, le discours du FN devenu RN a complètement
19:54 changé, notamment sur ce que sont normalement les marqueurs de la gauche, le discours social
20:01 en particulier.
20:02 Est-ce que ça participe pas de ce dérèglement des repères politiques que vous pointez,
20:07 que vous attaquez, que vous critiquez, à gauche ?
20:09 - Oui, l'extrême droite s'est transformée, a intégré les dimensions sociales, elle
20:16 a intégré aussi les dimensions républicaines, elle s'est réclamée de la laïcité, etc.
20:21 Elle s'est déplacée, dans ses discours en tout cas sur la question de l'antisémitisme,
20:26 qui était un marqueur par rapport à Jean-Marie Le Pen.
20:28 Alors, il y a des fractions de l'extrême droite.
20:31 Quelqu'un qui a joué un grand rôle de réarmement idéologique de l'extrême droite, qui est
20:37 Alain Soral, lui, il est resté sur cette logique antisémite très clairement, et
20:42 il a joué quand même un grand rôle sur la diffusion d'un antisémitisme larvé qu'on
20:46 voit sur les réseaux sociaux aujourd'hui, et sur Internet.
20:50 Donc, il y a eu des transformations de l'extrême droite, de fractions, il y a eu cette moment,
20:53 mais donc, il y a eu du côté de l'extrême droite un travail qui a rapproché certains
20:58 thèmes de gauche.
20:59 En même temps, la gauche a repris de plus en plus des thèmes sécuritaires et identitaires,
21:04 sous des modalités différentes, soit l'identité nationale, ou la stigmatisation des musulmans,
21:10 soit la promotion, dans certains secteurs de la gauche radicale, d'identité minoritaire.
21:15 Donc, on a enfermé sur la question des identités plutôt que la question de l'émancipation
21:18 de la gauche.
21:20 - Jean-Léau-Marie, est-ce que la gauche peut faire l'impasse, vieille question, sur la
21:23 question de la sécurité et la question de l'identité ? Je reprends deux mots que vous
21:27 venez d'employer.
21:28 - Elle peut faire l'impasse sur la question de l'identité au sens de l'identitarisme.
21:34 C'est-à-dire que tous les travaux, disons, de sciences sociales montrent que chaque individu
21:38 et que les différents groupes sont composés du point de vue de leur identité.
21:42 Chacun de nous est composé de différents fils en fonction de sa socialisation, ses
21:45 rapports avec la famille, etc.
21:47 Il y a différentes personnalités dans une même personne, tout le monde voit ça.
21:50 Et donc, les discours identitaristes vont prendre un fil et vont en faire le secteur
21:56 de la mobilisation politique en oubliant les autres.
21:58 Donc, il y aurait quelque chose à faire du côté de l'identité, c'est que quelqu'un
22:02 porte la question du pluralisme identitaire, de l'hybridation, du métissage.
22:07 Et ça, c'est peu fait d'une certaine façon.
22:09 Et puis, du côté de la sécurité, il faudrait différencier la sécurité du sécuritaire.
22:17 C'est-à-dire que le sécuritaire, c'est devenu un mode de mobilisation des professionnels
22:22 à la politique principale qui, finalement, ne se pose pas la question des effets sur
22:28 la sécurité concrète.
22:29 Un de ceux qui a le portail le plus, le discours sécuritaire, c'est Nicolas Sarkozy, mais
22:33 en même temps, il faisait baisser les effectifs de police en même temps.
22:36 Donc, on voit bien que ce n'est pas le problème concret de la sécurité qui se pose, mais
22:40 le sécuritaire, c'est un discours qui accompagne les choses.
22:44 Justement, parce que si on prend les personnages ou les pensées, puisque ce ne sont pas des
22:52 analyses personnelles que vous faites, vous analysez les pensées d'un individu.
22:56 Vous prenez Jérôme Sainte-Marie qui est aujourd'hui l'un des penseurs officiels du Rassemblement
23:01 national.
23:02 Vous rappelez son trajet.
23:03 Il est passé de la gauche à l'extrême droite.
23:06 Jérôme Sainte-Marie a une expression intéressante.
23:09 Il dit que le Rassemblement national n'est pas d'extrême droite puisqu'il n'est
23:13 plus extrême et qu'il n'est plus de droite.
23:15 C'est quand même là aussi un terme assez clairant.
23:19 Qu'est-ce que vous en pensez, Philippe Corcul ?
23:21 Jérôme Sainte-Marie est un exemple du confusionnisme.
