• il y a 9 mois
Vendredi 8 mars 2024, ART & MARCHÉ reçoit Colonel Hubert Percie du Sert (chef, OCBC) et Armance Gay (spécialiste en art d'après-guerre et contemporain, Sotheby's)

Category

🗞
News
Transcription
00:00 [Générique]
00:08 Bonjour à toutes et tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:13 Pour l'actualité de la semaine, Sotheby's a lancé les ventes Contemporary Discoveries à Paris.
00:18 Une volonté de toucher plus de jeunes acheteurs et Armand Sguek, spécialiste en art d'après-guerre et contemporain chez Sotheby's,
00:25 sera dans Visio pour nous détailler ce lancement.
00:28 Pour l'interview de la semaine, j'ai la joie d'interviewer le colonel Hubert Percy du CERC, chef de l'OCBC.
00:33 L'OCBC, c'est l'Office Central de Lutte contre le Trafic de Biens Culturels.
00:38 Alors que les affaires de trafic d'œuvres d'art font régulièrement l'actualité, nous verrons comment ces enquêtes sont menées à bien par l'Office.
00:46 Merci à vous tous et toutes qui nous rejoignez. Tout de suite, c'est Art et Marché.
00:50 [Générique]
00:54 Les ventes Contemporary Discoveries ont été lancées à Paris.
00:57 Armand Sguek, spécialiste en art d'après-guerre et contemporain chez Sotheby's, est avec nous en Visio.
01:03 Est-ce que vous pouvez nous détailler ce lancement ?
01:06 Qu'est-ce qui est différent des autres ventes qu'il y a en ligne sur le site de Sotheby's et pourquoi les avoir lancées ?
01:13 Bonjour Sylville, merci de me recevoir.
01:16 La vente Contemporary Discoveries, c'est un nouveau concept, un nouveau format de vente qui a été créé chez Sotheby's il y a quelques années.
01:25 Et en effet, dont la première édition parisienne a eu lieu il y a quelques semaines.
01:29 En fait, il s'agit d'une vente dans laquelle nous avons la liberté de montrer aux côtés des artistes d'après-guerre et contemporains établis que nous avons l'habitude de montrer chez Sotheby's,
01:39 des artistes de la nouvelle génération que l'on pourrait appeler artistes émergents, dont pour certains c'est la première fois qu'ils apparaissent en vente aux enchères.
01:48 Et donc cette vente nous permet de mettre en regard dans le catalogue et puis dans l'exposition des artistes contemporains de plusieurs générations différentes,
01:56 des niveaux de prix différents, et donc par ce biais de s'adresser à un public plus large que notre public traditionnel.
02:03 C'est vrai que Sotheby's a souvent une image d'une maison de luxe plutôt prestigieuse, et donc le but de ces ventes c'est de démocratiser la collection d'art
02:13 et rendre le fait de collectionner et de commencer une collection plus accessible finalement.
02:17 Et pourquoi les avoir lancés à Paris après les différentes villes dans lesquelles ça existe déjà?
02:22 Donc en effet, la première vente Discovery a eu lieu en mars 2022 à New York.
02:28 S'en sont suivis des ventes à Londres, à Hong Kong et même à Milan.
02:33 Et donc Paris c'était un peu finalement la suite logique, surtout avec la particularité historique qu'a Paris de vendre moins d'art contemporain,
02:42 d'art très contemporain que Londres ou New York.
02:47 Souvent Paris est spécialisé dans l'art d'après-guerre, l'école de Paris, etc.
02:53 Et donc avec cette vente-là, on répond finalement vraiment à une demande des collectionneurs, de nos collectionneurs parisiens,
03:00 de voir plus d'art contemporain, plus d'artistes émergents, de jeunes artistes.
03:04 Et c'est aussi une inflexion très stratégique qu'on veut donner à nos ventes d'art contemporain à Paris.
03:10 Est-ce que vous avez déjà un bilan de ce qui vient de se passer il y a quelques semaines?
03:15 Oui, on a un bilan déjà très positif.
03:19 D'abord en termes de résultats, ce qu'on regarde toujours c'est le résultat total de la vente par rapport à l'estimation basse de départ de la vente.
03:30 Ici le résultat total a dépassé l'estimation de base de la vente, donc c'est déjà un très bon indicateur.
03:37 C'est une vente où comme les prix de départ sont moins élevés, on voit aussi vraiment de très belles envolées d'enchères.
03:42 Donc il y a des œuvres qui ont doublé, triplé, quadruplé même leurs estimations basses.
03:47 Et ce qui est très important c'est qu'on a aussi un taux de lot vendu qui avoisine les 90%,
03:53 donc beaucoup d'œuvres vendues, plus que dans nos ventes traditionnelles.
03:58 Et le dernier chiffre qui est important et qui montre que cette vente a vraiment atteint ses objectifs,
04:04 c'est le pourcentage de nouveaux enchérisseurs et de nouveaux acheteurs,
04:08 donc de personnes qui ont enchéri pour la première fois chez Sotheby's lors de cette vente.
