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00:00 7h-9h, les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La question du jour, une amende record, la commission irlandaise pour la protection des
00:10 données, l'équivalent de la CNIL en France, a condamné l'entreprise américaine Meta
00:15 à payer 1,2 milliard d'euros.
00:17 La raison, le transfert des données récoltées par Facebook en Union Européenne vers les
00:21 Etats-Unis.
00:22 Quels sont les risques liés à ces transferts de données ? Bonjour Florence Gzel.
00:26 Bonjour.
00:27 Vous êtes professeure de droit à Sciences Po, alors on a beaucoup parlé du RGPD, les
00:32 règles relatives à la collecte des données des internautes.
00:35 Alors qu'est-ce que ça signifie pour Meta ? Meta ne les appliquait pas, Meta les appliquait
00:41 mais transférait ces données, expliquez-nous.
00:43 Alors en fait, première remarque, cette sanction, c'est une sanction qui est une sanction financière,
00:49 1,2 milliard, ce qui est inédit dans l'Union Européenne.
00:53 Mais il n'y a pas que cela parce que Meta est aussi condamnée à cesser à brève échéance
00:58 de transférer les données aux Etats-Unis et également condamnée à effacer, en tout
01:03 cas c'est ce que l'on comprend, les données qui sont aux Etats-Unis stockées depuis 2020.
01:07 Alors attendez, pour qu'on comprenne bien, pourquoi est-il interdit de transférer des
01:11 données aux Etats-Unis ? Alors pour une raison, enfin il n'est pas
01:14 complètement interdit de transférer des données aux Etats-Unis mais Meta est supposé
01:18 apporter des garanties de protection aux utilisateurs européens dont, en l'occurrence, l'autorité
01:25 irlandaise juge qu'elles ne sont pas suffisantes pour une raison simple qui n'est pas véritablement
01:32 de la responsabilité de Meta qui est que la législation américaine permet des programmes
01:38 de surveillance qui sont assez intrusifs, on les connaît, et que dans ces conditions,
01:42 eh bien les autorités de l'Union Européenne ont tendance à considérer que tout transfert
01:46 aux Etats-Unis est problématique.
01:48 Tout transfert, ça veut dire que Meta ne pourrait pas encadrer, par exemple, la conservation
01:54 des données aux Etats-Unis ? Alors, Meta le fait, c'est-à-dire qu'on
01:58 a eu, dans l'histoire et depuis 25 ans, on a eu plusieurs accords entre l'Union
02:03 Européenne et les Etats-Unis pour encadrer les transferts de données et qui permettaient
02:07 aux entreprises de transférer des données.
02:09 Le dernier accord qui avait été conclu a été annulé en 2020 par la Cour de justice
02:13 de l'Union Européenne et depuis, les entreprises qui souhaitent transférer des données aux
02:18 Etats-Unis le font à partir de leurs propres conditions générales qui doivent protéger
02:23 les utilisateurs et là, on dit à Meta, c'est pas suffisant.
02:25 Mais alors, Florence Gsel, cette amende, elle ne vient pas comme ça, soudainement d'un
02:30 ciel tout bleu.
02:31 Ça fait un certain temps que Meta est sous les feux des projecteurs judiciaires.
02:37 Cette amende, elle était en partie attendue ?
02:39 Alors, elle était attendue.
02:41 Meta dit plusieurs choses.
02:43 Meta dit d'abord, nous ne pouvons pas cesser de transférer les données aux Etats-Unis
02:49 parce que nous avons besoin pour travailler, pour tourner, de collecter et de transférer
02:53 les données sur nos serveurs qui sont aux Etats-Unis.
02:56 La deuxième chose, c'est que Meta dit depuis un certain temps, si vous nous interdisez
03:02 de transférer les données aux Etats-Unis, c'est très simple, nous finirons par cesser
03:05 d'opérer en Europe, ce qui est quand même, je dirais pas une menace, mais c'est quand
03:10 même assez clair.
03:11 C'est clair, mais Meta explique que le modèle économique de l'entreprise consiste justement
03:16 à utiliser ces données, que pour que ces données soient utilisées, il faut qu'elles
03:19 soient transférées aux Etats-Unis.
03:20 Voilà, et donc c'est la raison pour laquelle Meta n'a jamais renoncé à le faire.
03:25 Et c'est la raison pour laquelle Meta, jusqu'à présent, a toujours joué sur le temps.
03:30 C'est quand même une décision qui arrive après un très, très long parcours et qui
03:34 fait encore l'objet de recours.
03:35 Les choses vont encore traîner.
03:36 Et Meta compte sur le dernier accord conclu entre l'Union européenne et les Etats-Unis
03:42 qui devrait être finalisé, ou en tout cas validé au niveau de l'Union d'ici l'été
03:47 et qui pourrait sortir d'affaire l'entreprise.
