• il y a 8 mois
En six mois elles ont massacré près de 40 000 personnes, hommes, femmes, enfants ou vieillards. De janvier à mai 1794, les colonnes infernales de la République ont semé la terreur et la désolation en Vendée. Ces crimes et ces destructions ne furent pas l’œuvre de militaires devenus fous ou assoiffés de sang mais au contraire le résultat d’une politique d’extermination décidée au plus au niveau de l’État. C’est ce que démontre notre invité de ce jour Jacques Villemain, auteur d'une "Histoire politique des colonnes infernales", parue aux éditions du Cerf.
Transcription
00:00 *Musique épique*
00:02 *Musique épique*
00:04 *Musique épique*
00:06 *Musique épique*
00:35 Bonjour à tous.
00:37 En 6 mois, elles ont massacré près de 40 000 personnes,
00:41 hommes, femmes, enfants ou vieillards.
00:43 De janvier à mai 1794,
00:46 les colonnes infernales de la République ont semé la terreur et la désolation en Vendée.
00:51 Ces crimes et ces destructions ne furent pas l'oeuvre de militaires devenus fous ou assoiffés de sang,
00:57 mais au contraire le résultat d'une politique d'extermination décidée au plus haut niveau de l'État.
01:03 C'est ce que démontre brillamment notre invité de ce jour, Jacques Villemin.
01:08 Jacques Villemin, bonjour, merci d'avoir répondu à notre invitation.
01:11 Vous êtes diplomate, juriste spécialisé en droit international,
01:16 et vous avez déjà publié "Vendée 1793-1794" et "Génocide en Vendée",
01:23 deux ouvrages parus aux éditions du Serre, l'un en 2017, l'autre en 2020.
01:29 Et là, vous récidivez, si vous me permettez, avec une histoire politique des colonnes infernales.
01:36 Et le sous-titre est important, "Avant et après le 9 Terminor".
01:41 Mais avant d'y venir, pourquoi un troisième ouvrage ?
01:45 Les deux premiers ne suffisaient pas.
01:47 Disons que les deux premiers envisagent la guerre de Vendée,
01:52 dans sa globalité en tout cas entre 1793 et 1796.
01:56 Ce qui était intéressant, c'était de voir l'épisode particulier des colonnes infernales,
02:01 qui est véritablement le noyau dur du génocide.
02:06 Et en fait, ce livre est né d'une critique qu'on avait faite à mon précédent ouvrage,
02:11 où un auteur a prétendu qu'on ne connaissait pas véritablement les intentions
02:16 du Comité de salut public ou du gouvernement révolutionnaire,
02:19 et que donc, ça n'était pas normal de parler d'une intention criminelle
02:24 imputable au gouvernement révolutionnaire parisien.
02:27 Donc, je tenais à mettre un coup de projecteur sur cet épisode particulier
02:33 qui dure quatre mois, de janvier à mai 1994,
02:37 à montrer la genèse de cette expédition militaire,
02:41 qui est un projet politique.
02:44 - D'accord. En quoi est-ce qu'une histoire politique ?
02:46 Parce qu'effectivement, comme vous le disiez,
02:48 ça ne paraît plus une histoire bêtement militaire, si je puis dire.
02:51 - L'histoire militaire des colonnes infernales, elle a déjà été faite plusieurs fois,
02:55 y compris d'ailleurs par des historiens militaires
02:57 qui ont fait un travail fort utile sur lequel je m'appuie.
03:01 L'histoire politique, on en parle peu.
03:03 On en parle peu, d'abord parce que c'est vrai, les archives sont moins connues.
03:09 C'est une raison pour laquelle d'ailleurs, l'ouvrage est en deux volumes,
03:13 et le second est la publication des archives pertinentes.
03:19 Donc c'était important de montrer que,
03:24 les colonnes infernales, c'est grosso modo 40 régiments,
03:27 40 000 hommes effectifs, 100 000 sur le papier,
03:30 mais enfin, ils n'avaient pas de quoi en armer 100 000.
03:33 Donc 40 régiments qui manœuvrent pendant quatre mois.
03:36 Il n'y a pas besoin d'être grand administrateur
03:39 pour savoir qu'on ne peut pas faire manœuvrer 40 régiments pendant quatre mois
03:43 si on n'a pas un soutien logistique absolument solide.
03:49 Et puis en plus, aucun gouvernement, même révolutionnaire,
03:52 ne remet 40 régiments à un général sans lui dire quoi en faire.
03:56 Donc il y a eu des instructions,
03:58 il y a eu un contrôle de ce que ces instructions étaient bien suivies,
04:02 et l'histoire politique, c'est essentiellement cela,
04:06 voir comment le plan a été élaboré,
04:08 comment il a été exécuté,
04:10 et surtout comment son exécution a été contrôlée depuis Paris,
04:17 et également ensuite comment on a géré cette affaire après le 9 Termidor.
04:21 – Justement, parce que j'en reviens à votre sous-titre,
04:23 avant et après le 9 Termidor,
04:25 donc je rappelle que le 9 Termidor,
04:27 c'est la date de la chute de Robespierre et de ses amis.
04:31 Alors qu'est-ce qui se passe après ?
04:32 Pourquoi cette date est importante ?
04:34 – Le 9 Termidor, effectivement,
04:36 c'est la fin de l'année du pouvoir de Robespierre,
04:38 ça dure à peu près exactement un an,
04:40 puisqu'il rentre au comité de salut public le 27 juillet 93,
04:44 et le 29 Termidor correspond au 27 juillet 94.
04:47 – Alors on dit Robespierre, mais il n'y a pas que Robespierre.
04:49 – Il n'y a pas que Robespierre, non.
04:50 Il y a 12 hommes dans le comité de salut public,
04:52 en 94, à la fin de ma séquence, il n'y en a plus que 11,
04:55 parce qu'il y en a un qui a été guillotiné,
04:57 qui est hétéro de Seychelles,
04:59 mais effectivement, il y a Robespierre.
05:01 Les noms importants pour mon affaire,
05:03 je dis mon affaire,
05:05 pour les colonnes affernales, c'est notamment Carnot,
05:08 Carnot, Robespierre, Collot d'Erbois et Billau-Varen sont les 4 plus importants,
05:13 Saint-Just moins, mais enfin, il est plus dans la rhétorique.
05:16 Et donc ce sont ces personnages-là,
05:19 les 4 premiers que j'ai cités,
05:21 Robespierre, Carnot, Billau-Varen et Collot d'Erbois,
05:25 signent la nomination de Thurot,
05:27 et c'est eux qui vont plus particulièrement suivre la chose sur le plan politique.
05:30 L'histoire militaire qui consiste à dire,
05:32 les colonnes sont passées ici, elles ont un massacre étang,
05:34 elles sont passées là, elles ont un massacre étang,
05:36 ça a déjà été fait, et très bien fait,
05:39 par des générations d'historiens.
05:40 En revanche, que ceci ait été ordonné et contrôlé depuis Paris,
05:45 ça a été beaucoup moins travaillé, je pense.
05:47 En tout cas, il me semble que ce livre comble un besoin.
05:51 – Alors pourquoi après le 9 Termidor ?
05:53 – Alors après le 9 Termidor, parce que le 9 Termidor, c'est la fin de la terreur,
05:56 en fait le 9 Termidor n'aurait pas dû être la fin de la terreur.
05:58 Ceux qui abattent Robespierre sont aussi terroristes que lui.
06:02 Les Vadiers, les Frérons, d'ailleurs même Carnot,
06:06 qui fait partie du comité de salut public, participe au 9 Termidor,
06:09 et envoie Robespierre, Couton et Saint-Just,
06:12 qui sont vraiment ce qu'on appelle le triumvirat,
06:14 le noué ou dur du comité de l'an II, à la guillotine.
06:20 Alors ensuite, ils auraient voulu continuer à gouverner la France
06:25 de la même manière que Robespierre, mais à sa place.
06:27 En fait, de 1993 à 1994, on a une série de purges, si j'ose dire,
06:31 les Girondins en mai-juin 1993, les Exagérés à la fin de l'année, décembre 1993,
06:37 ensuite à l'hiver 1993-1994, donc mars-avril, les Hébertistes et les Dantonistes.
06:45 Robespierre, c'est une purge de plus.
06:48 Ce sera la dernière parce que là, la Convention a eu trop peur,
06:52 elle a vraiment cru qu'elle allait y passer par charrettes entières.
06:55 C'était la menace de Robespierre dans son discours du 8 Termidor,
06:59 qui a fait que le 9, tous ces gens qui ont très très peur,
07:02 se coalisent, renversent Robespierre, qui passe lui-même sous la guillotine
07:06 avec ses acolytes, le 10.
07:07 Mais alors après, il faut quand même bien expliquer ce qui s'est passé.
07:12 Parce qu'on ne peut plus faire fonctionner la terreur,
07:14 la société, le ressort est cassé,
07:16 le gouvernement révolutionnaire ne peut plus fonctionner sur le régime de terreur,
07:20 et on commence à demander des comptes.
07:22 Alors le procès le plus connu sera celui de Carrier à la fin de l'année,
07:26 Carrier est guillotiné le 16 décembre.
07:28 - Carrier est accusé de quoi ?
07:29 - Carrier est en fait accusé, c'est incroyable quand on y pense,
07:33 de mener contre-révolutionnaire, ce qui est quand même assez remarquable.
