• il y a 9 mois
Anne Fulda reçoit Nina Bouraoui pour son livre «Grand Seigneur» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Nina Bourahoui.
00:02 On ne vous présente plus, on vous connaît comme romancière depuis des années.
00:06 Et vous venez de publier "Grand Seigneur" chez La Tess,
00:09 un très joli livre dans lequel vous avez écrit après la mort de votre père,
00:14 ce qui vous permet de faire un retour sur sa vie, sur son exil,
00:20 aussi des bribes de votre enfance, de son exil.
00:25 Vous vous posez, comme vous le dites joliment, en témoin de ses noces funèbres.
00:28 Et c'est vraiment un très beau livre.
00:31 Alors, vous racontez notamment, c'est ça qui fait partie des nombreuses facettes intéressantes de ce livre,
00:36 cet endroit très particulier, ce centre de soins palliatifs Jeanne Garnier,
00:41 où votre père entre à la fin de sa vie.
00:45 Un monde à part dans lequel normalement, c'est un endroit où on entre en sachant qu'on n'en sort pas,
00:51 sauf votre père qui... - Oui, c'est vrai.
00:54 Parce que mon père avait cette particularité de vivre pas totalement à côté du réel, mais quand même un peu.
01:02 Et je crois qu'il avait... Pour lui, la mort n'existait pas.
01:07 Il avait ce que j'ai aussi, c'est-à-dire une sorte de don de joie,
01:11 mais qui est aussi un don d'enfance, toujours un don d'innocence.
01:15 Donc il ne voulait pas savoir.
01:17 Quand il a entendu "soins palliatifs", il a tourné la tête.
01:20 Jeanne Garnier, alors c'est vrai qu'après, il y avait les médicaments, la maladie,
01:24 mais souvent, il me disait "quand est-ce que je sors d'ici ? Où suis-je ? Dans un hôtel ?"
01:29 Et moi, je n'ai fait que lui mentir.
01:31 En fait, avec ma famille, on s'est rendu à son chevet pendant ses 11 jours d'agonie,
01:35 à raison de 8 heures par jour, pour l'accompagner.
01:39 C'est une expérience très étrange qui ressemble à une aventure.
01:42 Je trouve que si on ne l'a pas vécue, on ne sait pas.
01:45 Mais étonnamment, dans ce lieu est diffusée tant de douceur,
01:50 tant de tendresse, que finalement, c'est la vie qui gagne, et l'espoir, et l'espérance.
01:56 C'est très étrange.
01:58 Et ce sont des saints qui y travaillent, il faut les saluer, ces soignants,
02:02 qui sont là non seulement pour les malades, mais qui sont là pour nous.
02:05 Moi, je passais de bras en bras, de tendresse en tendresse,
02:08 et c'était un événement très fort.
02:11 L'événement de la mort d'un père est extrêmement fort,
02:14 mais je trouve qu'en plus d'avoir attendu la mort,
02:19 c'est quelque chose... le temps est très bizarre,
02:21 parce qu'on a l'impression qu'on... parfois, on va souhaiter,
02:24 mais on dit "je ne veux pas souhaiter la mort de mon père",
02:26 mais on veut souhaiter la fin des souffrances,
02:29 qui est quand même une souffrance très atténuée à Gennesgarny.
02:31 C'est ça qui est très bien.
02:32 - Et vous racontez aussi une espèce de fraternité avec d'autres familles,
02:36 qui accompagnent aussi des malades en fin de vie, avec des...
02:40 - Oui, la famille de Georges.
02:41 - La famille de Georges, qui est de jolis moments.
02:44 Et surtout, le héros de votre livre,
02:49 - C'est un beau-laciste.
02:51 - C'était vous, l'aéronaute, et le héros du livre, c'est votre père.
02:56 Vous racontez sa vie étonnante.
02:59 Il a été haut fonctionnaire, gouverneur de la banque en Algérie,
03:02 puis contraint à l'exil lorsqu'il y a eu la décennie noire.
03:05 Et il avait, à un moment, vous dites, il avait comme des réminiscences
03:09 et des craintes lorsqu'il a vu arriver en France,
03:12 lorsqu'il y a eu les attentats, notamment en 2015.
03:15 - Alors, pour juste être plus précise, parce que vous ne pouvez pas le déviner,
03:19 c'est vrai que mon père s'est installé en France,
03:21 mais il continuait comme un malade en Algérie.
03:23 - Il continuait les allers-retours, ce que vous dites.
03:25 - Et ce n'était pas un exil, c'est-à-dire qu'est arrivée la décennie noire
03:27 dans les années 90, et mon père travaillait dans le Golfe,
03:31 et en fait, tout d'un coup, tout a explosé dans son pays,
03:34 même parmi ceux qui pouvaient le nommer ailleurs.
03:38 Et donc, il a attendu un poste indéfiniment.
03:41 Et puis, personne ne l'a jamais appelé,
03:43 et il a pris sa retraite à 56 ans, ce qui est quand même très jeune.
03:46 Et en effet, mon père disait souvent, ce qui est en train d'arriver en Algérie,
03:50 dans cette décennie noire, ça arrivera partout,
03:54 ça se reproduira, il faut être très prudent.
03:57 Et puis, il avait souvent ce mot, c'est un homme qui aimait son pays,
04:01 qu'il a servi avec beaucoup de loyauté, de générosité.
04:05 Il était fou de son pays, mais peut-être ne faisait-il pas partie aussi
04:08 de ces intellectuels qui ont fait des études en France,
04:11 qui sont rentrés en Algérie avec la grande idée de la reconstruire,
04:14 cette Algérie libre.
04:16 Et en fait, il était déçu, il a été abandonné.
04:19 Et donc, il y avait une sorte, pas d'amertume,
04:23 mais je crois de grande tristesse que personne, ni ma mère, ni ma sœur,
04:27 n'ont voulu voir.
04:29 Et je suis sûre que la maladie fait son lit dans les déceptions.
04:34 - Alors, dernière question, mais c'est quand même le fil de ce livre,
04:39 vous évoquez évidemment cette relation particulière, singulière
04:42 que vous aviez avec lui.
04:44 Vous lui faites écouter cette chanson de Biolay qui s'appelle "Ton héritage".
04:48 C'est quoi son héritage ?
04:50 - Une merveilleuse chanson. Son héritage, je pense que j'écris
04:53 parce que j'ai voulu ressembler à mon père.
04:55 Il écrivait beaucoup, des discours pour ses discours,
04:58 les discours pour les autres, pour le Fonds monétaire international.
05:01 Et je trouvais qu'il y avait là une posture très virile.
05:04 J'étais un peu misogyne, parce que j'ai été élevée dans un pays misogyne.
05:09 Donc, cette misogynie, hélas, je l'ai captée en France,
05:12 je m'en suis débarrassée depuis, je vous rassure.
05:14 Et je crois que l'organisation des idées, le goût de la parole
05:18 et ce dont la joie aimait la vie, c'est pour ça qu'il est toujours en vie,
05:23 Grand Seigneur.
05:25 - En tout cas, je vous conseille vraiment ce livre.
05:27 C'était un très beau livre. Donc, ça s'appelle "Grand Seigneur".
05:29 Très beau titre. Merci Nina Bourahoui.
05:32 - Merci Yann. - Et c'est publié chez La Tess.
05:34 - Oui. Merci beaucoup.
05:36 (Générique)

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