03:49 Alors cette affaire, elle est assez emblématique puisque on sait désormais, tout le monde
03:53 sait que les entreprises du Net, telles que Meta, Twitter, utilisent les données personnelles
04:02 des internautes pour se rémunérer en partie de services qui sont en grande partie, disons,
04:07 gratuits.
04:08 Mais alors si ces données ne peuvent plus être transférées, si elles ne peuvent plus
04:12 être utilisées, qu'est-ce qui va se passer ?
04:14 Qu'est-ce qu'on peut imaginer, Florence Gsel ?
04:16 Alors, ce qu'on dit, ce que beaucoup d'observateurs disent, c'est qu'on observe une sorte de
04:22 mouvement qu'on appelle de localisation des données.
04:25 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, avec ces décisions, parce qu'elle n'est pas isolée,
04:29 il y a eu une décision sur Google Analytics en France l'année dernière.
04:31 Il y a beaucoup de décisions.
04:33 On est dans une logique où on tend à dire, ben voilà, il faut que les données restent
04:37 en Europe.
04:38 Ce qui pourrait être éventuellement envisageable, parce que des clouds, on en a en Europe, on
04:43 pourrait très bien imaginer que la technologie soit présente, d'ailleurs elle l'est.
04:47 Voilà, c'est toute l'idée derrière le cloud souverain, l'idée qu'il faut conserver
04:51 les données chez nous, que ce sont finalement des informations stratégiques, ce qui à
04:56 mon avis quand même pose un problème économique et un problème industriel.
05:02 Pourquoi ? Parce que pour développer des technologies innovantes, on a besoin que les
05:05 données puissent circuler.
05:06 Et donc, en l'occurrence, cette décision, elle ne concerne pas la partie émergée de
05:13 l'iceberg, c'est-à-dire Meta ou Twitter, mais elle concerne aussi toutes les entreprises
05:17 technologiques qui travaillent à partir des données et qui, pour un grand nombre d'entre
05:22 elles, ont besoin de pouvoir les faire circuler.
05:24 Et c'est là que j'aurais personnellement tendance à être un peu critique sur des
05:28 décisions certes spectaculaires, mais peut-être problématiques dans leurs effets économiques.
05:32 Et alors le pire, ça va être pour TikTok, parce que là, l'entreprise est donc chinoise
05:38 et elle est soupçonnée non pas seulement de violer une législation, mais d'espionner
05:43 les utilisateurs et les pays où l'appli est présente.
05:47 Alors, c'est un vrai sujet TikTok et c'est un vrai sujet parce qu'on a beaucoup moins
05:52 d'informations quant à ce qui se passe en Chine que quant à ce qui se passe aux États-Unis.
05:57 Et aujourd'hui, même les meilleurs experts vous diront qu'on n'a aucune idée de ce
06:03 que fait le gouvernement chinois à l'égard de TikTok et des données qui sont détenues
06:07 par TikTok.
06:08 Donc on peut s'imaginer le pire, mais peut-être que le pire n'est pas vrai.
06:12 Et c'est ça qui est troublant et problématique dans ces affaires-là, c'est-à-dire qu'on
06:16 peut aussi prendre des décisions très spectaculaires à l'égard de TikTok.
06:19 L'état du Montana aux États-Unis, la semaine dernière, a décidé de bannir TikTok purement
06:24 et simplement pour cette raison, ce qui pose quand même un certain nombre de problèmes.
06:28 - Mais parce que j'imagine qu'il soupçonne aussi TikTok, une fois que vous l'avez installé
06:32 sur votre téléphone, de faire des choses, disons, hétérodoxes aux autres données,
06:37 pas seulement les données que vous développez sur TikTok.
06:39 - Oui, c'est-à-dire que TikTok est accusé de beaucoup de choses, mais ce qui est principalement
06:43 souligné vis-à-vis de TikTok, c'est que l'état chinois se servirait de l'application
06:47 pour pratiquer de l'espionnage à grande échelle, avec des objectifs peu sympathiques.
06:54 - Mais dites-moi, Florence Gsel, vous qui êtes juriste, c'est bien tout ça pour vous
06:58 parce que ça donne des problèmes inédits, finalement ?
07:00 - Alors, des problèmes inédits, des problèmes qu'il faut envisager à l'échelle globale.
07:05 Ce que j'aurais envie de dire à la suite de cette décision de l'État, c'est que,
07:08 et c'est vrai de beaucoup d'observateurs, on tend à penser qu'il faudrait qu'on ait
07:12 au niveau international, et en tout cas pour les États qui sont soucieux de la protection
07:17 des données de leur citoyen, c'est vrai aussi aux États-Unis, qu'on ait véritablement
07:21 des accords internationaux globaux qui permettent d'avancer ensemble.
07:24 - Merci beaucoup, Florence Gsel.
07:26 Je rappelle que vous êtes titulaire de la chaire Digital, Gouvernance et Souveraineté
07:31 à Sciences Po.
07:32 Il est 7h23 sur France Culture.