07:36 Mais l'idée c'est qu'il a rendu la révolution tellement odieuse
07:39 qu'il aurait favorisé les royalistes.
07:41 Mais évidemment, guillotiner un responsable révolutionnaire
07:44 ne peut se faire qu'au nom de la révolution.
07:46 D'où la même manière que dans le régime stalinien, n'est-ce pas,
07:51 à chaque fois que le parti communiste faisait une purge,
07:53 c'était toujours au nom de la trahison de la révolution.
07:56 Donc un tas de communistes bontains se sont retrouvés
07:59 exécutés comme contre-révolutionnaires.
08:01 Donc c'est exactement ce qui est arrivé à Carrier.
08:04 Mais la convention entend qu'on exécute Carrier,
08:08 mais c'est pour ça qu'on lui donne tous les comptes,
08:10 il ne faut pas qu'on nous en demande plus.
08:12 Et donc on est obligé à ce moment-là, tous ces gens
08:15 qui ont approuvé les colonnes infernales,
08:18 parce que le comité de salut public, il faut quand même bien dire,
08:21 c'est 12 hommes dont les pouvoirs sont renouvelés chaque mois,
08:25 tous les 30 jours, la convention doit renouveler les pouvoirs du comité.
08:29 Et ils l'ont renouvelé tous les mois, pendant 12 mois,
08:32 de juillet 1993 à juillet 1994.
08:34 Donc ils sont tous mouillés jusqu'au cou.
08:36 Et au moment où les républicains de Vendée, notamment,
08:39 puisque je me concentre sur la Vendée,
08:41 expliquent de quel massacre ils ont été les victimes,
08:44 parce que quand je dis qu'il s'agit d'un génocide,
08:47 les républicains de l'Ouest ont également payé un très lourd tribut,
08:51 car les colonnes infernales n'ont pas fait le détail.
08:54 Donc il faut expliquer ça, et à ce moment-là,
08:57 il faut expliquer qu'il faut trouver quelque chose
09:00 qui ne mouille pas trop la convention
09:02 et les membres du comité de salut public restant,
09:05 puisque Don Carnault, d'ailleurs, qui est sur la couverture,
09:08 expliquait que tout ça s'est fait en quelque sorte à l'insu de leur plein gré.
09:13 Ils ne savaient pas, Thurot a agi dans le dos du comité.
09:17 - Après le 9e amie d'or, on commence à réécrire l'histoire.
09:21 - Voilà, tout à fait.
09:22 C'est-à-dire qu'on fait un discours, ce qu'on appelle le discours termidorien.
09:25 Ce qui est assez paradoxal, c'est que le discours termidorien
09:28 est en principe un discours contre Robespierre.
09:31 C'est Robespierre qu'on charge de tous les crimes.
09:34 Or ce discours est aujourd'hui réassumé par les robespierristes.
09:37 Mais ce n'est pas très compliqué.
09:39 Il suffit de reprendre le discours termidorien
09:43 et de changer le nom.
09:44 À la place de Robespierre, de mettre les termidoriens.
09:47 Le discours de l'époque s'articule au fond autour de deux lignes.
09:51 C'est pas vrai et c'est pas grave.
09:54 Alors les deux lignes sont contradictoires,
09:55 parce que si c'est pas grave, ça veut dire que c'est quand même un petit peu vrai.
09:58 Mais les gens de l'époque n'ont pas du tout ce sens de la cohérence.
10:04 Et puis en plus, il faut reconnaître qu'il y a, comment dirais-je,
10:07 que ça part un petit peu dans tous les sens,
10:08 et que c'est un petit peu, sauf qui peut généraliser.
10:10 Ce qui fait qu'on a toute une suite de lignes de défense,
10:14 qui sont d'ailleurs aussi celles de Carrier.
10:16 Carrier prétendra, le crime qu'on lui reproche,
10:18 "Ah mais je ne savais pas, ce sont mes sous-ordres qui l'ont fait dans mon dos,
10:22 d'ailleurs on n'en a pas tué tant que ça."
10:25 Enfin, il niera par exemple les noyades,
10:28 alors qu'au moment où elles avaient lieu,
10:31 on en parlait, y compris dans la Gazette de France,
10:35 le moniteur universel,
10:36 qui était pratiquement un journal audio-visuel de l'époque,
10:38 et on publiait les lettres de Carrier qui s'en vantaient.
10:40 Après le 9 Termidor, tout ça est tabou.
10:43 Il faut absolument mettre tout ça sous le tapis,
10:45 et c'est le discours d'après le 9 Termidor que j'essaye aussi d'analyser.
10:51 – Alors, je lis "Histoire politique des communes internationales",
10:54 tome 1, c'est-à-dire qu'il y a un tome 2,
10:57 qui lui est intitulé "Papiers et rapports".
11:01 Qu'est-ce qu'il contient ce tome 2 ?
11:02 – Alors, "Papiers et rapports",
11:04 ce qu'on appelle les papiers en termes d'archives,
11:07 ce sont les documents qui sont produits au fil de l'eau,
11:10 au jour le jour.
11:11 Et donc la première partie du livre, la moitié,
11:16 ce sont les correspondances échangées entre Thurot et Carnot,
11:20 entre Carrier et les autres représentants en munitions,
11:23 Ensgaro, Franck Castel, pour l'essentiel,
11:25 et le comité de salut public,
11:27 dans lesquels Thurot explique à Carnot,
11:31 et lui demande ce qu'il va faire, et lui demande ce qu'il faut faire,
11:34 et les représentants en munitions,
11:36 qui sont au fond des commissaires politiques,
11:38 qui sont des membres de la Convention,
11:40 que la Convention mandate pour surveiller les généraux
11:43 et vérifier qu'ils font bien ce qu'on leur a demandé.
11:46 Donc ces gens-là écrivent,
11:48 ils doivent d'ailleurs faire des rapports tous les 10 jours,
11:50 ces rapports ont pour une partie disparu,
11:53 mais il en reste énormément,
11:54 et donc cette correspondance,
11:56 ce sont donc les papiers au jour le jour,
11:58 où là, pour le coup, tout est bien décrit,
12:00 donc le comité de salut public savait pertinemment ce qui se passait,
12:03 et non seulement ne le désapprouve pas,
12:06 mais au contraire, encourage à ce que ça continue.
12:10 Les rapports, n'est-ce pas, c'est ce qu'on fait après.
12:13 Alors le rapport administratif est un genre littéraire assez particulier,
12:19 Talleyrand disait que Dieu avait doté l'homme de la parole
12:22 pour lui permettre de dissimuler sa pensée,
12:24 et on pourrait presque dire, par contre,
12:27 Thalleyrand a doté l'administration du rapport
12:29 pour lui permettre de dissimuler ce qu'elle a fait.
12:32 En tout cas, le rapport, c'est toujours un plaidoyer,
12:35 que ce soit un rapport pour dire voilà ce qu'on a fait,
12:38 ou voilà ce qu'on veut faire,
12:40 un rapport donc rétrospectif ou prospectif,
12:42 il s'agit toujours d'un plaidoyer,
12:44 d'expliquer que ce qu'on a fait est très bien,
12:46 que ce que l'on va faire est très bien.
12:47 Donc c'est toujours une réécriture,
12:49 quand c'est un rapport rétrospectif,
12:51 c'est toujours une réécriture de l'histoire.
12:53 Et c'est donc tout à fait intéressant d'analyser les rapports,
12:57 les rapports après le 9 Termidor,
12:59 les rapports notamment à la Convention,
13:01 puisque la Convention est obligée de poser des questions,
13:04 les représentants en mission font des rapports
13:06 et essaient d'expliquer que,
13:08 "Euh non, nous n'avons vu,
13:10 Anne Caro et Franck Astel disent,
13:12 nous n'avons vu tuer personne."
13:14 Ce qui est absolument remarquable,
13:16 il y a 40 000 morts, ils n'ont pas vu un seul.
13:18 On pourrait dire, plus c'est gros et plus ça passe,
13:21 mais ça c'est, dans le domaine du mensonge politique,
13:24 c'est des parts propres à la période 93-94.
13:28 – Et alors, où se trouvent justement tous ces fameux rapports,
13:31 toutes ces lettres, on les trouve où ?
13:33 – L'essentiel avait été publié au 19ème siècle,
13:36 mais de manière extrêmement dispersée.
13:38 C'est-à-dire qu'il y a eu un grand recueil,
13:41 qu'on appelle le recueil d'aulard,
13:43 parce que Alphonse Aulard l'avait lancé,
13:45 28 volumes de chacun 1 000 pages,
13:47 "in folio", donc vraiment un très très gros travail,
13:50 mais qui publiaient l'intégralité des actes du Comité de salut public
13:54 et de la correspondance des représentants en mission avec le Comité.
13:58 Il y en a, donc grosso modo 30 000 pages au total.
14:02 Et il fallait extraire de ces 30 000 pages,
14:05 ce qui concerne la Vendée.
14:08 Fort heureusement, tout ça est à présent sur le site de la Bibliothèque nationale,
14:13 parce que tout ça a été publié pour l'essentiel entre 1890 et 1920,
14:18 donc ces livres-là ne se trouvent plus dans le commerce.
14:20 Donc il a fallu les peigner et extraire les textes les plus importants,
14:25 uniquement ceux relatifs à la Vendée, ça fait tout de même 300 pages.
