• il y a 9 mois
Anne Fulda reçoit Judith Chemla pour son livre «Notre silence nous a laissées seules» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 Bienvenue à l'Heure des livres, Judith Schemla.
00:02 Alors on vous connaît comme comédienne au théâtre, au cinéma.
00:06 Vous êtes actuellement dans une série qui passe sur Canal+,
00:09 "D'argent et de sang", série de Xavier Giannoli.
00:12 Et vous venez de publier un livre, "Notre silence nous a laissé seul",
00:17 un livre qui est paru chez Robert Laffont, un récit très touchant
00:20 sur ce que vous avez vécu et sur la manière, finalement,
00:24 d'appeler les femmes qui sont victimes de violences
00:27 à cesser d'accepter l'inacceptable.
00:30 Alors vous écrivez "J'ai toujours voulu échapper au réel,
00:32 mais le réel m'a rattrapée, il m'a forcée à le regarder".
00:36 On se demande, en lisant le récit des violences que vous avez subies
00:40 avec vos deux compagnons, qu'est-ce qui vous a finalement
00:45 permis d'échapper à ce déni ?
00:48 C'est un déni, une forme de déni ?
00:50 - Ce qui m'en a sorti ? - Oui, quel a été le déclic, en fait ?
00:53 J'ai toujours considéré que les choses qui m'arrivaient n'étaient pas normales,
00:57 mais j'avais confiance au changement.
01:03 Les beaux moments vous capturent aussi.
01:07 On pense, le merveilleux allié à des choses inacceptables
01:12 fait que vous restez, vous êtes pris dans un sortilège, un peu.
01:17 Et finalement, vous en arrivez à,
01:19 ayant une haute idée de ce que doit être une relation homme-femme,
01:24 de qui vous êtes, de à quoi vous avez le droit dans la vie,
01:27 d'aspirer, de créer, tout ça,
01:29 et bien vous vous retrouvez dans des situations qui sont intolérables.
01:33 Et le silence règne.
01:36 On prend beaucoup la parole en ce moment, on nous donne la parole
01:39 à celles qui osent parler, et c'est bien,
01:41 mais le silence règne tant vivent des choses absolument inacceptables.
01:46 Ce qui me permet, moi, de sortir définitivement des cercles
01:50 qui me gardent un peu dans des relations violentes,
01:53 c'est de voir mon visage marqué,
01:57 et je ne peux plus le cacher au monde extérieur.
02:01 Ça se voit dans la société, et là, je ne peux plus dire à mes enfants
02:06 "oui, j'ai ça, mais je continue".
02:08 Non, là, ça m'aide à basculer définitivement.
02:14 - Ce qui est frappant, c'est que vous racontez qu'en fait,
02:17 c'est arrivé à deux reprises, avec deux compagnons.
02:22 Comment vous expliquez cette reproduction ?
02:24 Obligatoirement, on se pose la question ?
02:26 - Oui, c'est normal qu'on se pose la question, et pourtant, c'est très commun.
02:32 - Qui ne veut pas dire qu'il faut inverser la charge de la cohabilité.
02:35 - Mais c'est facile de se dire "bon, c'est bien qu'elle le cherche un peu,
02:40 pourquoi elle est responsable, elle va vers des hommes comme ça".
02:42 Non, comme le disent Iles Lebesquot, comme le disent beaucoup,
02:47 quasiment toutes les personnes qui ont subi des violences,
02:50 tant qu'on n'est pas revenu profondément,
02:53 tant qu'on n'a pas pris conscience profondément que c'était inacceptable
02:59 et qu'il fallait se reconstruire vraiment,
03:02 enfin, entamer une reconstruction de soi qui amène forcément un regard
03:07 sur cette chose qui est sociétale.
03:09 Tant que finalement, on l'accepte, on vit notre petite vie comme ça,
03:12 on ne revient pas vraiment sur les choses qui se sont produites dans nos vies,
03:18 sur ces relations d'emprise et de violence,
03:20 et ça laisse une marque en nous, ça laisse une marque qui se sent.
03:25 C'est une permissivité, c'est une, comment dire,
03:30 l'odeur de la morsure d'un premier prédateur qui se sent.
03:35 Une trop grande tolérance, voilà.
03:39 Est-ce que cette permissivité que vous venez d'évoquer,
03:41 elle est spécifique au milieu artistique,
03:45 dans lequel on a coutume de dire,
03:47 alors certains disent qu'il faut distinguer l'œuvre de l'artiste,
03:49 certains disent que finalement, chez certains artistes,
03:54 la violence va de pair avec le talent, voire le génie.
03:58 Qu'est-ce que ça vous inspire, ce genre de jugement qu'on entend ?
04:03 L'artiste, il a une qualité comme ça un peu déifiée de créateur.
04:08 - Oui, mais il faut pas croire que dans le cinéma,
04:13 c'est bien pire qu'ailleurs.
04:14 Non, je pense que dans tous les cercles de pouvoir,
04:17 dans les familles, il y a des violences et des abus
04:21 quand on permet à un être d'être tout puissant.
04:27 Et ça arrive beaucoup, beaucoup, beaucoup.
04:30 - Oui, donc c'est plus une question de pouvoir que de milieu, à vous entendre.
04:34 - Oui, après le milieu, évidemment, l'a érotisé aussi, cette figure,
04:40 voilà, du démiurge et de sa créature.
04:46 On n'en est pas sorti.
04:47 Moi aussi, le fait d'être la muse, d'être une muse, c'est désirable.
04:54 On se sent regarder différemment,
04:56 mais en fait, on en oublie notre propre pouvoir.
05:01 - Dernière question, vous avez posté des photos de vous
05:03 sur Instagram en juillet, puis écrit ce livre.
05:06 Est-ce que c'est une forme d'acte politique, finalement ?
05:10 - Je m'en suis rendue compte après, quand j'ai posté ces photos,
05:14 ce que jamais dans ma vie je n'avais imaginé faire.
05:18 Jamais j'aurais pu imaginer en arriver là.
05:21 C'était un ras-le-bol total.
05:24 Et le fait de dire ces actes que tu as commis ne m'appartiennent pas.
05:28 Ils sont à toi.
05:28 Donc, ça suffit de continuer.
05:31 L'oppression continuait et elle peut continuer encore
05:34 sous plein d'autres formes.
05:36 On a beaucoup de mal à sortir de ça.
05:38 Quand on décide de le faire, c'est vraiment le parcours du combattant.
05:43 Et les témoignages que j'ai reçus en retour de ma prise de parole,
05:47 aussi chez Elia Salamé, m'ont confirmé,
05:50 enfin, m'ont fait prendre conscience du lien fou de l'intime
05:55 et du politique et du fait de sortir les violences du cercle privé.
06:01 - Très bien. Merci.
06:02 Je vous conseille de lire "Notre silence nous a laissé seul",
06:05 un livre qui est paru chez Robert Laffont.
06:07 Merci beaucoup, Judith Schemla.
06:09 - Je vous remercie.
06:10 (Générique)
06:14 [SILENCE]

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