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00:00 Les Russes à l'offensive sur le terrain militaire, mais aussi sur le terrain de l'information.
00:05 On l'a vu il y a quelques jours avec la diffusion d'un enregistrement confidentiel d'officiers allemands.
00:10 Cela touche aussi les médias comme France 24. Bonjour Valentin Châtelet.
00:15 Merci d'être en direct. Vous êtes chercheur associé pour The Atlantic Council,
00:20 pour lequel vous avez coécrit un rapport d'une cinquantaine de pages extrêmement fouillé
00:23 sur la guerre informationnelle que mène la Russie.
00:26 Guerre qui n'a qu'un objectif, affaiblir l'Ukraine, épouser ses partenaires, lâcher le pays.
00:32 Avant de vous entendre, je vous propose un exemple très frappant pour bien comprendre ce qui est en jeu.
00:37 C'était début février, une vidéo circule sur Internet et elle fera des millions de vues extraits.
00:44 Le président français Emmanuel Macron a été contraint d'annuler sa visite en Ukraine
00:48 à la suite d'une provocation meurtrière à son rencontre.
00:51 Selon une source proche du Conseil national du renseignement,
00:54 cette tentative a été stoppée par les services secrets français,
00:57 qui ont réussi à intercepter la correspondance et les appels des participants à une provocation potentielle.
01:03 Selon la source, selon l'idée des dirigeants ukrainiens,
01:06 l'attaque aurait dû attirer à nouveau l'attention de l'opinion publique mondiale sur l'Ukraine
01:12 et permettre une augmentation des livraisons d'armes à l'Ukraine.
01:15 Les autorités ukrainiennes ont prévu de rejeter la responsabilité de l'attaque du président français du côté russe
01:22 pour accuser le pays de méthodes terroristes de guerre.
01:24 Voilà pour cette vidéo complètement inventée avec les décors de France 24,
01:30 avec ma voix truquée puisque je n'ai jamais prononcé ces mots, cette phrase.
01:35 C'est ce qu'on appelle un "fake news", un "deep fake" Valentin Châtelet.
01:39 Est-ce que vous y voyez la main des Russes ?
01:41 Oui, alors c'est une technique qui est relativement ancienne si on s'intéresse à la guerre en Ukraine.
01:47 En général, on la retrouvait vraiment dans les médias ukrainiens de la part des Russes
01:52 pour se faire passer pour des diplomates ukrainiens afin de s'attaquer au soutien des civils pour leurs autorités.
01:59 On avait vu des deep fakes depuis le début de la guerre qui avaient principalement concerné le président Zelensky,
02:05 mais aussi son ancien ministre de la Défense, Oleksii Ryzhnikov, et l'ancien président Petro Poroshenko.
02:12 Cependant, c'est quand même assez remarquable de voir que ce deep fake s'attaquait à un média occidental.
02:16 On sait que la Russie s'attaque depuis très longtemps à des médias internationaux,
02:21 qu'elle a déployé des opérations de désinformation et qu'elles servaient à usurper l'identité des médias.
02:29 Elle n'est pas vraiment à son coup d'essai.
02:30 On a eu une opération qu'on a appelée "Doppelganger" qu'on observe depuis au moins septembre 2022,
02:36 qui passe par la création de faux sites internet, de faux pages sur les réseaux sociaux.
02:41 Et depuis 2023, on a une autre opération qui est en cours qui s'appelle "Opération Matryoshka" qui a été révélée par l'AFP.
02:46 Cette opération est produite de faux clips vidéo qui se font passer pour des reportages des médias d'autorité
02:51 en essayant de répandre de fausses nouvelles qui servent à l'agenda politique russe.
02:55 Plus précisément sur ce deep fake-là, il est très intéressant de remarquer qu'il a été produit
03:00 quelques jours après la publication d'une investigation de Viginium, l'organisation française qui combat la désinformation.
03:06 Et cette vidéo a vraiment tout de suite été dévanquée.
03:11 Cependant, le site qui avait publié cette vidéo originalement était dans cette investigation de Viginium.
03:15 Et quelques jours plus tard, ce même site a publié un espèce de démenti en disant que cette vidéo était complètement fausse
03:21 et qu'il s'interrogeait aussi sur sa source.
03:24 Mais ce qui est surprenant, c'est qu'il y a eu des démentis.
03:27 France 24 a fait deux chroniques pour démentir.
03:28 J'ai moi-même été interviewé sur France Info pour démentir cette vidéo.
03:36 Mais le doute s'est instillé.
03:38 Il y a même eu l'ex-président russe Medvedev qui l'a retweeté.
03:42 En fait, c'est un emballement.
03:45 Tout à fait. Et puis, on peut dire que les autorités russes participent complètement de cet appareil d'utilisation
03:50 de matériaux qu'ils produisent eux-mêmes afin de soutenir des volontés politiques.
03:54 Et je pense que la Russie n'est pas vraiment à son coup de décès avec la France.
