"Les femmes iraniennes sont déterminées, elles sont guidées par l'espoir et la liberté", témoigne Ali Rahmani

  • il y a 6 mois
La lauréate du prix Nobel de la paix Narges Mohammadi est incarcérée depuis 2021 à Téhéran. Ses jumeaux vivent à Paris. Ils racontent les conditions dans lesquelles est emprisonnée leur mère. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-07-mars-2024-4625976

Category

🗞
News
Transcript
00:00 Des 7h48, Sonia De Villers, vos invités ce matin sont les enfants de Narges Mohammadi,
00:06 prix Nobel de la paix.
00:07 Ils ont 17 ans, ils sont réfugiés à Paris, à 5000 kilomètres de leur mère, prisonnière
00:12 politique en Iran.
00:13 En décembre, c'est eux qui sont allés à Oslo recevoir le Nobel à sa place.
00:17 Ils ont lu un discours qu'elle avait réussi à faire sortir de sa cellule.
00:20 Et là, vous trouverez en librairie une enquête témoignage édifiante, intitulée « Torture
00:25 blanche » parue chez Albain Michel.
00:27 Narges Mohammadi documente le pire des sévices infligés par le régime aux femmes qui osent
00:32 s'opposer une torture qui ne laisse pas de traces.
00:36 Kiana et Ali Rahmani, bonjour à tous les deux.
00:40 Bonjour.
00:41 Bonjour, je précise que vous êtes jumeaux.
00:43 Approchez-vous de votre micro Kiana.
00:45 Voilà, rien décidément ne fera taire votre mère, même pas son enfermement.
00:50 Donc c'est encore un texte qu'elle a réussi à faire sortir de sa prison.
00:54 Et pourtant, le prix Nobel n'a fait qu'aggraver ses conditions de détention.
01:00 Qu'est-ce que ça a changé concrètement pour elle au quotidien ?
01:02 Ali ?
01:03 Alors, il faut savoir que ma mère est de maintenant, aujourd'hui, très isolée.
01:08 D'ailleurs, c'est complètement normal.
01:10 Ses géoliers, ses bourreaux, essaient vraiment de la faire taire.
01:12 C'est une stratégie que le gouvernement islamique fait très souvent subir aux prisonniers
01:17 et prisonnières politiques iraniennes.
01:18 Aujourd'hui, ma mère, elle représente quand même un symbole.
01:21 Pas forcément pour tous les Iraniens, mais quand même pour une petite partie.
01:24 C'est quelqu'un qui a fait en sorte que la prison d'Evin soit un lieu de protestation.
01:30 Quelque chose qui est quand même incroyable.
01:31 Je vous rappelle que la prison d'Evin, c'est quand même l'endroit où on fait taire
01:36 des prisonniers politiques iraniens et iraniennes.
01:38 Et ma mère aujourd'hui, avec ses coéquipiers, ses co-détenus, elle a fait en sorte que cet
01:45 endroit-là devienne un lieu de résistance.
01:48 - Sauf que plus ça va, plus on la coupe de l'extérieur.
01:53 Elle n'a plus le droit de téléphoner par exemple, votre mère ?
01:56 - Oui, ça fait deux ans qu'on ne peut plus l'appeler et on n'a plus contact directement
02:03 avec elle.
02:04 On a eu des contacts, mais indirectement.
02:07 C'est-à-dire qu'elle peut appeler deux numéros, ce sont deux personnes qui vivent en Iran,
02:12 et on avait des contacts indirectement, mais des nouvelles d'elle grâce à eux.
02:16 Mais maintenant, depuis deux mois, tout contact a été coupé, plus de visite, plus d'appel,
02:21 plus rien.
02:22 - Depuis cinq mois.
02:23 - Depuis cinq mois en fait, depuis l'annonce du Nobel.
02:26 - Exactement.
02:27 - Plus de visite non plus ?
02:28 - Non, plus de visite, tout est coupé.