14:29 – Alors j'imagine qu'éplucher toutes ces sources,
14:32 les analyser nécessite des compétences particulières.
14:35 Alors je rappelle que vous êtes ÉNARC, aux fonctionnaires de l'État,
14:40 donc à un niveau élevé, donc est-ce que votre expérience professionnelle
14:43 vous a servi pour analyser ces documents ?
14:46 – Oui, c'est très intéressant pour un administrateur de l'État,
14:50 puisque vous savez que c'est maintenant le titre
14:52 que portent les anciens élèves de l'ÉNARC,
14:54 depuis qu'on a supprimé l'école.
14:56 Donc c'est très intéressant pour un administrateur de l'État
15:00 de voir une machine génocidaire se mettre en route,
15:04 mais j'allais dire les mains dans le cambouis.
15:07 C'est-à-dire qu'en fait les textes les plus terribles
15:10 ne sont pas forcément les grandes proclamations
15:12 qu'on fait à la tribune de la Convention.
15:14 Je cite par exemple un arrêté d'un des représentants en mission,
15:18 qui est Laplanche, qui est un arrêté absolument banal
15:21 de réquisition des charrettes.
15:23 Pourquoi est-ce qu'on réquisitionne les charrettes ?
15:25 Parce qu'il faut absolument retirer de Vendée
15:28 tout ce qu'on pourra trouver comme blé, comme subsistance,
15:32 tous les bestiaux.
15:33 On le fait pour deux raisons.
15:34 La première, c'est qu'on veut provoquer une famine en Vendée
15:37 qui participera à l'extermination de la population.
15:39 Et l'autre, c'est qu'il faut approvisionner Paris,
15:41 qui d'ailleurs, même avant la Révolution,
15:44 s'approvisionnait beaucoup, notamment en beu du Poitou,
15:48 de cette région-là.
15:49 Et donc il faut des charrettes pour enlever tout ça.
15:51 Et l'arrêté, en deux mots, je le cite de mémoire,
15:56 "Citoyens, douze colonnes formidables de républicains
16:00 vont balayer la Vendée et, je cite,
16:02 en exterminer les infâmes habitants
16:04 pour en retirer les subsistances,
16:06 et c'est par vos charrettes qu'elles doivent nous être apportées."
16:08 Voilà pourquoi on réquisitionne vos charrettes.
16:09 Donc c'est au détour d'un arrêté de réquisition des charrettes
16:11 qu'on vous dit que les douze colonnes
16:13 ont pour mission d'exterminer les infâmes habitants de la Vendée.
16:17 J'en touche en parlant,
16:19 mais c'est quand même extraordinaire
16:21 qu'un arrêté de réquisition des charrettes
16:23 soit un des textes les plus clairs sur la mission des colonnes infernales.
16:26 Parce que pour le reste,
16:28 les instructions du général Thurot n'existent plus.
16:32 Une des difficultés du travail,
16:34 c'est qu'une grande partie des archives a été purgée,
16:37 et très vraisemblablement par Carnot,
16:39 parce que Carnot, après le Neuf-Terminor,
16:41 a intérêt à cacher son rôle dans cette affaire.
16:43 On a fait un procès à Thurot.
16:45 On lui a fait un procès en 1795,
16:48 et on l'a acquitté parce qu'il avait obéi aux ordres.
16:51 Et donc, il y avait des ordres.
16:54 Et en 1797, n'est-ce pas,
16:56 le ministre de la Guerre, Thurot, demande à nouveau un poste.
17:00 Il a été acquitté en 95,
17:02 mais enfin, il n'était quand même pas en dehors de sainteté en 97.
17:05 Il demande un nouveau poste, le ministre de la Guerre dit "oui, quand même, on lui a fait un procès".
17:08 Il demande au ministre de la Justice "Est-ce que vous pouvez me passer le procès ?
17:11 Le dossier Thurot, que je vois s'il y a quelque chose dedans qui m'empêche de lui donner un poste."
17:15 Le ministre de la Justice, qui est Merlin Doué, lui répond
17:20 "Le dossier est vide. Il y a juste la sentence d'acquittement.
17:23 Les pièces ont disparu."
17:25 On sait ce qu'il y avait dans ce dossier,
17:27 parce que l'administration française, là encore,
17:29 est, comme on dirait, une chose très sérieuse, même à l'époque.
17:32 Et donc, il y avait un plumitif qui avait fait la liste,
17:35 ce qu'on appelle le bordereau, des pièces que contenait le dossier.
17:38 Et donc, on sait que ces instructions existaient,
17:40 et qu'un certain nombre de pièces existaient.
17:42 Et on sait aussi qu'on ne les a plus.
17:44 Donc, là aussi, l'administration, normalement, ne perd rien.
17:47 Notamment, pas les papiers.
17:49 Le gouvernement peut tomber, les papiers, normalement, restent.
17:53 Ce qui est très, très ennuyeux, c'est qu'il y a, comme ça, des vides dans les archives,
17:58 et qu'à chaque fois qu'on a une pièce dont on se dit "Ah, ça, ça va être intéressant",
18:03 on va chercher, et la pièce a disparu.
18:06 Même dans la correspondance des représentants en mission,
18:09 il y a des pièces dont on sent qu'elles devaient être, je vais dire, croustillantes, je veux dire horribles.
18:13 Donc, les représentants écrivent une lettre, et c'est en pièces jointes.
18:17 Et à ce moment-là, dans le recueil d'hôlards, on a la lettre,
18:21 et en bas, une autre infrapaginale, cette pièce manque.
18:24 Et c'est presque systématique.
18:25 Ceci dit, avec ce qu'il reste, y compris d'ailleurs les petites choses,
18:29 comme cet arrêté de réquisition des charrettes,
18:31 il y a quand même énormément de...
18:33 ça fait un nuage de points,
18:35 et il suffit, en quelque sorte, enfin, il suffit, il faut,
18:38 relier les points, vous savez, comme dans les jeux de nos enfants, de notre enfance,
18:41 pour faire apparaître les contours de l'opération génocidaire.
18:45 - Est-ce que vous avez, justement, à l'étude de ces papiers et de ces rapports,
18:49 je vais dire, différents niveaux de langage ?
18:51 Est-ce que le politique, lui, veut se couvrir ?
18:54 Le militaire, également, veut se couvrir, donc, demande des instructions,
18:56 qui ne sont pas toujours très claires.
18:58 Quel est le langage, j'en propose ?
19:00 - Alors, ça aussi, c'est une chose qu'on apprend dans l'administration.
19:03 On n'écrit pas à ses supérieurs de la même manière qu'à ses subordonnés.
19:07 Les supérieurs, d'ailleurs, s'expriment, d'une manière, généralement,
19:11 beaucoup plus large, beaucoup plus emphatique, beaucoup plus politique.
19:15 Donc, au niveau national, à la Convention,
19:17 les Vendéens sont des brigands ou des rebelles.
19:21 Ce sont des mots qui sont uniquement politiques,
19:24 qui ne veulent rien dire.
19:26 Rebelles, alors, c'est assez, comment dirais-je, savoureux,
19:30 de la part d'un gouvernement révolutionnaire,
19:33 qui s'est lui-même installé par une insurrection,
19:36 celle du 10 août 1992,
19:38 qui a renversé, non seulement, Louis XVI,
19:40 mais également l'Assemblée législative,
19:42 qui avait été élue juste un an avant.
19:44 Et la Convention a été élue dans le climat de terreur
19:47 qui suit les massacres de septembre,
19:49 avec 90% d'abstention.
19:51 Donc, c'est certainement pas un scrutin
19:54 qui, aujourd'hui, passerait la rampe des critères du scrutin démocratique,
19:58 puisqu'il y a des critères du scrutin démocratique.
20:00 90% d'abstention, un climat de terreur,
20:02 ce n'est pas un scrutin démocratique.
20:04 Donc, il y a, au niveau politique national,
20:07 on parle des rebelles, ou bien des brigands.
20:09 Alors, les brigands, normalement, c'est des voleurs de grands chemins.
20:12 Évidemment, c'est uniquement stigmatisant.
20:14 Il s'agit de ramener les Vendéens à une espèce de criminalité de droit commun,
20:18 de manière à nier qu'il y ait une substance politique
20:21 à leur soulèvement, ou une substance religieuse.
20:24 Parce qu'une partie du peuple qui se soulève contre la Révolution,
20:28 c'est un abominable blasphème.
20:30 C'est-à-dire qu'à Lyon, des bourgeois soyeux, des gens riches,
20:34 se soient soulevés contre la Révolution, ça peut s'expliquer.
20:37 Ce sont des riches, donc ce sont des méchants.
20:39 Mais là, on a bien conscience que c'est le peuple
20:42 qui s'est massivement soulevé contre la Révolution.
20:45 Il faut que ces gens soient absolument dégénérés
20:47 et abrutis par des siècles de domination cléry-calo-nobilière,
20:50 raison pour laquelle il faudra les exterminer tous.
20:52 Donc, au niveau national, rebelles ou brigands.
20:55 Mais, évidemment, quand on descend vers les échelons d'exécution,
20:57 on est obligé d'être un petit peu plus précis.
20:59 Donc, au niveau des représentants en mission,
21:04 qui sont au niveau intermédiaire,
21:06 donc ces membres de la Convention envoyés auprès des généraux,
21:08 on va parler des habitants ou de la population.
