L'édito de Paul Sugy : «Mondialisation heureuse : qui y croit encore ?»

  • il y a 6 mois
Dans son édito du 22/03/2024, Paul Sugy revient sur le mythe de la mondialisation heureuse, au lendemain du rejet du CETA par le Sénat.
Transcript
00:00 Romain, c'est un vote qui est à la fois une anecdote politique et un symbole historique.
00:03 Politiquement, c'est une anecdote car, rassurez-vous, tout est fait pour que les Parlements nationaux ne puissent pas avoir le dernier mot.
00:08 D'abord, le traité CETA, le traité de libre-échange avec le Canada, il est en vigueur pour 90% à peu près de ses clauses,
00:13 depuis 2016, sa ratification par les institutions européennes.
00:17 Il n'y a que quelques mesures qui nécessitaient l'approbation des 27 Parlements nationaux,
00:22 et même si l'un d'entre eux rejette le traité, on peut après tout les faire revoter, c'est ce qui va probablement se passer à Chypre.
00:27 Donc c'est une anecdote politique, mais c'est un symbole historique car, 25 ans après la publication du livre célèbre d'Alain Minck,
00:33 ce manifeste dont le titre a fait date, "La mondialisation heureuse", on se demande encore qui croit vraiment à cette mondialisation prétendument heureuse.
00:40 Pas les communistes, manifestement, qui ont fait exprès de mettre le vote sur le traité libre-échange à l'agenda du Sénat pour torpiller le texte,
00:46 et qui vont essayer de le ramener au plus tôt à l'Assemblée nationale pour l'enterrer définitivement.
00:50 Qui croit à la mondialisation heureuse ? Pas les socialistes, qui ont appelé à voter contre le texte,
00:55 alors même que l'accord avait été négocié et ratifié sous François Hollande par la France.
00:59 Pas davantage les républicains, qui ont permis au Sénat de basculer en joignant leur voix à celle de la gauche et de l'extrême gauche.
01:05 Oui, on parle bien des républicains, le parti d'Alain Juppé, de Nicolas Sarkozy, vous savez,
01:09 qui ont clamé des années durant que le libre-échange enrichissait les peuples, que le protectionnisme était un risque.
01:15 C'est bien le signe, si vous voulez, d'un basculement d'une partie de la droite qui se dit pourtant libérale.
01:20 Il n'y a plus de sénateurs RN, mais je vous laisse imaginer comment ils auraient voté s'il y en avait encore.
01:25 Pourquoi cet accord de libre-échange suscite autant de réticence ?
01:28 C'est toute la question. Sur le papier, c'est un accord qui est censé enrichir la France.
01:31 D'ailleurs, depuis son entrée partielle en vigueur, le CETA a augmenté les échanges commerciaux entre l'Union européenne,
01:36 mais notamment entre la France et le Canada. Les échanges ont bondi de 34 % en quelques années.
01:41 Ce traité suscite l'inquiétude d'une partie des professions, des entreprises concernées, pas toutes.
01:48 C'est toujours pareil avec le libre-échange, il y a ceux qui y perdent et ceux qui y gagnent.
01:51 En l'occurrence, là, il creut de nouvelles juridictions indépendantes qui permettent de trancher des accords entre les entreprises et les États.
01:57 Ça fait craindre de nouvelles entités souveraines, finalement, qui pourraient décider à la place des juridictions nationales.
02:03 Et puis surtout, ça concerne l'agriculture. Le traité ne prévoit pas de "close-miroir" pour les produits agricoles,
02:08 c'est-à-dire qu'en d'autres termes, les agriculteurs canadiens ne sont pas tenus de respecter les mêmes consignes,
02:13 les mêmes normes que les agriculteurs européens.
02:15 Et on sait surtout qu'au Canada, les éleveurs nourrissent leurs animaux avec des farines animales,
02:20 ils leur administrent des antibiotiques, ce qui est interdit chez nous.
02:23 Donc les éleveurs, une partie des éleveurs craignent pour la qualité des produits que l'on va importer.
02:29 En clair, la mondialisation, elle fait des gagnants.
02:31 Il y a des gagnants avec la mondialisation, mais aussi des perdants.
02:34 C'est ce que vous nous rappelez ce matin, en fait.
02:36 Oui, le problème, Romain, c'est que pour que la mondialisation soit heureuse, pour qu'elle soit acceptée par les peuples,
02:40 il faut que les gagnants soient plus nombreux que les perdants, en tout cas dans une démocratie.
02:44 Et le problème, c'est que cette foule des perdants, alors réelle ou supposée, ceux qui pensent être les perdants,
02:48 ne cesse de grandir. Il n'y a plus grand monde, en fait, pour défendre encore l'ivraie change.
02:52 Je reviens à Alain Minc, il expliquait que la mondialisation, c'est un processus schizophrénique.
02:56 Il fallait accepter que ça profite d'abord à des millions de gens dans le monde
03:00 qui sont devenus progressivement des classes moyennes dans des pays en développement, en Inde, en Chine.
03:04 Et puis, nous, alors elle est censée nous enrichir, en même temps, elle crée, on le sait, par exemple, un plus fort taux de chômage.
03:09 Cette mondialisation-là n'a pas tenu ses promesses.
03:12 On est rentré, certes, en France dans l'ère du chômage de masse, mais depuis quelques années, la France s'appauvrit.
03:16 Ça, les économistes le disent. Etienne Wassmer, par exemple, a publié un article passionnant qui le montre très bien.
03:22 Les Français s'appauvrissent par rapport aux Canadiens, aux Américains, aux Suisses, aux Allemands.
03:27 Les écarts de revenus se creusent. Alors, tant qu'on est à l'intérieur de la France, on ne s'en rend pas compte.
03:30 Quand on voyage à l'étranger, là, ça devient flagrant.
03:33 Alors, les promoteurs inconditionnels du libre-échange devraient cesser peut-être de faire de la mondialisation un acte moral,
03:39 mais ils devraient revenir à quelque chose de plus pragmatique.
03:41 Il faut prouver aux Français qu'ils sont plus nombreux à y gagner qu'à y perdre.
03:45 (Générique)

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