02:30 C'est pour l'isoler et la faire taire.
02:32 - Justement, c'est la stratégie qu'ils ont adoptée contre ma mère, et d'ailleurs
02:34 pas que ma mère, également d'autres prisonniers politiques.
02:37 - C'est ça, je vais expliquer.
02:38 La Torture Blanche, Narges Mohammadi, votre maman, elle raconte sa propre expérience dans
02:43 le début du livre, et ensuite, elle interroge ses coéquipières.
02:47 C'est joli Ali, coéquipières, c'est mieux que co-détenus, vous avez raison, parce qu'on
02:51 sent qu'il y a une vraie solidarité, elles forment une équipe ensemble.
02:54 Elles étaient 60 dans la grande sélune, où elle était retenue, et les unes après
03:02 les autres, elle raconte ses mises à l'isolement.
03:04 Et Narges Mohammadi, elle dit que la mise à l'isolement, c'est la mère de toutes
03:08 les tortures en Iran.
03:10 Parce que l'isolement, ça fait craquer, psychologiquement, Ali ?
03:14 - En fait, la Torture Blanche, c'est justement comme vous avez dit, que parler de l'isolement.
03:18 L'isolement fait en sorte que la personne, le prisonnier politique iranien, craque.
03:22 Qu'il fasse des aveux qu'il n'a pas envie de faire, qu'il n'a même pas commis.
03:25 Ça peut être des prisonniers politiques iraniens, et parfois, ça peut même être
03:29 des personnes qui n'ont strictement rien fait.
03:30 Qui se sont juste trouvées dans le jeu que le Sépa, que les gardiens de la Révolution
03:36 créent de toutes pièces.
03:37 Ces personnages vont se trouver dans ce jeu, vont être accusés d'espions, de tueurs,
03:42 etc.
03:43 Et ils peuvent être exécutés, ils peuvent être torturés, et des choses complètement
03:47 terribles.
03:48 Et ma mère, justement, dans cette libre-là, elle essaie de dénoncer cela.
03:50 La Torture Blanche, la torture invisible, parce qu'il ne laisse pas de traces, mais
03:55 qui est quand même bien présente, doit être abolie.
03:57 Et elle continuera jusqu'à la fin.
03:59 - Alors, Kana, comment ils sortent de cette prison, ces écrits, ces lettres qui sont
04:04 publiées dans le monde entier, ce livre qui paraît là aujourd'hui, c'est albin-michel.
04:07 - Alors, je pense que si je vous donnais les tuyaux, ma mère aurait eu une grosse peine.
04:12 Je ne peux pas dire exactement comment elle les fait sortir, parce que c'est confidentiel.
04:17 Et surtout, je ne suis pas au courant, parce que très peu de personnes sont au courant.
04:21 Elle, et je pense quelques personnes.
04:23 Mais en tout cas, tout ce qu'on sait, c'est qu'elle réussit à les faire sortir.
04:27 Mais attention, ce ne sont pas des cadeaux qu'elle envoie.
04:29 Évidemment, c'est considéré comme criminel.
04:32 Et ensuite, on lui rallonge sa peine.
04:34 On lui ouvre des nouveaux dossiers.
04:35 Elle en a déjà deux en cours qui n'ont pas été ouverts.
04:39 - Sa peine a été encore alourdie.
04:41 - Évidemment, elle a envoyé le discours à Nobel.
04:44 Elle envoie plein de lettres en ce moment.
04:46 Donc oui, c'est considéré comme criminel.
04:48 - Et alors Kana, comme vous, vous ne pouvez plus du tout lui parler depuis quelques mois.
04:52 Vous découvrez ses lettres en même temps que nous tous, c'est ça ?
04:55 - Oui, c'est ça.
04:56 Je trouve que ce n'est pas très normal, voire pas du tout, pour avoir des nouvelles
04:59 de sa mère, taper son nom sur Google.
