Russie _ la nouvelle opposante à Poutine _ ARTE Reportage

  • il y a 7 mois
L’issue de l’élection présidentielle russe, du 15 au 17 mars 2024, est sans surprise. Vladimir Poutine, qui a écarté les candidats de l’opposition, va se succéder à lui-même. Président depuis le 7 mai 2000, le chef du Kremlin monopolise depuis 24 ans le pouvoir, étouffant toute dissidence sur sa route.

Après la candidature invalidée de Boris Nadejdine, Ekaterina Duntsova, 40 ans, journaliste et élue locale indépendante, s'est forgée en quelques semaines une surprenante popularité parmi les Russes opposés au Kremlin et à son offensive en Ukraine, preuve d’une dissidence encore vivante.
Après le rejet de sa candidature à la présentielle de mars, forte d’un réseau de soutiens locaux et de relais parmi les Russes exilés et misant sur un programme résolument anti-guerre, elle s’apprête à fonder un nouveau parti d’opposition au péril de sa sécurité et de sa vie.
Mêlée à la foule moscovite qui afflue pour rendre un dernier hommage à Alexeï Navalny, - dont la veuve, Ioulia Navalnaïa, a exhorté les Russes à exprimer leur opposition à Poutine -, Ekaterina Duntsova a partagé ses convictions avec calme et détermination avec notre équipe qui l’a accompagnée à ces funérailles et ces dernières semaines.

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Transcription
00:00 Fin janvier dans la banlieue de Moscou, Ekaterina Dunsova se met en route pour une mission risquée.
00:17 Elle va rejoindre ses partisans pour annoncer la création d'un nouveau parti politique.
00:24 Le plus modestement et le plus discrètement possible.
00:27 Seul moyen pour l'opposition de tenter d'exister dans la Russie de Poutine.
00:56 Les difficultés ont commencé dès la recherche d'un lieu de rassemblement.
01:02 C'est finalement dans un centre d'affaires qu'elle annonce le lancement de son nouveau parti.
01:06 Discrétion oblige, la salle a été réservée officiellement pour un séminaire de développement personnel.
01:12 Le rassemblement paraît modeste pourtant,
01:14 Ekaterina Dunsova est désormais l'un des visages les plus connus de l'opposition russe.
01:20 La plupart des opposants au Kremlin ont fui à l'étranger.
01:23 Et ceux qui ne l'ont pas fait sont en prison ou morts.
01:27 12 000 personnes ont soutenu la fondation de notre parti.
01:33 Je pense que nous pouvons nous en féliciter.
01:35 C'est un excellent résultat.
01:41 Avant de lancer son parti, le lever du soleil, Dunsova était journaliste et élue municipale.
01:47 A l'automne, elle s'était lancée dans la course à la présidentielle en tant que candidate indépendante et pacifiste.
01:53 Mais sa candidature a été rejetée en décembre par la commission électorale,
01:57 invoquant des erreurs dans ses documents.
01:59 Interdite de campagne, elle a aussi été intimidée et interrogée par la police et son appartement perquisitionné.
02:07 Loin de se laisser décourager, elle a continué à rencontrer secrètement des citoyens et des activistes
02:13 qui partagent ses positions politiques et son opposition à la guerre en Ukraine.
02:17 Mais ses soutiens sont forcément prudents et discrets.
02:21 J'ai encore en moi ce crédeau de l'Union soviétique selon lequel la paix passe avant tout
02:27 et qu'il ne devrait plus jamais y avoir de guerre.
02:29 Je me sens très concernée par ce qui se passe, c'est pour ça que je suis ici.
02:33 J'ai envie d'échanger avec des gens qui pensent comme moi.
02:43 C'est ce qui compte le plus pour moi.
02:45 J'ai aussi envie de m'engager politiquement.
02:49 Avant, je ne ressentais pas cette envie.
02:51 Je n'ai rien à perdre.
02:57 Je n'ai pas d'enfant.
02:59 La seule chose que je risque de perdre, c'est ma propre vie.
03:05 Mais si je ne m'implique pas aujourd'hui, la vie de beaucoup d'autres gens sera gâchée, elle aussi.
03:13 En cette fin janvier, l'opposition russe n'a pas encore perdu espoir.
03:17 Après le rejet de sa candidature, Ekaterina Dounsova a rejoint l'Union de l'opposition pour soutenir Boris Nadezhdin,
03:24 dernier candidat alternatif encore en lice pour les élections présidentielles.
03:28 Boris Nadezhdin, ancien député de la Douma, a fait une irruption surprise dans la campagne électorale.
03:34 Lui aussi s'oppose clairement à la guerre.
03:36 En décembre, Ekaterina Dounsova est devenue trop populaire aux yeux du pouvoir.
03:42 Elle rassemblait des centaines de milliers de partisans derrière elle.
