• il y a 9 mois
on a rencontré la peintre Apolonia Sokol , qui nous a raconté les histoires fortes derrière sept de ses œuvres. On a parlé de militantisme, de deuil, de féminisme intersectionnel, d'anus infesté de vers et des CSP+ qui achètent son art. Rendez-vous sur notre page YouTube pour découvrir l'interview complète !
Transcription
00:00 Il y a des asticots. En fait, l'anus est en putréfaction.
00:03 Et quand on regarde de près, il y a des petits asticots
00:05 qui deviennent des verres de terre.
00:06 Puis finalement, ça devient un arbre.
00:08 Et en fait, c'est ce que j'appelle l'arbre de la vie.
00:10 Alors, ce tableau, il s'appelle "Moi".
00:16 C'est moi avec ma mélancolie et tout.
00:18 Et en fait, je voulais vraiment montrer ma cicatrice.
00:20 Donc j'ai une cicatrice, j'ai une énorme balafre.
00:22 J'en ai plusieurs, en fait, qui va du début de mon pubis jusqu'à mon nombril,
00:26 suite à un cancer que j'ai subi dans l'enfance.
00:28 Et voilà, c'est un peu un moment dans ma vie
00:30 où j'ai voulu montrer que j'avais ça et l'accepter.
00:33 J'ai toujours dessiné, j'ai toujours peint, j'ai jamais arrêté.
00:36 Après, vers l'âge de 13 ans, je traversais la ville
00:39 pour faire des cours de modèle vivant le soir avec des adultes.
00:44 Le modèle vivant, c'est vraiment un dispositif académique
00:48 qui est la base de l'objectification du modèle,
00:51 une façon de lui enlever son identité.
00:55 Ce que j'ai gardé de ça, c'est en fait la capacité
00:57 de questionner finalement les rapports de domination
01:00 qu'il peut y avoir, qu'il y a dans la représentation même.
01:04 C'est ça que j'ai gardé du modèle vivant,
01:05 parce que mes tableaux ne sont pas du tout corrects anatomiquement.
01:09 J'en ai rien à faire de l'anatomie.
01:11 Quelques années plus tard, j'ai décidé de refaire ce tableau.
01:15 En fait, je l'ai fait suite à un avortement
01:16 et je ne m'étais pas rendue compte dans le moment,
01:19 l'état dans lequel j'étais psychologiquement.
01:21 Je pensais que j'étais en train de faire exactement le même tableau.
01:23 Et en fait, l'expression n'est pas du tout la même.
01:26 Et je trouve qu'on ressent vraiment mon mal-être dans celui-ci,
01:29 face à cette épreuve qu'est l'avortement.
01:33 Ce tableau a été envoyé à Dubaï
01:36 parce qu'il a été acheté par un collectionneur qui a emménagé là-bas.
01:38 Et il a été arrêté à la frontière et menacé d'être brûlé.
01:42 Donc ça, c'est quelque chose qui est assez important dans ma vie aussi,
01:45 tous ces moments de censure,
01:46 comme par exemple le fait qu'on ne puisse pas le montrer sans flouter
01:50 les parties intimes.
01:52 C'est quelque chose qui fait partie de mon quotidien.
01:54 Cette œuvre, elle s'appelle "Si vous n'aimez pas les étrangers,
01:56 il ne fallait pas nous coloniser", du Vol et Retombée.
01:59 C'est pendant la pandémie, il y avait cette énorme manifestation
02:02 à la Place de la République et on suivait tous à sa trahorée.
02:05 Quand on était là, tous rassemblés en train de manifester,
02:08 en face, il y a eu Génération Identitaire
02:11 qui ont sorti un énorme drapeau sur le toit.
02:15 Ils ont pris toute l'attention finalement de cette manifestation.
02:19 Il y avait cette jeune fille, cette adolescente,
02:21 qui a remonté sa bancarte pour la placer devant son visage.
02:24 Elle a composé, on va dire, le tableau.
02:26 Et elle a fait ça, ce geste, on aurait cru qu'elle portait une croix.
02:30 C'est comme si elle portait quelque chose d'extrêmement lourd,
02:33 un message que cette fille de 16 ans est obligée de se confronter
02:37 à ce message et de le porter et de le transmettre.
02:40 C'était très touchant de l'avoir comme ça.
02:43 Elle aimerait bien pouvoir, tout simplement,
02:45 je ne sais pas, regarder la télé, être avec ses potes.
02:49 Non, elle est obligée de porter ce message
02:51 et d'être en face de Génération Identitaire
02:53 et de porter cette croix.