04:13 Et ici il est aux alentours de 15%, ce qui est aussi très positif par rapport à nos ventes traditionnelles.
04:19 Merci beaucoup Armand Szege, je rappelle que vous êtes spécialiste dans l'art d'après-guerre et contemporain chez Sotheby's.
04:24 Et tout de suite on passe à l'interview de la semaine.
04:26 Vol, recel, de biens culturels, affaires de faux, voire de blanchiment, c'est un service dédié de la police judiciaire
04:38 qui s'occupe de toutes ces affaires concernant le trafic de biens culturels.
04:42 Cela s'appelle l'OCBC, Office Central de lutte contre le trafic de biens culturels,
04:47 et nous recevons aujourd'hui son chef, le colonel Hubert Percy du CERF.
04:51 Merci beaucoup d'être avec nous.
04:53 Bonjour, merci de m'avoir invité.
04:55 Alors l'OCBC, est-ce que vous pouvez nous présenter un peu plus en détail ce que c'est,
04:59 quelles sont véritablement les missions au quotidien de cet office ?
05:03 Alors l'OCBC est un office un peu particulier, parce que c'est un office qui a la croisée des chemins,
05:09 qui est constitué de policiers et de gendarmes.
05:13 C'est un office de la police nationale, commandé par un gendarme,
05:16 parce que la lutte contre le trafic de biens culturels concerne autant les forces de police
05:21 que les forces de gendarmerie dans leur zone de compétence respective.
05:26 C'est un office qui a les prérogatives de tout office central de police judiciaire,
05:29 c'est-à-dire une compétence nationale pour conduire des enquêtes sur le territoire national et à l'international,
05:36 la capacité à animer et à coordonner sa thématique sur le territoire national avec les unités localement implantées.
05:45 Et puis pour atteindre cet objectif, on a des missions qui nous sont dévolues,
05:51 qui sont l'investigation criminelle, le renseignement criminel, la formation, la prévention et la coopération internationale.
05:59 Donc ces cinq missions nous permettent d'être le chef de file de notre thématique au niveau national.
06:06 Et ça nous oblige aussi à fédérer les différents acteurs.
06:10 C'est pour ça que je vous dis qu'on est à la croisée des chemins,
06:12 parce qu'on travaille avec les grands services de renseignement,
06:15 on travaille avec le ministère de la Culture, on travaille avec le ministère de la Justice,
06:18 on travaille avec le ministère de l'Economie et des Finances, notamment les douanes.
06:22 Donc on a des partenariats sur tous les acteurs qui ont un rôle d'efficacité et un rôle majeur dans la lutte contre les trafics.
06:30 Et vous êtes combien en tout ?
06:32 Alors on est une petite start-up, on est 33, avec une parité d'enquêteurs police et d'enquêteurs gendarmerie,
06:39 mais on a aussi des enseignants-chercheurs.
06:43 Donc on a constitué un réseau d'enseignants avec des doctorantes qui sont au service de l'OCBC
06:49 pour faire de la prospective et du travail de fond.
06:52 Et avant de donner des exemples concrets, je vais poser la question très simplement,
06:57 pourquoi c'est grave le trafic culturel ? Quelles sont vraiment les conséquences ?
07:01 Parce que c'est vrai qu'on peut être très éloigné de ça,
07:05 pourtant c'est quand même un des plus grands trafics mondiaux qu'il y a, qui existe.
07:10 Alors c'est un trafic qui est grave et qui est sensible,
07:15 parce que d'abord quand vous volez un bien culturel, que vous le dénaturez, que vous le détruisez,
07:23 vous détruisez une part de culture, une part d'identité, une part du patrimoine commun qui nous appartient à tous.
07:33 Ensuite c'est un trafic et c'est une activité criminelle qui est importante
07:39 parce qu'elle va intégrer un certain nombre d'activités et d'organisations criminelles dans tout le processus
07:46 pour arriver à une situation de revente des objets.
07:50 Et donc le trafic de biens culturels, c'est le blanchiment d'objets qui ont été volés,
07:57 qui ont été contrefaits ou qui ont été pillés.
07:59 Donc il y a tout un processus criminel lié au blanchiment,
08:03 avec des gens très structurés qui savent très bien ce qu'ils font et qui sont issus de la vraie criminalité organisée,
08:10 ou alors le blanchiment des avoirs criminels, c'est-à-dire des organisations criminelles qui ont des revenus
08:16 et qui cherchent à investir dans le marché de l'art parce que les biens culturels ont une valeur intrinsèque
08:22 qui résiste au temps de crise et donc ils essayent d'investir pour blanchir leur argent et lui donner une apparence légale.
08:32 Donc ça peut être très lié, très croisé avec d'autres trafics ?
