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00:00 *Générique*
00:03 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Et une Marguerite Caton d'action aussi, bonjour Marguerite !
00:09 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:11 Vous aussi, vous passez alors européenne.
00:14 Et oui, mais tandis que vous allez évoquer la culture, je vais vous parler d'agriculture
00:18 et démarrer une collection de questions du jour sur les grandes institutions européennes à l'approche des élections.
00:24 Ce matin, la PAC, la Politique Agricole Commune, le premier poste de dépense de l'Union,
00:29 264 milliards d'euros pour la période 2023-2027.
00:34 Et pourtant, pourtant, le soutien des agriculteurs au projet européen CEROD
00:38 ont craint de les voir basculer du côté des eurosceptiques à l'extrême droite.
00:42 Bonjour Jean-Christophe Bureau.
00:44 Bonjour.
00:45 Vous êtes professeur en économie à Agro-Paris Tech, co-auteur avec Sophie Toyer de la Politique Agricole Commune,
00:51 un repère aux éditions La Découverte.
00:53 Comment résumer la PAC à l'heure actuelle ?
00:55 Plus qu'une stratégie, c'est un système d'aide, des sous directement versés aux agriculteurs.
01:00 Voilà, c'est ça oui.
01:02 Au fin du temps, la PAC a évolué.
01:04 Elle a commencé par un soutien aux prix assez massifs, donc des prix garantis,
01:08 qui ont amené dans les années 70-80, début des années 90, à des surplus absolument ingérables.
01:15 Et il y a eu 20 ans de réformes, où on a basculé vers un système d'aide directe aux agriculteurs.
01:20 Et maintenant, l'essentiel du budget, ce sont des aides tout à fait directes,
01:24 c'est-à-dire des chèques qu'on reçoit essentiellement par hectare.
01:28 Donc, plus on a d'hectares, plus on reçoit de chèques d'argent,
01:32 ce qui permet de racheter les hectares des voisins.
01:35 Donc, c'est un petit peu le problème de la PAC actuelle,
01:37 c'est que c'est une machine à s'agrandir, avec un aspect distributif assez contestable, on va dire.
01:45 En France, l'INRAE avait calculé que les aides de la PAC représentaient en 2019 74% du revenu des agriculteurs.
01:52 Alors, un chiffre qui varie chaque année en fonction des cours des produits agricoles,
01:55 qui demeurent cependant toujours constamment élevés.
01:58 Ça signe la dépendance du monde agricole à ces subventions,
02:01 mais cette générosité européenne n'est pas également répartie.
02:04 Au sein de l'UE, 75% des exploitations reçoivent moins de 5 000 euros par an,
02:09 tandis que 0,5% reçoivent plus de 100 000 euros.
02:12 Vous l'avez dit, plus on est gros, plus on a d'aides, Jean-Christophe Bureau.
02:16 Quels sont les grands bénéficiaires de la PAC en termes de pays ?
02:19 Alors, en termes de pays, il y a eu les nouveaux États membres qui sont rentrés après 2004.
02:26 Au début, ils n'ont pas touché énormément d'aides, puisqu'il y a eu toute une phase de transition.
02:31 Mais maintenant, on a ce qu'on appelle une convergence des aides.
02:33 Donc, tout le monde en bénéficie plus ou moins en fonction, justement, de sa surface agricole.
02:38 Puisque, comme vous l'avez dit, les courbes de distribution des terres de la surface
02:43 correspondent aux courbes de distribution des aides.
02:45 Donc, c'est tout à fait ça.
02:47 Après, au sein des pays, c'est un petit peu pareil.
02:50 Là, il y a eu, sous le quinquennat, je dirais, du ministre Le Foll,
02:55 une assez forte redistribution à l'intérieur de la France vers les régions plutôt d'élevage,
03:01 compte tenu, justement, des réformes en cours.
03:04 Et puis, lui a remis pas mal d'argent, d'aide sur l'élevage, qui était en grande souffrance en termes de revenus.
03:11 Et dans les chiffres que vous avez cités, la dépendance des revenus aux aides est encore plus forte dans l'élevage.
03:16 C'est plus de 100% des revenus qui sont constitués des aides en élevage viande, en tout cas, par exemple.
03:22 Donc, on a quand même ce qui domine, encore une fois, c'est la surface.
03:26 - Et donc, la France en premier bénéficiaire, puis l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie, c'est quand même l'Europe de l'Ouest.
03:32 - Oui, mais c'est de plus en plus équilibré.
03:38 Les nouveaux États membres continuent de râler qu'ils touchent un peu moins par hectare,
03:43 mais enfin, ça a quand même largement convergé.
03:46 - Alors, évidemment, il y a toujours des discussions sur cette répartition,
03:49 mais s'il y a un point qui fait vraiment consensus chez les agriculteurs,
03:52 c'est la dénonciation de la bureaucratie bruxelloise.
03:56 Les conditions environnementales auxquelles sont assujetties les aides sont tout particulièrement intenables, disent-ils.
04:02 Qu'en pensez-vous ?
04:03 - J'avoue que ce n'est pas faux.
04:05 Quand on va regarder de près, par exemple, des programmes spécifiques pour aider l'environnement,
04:12 honnêtement, il faut quand même s'accrocher pour comprendre les différentes exigences.
04:17 Il y a un niveau de bureaucratie absolument gigantesque.
04:20 Pour une partie, on incrimine beaucoup Bruxelles.
04:25 Ce n'est pas faux que tout ce qui vient de Bruxelles,
04:28 il y a des contrôles des fonds qui sont extrêmement complexes, drastiques,
04:31 qui ne sont pas spécifiques à l'agriculture.