03:58 Alors, pas précisément avec ce deep fake, mais si vous vous souvenez de novembre 2023,
04:02 on a eu une coordination entre le ministère des Affaires étrangères russe,
04:07 des publications sur Telegram, etc., qui accusent la France d'avoir envoyé des mercenaires français
04:12 qui seraient morts dans un hôtel à Khalkiv après un bombardement russe.
04:16 On n'est pas vraiment à son coup de décès.
04:17 Il s'est vraiment orchestré.
04:19 Alors, ce qui est tout à fait frappant avec ce deep fake-là, c'est qu'il a une très mauvaise facture.
04:21 Je pense qu'il est très facile de montrer que c'est du débunkage,
04:25 mais on n'est pas vraiment habitué en Occident.
04:27 Ça s'attaque à des médias traditionnels.
04:29 Est-ce que ça fasse l'usurpation d'identité d'un média d'autorité ?
04:33 Vous pensez que c'est le début d'une longue série de deep fake qui s'attaque aux médias mainstream ?
04:38 C'est probable, cependant, ce n'est pas vraiment la tendance que j'observe au quotidien.
04:45 Au quotidien, on a plus des espèces de petites vidéos d'enquête
04:48 que l'on peut voir, par exemple, comme des shorts vidéo YouTube ou ce genre de choses,
04:52 qui sont complètement fausses.
04:53 Dans l'opération Matryoshka, on avait vu que, par exemple, RFI avait été usurpé.
04:58 C'était le cas de la BBC aussi.
05:01 Plus généralement, ces vidéos ne sont pas vraiment virales,
05:04 elles le sont quand elles s'attaquent à des problématiques qui sont vraiment scandaleuses.
05:07 Et quand elles ont des récits qui peuvent défrayer la chronique,
05:11 c'est arrivé avec des vidéos de la BBC qui se faisaient passer pour des investigations de Bellingcat.
05:17 Et donc, à ce moment-là, ces vidéos sont devenues virales.
05:20 Pour ce qui est des deep fakes, je pense qu'on risque de voir de nouveaux deep fakes apparaître.
05:25 Alors, entre des médias occidentaux, ça me paraît un peu capilotracté, mais pourquoi pas ?
05:30 Oui. Ce qui ressort de votre rapport, Valentin Châtelet,
05:34 c'est la volonté des Russes de saper le moral des Ukrainiens,
05:39 mais aussi de leur porter préjudice.
05:41 Est-ce que dans les faits, en quelque sorte, ça commence quand même à fonctionner ?
05:47 Il est difficile de dire que ça ne fonctionne pas quand on voit, par exemple,
05:50 le ralentissement de la livraison de l'aide militaire et d'aide financière américaine.
05:55 On parle de fatigue ou de lassitude par rapport au sujet ukrainien dans les médias.
05:59 Et c'est sans doute une des conséquences également des opérations de désinformation que la Russie a déployées.
06:07 Et c'est normal parce qu'elle s'attaque à des États occidentaux,
06:09 aux États comme l'Allemagne, la France et les États-Unis, qui sont les premiers pourvoyeurs de cette aide.
06:14 Et aujourd'hui, on en voit les conséquences.
06:16 C'est sans doute une des raisons pour lesquelles les Ukrainiens ont dû se retirer d'AfDiivka.
06:21 Vous portez également un chapitre très intéressant sur l'incroyable effort des Russes pour investir l'Afrique.
06:30 Vous dites qu'ils ont développé en gros deux canaux, l'un officiel et l'autre officieux,
06:35 même si l'officieux, parfois, n'est pas si secret que cela.
06:39 Pourquoi, selon vous, le Kremlin s'intéresse-t-il de près au continent africain ?
06:43 Si vous voulez, la relation que la Russie a avec l'Afrique est une relation qui est assez ancienne.
06:48 Et elle s'y est intéressée par divers biais.
06:52 Elle a des relations qui sont privilégiées avec certains États, qui sont diplomatiques, économiques ou militaires.
06:59 Et l'année 2023 a vraiment été une année cournée de succès pour la Russie.
07:03 Elle a eu un sommet qui s'appelle le Sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg.
07:06 Elle a eu un sommet dédié à l'export d'armement, le Sommet Armée 2023.
07:12 Et elle a participé au Sommet des Brics à Johannesburg en août 2023.
07:16 La Russie recycle des relations diplomatiques anciennes,
07:20 où elle utilise son narratif de puissance soviétique anticoloniale
07:24 pour se faire passer pour un partenaire fiable, économique et humanitaire.
07:27 Et de ce fait, elle profite du retrait français.
07:31 Vous parliez des liens officieux, et c'est tout à fait juste.
07:33 Pendant très longtemps, la société militaire privée Wagner a été l'instigatrice de l'influence russe en Afrique
07:39 par tout un tas d'organisations, pas uniquement des organisations militaires.
07:43 Cependant, ce que nous on constate depuis 2023 et la mort d'Evgenie Trigogine,
07:46 c'est que ça a précipité un espèce de processus d'officialisation des opérations menées à l'origine sous couverture.
07:54 Et dans le contexte militaire, c'est d'abord le ministère des Armées russes,
07:58 avec le corps d'armée Afrika qui est en train d'investir les opérations militaires que Wagner avait dans le Sahel.