03:46 En réaction, le pouvoir a refusé de valider sa candidature.
03:50 Ils ont même fait pire que ça.
03:52 Ils l'ont empêchée de collecter des signatures pour sa campagne.
03:56 Aujourd'hui, je prends le relais.
03:58 En décembre, quasiment personne ne me connaissait.
04:01 Et en janvier, je suis devenu tout à coup très populaire.
04:04 Mais j'ai peur que les candidats qui deviennent trop populaires connaissent le même sort qu'Ekaterina Dounsova.
04:09 Si ma campagne électorale se passe un peu trop bien, il pourrait m'arriver la même chose qu'à elle.
04:14 Le risque est très réel.
04:16 Fin janvier, Atsver, la région de Dounsova, à deux heures au nord de Moscou.
04:22 Les partisans de Nadezhdin et ceux de Dounsova, désormais alliés,
04:27 résistent tant bien que mal à la propagande omniprésente de Poutine.
04:30 Pour le dernier candidat d'opposition, le compte à rebours est lancé.
04:36 Pour qu'il puisse se présenter contre Poutine, son équipe doit recueillir suffisamment de signatures des lecteurs.
04:41 Mais les militants se savent surveillés par les services de sécurité de l'État.
04:45 Quand nous sommes arrivés dans cette salle, on a vu cette caméra au plafond.
04:51 Et on a essayé de scotcher l'objectif.
04:54 Mais ce n'était pas une bonne idée.
04:57 Et on nous a interdit de le faire, pour des raisons de sécurité.
05:01 Alors on a mis un sac par-dessus.
05:04 Et ça aussi, ça nous a été interdit.
05:06 Donc on a orienté la caméra dans une autre direction.
05:09 Et puis à la fin, on l'a tout simplement éteinte.
05:12 Que ce soit sur Internet ou oralement, la moindre prise de position publique contre Poutine ou la guerre en Ukraine
05:20 est passible de plusieurs années de prison.
05:23 Sergeï profite d'une courte pause pour aller chercher du café pour l'équipe.
05:27 Le travail ne manque pas.
05:28 Chaque jour, environ 300 personnes viennent lui prêter main forte.
05:31 Un soutien qui lui redonne du courage.
05:34 Le jour où j'ai accepté de m'engager dans la campagne, j'ai dit à ma petite amie
05:39 "Tiens-toi prête, il se pourrait bien que notre domicile soit bientôt perquisitionné."
05:43 Pour le moment, nous n'avons pas encore acheté de billet d'avion.
05:47 Mais j'ai des amis au Kazakhstan qui sont prêts à nous accueillir à tout moment.
05:51 Nous avons prévu un plan de sortie au cas où.
05:54 Nous ne savons pas du tout ce qui va se passer et nous devons absolument veiller à notre sécurité.
06:00 La ville provinciale de Tsver n'est pas un bastion de l'opposition.
06:04 La plupart des dissidents se trouvent plutôt à Moscou ou à Saint-Pétersbourg.
06:08 Pourtant, l'équipe locale a largement dépassé ses objectifs
06:13 pour collecter des signatures pro-Nadezhdin.
06:16 Ce jour-là, ils ont travaillé plus de 13 heures.
06:22 C'est l'avant-dernier jour avant l'expiration du délai de dépôt des candidatures.
06:26 Les militants se réjouissent d'avoir réussi, malgré les obstacles multiples,
06:30 à recueillir autant de signatures pour le dernier candidat anti-Poutine.
06:34 Moment de joie, mais toujours mêlé d'angoisse.
06:38 Demain, on finira sans doute vers 2h du matin.
06:47 Après, il faudra que je... C'est bien à moi de le faire, non ?
06:50 Il faudra que j'aille apporter tout ça à Moscou.
06:52 Si ça se trouve, ils me tueront dès que j'arriverai à la gare.
06:56 Sergueï est finalement arrivé sain et sauf à Moscou.
06:59 Mais ses efforts n'ont servi à rien.
07:01 Les militants de Nadezhdin ont bien rassemblé plus de 200 000 signatures,
07:05 mais sa candidature a été rejetée,
07:08 officiellement pour de prétendues irrégularités.
07:11 Depuis début février, tous les candidats,
07:13 véritablement opposés au Kremlin,
07:15 ont été écartés de l'élection présidentielle.
07:18 À la télévision russe, le régime diffuse en boucle des messages patriotiques
07:24 et en appel au sens du sacrifice contre une prétendue menace venant de l'étranger.
07:28 Sur les écrans, des clips interpellent les futurs soldats en termes éloquents.
07:32 Mais face à la propagande de Poutine,
07:38 l'opposante Ekaterina Dounsova ne désarme pas.
07:40 Elle continue de défendre ses idées et son nouveau parti.
07:43 En février, elle est à Kazan,
07:45 une ville d'1,3 million d'habitants située à 800 km à l'est de Moscou.