21:12 Ce qui est encore un terme très général,
21:14 mais enfin, on voit quand même déjà plus de quoi on parle.
21:16 Quand cet arrêté de réquisition des charrettes
21:18 dit "exterminer les infâmes habitants",
21:20 à la limite, le soldat pourrait se poser la question.
21:22 Les habitants, vous voulez dire tous les habitants ?
21:24 Eh bien, il suffit de descendre un niveau dans la hiérarchie
21:27 et là, de voir les ordres militaires.
21:30 Parce que les militaires sont des gens disciplinés,
21:33 qui font ce qu'on leur dit, mais il faut que l'ordre soit clair.
21:35 Et là, un grignon dira, lance cet ordre à sa colonne
21:41 au moment où elle part en Vendée,
21:43 "Mes camarades, nous entrons dans le pays insurgé,
21:46 il y a peut-être quelques patriotes,
21:48 c'est égal, nous devons tout sacrifier."
21:50 Bon, là, c'est quand même assez clair.
21:52 Et des ordres portent le général Thurot,
21:54 ordonnant à tel ou à tel général,
21:57 "Le général massacrera tout ce qu'il rencontrera."
22:00 Et puis, plus on descend dans la hiérarchie,
22:03 et plus c'est précis, n'est-ce pas ?
22:05 Au niveau du capitaine Gouin-Martinière,
22:07 son ordre, c'est "On va aller dans tel village,
22:09 quand on en sera sortis, je ne veux pas qu'il soit resté
22:11 un chien pour aboyer."
22:13 Donc là, on est vraiment dans la chose la plus précise.
22:22 Vous aviez une scène comme ça dans un fameux film policier,
22:26 je crois que c'est "L'assassin habite au 21",
22:28 dans lequel le ministre ordonne au directeur de la police
22:30 de trouver le coupable.
22:32 Vous avez un mois, le directeur de la police
22:34 téléphone au commissaire, vous avez 15 jours,
22:36 le commissaire téléphone au policier,
22:38 vous avez une semaine, n'est-ce pas ?
22:40 Plus on descend, et plus c'est précis, rigoureux et exigeant.
22:45 – Alors, techniquement parlant,
22:47 comment ont procédé ces fameuses colonnes infirmales ?
22:51 – Alors, c'est une des choses qui est intéressante,
22:53 c'est que le plan de Thurot n'est pas d'une grande originalité.
22:57 En fait, Thurot a déjà servi en Vendée,
23:00 plutôt à l'été, entre juillet et septembre,
23:04 on l'avait envoyé ailleurs, à l'arbet des Pyrénées,
23:06 mais il avait servi en Vendée avant,
23:08 où il avait été l'adjoint de Ronssein,
23:10 Ronssein qui était lui-même, il était à la fois général
23:13 et numéro 2 du ministère de la guerre,
23:15 il se faisait appeler le général ministre.
23:17 En fait, dès le début du soulèvement,
23:19 on a compris à Paris que le soulèvement est populaire,
23:22 enfin, dès l'échec des premières gardes nationales
23:25 qu'on a envoyées, qui se sont fait écraser,
23:27 et là, on s'est dit, c'est toute la population qui est soulevée,
23:30 et donc, l'objectif militaire, c'est la population.
23:33 Ce qui fait que tous les plans,
23:35 et ça, les historiens militaires sont unanimes là-dessus,
23:38 développent ce qu'ils appellent des stratégies concentriques.
23:41 C'est-à-dire, on boucle le périmètre de la région insurgée,
23:45 et ensuite, on resserre de manière à étrangler le soulèvement.
23:53 Le plan de Thurot, Thurot évoque un moment,
23:57 un plan qu'il avait fait avant même d'être nommé général de l'Armée de l'Ouest.
24:02 Et on peut se demander de quoi il s'agissait, en fait,
24:04 il s'agissait très certainement du plan qu'il avait dû préparer
24:07 pour le général Ronssein.
24:09 C'est à peu près la stratégie concentrique,
24:12 avec quand même une différence.
24:14 C'est qu'on boucle tout le pays insurgé avec une série de garnisons,
24:19 et ensuite, on procède, non pas en resserrant le cercle,
24:21 mais par ratissage.
24:23 C'est-à-dire que sur une ligne, grosso modo,
24:26 sur un axe Angers-Bressuir,
24:28 donc à l'ouest du pays, à l'est du pays insurgé,
24:32 on va placer 12 colonnes qui vont avancer en râteau vers la côte,
24:36 ou attendent 8 autres colonnes, commandées par le général Axo,
24:41 qui défendent la côte, parce qu'il ne faudrait pas
24:43 que les Vendéens arrivent à prendre la côte,
24:46 ils pourraient peut-être recevoir des secours des Anglais,
24:48 et donc, ça va faire comme le râteau et le mur
24:52 face à la côte Atlantique, dessinés en quelque sorte d'une mâchoire,
24:56 et on doit massacrer tout ce qu'il y a entre les deux.
25:00 Ce qui est intéressant, c'est que ce plan de Thuraud
25:02 est le premier plan qui a été fait par un militaire lui-même,
25:05 parce que tous les autres plans,
25:07 c'est le sixième plan contre la Vendée,
25:09 tous les autres avaient d'abord été élaborés
25:11 au sein du comité de salut public, et imposés aux généraux.
25:14 Là, c'est Thuraud qui prépare un plan,
25:16 et qui le propose au comité,
25:18 mais il ne le propose pas n'importe comment.
25:20 En fait, on sait, il a été nommé le 27 novembre 1993,
25:24 et il ne prend son commandement que le 26 décembre,
25:28 après la bataille de Savenay.
25:30 Qu'a-t-il fait pendant ce mois ?
25:32 Et donc, c'est une des recherches que j'ai faite,
25:35 en fait, il est passé à Paris, ça on le sait,
25:38 il n'a pas vu le ministre de la guerre qui s'en plaint,
25:41 il a forcément vu quelqu'un,
25:43 on vient lui donner 40 régiments,
25:45 il fallait bien qu'il prenne des instructions.
25:47 En fait, il a vu Carnot, ça on le sait,
25:49 parce qu'il y a une correspondance de Carnot,
25:51 qui ne se comprend pas si Carnot et Thuraud
25:53 ne se sont pas parlé avant.
25:55 Et donc, en fait, il en a parlé avec Carnot,
25:58 avant de faire son plan,
26:00 plan qui a lui-même disparu.
26:03 On en a juste un résumé,
26:05 parce que là aussi, l'administration française est bien faite,
26:09 à l'époque, on n'a pas de photocopieuse,
26:11 donc, quand on fait une correspondance,
26:14 ou bien, oui, on a des employés aux écritures qui la recopient,
26:17 ou bien, on en fait ce qu'on appelle des analyses,
26:19 c'est-à-dire des résumés.
26:20 Donc, on a le résumé du plan de Thuraud,
26:23 qui dit qu'il a bien l'intention de balayer le pays
26:26 par 12 colonnes agissantes,
26:28 mais on ne rentre pas dans les détails.
26:30 Or, ce plan a existé, ça, il est certain qu'il a existé.
26:33 Pourquoi est-ce qu'on ne le trouve pas ?
26:35 Là aussi, il y a un certain silence des archives qui pèse très lourd.
26:39 - Donc, 12 colonnes, combien d'hommes par... ?
26:42 - Alors, combien d'hommes ?
26:44 Entre 1000 et 1200.
26:46 Alors, parfois, un peu moins,
26:48 il y a des colonnes à 8-900,
26:50 il paraît qu'il y a eu une ou deux colonnes à 1500.
26:53 Mais, je dirais que c'est relativement plus important,
26:57 l'important, c'est le total du personnel des colonnes,
27:00 ça ne peut pas excéder 15 000 personnes,
27:02 on pense généralement 12 000,
27:04 c'est pour ça qu'on dit 12 colonnes,
27:06 et 1000 par colonne en chiffreront.
27:08 Ce qu'il faut voir, c'est que c'est très insuffisant
27:11 pour la mission Catturo,
27:13 parce que son râteau fait 20 lieues,
27:15 c'est-à-dire 80 km.
27:17 Or, il ne peut pas avec...
27:19 - 80 km ?
27:21 - Du haut en bas, du haut, du haut, du haut...
27:23 - Et en largeur ?
27:25 - Alors, en largeur, il devrait procéder normalement en double rideau,
27:28 ce que les militaires appellent le double rideau,
27:30 c'est la première ligne qui avance,
27:32 mais il en faut une deuxième derrière,
27:34 parce que peut-être que l'ennemi va se concentrer sur un point de la ligne,
27:38 la percer, dans ce cas-là,
27:40 il faut qu'il y ait une deuxième ligne pour arriver derrière
27:43 et porter secours à la première,
27:45 ou arrêter ceux qui auraient passé.
27:47 Donc, en fait, il n'a même pas 12 000 hommes sur une ligne,
27:51 ce qui serait déjà très peu pour 80 km.
27:54 Et surtout, si encore, ça fait 80 km de plaine,
27:57 mais c'est 80 km d'appelés de bocage
28:00 dans lequel la visibilité est souvent inférieure à 50 m.
28:03 - Donc, ils sont sur des petites routes, des chemins creux ?
28:05 - Ils sont sur des petites routes, des chemins creux.