08:36 Oui, oui. La particularité des trafics de biens culturels, c'est qu'à un moment donné,
08:43 quand vous voulez rentrer dans cette opération de blanchiment, c'est-à-dire soit blanchir de l'argent,
08:47 soit blanchir un objet, c'est-à-dire lui donner une existence légale,
08:50 il va falloir que vous passiez par les acteurs et les intervenants du marché de l'art,
08:55 que ce soit des brocanteurs, des antiquaires ou des commissaires priseurs,
08:59 par un réseau de sachants qui lui doit exercer et exerce sa vigilance sur la réalité des pièces qui lui sont présentées.
09:09 Comment ça se passe alors une enquête ? Est-ce qu'il y a des phases que vous retrouvez régulièrement dans chaque enquête
09:16 où elles sont toutes très différentes ? Est-ce que vous avez des exemples à nous donner pour capturer tout ça ?
09:21 Alors, il faut préciser que nous on travaille sur trois aspects.
09:27 On démarre nos enquêtes dès lors qu'il y a un élément légal, un élément matériel et un élément intentionnel.
09:31 L'objectif pour nous est de démontrer l'intentionnalité des gens qui ont détenu des biens culturels,
09:37 c'est-à-dire est-ce qu'ils savaient que les objets étaient volés ?
09:41 Nos enquêtes démarrent comme toutes les enquêtes de poli-judiciaire, à partir d'un renseignement,
09:46 à partir d'un signalement, à partir d'un signalement par une administration qu'on appelle les articles 40,
09:52 à partir d'un vol qui nous est signalé et d'une plainte qui est prise.
09:57 Et la particularité c'est que très rapidement nos enquêtes nous amènent à conduire des investigations à l'international.
10:04 C'est pour ça qu'on a un important réseau de coopération avec les grandes agences Europol, Interpol,
10:10 mais avec toutes les polices européennes et les polices, on est en relation assez régulière avec les forces de police américaines.
10:17 Donc ce sont des investigations qui vont généralement à l'international et puis qui sont menées avec des experts,
10:26 des expertises artistiques, professionnelles, scientifiques et la capacité à illustrer et à retrouver le parcours de l'objet.
10:36 Point particulier c'est qu'il y a une vraie vulnérabilité dans le trafic de biens culturels qu'on retrouve dans toutes nos enquêtes, c'est l'objet.
10:44 Parce que l'objet dès lors qu'il est identifié, photographié, sa carte d'identité permet de le tracer tout au long de sa vie
10:50 et de savoir qui elles sont les personnes qui l'ont détenu.
10:53 Donc on arrive à remonter sur quasiment toute la filière de recel, parfois même et assez souvent jusqu'au voleur.
11:01 Donc c'est un réseau qui dès lors qu'on a ces éléments d'identification avec l'inscription des objets volés dans la base TREMA,
11:09 lors mise sous surveillance pendant des années parce que certains objets peuvent réapparaître des années après,
11:15 on est capable avec des outils d'intelligence artificielle que l'on développe à l'OCBC de retrouver ces objets
11:22 et de démarrer l'enquête et de dire vous êtes recelleur d'un objet qui a été volé dans un musée, qui a été volé chez un particulier.
11:28 L'IA est donc un bon outil pour vous ?
11:30 L'IA est un outil qu'on a développé dans le cadre d'un projet européen et qu'on est en train de tester et de faire monter en puissance.
11:38 Pour terminer cette interview, est-ce que vous pouvez nous donner un exemple d'une enquête que vous avez réalisée qui serait du coup maintenant terminée ?
11:45 Un exemple d'une enquête qui montre la sensibilité, c'est 2021 sur le site de Sakara, une chapelle funéraire où on découvre la chapelle funéraire d'un prêtre
11:55 et cette chapelle funéraire est fermée. En 2022 quand elle est réouverte, il y a des linteaux qui ont été pillés, arrachés et enlevés à coup de marteau-piqueur.
12:05 Pardon, je vous ai dit 2021, c'est 2002. Ces objets-là sont retrouvés en 2013 sur le marché français et on démontre dans le cadre de l'enquête de l'OCBC
12:18 que ces objets ont été pillés et qu'ils sont d'une provenance illicite et extraits illicitement du territoire égyptien.
12:27 Et donc au jugement, on a une restitution des objets à l'Etat égyptien parce qu'il y a préjudice pour le peuple égyptien, préjudice pour le tourisme
12:39 et en fait on a une situation où on s'aperçoit des implications diplomatiques d'un vol ou de la vente d'un achat sur le territoire français
12:49 qui a été pillé dans un pays étranger. Et donc ces enquêtes-là montrent la sensibilité diplomatique et des relations inter-étatiques autour des biens culturels.
13:00 Merci beaucoup le colonel Hubert Percy du CERGE, vous êtes le chef de l'OCBC. Merci d'avoir été avec nous aujourd'hui.
13:07 Et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
13:11 [Musique]