23:23 C'était un ami, puisqu'il était dans un petit groupe qui est passé des verts à
23:28 la Ligue communiste révolutionnaire et que c'était lui qui était le plus favorable
23:32 à cette entrée dans la Ligue communiste révolutionnaire.
23:35 Donc, évidemment que ça soit devenu un penseur d'extrême droite, c'est très intéressant
23:38 pour moi, disons, par rapport à ça.
23:41 C'est pour ça que moi j'ai tendance à utiliser le mot post-fascisme pour l'extrême
23:48 droite contemporaine.
23:49 Ceux qui utilisent le mot fascisme font comme si l'extrême droite n'avait pas bougé.
23:54 Or, il y a ces marqueurs républicains, il y a ces formes sociales, il y a eu des déplacements.
24:01 Ceux qui parlent de populisme ou de national-populisme cassent le lien avec l'histoire de l'extrême
24:07 droite.
24:08 Ces formes d'extrême droite contemporaine gardent toujours des liens avec la xénophobie
24:14 et avec le nationalisme, un certain rapport autoritaire au pouvoir.
24:18 Donc, il y a des composantes, disons, classiques de l'extrême droite et il y a des transformations.
24:23 C'est pour ça que j'utilise ce mot qui a été d'ailleurs inventé par Tamás, qui
24:26 est un philosophe hongrois qui est mort aujourd'hui, et qui l'avait utilisé, post-fasciste, dans
24:31 la Boston Review, pour qualifier le premier gouvernement Orban.
24:34 Parce que ce qu'on a devant nous, c'est pas Hitler, c'est Orban.
24:37 Justement, parce qu'il y a beaucoup de différences entre Hitler et Orban, évidemment, et plus
24:45 encore entre les figures traditionnelles de l'extrême droite et quelqu'un comme
24:51 Jordan Bardella.
24:52 Mais alors, ce qui est intéressant, c'est que le fascisme avait un corpus idéologique
24:57 assez précis.
24:59 Et aujourd'hui, les personnes qui se situent à l'extrême droite sont très éloignées
25:05 de ce corpus traditionnel, que ce soit le corpus néo-païen, le corpus de la tradition
25:12 française morassienne.
25:14 Où est-ce que vous situez justement ce courant intellectuel aujourd'hui, Philippe Corcuf ?
25:19 Il a joué un rôle, par exemple, ce qu'on a appelé la nouvelle droite d'Alain Benoît,
25:26 cette fraction de l'extrême droite, a joué un rôle, d'une certaine façon, d'avant-garde
25:30 ou pionnier dans le confusionnisme contemporain, en associant par exemple Gramsci et puis
25:35 l'extrême droite en ce déplacement du racisme, disons, biologique à des formes de racisme
25:43 culturel ou identitaire.
25:44 Donc il a travaillé cette dimension qui est, d'une certaine façon, présentée dans
25:49 l'ère du temps, mais sans la construction intellectuelle forte qui était celle des
25:55 théoriciens.
25:56 Donc c'est là, comme l'ère qu'on respire, peu à peu, ce n'est plus des constructions
26:00 intellectuelles.
26:01 Et le travail, quand on dit que Jérôme Sainte-Marie est le principal intellectuel du Rassemblement
26:07 National aujourd'hui, en fait, il n'y a pas vraiment de travail intellectuel.
26:11 Ce que fait Jérôme Sainte-Marie, c'est d'expliquer que globalement, c'est que
26:15 l'extrême droite n'est plus d'extrême droite.
26:16 Et donc c'est plutôt une sorte de blanchiment de l'extrême droite qu'un travail intellectuel.
26:22 Je vous rappelle qu'il existe un parti perçu, mais peut-être que vous n'êtes pas d'accord,
26:28 plus à droite que le Rassemblement National.
26:30 Je parle de Reconquête, évidemment.
26:31 Oui, à un moment donné, les dérèglements actuels sont ça.
26:37 C'est-à-dire qu'Éric Zemmour était plutôt de droite, et était à la gauche de Marine
26:41 Le Pen pendant un temps.
26:42 Et puis il a évolué dans des thèmes beaucoup plus marqués, identitaristes, et beaucoup
26:47 plus centrés sur la dénonciation des migrants et des musulmans, de la défense de la civilisation
26:52 chrétienne, etc.
26:53 Et passé à droite, d'une certaine façon, du Rassemblement National.
26:59 Mais il contribue, si on prend la dernière campagne présidentielle, jusqu'à l'invasion
27:06 de l'Ukraine.
27:07 Ce sont les thèmes de Zemmour qui marquent la campagne, jusqu'à ce qu'une modérée
27:13 issue du jupéisme comme Valérie Pécresse, en février, dans un meeting, adouble la théorie
27:18 de conspirationniste d'extrême droite du Grand emplacement.