28:07 D'ailleurs, Thurot voit bien que ça ne marche pas.
28:10 Dans ses correspondances, il dit...
28:12 Normalement, son affaire devait durer 10 jours.
28:15 Au bout de 4 mois, il n'aura pas fini.
28:18 Pourquoi ? Parce que les Vendéens, on est dans le pays de bocage,
28:22 ils connaissent les chemins creux,
28:24 donc ils réussissent à s'infiltrer entre ces colonnes,
28:26 parfois même à les prendre à revers,
28:28 donc c'est extrêmement compliqué.
28:29 En fait, la seule chose que Thurot...
28:31 J'allais dire que Thurot a un peigne dont les dents sont beaucoup trop larges.
28:34 Autrement dit, la seule chose qui l'accroche,
28:36 c'est les nœuds dans les cheveux, en quelque sorte.
28:38 Et les nœuds dans les cheveux, c'est quoi ? C'est les villages.
28:40 Quand on lit l'histoire militaire des colonnes infernales,
28:43 en fait, on a une liste de villages massacrés,
28:46 parce que les combattants savent se cacher dans les forêts.
28:50 Les seuls qui ne peuvent pas se cacher, c'est les gens dans les villages.
28:53 Et malheureusement, très souvent d'ailleurs, les républicains,
28:56 parce qu'eux ne s'attendent pas à ce qu'on les massacre.
28:58 Ce qui fait qu'ils sont très souvent aux premières loges
29:01 quand il y a un massacre.
29:03 Et l'histoire des colonnes infernales,
29:05 c'est en fait la liste de nombre de villages que l'on a massacrés.
29:09 C'est pour ça qu'il y a autant de morts,
29:10 et surtout autant de morts civiles.
29:12 – Alors je reviens d'ailleurs à la question que je me posais,
29:15 c'est colonne infernale.
29:16 Le terme infernal est venu quand ?
29:18 – Ah non, le terme infernal vient des armées de la convention elle-même.
29:23 – D'accord, c'est vraiment contemporain.
29:25 – Ah c'est contemporain.
29:26 D'ailleurs, il y a une colonne qui est appelée infernale dès le début,
29:30 c'est la colonne de Duquesnoy, qui vient de l'armée du Nord
29:33 et qui vient renforcer l'armée de l'Ouest.
29:35 Le citoyen duquesnoy va arriver avec une colonne infernale.
29:39 Thurot, lui, parle plutôt de colonnes agissantes.
29:42 On est toujours dans le registre de l'euphémisme.
29:45 – On est vraiment dans l'élément de langage.
29:47 – Mais bon, le terme colonnes infernales est contemporain
29:51 et c'est celui que l'histoire retiendra.
29:54 – Et politiquement parlant, est-ce qu'on peut réellement parler de projet ?
29:58 – Alors dès lors qu'il y a eu un plan qui a été…
30:02 – Parce que Thurot propose son plan,
30:04 il est accepté par le comité et la convention,
30:07 mais est-ce que derrière il y a un projet, vraiment un projet politique ?
30:10 – Oui, et c'est une chose que j'ai découvert en écrivant ce livre
30:13 dont je ne m'étais pas rendu compte avant.
30:15 René El Seychère qui, le premier, avait travaillé
30:17 sur cette question du génocide franco-français,
30:20 c'était le sous-titre de sa thèse qu'il avait passée avec Pierre Chonu, Jean Tullard,
30:26 avait dit une chose et qu'il avait développée ensuite
30:30 dans un autre ouvrage sur le mémoricide.
30:33 Il disait "au fond, il y a eu la virée de Galerne",
30:36 alors je ne vais pas rentrer dans le détail,
30:37 mais c'est une autre expédition qui se situe entre octobre et décembre 1993.
30:41 Grosso modo, 50, 60 000 Vendéens avaient franchi la Loire
30:44 pour remonter vers le Nord, là ils s'étaient retrouvés en pays de plaine
30:47 et ils n'étaient plus chez eux en plus,
30:49 ce qui a fait que les armées républicaines avaient pu relativement facilement
30:53 les encercler, les massacrer, et puis en plus ils étaient perdus de dysenterie,
30:58 ils ne pouvaient pas renouveler leurs approvisionnements,
31:00 donc ça avait été terrible.
31:02 Sur les 50, 60 000 qui avaient franchi la Loire,
31:04 on pense qu'il y en a à peu près 5 000 qui ont survécu,
31:07 donc celle-là aussi ça a été de l'ordre de 40 000, voire plus, morts.
31:11 Et ce que se dit le comité de salut public,
31:14 et ça pour le coup je l'ai découvert à l'occasion de cet ouvrage-là,
31:17 c'est qu'ils ont une rhétorique "la Vendée ancienne et la Vendée nouvelle".
31:21 Alors la Vendée nouvelle c'est la virée de Galerne.
31:23 Il dit "maintenant qu'on a exterminé la Vendée nouvelle,
31:25 il faut faire la même chose dans la Vendée ancienne".
31:28 Ce qui veut dire qu'il y a bien un projet politique.
31:32 Ça a marché au Nord de la Loire,
31:34 on a réussi à les encercler, à les massacrer tous,
31:36 il faut faire la même chose au Sud.
31:38 - C'est un projet politique qui précède le plan de Thuraud ?
31:40 C'est-à-dire qu'on demande à Thuraud un plan ou c'est lui de sa propre initiative ?
31:44 - Alors, Thuraud avait préparé ce plan vraisemblablement en juin-juillet,
31:50 alors qu'il était l'adjoint de Roncin.
31:52 Roncin espérait être nommé général en chef de l'armée de l'Ouest
31:56 et finalement il sera envoyé à Lyon.
31:58 Et puis finalement, non seulement il n'aura pas l'armée de l'Ouest,
32:01 mais il va guillotiner avec les Hébertistes au début de 1794.
32:07 Thuraud avait préparé ce plan selon les idées du ministère de la guerre,
32:12 puisque Roncin était le numéro 2 du ministère de la guerre.
32:14 Or, les idées du ministère de la guerre,
32:16 qui sont celles du comité de salut public, n'ont pas changé.
32:19 Il s'agit bien de massacrer toute la population.
32:21 Simplement, jusque-là, le comité de salut public faisait faire le plan,
32:25 en quelque sorte, à Paris et le faisait exécuter ensuite par les généraux.
32:28 Là, c'est un peu l'inverse.
32:30 Thuraud, qui a une expérience de la Vendée, sait ce que veut le comité de salut public,
32:34 il a déjà la moitié d'un plan prêt,
32:36 il s'assure simplement à Paris que son plan est bon,
32:38 mais ça revient exactement au même.
32:40 De toute façon, encore une fois, aucun gouvernement, même révolutionnaire,
32:44 ne donne 40 régiments à un général
32:46 sans lui demander au moins comment il compte procéder.
32:50 Donc, qu'il y ait eu un plan approuvé au plus haut niveau
32:53 est une nécessité, j'allais dire, une nécessité politique.
32:57 Et les armées révolutionnaires sont contrôlées de manière extrêmement stricte.
33:01 Quand un général ne fait pas ce qu'on lui dit,
33:03 il est envoyé à la guillotine.
33:05 Il y a eu une cinquantaine de généraux des armées de la Convention
33:08 qui ont fini comme ça.
33:10 Et il y en a au moins 4 ou 5 en Vendée
33:12 qui ont été guillotinés, comme Quecino, comme Biron,
33:17 qui sont passés à l'échafaud,
33:20 parce qu'on ne sait pas qu'ils n'avaient pas fait ce qu'on leur avait dit,
33:24 c'est qu'ils n'avaient pas réussi.
33:26 Donc, un général qui n'est pas vainqueur, c'est un traître.
33:30 Donc, ils sont très contrôlés par les fameux représentants en mission ?
33:32 Absolument, les représentants.
33:34 C'est-à-dire des commissaires politiques ?
33:36 C'est vraiment la comparaison qui vient à l'esprit.
33:39 Les représentants en mission sont donc des membres de la Convention,
33:42 des députés, qui sont sélectionnés par le Comité de Salut Public,
33:49 et ensuite investis par la Convention de pouvoirs illimités.
33:53 C'est comme ça qu'est rédigé leur arrêté.
33:57 De pouvoirs illimités, ils ont la totalité des pouvoirs de la Convention.
34:00 Leurs arrêtés ont force de loi.
34:03 La seule chose qu'ils doivent faire, c'est, dès qu'ils en prennent un,
34:06 ils doivent l'envoyer à Paris, de manière à ce que le Comité vérifie
34:08 que ça correspond bien à ses intentions,
34:10 et si ça ne correspond pas, il peut annuler l'arrêté des représentants.
34:16 En Vendée, ça n'arrivera pas.
34:18 Ça arrivera dans d'autres régions, mais pas en Vendée.
34:20 Donc, le fameux arrêté de la planche sur la réquisition des charrettes
34:26 et l'extermination des habitants, c'est un arrêté qui a été connu du Salut Public,
34:29 et le Comité de Salut Public n'a rien dit.
34:31 Au contraire, il a approuvé.
34:34 Donc, c'est la chaîne de commandement, Comité de Salut Public,
34:38 représentants en mission, généraux, puis ensuite non-généraux.
34:41 - Et on sait quels sont les rapports entre ces représentants en mission et les militaires ?