08:04 Et du point de vue médiatique, le Kremlin officialise un certain nombre de ses partenariats avec des médias locaux et rechâteaunais.
08:10 C'est le cas par exemple des États d'Afrique occidentale, la Centrafrique, le Mali, le Niger,
08:16 qui sont des États où on a une influence des médias panafricanistes.
08:19 Le panafricanisme, c'est une idéologie qui est anticoloniale et également antifrançaise.
08:26 On sait que suite à la fermeture par exemple de RT et de Sputnik,
08:29 des opérateurs francophones de RT passent très souvent à la télévision dans ces chaînes panafricanistes.
08:35 Et c'est le cas de Afrique Média TV dont on traite dans le rapport.
08:37 Donc vous nous dites en gros que c'est la France aussi qui est visée. Le message en Afrique, c'est de dire que la Russie est un bienfaiteur, bienveillant, à l'inverse de la France, la colonisatrice.
08:46 C'est vrai. C'est un message qui fonctionne tout à fait bien et qui était déjà utilisé quand Wagner était présent,
08:54 parce que Wagner a tourné une série de films où on les a accusés d'avoir également produit des espèces de cartoons, de dessins animés où on se moque forcément de la France.
09:04 Mais ce n'est pas le seul objectif. Il y a aussi tout un narratif anti-occidental et un narratif qui sert les intérêts politiques de la Russie.
09:13 Par exemple sur la question du grain.
09:16 Si vous voulez, les Occidentaux ont été accusés de ne pas trouver de solution au blocus du grain et à la famine que ça pouvait générer dans les États africains
09:26 qui dépendaient de l'import de grains ukrainiens, alors que c'est la Russie originellement qui a bloqué ce grain en bombardant les infrastructures portuaires ukrainiennes.
09:33 Mais dans les médias africains, du fait de leur collaboration avec Sputnik et RT, ça n'est pas transparu.
09:37 C'est un sacré défi pour les médias, pour les démocraties, qui plus est en 2024, avec des dizaines d'élections à venir, notamment l'élection américaine.
09:46 C'est quoi la stratégie de contre-offensive ? Est-ce qu'il y en a une déjà ?
09:50 Je pense qu'on peut déjà se féliciter un petit peu de l'organisation de notre réponse et comment Viginium intervient en tant qu'organisation,
09:59 parce qu'on peut certes faire du débunkage de ces opérations une fois qu'elles sont venues, mais on peut aussi avoir une étude un peu plus proactive.
10:09 On l'a remarqué par exemple depuis cette attaque sur les réseaux sociaux qui avait répandu cette idée selon laquelle il y avait des tags d'étoiles de David
10:20 qui étaient apparus dans Paris après l'attaque du Hamas contre Israël.
10:24 Ce dont on s'est rendu compte c'est que la France avait vraiment une étude proactive et qu'elle était capable de combattre ces opérations de désinformation
10:30 en collaborant de manière institutionnelle avec des chercheurs, mais aussi avec ses ministères, et qu'elle avait une stratégie qui était beaucoup moins passive.
10:39 Alors bien sûr 2024 est une année à l'élection, donc c'est une année extrêmement importante.
10:45 On sait déjà que par exemple sur les opérations comme le doppelganger dont je vous ai parlé un peu plus tôt, la Russie utilise ces leviers des manifestations des agriculteurs par exemple,
10:55 ou des allocutions que fait Emmanuel Macron en disant qu'il faudrait envoyer des soldats français en Ukraine.
11:01 On peut se prémunir contre ces attaques, pour cela il faut que les plateformes collaborent, il faut que la société civile soit aussi résiliente,
11:07 et je pense qu'il faut qu'on continue à faire la recherche qu'on fait déjà.
11:11 Le problème c'est qu'il y a des relais aussi ici en France, relais politiques notamment.
11:14 Oui, alors je pense que vous faites un peu allusion au Rassemblement national et à Marine Le Pen.
11:20 Il y a des relais politiques et il y a des relais qui sont médiatiques.
11:23 On a des agents qui travaillent pour Russia Today, qui travaillent pour la Russie,
11:26 qui sont des personnes qui étaient intégrées dans nos sociétés de manière complètement transparente.
11:32 Je pense que vous avez vu que des journalistes, par exemple le journaliste d'Euronews qui avait travaillé à Euronews pendant des années,
11:38 était en fait un agent russe qui avait ensuite travaillé pour RIA Now, est-il, des agences de presse russes.
11:45 Ce n'est pas un cas qui est isolé, il est vrai qu'il y a un certain noyautage de la part de nos organisations par la Russie.
11:51 Cependant je pense que du fait du poids de la guerre et du fait que l'on se rend compte de cette influence,
11:57 on est de plus en plus capable de la mesurer et de pouvoir y répondre.
12:01 Merci infiniment Valentin Châtelet pour vos précisions.
12:05 Suite à la publication de ce rapport passionnant que sort The Atlantic Council, qui est bien sûr à retrouver sur le site.
12:12 Merci pour votre commentaire.