27:20 Donc on voyait bien que finalement, c'est peut-être pas lui qui va gagner les élections,
27:24 mais il a un rôle idéologique.
27:26 Alors justement, parce que récemment, il y a deux jours, il a déclaré qu'il était
27:31 prêt à se rallier au Rassemblement National de Marine Le Pen si celle-ci, je cite, « abandonnait
27:37 son programme socialiste ».
27:38 Ce qui n'est pas forcément une cohérence, parce qu'on a connu un Zemmour quand il
27:46 a commencé à se poser des questions à droite, où ça a été un des premiers à critiquer
27:51 le néolibéralisme, à droite même, et à défendre des dimensions d'association entre
27:56 le sécuritaire et le social.
27:58 Et il a changé sur ces questions en incarnant une extrême droite plus libérale sur le
28:03 plan économique.
28:04 - Jean Lemarie, quel peut être le fil rouge, le point commun de la gauche face à cette
28:09 évolution-là, à la droite de la droite, que vous décriviez à l'instant ?
28:12 - Le plus important, c'est moins ce qui se passe dans l'espace politicien que ce que
28:17 j'appelle l'imaginaire.
28:18 Parce que si on prend les grands moments du Parti Communiste dans les années 60 par
28:23 exemple, il y a le Parti Communiste qui est très fort, mais le Parti Communiste a une
28:29 BO, c'est Jean Ferrat.
28:30 C'est-à-dire qu'il a un imaginaire.
28:32 Il a un ensemble de repères émotionnels, de raisons, à la fois de pourquoi on critique
28:38 le monde, de quelle est la situation actuelle, comment on peut aboutir à un monde meilleur.
28:43 La BO de Jean Ferrat est beaucoup plus avancée que celle du Parti Communiste, parce que le
28:46 Parti Communiste parle collectif, alors que Jean Ferrat reconnaît dans les années 60
28:51 la montée de l'individualisation et des individualités.
28:53 Il parle à des individus.
28:54 Et donc il nourrit cet imaginaire qui va être très important.
28:58 Donc ce qui manque à la gauche, c'est la reconstruction d'une BO de la gauche.
29:03 Il y a des choses dans les séries, dans les films, dans les chansons.
29:07 - Je ne sais pas s'il chante bien, mais est-ce que par exemple Raphaël Glucksmann pourrait
29:14 commencer à prendre le micro ? On voit aujourd'hui dans le contexte de la campagne des européennes,
29:20 c'est lui qui semble aujourd'hui tirer son épingle du jeu de cette campagne.
29:25 Et il ne fait pas partie de ces tontons-flingueurs de la gauche.
29:27 Qu'est-ce que vous en pensez de Raphaël Glucksmann ?
29:29 - Pour l'instant, Raphaël Glucksmann est un ovni dans son histoire politique, dans
29:34 son intervention.
29:35 Il y a des éléments importants.
29:37 C'est qu'il n'est pas dépendant du Parti Socialiste.
29:39 Il n'a pas ce plombage de l'héritage, même s'il est en alliance.
29:42 Il a des positions extrêmement claires, que ce soit sur l'Ukraine, ou contrairement aux
29:51 Insoumis, ou même sur les bombardements, les massacres à Gaza.
29:56 Et il a un tournant plus social.
30:00 Donc il y a des éléments intéressants qui se passent.
30:02 Il ne faudrait pas que ce soit de rebadigeonner de manière superficielle la gauche, en croyant
30:07 que c'est un nouvel homme provisidentiel, qui va remplacer le travail de reconstruction
30:13 d'un imaginaire commun.
30:14 Et quand on aura cet imaginaire commun qui s'est détruit, des gens plus réformateurs,
30:20 plus révolutionnaires, plus institutionnels, plus libertaires pourront s'opposer dans
30:24 le cadre de cet imaginaire-là.
30:25 En fait, on a perdu ce cadre.
30:26 Et il y a des pans entiers qui peuvent aller vers l'extra-droite, ou un peu n'importe
30:30 où.
30:31 - Mais est-ce que ce n'est pas l'alliance, je vais me prononcer sur une formule, de la
30:36 social-démocratie Raphaël Glucksmann, de la social-démocratie et sur le plan international,
30:41 je ne sais pas, de la ligne de Bernard-Henri Lévy par exemple ?
30:45 - Non, non, parce que Raphaël Glucksmann est clairement, pour le cesser le feu à Gaza,
30:52 il refuse d'utiliser le mot génocide.
30:54 - Les insoumis l'attaquent.
