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Anthropologue et directrice de recherches à Sciences Po, Farida Adelkha a été emprisonnée pendant quatre ans à la prison d'Evin, en Iran. Elle relate son expérience dans un livre, "Prisonnière à Téhéran : une ethnologue détenue dans les geôles iraniennes" (ed. du Seuil). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-11-novembre-2024-9578209

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00:007h49, Sonia De Villers, votre invitée ce matin est anthropologue, elle est l'auteur
00:09de « Prisonnières à Téhéran » publiée aux éditions du Seuil.
00:14Elle est franco-iranienne, directrice de recherche à Sciences Po, arrêtée à l'aéroport
00:18de Téhéran le 5 juin 2019, accusée d'espionnage, incarcérée à la prison des Vines, elle
00:25risque alors la peine de mort.
00:27Elle est graciée au bout de 4 années, graciée mais pas acquittée, donc toujours comptable
00:32de crimes qu'elle n'a pas commis.
00:34Fariba Adelka, bonjour !
00:36Bonjour Sonia !
00:37Adelra, devrais-je dire, c'est ça ?
00:40C'est parfait !
00:41Si je veux le prononcer à l'iranienne.
00:43Ces accusations d'espionnage, vous auriez dû les prendre en sérieux ?
00:46Je faisais trop confiance à mon université, à mon métier, à ce que je faisais pendant
00:5430 ans, donc finalement je n'étais vraiment jamais inquiétée, mais mon travail était
00:58à convaincre les autres, et ça c'était un travail très long.
01:01En Iran, on n'est jamais trop paranoïaque ?
01:04Disons, quand on est là, je crois, il ne faut pas l'être.
01:09Je dis ça parce que vous écrivez dans votre livre « Malgré moi, j'ai appris que les
01:14interrogateurs, une fois qu'on est aux mains de la justice, fautent de trouver des preuves
01:19politiques à votre rencontre, fouillent votre ordinateur et votre téléphone portable et
01:23disposent ainsi d'une arme redoutable, au détriment des prisonnières qui vivent
01:28dans l'angoisse mortelle, que leur vie la plus intime soit étalée sur la place publique.
01:34On a donc de bonnes raisons d'être paranoïaque en Iran ?
01:37Oui, mais en même temps, dans ce cas-là, c'est vraiment, comme vous dites, une arme.
01:46C'est une façon de pouvoir faire parler les gens, en mettant sur table leur vie professionnelle,
01:52leur vie privée, je veux dire.
01:55Aujourd'hui, je crois que c'est 20 ans, 25 ans de vie qui est sur mon ordinateur et sur
02:01mon mobile, tout ce qui a été confisqué.
02:04Je suis ici, mais ma vie, elle est dans la main des gens que je ne connais pas.
02:09Donc, effectivement, c'est quelque chose de très angoissant.
02:13Alors, vous voici prisonnière politique parmi les prisonnières politiques.
02:19En quoi une chercheuse, une anthropologue, compte parmi un contagion de prisonnières
02:27politiques ?
02:28Si vous voulez, en prison, on est entre les moudjahids qui veulent renverser un régime
02:34et les gens qui ne demandent rien d'autre que la liberté de mise ou encore moi qui
02:39faisais tout simplement mon boulot.
02:40Tout est mélangé, Aïevi.
02:43On ne comprendra pas ce qu'est la définition de prisonnière politique.
02:48D'ailleurs, le régime iranien dit qu'on n'a pas de prisonnière politique, ce sont
02:52des gens qui mettent en cause la sécurité de l'État.
02:54Donc, on a des prisonnières sécuritaires.
02:56Donc, c'est vraiment politique et sécuritaire.
02:59Donc, les politiques n'existent pas, nous mettions en cause l'intégrité de l'État.
03:04Et alors, le problème, c'est que comme tout le monde est mélangé, Aïevi, vous l'avez
03:07dit, les moudjahidines, mais aussi des royalistes, des derviches, des convertis au christianisme,
03:12des écologistes, des activistes du mouvement des 14 femmes, des journalistes, des kurdes,
03:16des étudiantes, des militantes pour la liberté vestimentaire.
03:20Et donc, en fait, on se retrouve avec des factions qui souvent s'opposent, parfois
03:24se détestent.
03:25Et ça rend la vie quotidienne entre ces femmes très difficile.
03:28C'est une unité sociale.
03:31Donc, les gens vivent 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, 30 jours par mois.
03:36Les unes sur les autres.
03:38Oui, on est entre 20 et 60, ça dépend des moments de l'année.
03:43Et donc, évidemment, pour avoir le calme, vous marchez sur les pieds les unes des autres.
03:51Quand je parle des autres, je parle aussi de moi.
03:53On peut être un danger sans le savoir, enfin un dérangement sans le savoir.
03:57Donc, ça, c'est vraiment le côté peut-être difficile.
04:00J'ai souvent dit une phrase qui n'est pas acceptable de dire, comme en vrai, Jéoliette
04:05et les Côtes de Tenou.
04:06Parce qu'on est sous surveillance les unes des autres, on est attaqués, on attaque les
04:10unes des autres, on les estime.
04:12Il y a des célébrités de prison, il y a les autres, ce qu'on n'entendra jamais.
04:17Il y a des prisonnières plus médiatiques que d'autres.
04:19Oui, voilà.
04:20Il y a des gens qui font la grève de la faim, mais de qui on ne parle jamais.
04:24Elles sont dans leur lit, personne ne va même leur caresser une main, etc.
04:29Donc, en fait, vous continuez de pratiquer une forme d'anthropologie au sein de la prison
04:34et vous décortiquez ce terrain d'anthropologie, vous décortiquez cette unité sociale et vous
04:40le faites comme personne ne raconte la prison, c'est-à-dire que vous racontez les conflits,
04:47les rivalités, la méchanceté, la volonté de s'exclure les uns des autres, de médire
04:52les unes des autres.