34:44 Est-ce que c'est tendu ?
34:46 Est-ce qu'il y a un principe de réalité d'un côté, et de l'autre côté, la volonté politique ?
34:50 - Oui, c'est parfois très tendu.
34:52 L'un des textes que je cite est une lettre de Hens-Garrofranc Castel,
34:58 qui, je crois que c'est uniquement à Hens-Garrofranc Castel,
35:02 qui dit à Thurot, "écoute, tu n'as pas d'autre solution que de nous dire que d'ici 8 jours, tu as terminé,
35:12 parce que sinon, je cite, tu t'exposes à une responsabilité terrible dont tu peux prévoir les suites."
35:19 Bon, en langage clair, ça veut dire, c'est ça la guillotine.
35:22 Et ils envoient la copie de leur lettre, c'est pour ça qu'on l'a, au comité de salut public, en disant,
35:29 "nous pensons que notre stimulant aura son effet."
35:33 Donc ça fait un petit peu froid dans le dos, mais on comprend que Thurot n'y soit pas allé avec le dos de la cuillère.
35:38 Mais Carrier lui-même n'est pas très rassuré.
35:41 À un moment, il massacre tout le monde, on lui pose la question, il dit,
35:44 "mais voulez-vous que je me fasse guillotiner ? Il n'est pas dans mon pouvoir de sauver ces gens-là."
35:48 Donc, il y a une logique qu'on retrouvera tout à fait à l'époque stalinienne,
35:53 dans laquelle, à l'époque stalinienne, il y avait aussi des plans et même des quotas.
35:57 Des quotas de gens à fusiller, on estimait qu'il y avait tant de traîtres,
36:00 et évidemment, chaque échelon voulait dépasser le plan, de manière à prouver qu'il avait fait preuve de zèle.
36:06 C'est comme ça qu'on a massacré des millions de personnes.
36:09 Le système fonctionne à peu près comme ça, c'est un régime de terreur.
36:13 Alors justement, la présence de ces représentants d'ambition, de ces commissaires politiques,
36:16 prouve bien qu'il y a un plan politique derrière l'examination.
36:19 Absolument. D'autant plus qu'une partie des ordres a dû être donnée oralement.
36:24 On a des lettres, par exemple, dans lesquelles Carnot écrit à Thurot,
36:28 "pour le reste, nous t'envoyons Ens et Franck Castel qui te communiqueront les intentions du comité."
36:34 Donc, il y a un certain nombre de choses qui n'ont pas été dites.
36:38 Qu'il y ait eu des ordres secrets est une chose qui est connue,
36:41 ça a d'ailleurs été dit à la tribune de la Convention, même par Barrère, en 1993.
36:46 "Vous comprendrez qu'un certain nombre de nos dispositions doivent rester secrètes,
36:49 je vais vous dire celles qui peuvent être publiées."
36:51 Bon. De la même manière, on a des correspondances pour les premières noyades
36:56 entre Carrier et le comité.
37:00 Alors il faut lire véritablement entre les lignes.
37:04 Par exemple, il y a une chose qui est ce qui coûtera sa tête à Carrier d'ailleurs.
37:09 Il envoie 132 personnes de Nantes pour les faire juger à Paris.
37:14 Alors que Franck Castel, qui est à Angers, lui a également envoyé des gens à juger.
37:20 Et Carrier a écrit, "Bon, les personnes que m'a envoyé Franck Castel ont été expédiées,
37:25 qu'est-il arrivé aux 132 que j'ai envoyé, on ne m'en donne pas de nouvelles aussi positives."
37:30 Je cite, "Il espérait bien qu'en fait, Franck Castel les ferait exécuter."
37:36 Ce qui ne s'est pas fait. Ils sont arrivés à Paris, on les a oubliés dans une prison,
37:40 9 termidors, ils sortent de prison et à ce moment-là, ils accusent Carrier
37:44 et Carrier il laissera sa tête, comme quoi n'est-ce pas ?
37:48 Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas.
37:51 Le mot n'est pas de moi, il est de Jean-Paul Sartre.
37:53 Jean-Paul Sartre qui, à l'époque, justifiait les massacres des dictatures communistes,
37:57 mais c'est un autre sujet.
37:59 – Un autre sujet. Alors, vos travaux sur la Vendée,
38:02 je veux dire, ils sont assez indissociables de ceux de notre ami Reynald Seychère.
38:07 – Absolument.
38:08 – Quelles sont les différences, les ressemblances entre vos études ?
38:12 Lui est historien, vous êtes juriste, est-ce que ça donne un point de vue différent ?
38:17 – Oui, oui, parce que Reynald Seychère est historien,
38:21 et donc il utilise une méthode d'historien, c'est-à-dire la méthode comparatiste.
38:26 Quand il a parlé de génocide, il a pensé à ce qui s'était passé,
38:30 notamment avec les Arméniens et avec les Juifs,
38:33 parce qu'à l'époque où il écrit, ce sont les deux grands génocides qu'on connaît,
38:36 et ensuite il procède par comparatisme, n'est-ce pas ?
38:39 Si ça a un coup de canard avec des canards, des plumes de canards,
38:42 que ça se dandine et que ça fait coin-coin, c'est vraisemblablement un canard.
38:45 C'est une méthode que l'on peut trouver assez rustique,
38:48 mais qui est une méthode qui fonctionne.
38:50 Et c'est comme ça qu'il a sorti l'affaire du génocide, en quoi il a eu bien raison.
38:55 Moi, en tant que juriste, je suis obligé d'utiliser une autre batterie de critères.
39:02 C'est-à-dire que pour l'historien, ce qu'il faut, c'est qu'il tire une conclusion,
39:08 sa conclusion doit être conforme, doit rendre compte de l'ensemble des éléments du dossier.
39:12 L'ensemble des éléments du dossier doit être compatible avec.
39:15 Ça, c'est un standard de preuve que nous avons aussi en droit,
39:19 mais qui n'est pas suffisant.
39:22 Le droit va plus loin, parce qu'on condamne les gens éventuellement,
39:25 autrefois à mort, aujourd'hui, éventuellement à des peines de perpétuité.
39:28 En fait, nous, on a trois niveaux de preuve.
39:30 Le premier niveau de preuve, c'est qu'il y a des motifs raisonnables de croire
39:34 qu'un crime a été commis par un thème.
39:36 Dupont a été tué, il pourrait que ce soit Durand, il y a des motifs raisonnables de le croire.
39:41 Avec ça, tout ce qu'on peut faire, c'est ouvrir une enquête
39:44 et demander à la police judiciaire d'enquêter.
39:47 La police judiciaire enquête, va recueillir des éléments,
39:50 et on va arriver à un deuxième niveau de preuve.
39:53 Il y a des motifs sérieux de croire que Durand a tué Dupont.
39:59 Si c'est ça, s'il y a des motifs sérieux de croire, à ce moment-là,
40:02 on peut arrêter Durand, l'interroger, ordonner des perquisitions,
40:07 enfin, on peut prendre un certain nombre de mesures d'instruction.
40:10 Mais ça ne suffit toujours pas pour condamner Durand.
40:13 Pour y arriver, il faut un troisième niveau de preuve,
40:15 qui est prouver que Durand a fait le coup, au-delà de tout doute raisonnable.
40:21 C'est-à-dire que la seule hypothèse qui rende compte de tous les éléments du dossier,
40:26 c'est que Durand est bien celui qui a fait le coup.
40:29 C'est aussi pour ça que je n'étais pas totalement d'accord avec Reynald Seychère
40:35 dans mes deux promenades ouvrages, parce que Reynald Seychère démontrait
40:38 qu'il y avait des motifs raisonnables, même des motifs sérieux de croire que...
40:42 Alors, pour les colonnes infernales, là, pour le coup, il n'y avait pas photo, on était d'accord.
40:46 Pour la période d'avant, la période de la virée de Galerne,
40:49 je pensais, moi, qu'il n'allait pas au-delà du niveau de preuve,
40:52 il y a des motifs sérieux de croire.
40:54 Mais dès lors que l'on a ces documents que je ne connaissais pas,
40:56 que j'ai trouvés en faisant ce livre, sur vendée ancienne, vendée nouvelle,
41:00 parallélisme entre les deux, et on va faire la même chose,
41:03 ça veut dire que l'intention qui préside aux colonnes infernales
41:06 est la même qui a présidé à la virée de Galerne.
41:09 Et donc, je pense que l'intuition de René Alsechère était tout à fait juste.
41:13 Le génocide a en fait commencé avant les colonnes infernales.
41:17 Alors, je ne rentrais pas dans cet ouvrage-là,
41:19 parce que cet ouvrage est sur les colonnes infernales.
41:22 Je ne sais pas si j'en ferai un jour un sur la virée de Galerne,
41:25 mais je me rapproche beaucoup de sa thèse,
41:29 simplement, je suis obligé d'appliquer un niveau, un standard de preuve
41:34 qui est plus exigeant, pour moi, il me faut, au-delà du doute raisonnable,
41:38 et je pense qu'on y touche.
41:41 C'est certain pour les colonnes infernales,
41:43 je pense qu'on y touche pour la virée de Galerne.
41:46 C'est-à-dire qu'au regard, vous pouvez affirmer que c'est un génocide,
41:49 au regard également des génocides modernes.