07:49 Quelques jours plus tôt, l'administration pénitentiaire russe
07:52 a annoncé le décès d'Alexei Navalny, l'opposant numéro 1 de Poutine.
07:55 Tout le monde ici s'interroge sur les causes de sa mort.
07:58 Et pour l'équipe d'Ekaterina Dounsova, les ennuis se multiplient.
08:01 Lors de notre dernière rencontre à Murmansk,
08:07 le chauffage de la maison de la culture est tombé en panne d'un seul coup,
08:10 le lendemain du jour où nous avions réservé la salle.
08:13 Et voilà qu'aujourd'hui, une coïncidence du même genre se produit.
08:19 Nous avons loué cette salle et quand nous avons publié l'adresse de notre réunion,
08:24 les bailleurs nous ont dit que l'eau avait été coupée.
08:28 Finalement, l'équipe se replie vers une salle louée par Boris Nadezhdin.
08:36 Alexei Navalny est dans tous les esprits.
08:40 Après ces événements tragiques,
08:46 beaucoup d'entre nous ont envie de s'exprimer publiquement à ce sujet.
08:49 Mais je vous en prie, protégez-vous et protégez les gens que vous aimez.
08:54 Évitez au maximum de vous exposer à des représailles.
08:58 Et n'agissez que dans le cadre de la loi.
09:01 Nous devons veiller autant que possible à la sécurité de notre mouvement
09:05 et à celle des gens qui le soutiennent.
09:08 Dans les jours suivant la mort de Navalny,
09:13 plusieurs centaines de personnes sont arrêtées dans toute la Russie,
09:16 parfois simplement pour avoir déposé des fleurs sur des monuments.
09:19 Plusieurs hommes ayant pleuré publiquement en la mort de Navalny
09:22 ont même été envoyés au front.
09:24 Mais la censure, la pression psychologique
09:26 incitent aussi les partisans de l'opposition à se rapprocher les uns des autres.
09:30 La plupart des gens qui nous rejoignent sont en souffrance.
09:39 Ils réfléchissent, ils ont envie d'agir.
09:41 Mais ils veulent le faire sans haine ni colère.
09:44 Car ici, de la haine et de la colère, il y en a déjà plus que suffisamment.
09:48 La voie que je propose est différente de celle qu'a choisie Alexeï Navalny.
09:54 Pour moi, nous ne devons pas essayer d'agir par le biais d'accusations,
10:00 de pression ou en nous opposant radicalement,
10:03 mais en faisant des propositions positives.
10:10 Les gens ne doivent pas avoir le sentiment
10:12 d'être constamment en lutte contre quelque chose.
10:15 Dans la dictature de Poutine, le moindre dissident
10:22 est automatiquement considéré comme un ennemi ou un espion occidental.
10:25 Les réunions de ce genre sont une occasion d'échanger,
10:28 mais Ekaterina Dounsova est consciente
10:30 que ses faits et gestes sont étroitement surveillés.
10:33 Je n'ai pas de plan pour tout ce qui est susceptible d'arriver.
10:39 Mais au moins mes enfants ont un père, une grand-mère, un grand-père.
10:43 J'ai suffisamment de proches autour de moi qui me répètent,
10:47 qui me soutiennent.
10:49 Dans le pire des cas, ils s'occuperont de mes enfants.
10:54 Le courage et l'esprit de sacrifice sont des qualités indispensables
11:01 pour les opposants de Poutine.
11:05 Quelques jours plus tard, le 1er mars 2024,
11:08 Alexeï Navalny est enterré à Moscou.
11:10 Bravant les menaces du régime, des milliers de personnes en deuil
11:20 se réunissent à l'occasion de ces funérailles
11:23 pour faire entendre leur voix contre le gouvernement.
11:26 Ekaterina Dounsova est là elle aussi, discrète mais présente.
11:33 Nous faisons ce qui nous semble important.
11:36 Pour moi, il est important de défendre mes droits et ma liberté
11:41 et de signaler au gouvernement ce qui ne va pas.
11:44 Si quelqu'un veut appeler ça de l'opposition, qu'il le fasse.
11:48 Mais si tout le monde baisse les bras,
11:57 alors nous ne pourrons plus respirer et nous ne pourrons plus vivre.
12:00 Et Ekaterina a fait le choix de vivre ainsi.
12:03 Même si désormais, depuis la mort d'Alexeï Navalny,
12:06 elle est en première ligne, l'une des dernières opposantes à Poutine.
12:09 Et plus que jamais en danger.
12:12 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
12:16 "La guerre, c'est la guerre, c'est la guerre."
12:19 "La guerre, c'est la guerre, c'est la guerre."
12:22 "La guerre, c'est la guerre, c'est la guerre."
12:26 "La guerre, c'est la guerre, c'est la guerre."
12:29 ♪ ♪ ♪

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