04:34 Nous, on va chercher de l'argent dans les projets de recherche à Bruxelles.
04:37 Je vous assure que ça vaut la complexité agricole.
04:41 Parce qu'évidemment, il y a énormément de fraude dans l'argent communautaire
04:45 qui est distribué à certains États membres.
04:47 Je peux toujours citer quelques pays de l'Est de l'Europe
04:50 où il y a des détournements, des choses comme ça.
04:52 Donc les contrôles sont très pointilleux.
04:54 Mais il y a quand même une grosse partie de la bureaucratie qui vient de la France.
04:59 Et ça, c'est vraiment assez exceptionnel comme pays.
05:03 Et là, avec la nouvelle PAC qui délègue énormément les choses aux États membres,
05:08 il va être assez difficile d'incriminer Bruxelles.
05:11 Puisque c'est l'État qui gère, qui paye, qui contrôle maintenant.
05:14 Alors pourquoi cette spécificité française sur la bureaucratie ?
05:19 Un paradoxe, c'est que ça vient un petit peu des syndicats agricoles
05:23 qui, comme ils n'aiment pas les choses trop simples,
05:27 quand il s'agit par exemple de taxes,
05:29 vont mettre... parce qu'on pourrait taxer les pollutions,
05:32 ce serait assez simple, le Danemark va faire ça.
05:35 Nous, on n'aime pas les taxes, donc on va mettre telles mesures, tels ceci.
05:39 Si vous achetez des produits phytosanitaires, des pesticides,
05:42 vous allez avoir tout un tas de mesures bureaucratiques,
05:45 des contrôles très techniques de vos épandeurs, tout ça.
05:49 Alors que parfois, les outils plus simples fonctionneraient assez bien.
05:53 La profession a quand même une responsabilité, je pense,
05:56 dans cette complexité qu'il, évidemment, dénonce absolument.
06:00 Parce que du coup, pour les agriculteurs,
06:02 c'est eux qui doivent fournir les preuves,
06:05 les contrôles sur leur pollution, par exemple ?
06:08 Plus généralement, tout ce dont on a besoin pour être éligible aux aides,
06:13 et en particulier respecter des directives,
06:17 c'est aux agriculteurs de le faire.
06:19 De plus en plus, c'est devenu extrêmement complexe et chronophage,
06:22 c'est de plus en plus des conseillers de chambres d'agriculture
06:25 qui font un peu leur boulot.
06:27 Mais non, c'est vraiment l'agriculteur qui passe un temps fou là-dessus,
06:31 ça, c'est pas faux.
06:32 Donc la question environnementale est devenue finalement le contentieux explosif,
06:35 le litige principal.
06:37 Depuis une semaine, les agriculteurs allemands organisent
06:39 une série de manifestations, de blocages.
06:41 En Pologne également, on a vu des mouvements.
06:43 En France, aux Pays-Bas.
06:44 Les agriculteurs sont même devenus une force politique contestataire très importante
06:48 en tête des élections locales l'an dernier.
06:50 Quel peut être le vote agricole aux élections de juin européennes ?
06:54 Et puis, est-ce qu'on craint un vote vers l'extrême droite ?
06:57 Alors, il y a eu un glissement des votes agricoles vers l'extrême droite,
07:01 au moins en France, en Allemagne aussi.
07:04 C'est un petit peu tout le milieu rural.
07:09 Il n'y a pas que les agriculteurs.
07:11 Le milieu rural, il a l'impression d'être tout à fait délaissé.
07:14 Une des raisons, c'est l'absence de services publics que nous connaissons.
07:17 Et d'autre part, il a l'impression que quand même,
07:20 tout est fait pour les urbains, à tort ou à raison,
07:23 et que l'État est juste là pour l'enquiquiner.
07:26 Ça, c'est une constante à peu près de tout le milieu rural,
07:29 et on risque de le voir aux élections européennes.
07:32 Pour les agriculteurs, il faut voir que les principaux syndicats,
07:35 en France en tout cas, ont toujours été assez pro-européens,
07:40 puisqu'ils ne sont pas complètement stupides.
07:42 Ils voient bien que l'argent arrive de l'Europe.
07:44 Sur les 14 milliards d'euros que touchent tous les ans les agriculteurs français,
07:47 il y en a quand même pratiquement 10 milliards qui viennent de l'Europe.
07:51 Donc, le programme anti-européen de Marine Le Pen en 2017, par exemple,
07:55 n'a pas fait recette auprès des syndicats, des décideurs.
08:00 Par contre, la base a été assez difficile à contrôler,
08:03 et ça, ça fait partie du deal qu'on a actuellement avec le gouvernement.
08:09 En un mot, la question ukrainienne, Jean-Christophe Bureau.
08:12 Depuis 2022, l'Union Européenne a levé les restrictions sur les importations,
08:15 elle les a un peu rétablies, elle les a de nouveau enlevées.
08:18 Si l'Ukraine intègre l'Union Européenne, alors que c'est le géant agricole du continent,
08:22 qu'est-ce que devient la PAC ?
08:24 C'est assez intéressant, parce que là, si on continue des aides à la surface
08:29 avec le même budget, c'est vrai qu'il y aura des impacts très très forts sur les autres pays.
08:35 C'est-à-dire qu'il n'y aura plus d'aide pour l'Europe ?
08:37 Absolument.
08:38 Un peu la fin de la PAC ?
08:39 Je ne pense pas que l'Ukraine apporte un budget tel que ce sera soutenable, oui.
08:43 Merci beaucoup Jean-Christophe Bureau.
08:44 Je rappelle que vous êtes économiste, professeur à Agro-Paris Tech,
08:47 co-auteur du repère La Politique agricole commune aux éditions La Découverte.

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