05:01 C'est ce que je fais pour voir les nouveautés, les nouveaux articles.
05:04 C'est comme ça que j'ai des nouvelles d'elle.
05:05 - Et donc, personne de la famille n'a pu...
05:08 En fait, qu'est-ce qu'elle a su du Nobel ?
05:11 Qu'est-ce qu'elle a su de la cérémonie de prix au mois de décembre ?
05:14 - Je sais qu'il y a beaucoup de bruit à Évin.
05:17 Il y a des co-détenus qui se passent les messages, etc.
05:19 On ne sait pas comment ils les savent, mais il y en a qui ont toujours le droit au téléphone.
05:23 Donc je pense que c'est comme ça qu'ils l'ont appris.
05:25 Mais je pense que c'est par les bruits et surtout, ma mère l'a appris parce que le
05:29 gouvernement iranien était en train de cracher sur le Nobel et sur elle.
05:33 Donc c'est comme ça qu'elle l'a appris.
05:34 - Ça ne l'aura pas plu du tout.
05:36 Et elle a entamé une grève de la foule juste après l'annonce.
05:40 Comment ça s'est passé pour vous ?
05:42 Vous étiez habillés en noir, vous êtes montés tous les deux sur la scène.
05:47 Vous aviez laissé une chaise vide qui représentait l'absence de votre maman.
05:51 Vous avez lu son discours.
05:53 Gros trac ?
05:54 - Ouais, ça va.
05:55 - Ça va, gros trac ?
05:56 - Personnellement, au début c'était le cas, mais je me suis retourné, j'ai vu le visage
06:00 de ma mère et je me suis dit "ça va aller".
06:02 - Parce qu'elle avait un grand portrait d'elle, c'est ça ?
06:03 - Exactement.
06:04 - Ça va aller.
06:05 - Je vous explique franchement, ça va aller.
06:06 - Elle aurait été vraiment, à mon avis, très très fière de vous.
06:13 Alors, il faut savoir que Ali et Kiana, vous avez une vie très particulière.
06:17 Vos deux parents font figure d'ennemis public numéro un en Iran.
06:21 Ce n'est pas commun dans l'histoire d'un enfant.
06:24 Votre père, Taghi Rahmani, militant des droits humains, lui il est arrivé en France
06:28 un peu avant vous, il est arrivé en France en 2012, il avait déjà fait 15 ans de prison,
06:33 c'est ça Ali ?
06:34 - 14 ans.
06:35 - 14 ans.
06:36 Et même RSF lui avait décerné le prix du journaliste le plus emprisonné, ce qui arrive
06:40 quand même rarement.
06:41 Vous avez un petit peu vécu avec vos deux parents en même temps ?
06:44 - Seulement 4 ans.
06:46 - Seulement 4 ans ?
06:47 - Mais c'était de notre première année jusqu'à notre quatrième.
06:50 - C'est ça.
06:51 Et ensuite, il y en a toujours un qui était…
06:53 - Et parfois aucun qui était là.
06:54 - Mais on a plus vécu avec papa que maman.
06:56 - Bah maintenant ouais.
06:57 - Maintenant ouais, c'est ça.
06:58 Donc vous vous êtes arrivés en France en 2015.
07:01 - Exactement.
07:02 - Vous parliez un petit peu de français ?
07:03 - Ah pas du tout, pas un seul mot.
07:04 En fait on ne savait pas qu'on allait s'installer.
07:05 On nous l'a appris après un mois de visite.
07:08 - On allait servir de moyen de pression sur ma mère et du coup c'était vraiment mieux
07:12 qu'on vienne s'installer en France.
07:13 - Exactement.
07:14 - Parce que c'est quelque chose dont elle parle, Narges Mohamadi, dans le début du
07:19 témoignage, dans Torture Blanche, c'est-à-dire qu'il y a eu les mises à l'isolement avant
07:22 votre naissance et puis il y a eu les mises à l'isolement après votre naissance.