04:53C'était mon mode de résistance, en fait.
04:55Si vous voulez, quand on prive quelqu'un de sa liberté, on ne la prive pas forcément
04:59de son métier.
05:00J'essayais de survivre en transformant la prison en objet d'étude, c'est vraiment
05:07le principe de l'arrosor arrosé.
05:09Donc, j'ai transformé les interrogatoires, les gardes et les co-détenus en lieu de travail.
05:15Comme ça, je pouvais évidemment repenser à d'autres choses que l'attente qui est
05:21absolument mortelle, l'expectative en prison et qu'on ne sait pas finalement pourquoi
05:26on est là.
05:27Mais donc, au passage, terminez les clichés, la sororité, la solidarité entre ces femmes
05:34détenues.
05:35C'est tout à fait mon intention, aussi, de parler un peu du mythe d'Evin, parce
05:39qu'il y a vraiment beaucoup de fantasmes sur cette prison.
05:41Donc, j'essayais de mystifier, mais aussi de parler sur cette solidarité dont vous
05:46mentionnez.
05:47Et vous dites aussi, Evin, paradoxalement, ça peut devenir un lieu d'émancipation.
05:52Il y a des femmes qui apprennent à lire, qui s'instruisent en prison.
05:55Il y a des militantes dont personne ne parlait, qui entrent dans la lumière parce qu'elles
06:00sont arrêtées.
06:01Et il y en a même qui exploitent cela.
06:03C'est-à-dire qu'en fait, qui se forgent un statut de victime, de persécutée.
06:06Tout est dans la médiatisation, tout est dans la communication.
06:09Oui, en cela, je voulais dire, comme bien des prisonnières, elles ne sont pas seulement
06:14victimes, mais elles peuvent être actrices de leur vie.
06:18Et donc, oui, en transformant la prison en un lieu où on parle d'elle, elle devient
06:22quelqu'un.
06:23Plusieurs personnes m'ont dit en prison, on parle de moi, je préfère être là pour
06:27faire mon boulot, qui est donc les activistes sociaux, et d'autres pour faire des études
06:32à l'intérieur de prison.
06:33Donc, elles n'ont vraiment surtout pas envie de retourner, mais pas qu'elles aient envie
06:37de rester.
06:38Forcément, mais en même temps, elles savent tirer de l'avantage d'une situation de
06:42détresse, d'une situation désavantageuse, pour effectivement être une opportunité.
06:49La question du voile devient un enjeu en prison.
06:53Porter ou ne pas porter le voile quand on va se faire soigner, quand on est convoqué
06:59devant le juge, une écrivaine, poétesse, théologienne, réputée, Cédiguet, Vachemagui,
07:08je prononce mal son nom, qui elle-même, qui est une femme qui a votre âge, qui a une
07:11soixantaine d'années, qui porte le voile par conviction, qui a décidé de se dévoiler
07:16parce qu'elle proteste contre, non pas le port du voile, mais l'obligation de porter
07:20le voile.
07:21Elle proteste contre la violence des agents qui appliquent les lois.
07:24Une fois qu'elle a été arrêtée l'année dernière, enfin non, là, au printemps, elle
07:28a refusé d'aller devant le juge avec le voile.
07:30Oui, alors, si vous voulez, cette histoire du voile à l'intérieur de la prison, ça
07:35a commencé plutôt avec le mouvement Femmes et Libertés, donc les filles refusent de
07:41plus en plus le port du voile pour sortir.
07:43Ce qui est effectivement difficile parce que c'est aussi une condition pour pouvoir
07:47aller chez le médecin ou aller voir sa famille, c'est une condition.
07:50Mais alors cette femme, c'est extraordinaire, si vous voulez, derrière ce grand mouvement
07:54dont on parle beaucoup de sa vivacité, d'ailleurs, ce qui est vrai, on oublie que d'autres formes
07:59de résistance qui ne sont pas nouvelles.
08:02C'est vraiment, surtout cette femme qui est effectivement très courageuse, comme
08:06je dis tout le temps, elle vaut deux prix Nobel par un seul, parce qu'effectivement,
08:12elle a plein de convictions en voile, qui est un symbole aussi, mais en même temps,
08:18elle conteste, elle a contesté la façon dont les femmes sont traitées à travers le voile et par l'intérieur.
08:25Et on a des nouvelles de cette jeune femme, de cette étudiante qui s'est déshabillée
08:29au milieu de l'université, dont l'image a fait le tour du monde.
08:33Non, hélas, mais je peux dire que c'est un peu aussi comme moi, moi j'ai fait cinq
08:37jours de grève avant que je puisse donner un coup de fil à ma soeur pour la tranquilliser.
08:41Elle ne se souvenait même pas que j'étais en Iran, donc c'est pas grave, mais en même
08:45temps, je veux dire qu'il y a une partie où, effectivement, la prisonnière, elle
08:49est seule, enfin, elle est arrêtée, parce qu'on n'a pas la prisonnière, elle est
08:52seule, mais il y a plusieurs moments dans l'arrestation des prisonnières.
08:56Donc cette partie, elle est dans la main de ces interrogateurs pour comprendre s'il
09:00y a quelque chose derrière ce mouvement ou pas.
09:02Je ne dis pas que ce n'est pas grave, mais en même temps, je dis que c'est très normal
09:06que la première perte, à peu près une dizaine de jours, et après vous êtes dans l'arrestation
09:11provisoire et enfin en prison.
09:12Nicolas Demorand Merci beaucoup Fariba Adelka, prisonnière
09:16à Téhéran et publiée aux éditions du Seuil.

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