41:52 Voilà, alors c'est-à-dire qu'une chose qu'on ne pouvait pas faire,
41:55 René Alsechère, c'est qu'il a écrit sa thèse en 1986.
41:58 Or, en 1986, on n'a pas encore eu les grands procès de génocide,
42:03 qui ont été les procès pour le Rwanda d'une part,
42:07 et pour l'ex-Yougoslavie d'autre part.
42:09 C'est à ce moment-là que l'on s'est posé la question de savoir
42:12 comment il fallait interpréter et appliquer la définition du crime de génocide
42:17 qui remontait à 1948, laquelle avait elle-même été élaborée
42:23 à partir de ce que l'on avait vu lors des procès de Nuremberg de 1945-1946
42:28 concernant les Juifs.
42:30 On avait donc une définition, vous savez, une définition en droit,
42:34 les faits sont toujours beaucoup plus complexes que les définitions.
42:38 Et donc, tout le problème en droit, c'est la jurisprudence qui doit les résoudre.
42:43 On a une définition, on a un fait,
42:45 comment est-ce qu'on fait rentrer le fait dans la définition
42:47 ou comment est-ce qu'on élargit la définition pour que le fait puisse y rentrer ?
42:51 Et ça, ça n'a été fait que dans les années 90,
42:53 à une époque, n'est-ce pas, postérieure au travail de Sessier.
42:58 Je vous donne juste un exemple.
43:00 La définition donnait génocide, la destruction d'un groupe humain,
43:08 national, racial, ethnique ou religieux, virgule, comme tel, point.
43:12 National, racial, ethnique ou religieux.
43:15 Les Vendéens ne sont ni une nation, ni une race,
43:19 ce n'est pas vraiment une ethnie, ça pourrait être plus un groupe religieux.
43:24 Mais par exemple, race, ce qu'on n'avait pas défini,
43:28 c'est que la race est une notion subjective,
43:31 car objectivement, les races humaines n'existent pas,
43:33 il n'existe qu'une race humaine.
43:35 Comment peut-on parler de race ?
43:38 En fait, les races existent, mais dans l'esprit des racistes.
43:40 Donc, il faut dire, à partir du moment où quelqu'un désigne un groupe
43:45 comme une race à détruire, à ce moment-là,
43:47 on rentre dans la logique du génocide.
43:49 Ce qui est en passant, ça s'applique absolument aux Vendéens.
43:52 Parce que ça, race infernale, race à exterminer jusqu'au dernier,
43:55 race maudite, race infâme, j'en fais de la liste,
43:59 c'était dans mon premier livre de Vendée,
44:02 93-94, une enquête juridique en 2017.
44:05 Le terme de race, et le terme de race à l'époque,
44:08 a exactement le sens qu'on lui prête aujourd'hui.
44:11 La seule différence, c'est qu'aujourd'hui, on définit la race
44:13 par rapport à un critère génétique, mais race désigne en fait
44:16 un groupe humain dans lequel on entre par descendance.
44:20 Ce sont les travaux de Buffon, juste avant la Révolution,
44:23 et de Cuvier, pendant la Révolution, puisque Cuvier
44:26 est le premier directeur du Jardin des Plantes,
44:28 qui est l'ancien Jardin du Roi, transformé en Jardin des Plantes
44:30 par la Révolution.
44:31 La race, c'est en fait, ce qu'on appelle une affaireuse,
44:36 ça vient de l'italien "generazione", "razza",
44:39 un peu comme on parle de la télé ou de la télévision,
44:42 ou du "phone", en anglais pour le téléphone,
44:44 on prend un bout du mot, "razza", c'est la génération.
44:47 Donc l'ensemble de la descendance d'un groupe.
44:50 Donc parler de la race des Vendéens, pour eux,
44:53 c'est extrêmement précis, en plus, on ne va pas rentrer
44:55 dans les détails, mais à l'époque, il y avait une espèce
44:57 de zoologie humaine qui commence à se faire,
45:01 et au 19ème siècle, on parlera des races,
45:03 alors là, quand en plus Darwin s'en sera mêlé,
45:05 là pour le coup, on parlera des races humaines,
45:08 avec toutes les conséquences que l'on connaît au 20ème siècle.
45:10 – Donc pour vous, ça va être le mot de la fin,
45:12 juriste, génocide, il n'y a pas photo.
45:16 – Non, c'était le travail de mon précédent ouvrage
45:20 "Génocide en Vendée" en 2020, sur la question,
45:24 pour le coup, véritablement juridique du génocide.
45:26 Celui-ci, c'est plus pour démontrer que ce génocide
45:29 correspond à un projet politique.
45:31 – Un projet politique.
45:32 – C'est-à-dire que c'est un approfondissement
45:34 de la thèse de mon précédent ouvrage,
45:36 un projet politique imputable au gouvernement révolutionnaire.
45:39 – Genocide, on en termine là, qui est toujours nié.
45:43 – Qui est toujours nié, la révolution française
45:46 est l'histoire sainte d'une certaine gauche radicale.
45:49 Même dire M. Mélenchon, on n'a que Robespierre à la bouche,
45:53 M. Corbière, l'un de ses acolytes, avait publié, je crois ça en 2012,
45:57 avec un historien d'ailleurs, ancien communiste,
46:01 un petit bouquin qui s'appelait "Robespierre revient".
46:04 Donc pour eux, évidemment, dire qu'il y a eu génocide
46:08 et dire que Robespierre est mouillé,
46:10 alors là c'est absolument scandaleux, c'est civilisationnettoir.
46:14 – Jacques Vudemain, merci infiniment.
46:16 Je renvoie à vos différents ouvrages,
46:19 et le dernier "Histoire politique des colonnes infernales"
46:22 et le tome 2 avec Inextenso, "Les papiers et les rapports".
46:26 Merci infiniment.
46:27 – Merci à vous.
46:28 – Avant de nous quitter, quelques idées de lecture,
46:31 de sortie ou de film à voir.
46:33 [Générique]
46:39 Des livres, tout d'abord deux albums parus chez Larousse,
46:43 l'un consacré aux plages du débarquement et à la bataille de Normandie,
46:47 l'autre aux principaux lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale.
46:50 Ces deux ouvrages, amis,
46:52 "Chemin entre le livre d'histoire et le guide touristique"
46:55 sont richement illustrés, de photos souvent inédites, de cartes,
47:00 et les textes sont rédigés par des historiens spécialistes
47:03 des deux conflits mondiaux.
47:05 Vous lirez également avec intérêt,
47:07 et c'est beaucoup plus intéressant que le film,
47:09 "Les mousquetaires du roi" de Julien Villemart,
47:12 paru chez Taliondier,
47:13 force armée à la disposition directe du souverain
47:17 pour combattre sur les champs de bataille,
47:19 mais aussi mener des missions politiques délicates,
47:21 escorter le roi ou encore former de futurs officiers,
47:24 "Les mousquetaires" suscitait à la fois crainte
47:27 et admiration de leurs contemporains.
47:29 Julien Villemart retrace leurs principaux combats,
47:32 mais également leur participation à des arrestations célèbres
47:35 ou à des répressions comme celle de la révolte des Farines.
47:38 Au travers de cette étude passionnante,
47:41 on entre dans les coulisses de la monarchie.
47:43 En découvrant les véritables aventures des mousquetaires du roi,
47:46 on comprend mieux pourquoi Alexandre Dumas
47:49 les a choisis pour en faire les héros de ses romans.
47:52 Autre héroïne et pas des moindres,
47:54 Jeanne d'Arc qui fait l'objet d'un docu-animation
47:57 diffusé sur France 2.
47:58 Une très bonne surprise du service public.
48:00 Intitulé "L'affaire Jeanne d'Arc",
48:02 ce film en animation 3D,
48:05 qui devrait en plus séduire le jeune public,
48:07 est une sorte de polard de policier médiéval bien ficelé
48:10 qui suit la véritable enquête de l'inquisiteur de France,
48:13 Jean Bréal, 25 ans après la mort sur le bûcher
48:16 de la pucette d'Orléans à Rouen en 1431.
48:19 L'intérêt principal de ce film est que le scénario
48:22 suit les minutes des procès de condamnation
48:25 et de réhabilitation de Jeanne d'Arc.
48:27 Et à noter que la conseillère historique de ce documentaire
48:30 est Valérie Tourey, que j'ai eu le plaisir de recevoir
48:33 sur ce plateau il y a quelques mois.
48:35 Le film est visible sur la plateforme de rediffusion de France 2.
48:39 Et enfin, une exposition assez étonnante
48:42 à laquelle nous convient le Musée de l'Homme à Paris.
48:45 Il s'agit de présenter aux visiteurs,
48:47 non pas des artefacts préhistoriques,
48:49 mais les relevés des peintures rupestres et pariétales
48:53 effectuées par les scientifiques tout au long du XXe siècle.
48:56 Ces relevés, restés cachés depuis des décennies
48:59 dans les réserves de Chaillot, étaient réalisés
49:02 soit par une simple reproduction sur toile,
49:04 soit par un décalque à même la paroi.
49:07 Ils constituent à eux seuls deux véritables œuvres d'art.
49:10 Diverses expositions sont mises en lumière,
49:12 à commencer par celle de l'abbé Breuil,
49:14 le pape de la préhistoire.
49:15 Au début du XXe siècle, il participera
49:18 à l'institutionnalisation de la discipline,
49:20 jusqu'à la constonner à des amateurs plus ou moins éclairés.