30:55 - Oui, il l'attaque parce qu'il n'utilise pas le mot génocide.
30:58 Personnellement, j'utilise le thème de crimes de guerre, de massacres.
31:01 Je n'utilise pas le terme génocide.
31:02 Pourquoi ? Parce qu'on est dans une concurrence assez dangereuse.
31:06 Avec la Shoah, avec des concurrences victimaires, on risque de retomber dans l'antisémitisme.
31:11 Il n'y a pas besoin de génocide pour mettre en évidence le caractère inacceptable des
31:17 massacres, le fait que ça doit s'arrêter et le fait qu'on doit donner des droits nationaux
31:20 au peuple palestinien.
31:21 - Jean-Les-Marie.
31:22 - Vous plaidez pour un imaginaire commun à gauche, mais ce commun existe-t-il ? En voyez-vous
31:27 seulement les bases aujourd'hui, Philippe Corcuve ?
31:29 - Il en reste des bases, mais qui sont divisées.
31:33 C'est-à-dire que, par exemple, la justice sociale, c'est une base.
31:37 Mais la justice sociale, c'est à la fois la justice sociale pour la masse des classes
31:42 populaires qui vivent de leur travail et qui ont un rapport d'identité à leur travail,
31:48 qui retrouvent une identité positive à leur travail.
31:50 Mais aussi, c'est ceux qui sont hors du travail et qui sont du côté des minima sociaux.
31:54 Or, la gauche se divise.
31:55 Il y a ceux qui sont du côté minima sociaux, ceux qui sont du côté des classes populaires,
31:59 qui construisent une identité au travail.
32:01 C'est le fait de défendre les droits des LGBT, le mariage pour tous, etc.
32:07 Donc des réformes sociétales.
32:09 Et puis la justice sociale.
32:10 Or, il y a des gens qui sont du côté sociétal et du côté social.
32:13 C'est-à-dire qu'on a des éléments du puzzle, mais ils ne sont pas ensemble.
32:18 Et au contraire, la gauche se déchire.
32:20 Il y a l'internationalisme aujourd'hui qui est en train de s'effondrer.
32:26 Parce que si on est solidaire avec Gaza, et si on est solidaire avec les Ukrainiens, voilà.
32:30 Et du côté de l'Ukraine, on a un repli nationaliste des Insoumis, qui refusent l'entrée dans
32:36 la communauté européenne.
32:37 Et puis d'un autre côté, finalement, les Insoumis sont internationalistes pour Gaza,
32:43 mais pas pour l'Ukraine.
32:44 Il faudrait être internationaliste partout.
32:46 Il y a aussi, encore une fois, on en a parlé déjà, mais il faudrait aussi savoir ce qu'ils
32:52 pensent du Nord Kivu, ou bien par exemple de ce qui se passe en Birmanie.
32:56 Et cette focalisation sur un, deux, trois conflits est là aussi toujours étonnante,
33:04 Philippe Corkuf.
33:05 Oui, il faut sortir d'une géopolitique qui est en fait une géopolitique assez nationale.
33:11 C'est la focalisation aussi sur le conflit du Proche-Orient.
33:14 La question de l'Ukraine est très importante parce que c'est aux portes de l'Europe, donc
33:17 c'est quelque chose qui a été un choc nouveau d'une certaine façon pour l'Europe.
33:20 Le Proche-Orient, c'est depuis un certain temps, mais ça vient réactiver cette chose
33:25 que j'avais analysée dans mon livre "La Grande Confusion", qui est la compétition entre
33:29 lutte contre l'islamophobie et lutte contre l'antisémitisme.
33:31 Ça vient réactiver ça et c'est réinséré dans des débats internes.
33:35 À mot de conclusion, Philippe Corkuf, nous sommes dans une époque de reconstruction
33:40 pour la gauche, ou bien la destruction n'est pas encore parachevée ?
33:44 Il y a un danger, c'est-à-dire que l'extrême droite peut gagner les prochaines et la gauche
33:49 peut, dans cette logique d'autodestruction, devenir une forme marginale.
33:53 Et l'extrême droite, comme en Hongrie, restait très longtemps au pouvoir, avec une gauche
33:57 qui est devenue folklorique.
33:58 Et donc il y a vraiment un danger aujourd'hui de commencer à amorcer ce processus de reconstruction
34:04 qui n'est pas vraiment amorcé.
34:06 Autrement, ce qu'on a appelé la gauche risque de presque disparaître.
34:09 Philippe Corkuf, vous avez écrit avec Philippe Marlière les "Tontons-Flingueurs de la gauche"
34:14 aux éditions textuelles.
34:16 Merci de nous avoir accompagnés.