07:26 Et là on sent le poids de la maternité parce que c'est dur d'être séparé de ses enfants.
07:32 Donc en fait, malgré vous, vous faites partie de cette histoire.
07:34 - Et vous savez, ma mère c'est quelqu'un de très très fort et aujourd'hui les femmes
07:39 iraniennes, les militants et les militantes iraniennes sont déterminées.
07:42 Ils ne sont pas guidés par la haine et le désespoir, mais pas par cela.
07:46 Pas quelque chose d'encore plus grand.
07:48 L'espoir et la liberté.
07:51 Du coup cela donne encore plus de force.
07:54 Malheureusement, aujourd'hui, pour la liberté, on doit faire des sacrifices.
07:56 Ces sacrifices-là ne sont pas normaux.
07:58 Je tiens à le préciser, ce n'est pas du tout normal de ne pas voir ses enfants, que
08:03 les enfants ne puissent pas parler à leur mère.
08:04 Mais aujourd'hui, en Iran, c'est une réalité.
08:06 Certaines personnes très courageuses sont prêtes à faire ces sacrifices-là.
08:09 Ma mère en fait partie et n'est pas la seule.
08:11 Il faut très très bien la souligner.
08:12 - Ça veut dire qu'elle vous a sacrifié pour le cause de son combat ?
08:15 - Elle ne m'a pas utilisé ce mot "sacrifié", mais elle s'est donnée elle pour la cause.
08:20 - Sauf que c'est bon de le rappeler quand même que ma mère, si aujourd'hui elle se
08:22 bat en Iran, c'est aussi pour ma soeur et moi.
08:24 Pour que dans notre pays, on ait autant de droits que...
08:27 Ma soeur ait autant de droits que moi.
08:29 Ça aussi, il faut le signaler.
08:30 - Vous pensez que vous y retournerez ?
08:31 - On espère, évidemment.
08:33 Pas en ce moment, parce que je pense que dès qu'on mettra les pieds à la station, vu ce
08:37 qu'on a fait, mais voilà.
08:38 - Il faut parler aussi, parce que ça fait partie de l'arsenal pour la faire taire, du
08:42 fait qu'on lui refuse des soins médicaux.
08:45 Donc il faut vous expliquer qu'elle a des gros soucis de santé.
08:48 - Elle a des problèmes de cœur.
08:50 - La fainéité cardiaque.
08:52 - Sa santé est assez fragile.
08:54 Justement, on refusait de l'emmener à l'hôpital parce qu'elle refusait de porter son vol obligatoire.
08:59 Evidemment, trois fois d'affilée, on a refusé.
09:02 Elle a continué à refuser de porter le vol, mais finalement, victoire.
09:07 Sa santé n'était pas au top, mais elle a réussi à être emmenée sans son vol obligatoire.
09:12 - Elle a ses médicaments ?
09:13 - Non.
09:14 - C'est toujours assez compliqué.
09:18 Il y a une expression qui dit que le gouvernement iranien, quand ils n'ont pas envie de se
09:22 salir les mains, ils ne donnent pas les médicaments.
09:24 Justement, prisonniers.
09:25 - Pour tuer en silence.
09:26 - C'est ça, ça rappelle un peu Navalny.
09:29 En Russie, évidemment, c'est ça qui vient de se produire.
09:32 Alors, le texte de Nargestan Mohammadi par Echelbin Michel, ça s'appelle "Torture blanche".
09:37 Kiana et Ali, je vous remercie d'être venus tous les deux ce matin au micro de France
09:41 Inter, vous manquez un petit peu le lycée ce matin ?
09:43 - Oui, c'est pas si grave.
09:46 - C'est un lycée très compréhensif, nos professeurs sont très gentils, la direction
09:52 est quand même très compréhensive.
09:53 - Eh bien, c'est normal.
09:55 Bonne journée à tous les deux.

Recommandée