49:24 L'école allemande, représentée par Léo Frobenius,
49:27 n'est pas oubliée non plus.
49:28 Les relevés faits par ces équipes,
49:30 majoritairement composées de jeunes filles
49:32 issues des écoles d'art, sont d'une taille,
49:34 d'une beauté et d'une précision remarquables.
49:37 Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale,
49:38 ces équipes signeront l'Afrique dans des conditions spartiates
49:42 et en rapporteront des milliers de dessins.
49:44 Une véritable plongée au fond des âges,
49:46 jusqu'au 20 mai 2024.
49:49 C'était Passer présent, l'émission historique de TV Liberté,
49:52 présentée en partenariat avec la revue d'Histoire européenne.
49:57 Vous allez maintenant retrouver la petite histoire de Christopher Lann.
50:00 N'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
50:04 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
50:06 Merci et à bientôt !
50:08 On ne parle pas beaucoup de la Seconde Guerre mondiale
50:16 dans la petite histoire et c'est bien dommage.
50:18 Et pour remédier à ça, justement,
50:20 on va parler d'un épisode qui m'intéresse particulièrement,
50:23 la guerre du Pacifique avec sa bataille symbolique,
50:26 la bataille de Midway.
50:27 La bataille navale de Midway va se dérouler du 3 au 6 juin 1942.
50:54 Après l'attaque surprise de Pearl Harbor,
50:57 les Japonais sont en confiance.
50:59 Ils ont lancé leur grande opération de conquête dans le Pacifique.
51:03 Ils ont déjà conquis les Philippines, Singapour,
51:06 les îles Salomon et l'Indonésie.
51:08 Face à cela, pour l'instant,
51:10 les Américains n'ont lancé qu'une riposte
51:12 avec le raid de bombardiers sur Tokyo
51:15 par le général Doolittle le 18 avril 1942.
51:19 Vous savez, c'est ce raid où les Américains
51:21 avaient fait décoller des bombardiers depuis des porte-avions.
51:23 Pour les Japonais, il était dès lors question
51:25 de se protéger des menaces américaines
51:28 en contrôlant le Pacifique,
51:30 et particulièrement le Pacifique central,
51:32 mais aussi de frapper un grand coup à nouveau
51:35 pour amener les Yankees à négocier
51:38 et ainsi à faire valider leur conquête.
51:40 On va donc mettre au point un projet d'attaque
51:42 de l'île de Midway, en plein cœur du Pacifique.
51:45 Manque de chance, les Américains sont parvenus
51:47 à déchiffrer le code pourpre
51:49 que les Japonais pensaient inviolable
51:52 et sont donc informés des projets nippons.
51:54 Les Américains vont donc placer une flotte
51:56 de porte-avions à proximité de l'île,
51:58 au nord-ouest de l'île, pour surveiller tout ça.
52:01 Cette flotte, commandée par l'amiral Fletcher,
52:03 se compose de trois porte-avions,
52:06 le Hornet, l'Enterprise et le Yorktown.
52:09 Côté japonais, une impressionnante flotte de guerre
52:12 se dirige vers Midway.
52:14 Cette flotte, certes, est conséquente,
52:16 mais elle est divisée, divisée en trois,
52:18 et ce sera tout le problème.
52:20 La première de ces trois forces est une force d'attaque,
52:22 avec quatre porte-avions sous escorte,
52:25 commandées par l'amiral Nagumo.
52:27 La deuxième force, c'est une force d'invasion,
52:30 qui transporte 5000 hommes,
52:32 vous savez, pour l'attaque terrestre de l'île qui est prévue.
52:34 Et enfin, troisième force, plus éloignée celle-là,
52:37 c'est vraiment une force de bataille
52:39 composée de cuirassés,
52:41 dont le fameux, l'énorme, l'impressionnant Yamato,
52:45 commandé par l'amiral Yamamoto en personne.
52:48 Rha, qu'il est beau, le Yamato, ça a de la gueule, quand même !
52:51 L'attaque japonaise de l'île de Midway
52:53 est lancée le matin du 4 juin 1942,
52:57 avec une vague de bombardiers.
52:59 Là, les Américains passent également à l'offensive
53:02 avec leurs avions torpilleurs.
53:04 Malheureusement, ils sont tous abattus
53:06 et aucun ne touche sa cible.
53:08 L'amiral japonais va donc décider,
53:10 bien que ses éclaireurs ne trouvent pas
53:12 où est la flotte américaine,
53:14 il va décider de passer en mode bataille navale.
53:16 On va alors réarmer les avions
53:18 qui étaient prévus pour une attaque terrestre,
53:20 on va les réarmer en version navale,
53:22 en laissant au passage
53:24 traîner les bombes terrestres dans l'hangar.
53:27 C'est pas comme si on s'apprêtait à recevoir des bombes dessus !
53:30 Non, mais ça va !
53:31 Pendant les préparatifs, justement,
53:33 les Américains relancent une attaque
53:35 et cette fois, les deux premières avaient échoué,
53:37 cette fois, ça passe !
53:39 Les bombardiers américains sortent des nuages
53:42 en piquets et fondent sur les porte-avions japonais.
53:45 Après cette attaque,
53:46 trois porte-avions japonais sont en feu,
53:48 sont coulés, tout simplement,
53:50 et on remerciera pour ça
53:52 les bombes qu'on a laissées traîner dans les hangars.
53:54 Ce n'est que le lendemain, donc le 5 juin,
53:56 que l'amiral japonais parvient à trouver la flotte américaine,
54:00 il engage alors son dernier porte-avions,
54:02 il en avait quatre au départ,
54:03 il y en a trois qui ont été coulés,
54:05 il lui en reste un, le Hiryu,
54:07 il l'engage dans la bataille.
54:08 À ce moment-là, il ne se doute pas
54:10 que les Américains sont en puissance,
54:12 il pense qu'ils ont un ou deux porte-avions.
54:14 Les Japonais attaquent donc la flotte américaine,
54:17 les chasseurs nippons, les fameux Zéro,
54:19 attaquent les porte-avions,
54:21 l'attaque est repoussée,
54:22 mais le Yorktown, le porte-avions Yorktown,
54:25 est sévèrement touché et donc évacué.
54:27 On pense qu'il va couler, donc on l'évacue,
54:29 finalement il ne coulera pas, il flotte toujours,
54:31 et donc un destroyer va venir pour le remorquer,
54:35 tout simplement,
54:36 et ils seront attaqués,
54:37 ces deux navires seront attaqués
54:38 par un sous-marin japonais qui passait par là,
54:41 ils seront torpillés et coulés.
54:43 Mais peu après, les bombardiers américains repèrent le Hiryu,
54:46 le porte-avions japonais,
54:48 et fondent sur lui de la même manière que la veille,
54:51 et le coulent à son tour.
54:52 À 7h, les Japonais n'ont plus ni porte-avions, ni avions.
54:56 Il y a quand même mieux comme condition
54:58 pour commencer une bataille.
55:00 L'opération Midway est donc très logiquement annulée,
55:03 et on sonne la retraite.
55:04 Alors les Américains vont poursuivre les navires japonais
55:07 qui n'avaient même plus de protection aérienne,
55:09 ils vont poursuivre les navires japonais dans leur retraite,
55:12 mais ça donnera très peu de résultats,
55:14 donc c'est anecdotique.
55:15 Ils vont tout de même couler un croiseur lourd.
55:17 Au total, outre leurs 4 porte-avions et le croiseur lourd
55:20 dont je viens de vous parler,
55:22 les Japonais ont perdu à Midway 332 avions,
55:25 et leur perte humaine s'élève à 3500 hommes,
55:29 avec beaucoup de pilotes chevronnés parmi eux.
55:32 Côté américain, les pertes sont bien plus légères,
55:35 le bilan est plus léger,
55:36 on déplore la perte d'un porte-avions,
55:39 le Yorktown et d'un Destroyer,
55:41 qui est en train de le remorquer,
55:43 de 147 avions et de 300 hommes.
55:45 Cette bataille est un véritable tournant de la guerre du Pacifique,
55:49 et de la guerre mondiale dans sa globalité,
55:52 puisque seulement 6 mois après leur entrée en guerre,
55:55 les Japonais subissent leur premier revers,
55:58 et perdent l'initiative dans le Pacifique,
56:00 et ça c'est très important.
56:02 Par la suite, l'écrasante supériorité militaire et industrielle des Américains
56:07 fera le reste.
56:08 De leur côté, les Japonais vont se retrouver avec des problèmes de production,
56:12 avec une pénurie d'essence,
56:13 alors que les Américains vont faire tourner les machines à plein régime.
56:17 Et justement, c'est ce revers qui a désamorcé la menace japonaise dans le Pacifique.
56:22 On va être plus tranquille de ce côté-là pour les Américains,
56:26 et ils vont donc pouvoir renforcer leur flotte dans l'Atlantique,
56:29 en direction d'un autre ennemi allié des Japonais, le Reich.
56:34 Merci beaucoup pour votre attention,
56:36 j'espère que ça vous a plu.
56:37 N'hésitez pas à rejoindre les donateurs de TV Liberté pour soutenir la chaîne,
56:41 et moi je vous retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode de La Petite Histoire.
56:45 Portez-vous bien, à bientôt !
56:47 [Musique]

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