02:55 Qui est en référence à le tableau du même titre du douanier Rousseau.
03:02 Le tableau du douanier Rousseau, c'est vraiment une petite fille
03:05 qui incarne la guerre et qui chevauche des hommes blancs.
03:08 Et lui, il s'est peint lui-même dans les hommes morts blancs.
03:11 Moi, j'ai fait ma guerre sur le cheval.
03:13 C'est Laura Hena, une journaliste, freelance, activiste
03:17 basée au Danemark, qui était adoptée coréenne.
03:19 Elle représente Nemesis,
03:21 qui est donc la vengeance juste.
03:23 Et elle chevauche tous ces hommes blancs qui sont finalement des cols blancs.
03:27 C'est des politiciens, c'est des traders, c'est des banquiers.
03:31 Mais c'est tous ces gens que j'adore,
03:33 parce que c'est ceux qui achètent mes tableaux, bien sûr.
03:35 Il y a aussi des pénis coupés.
03:40 Il y a cet endroit que j'adore,
03:45 c'est les fesses écartées,
03:46 donc avec des testicules violettes qui pendent.
03:52 Et il y a des asticots.
03:53 En fait, l'anus est en putréfaction.
03:55 Et quand on regarde de près, il y a des petits asticots
03:58 qui deviennent des verres de terre.
03:59 Et puis finalement, ça devient un arbre.
04:01 Et en fait, c'est ce que j'appelle l'arbre de la vie.
04:02 Il y a une des filles qui peignait avec moi sur ce tableau
04:05 et qui me dit, voilà, elle me demande si elle pourrait peindre
04:08 quelqu'un qu'elle a envie de tuer dedans.
04:11 Je dis bien sûr, vas-y, peins quelqu'un que tu as envie de tuer.
04:13 Et donc, elle a tué cette personne qui a fait beaucoup souffrir son ami.
04:17 C'est des choses très graves de l'ordre de la pédocriminalité.
04:22 Et elle a peint cette personne qu'elle a assassinée sur ce tableau.
04:25 Ce tableau, il est très intime.
04:29 C'est mon tableau de deuil.
04:30 Et là, moi, j'ai peint Oxana, moi, Oxana, moi, Oxana, moi, Oxana, moi,
04:34 plusieurs fois.
04:35 Il y a l'éclipse, parce qu'en fait, il y a eu cette éclipse
04:38 quand elle est décédée.
04:39 C'est un tableau qui est chargé d'une énorme tristesse.
04:42 C'est vraiment là où moi, j'ai commencé à faire ces formes
04:46 de corps très, très longs, très fins,
04:49 qui sont un petit peu problématiques quelque part,
04:51 parce que ça donne une image de la femme qui n'aime pas du tout mon image
04:56 et qui n'est pas non plus à l'image de la femme que j'ai envie de donner.
04:58 Mais je crois que Oxana était très maigre.
05:02 Elle était anorexique, je pense, quand elle a mis fin à ses jours.
05:07 Elle ne mangeait pas.
05:07 C'est comme ça que je me suis mise à peindre vraiment des gens super allongés.
05:12 Donc, Oxana, c'était la fondatrice du mouvement féminin.
05:15 Elle était artiste.
05:15 Elle peignait des icônes iconoclastes.
05:17 Et donc, ensemble, on peignait, on peignait.
05:20 On vivait ensemble et on dormait ensemble.
05:25 Tout le matin, elle me faisait un petit jus de carotte.
05:27 On s'aimait, on s'aimait, ouais.
05:29 Alors, "Le printemps", c'est une reprise de Botticelli.
05:32 C'est un tableau qui s'appelle "Le printemps".
05:34 C'est une ode à la fertilité.
05:36 On pourrait dire qu'une femme trans est tout sauf fertile.
05:40 Mais l'idée, c'était qu'en fait, une femme trans n'est plus fertile que quiconque,
05:44 étant donné qu'elle donne naissance à elle-même.
05:45 La rhétorique, elle dit que toute personne qui n'a pas un utérus
05:49 et qui ne peut pas se reproduire ne peut pas être une femme.
05:53 Pour moi, en tant que femme cis, c'est vraiment rétrograde.
05:59 Moi, je ne veux pas être réduite à un appareil reproductif.
06:02 Je suis une femme cis et je ne suis pas là pour faire des enfants.
06:07 Je suis là pour faire d'autres choses.
06:09 Donc, en fait, c'était important pour moi aussi,
06:11 non seulement d'être une alliée envers mes amis qui se font persécuter,
06:16 mais aussi mon devoir en tant que femme cis
06:20 de prendre la parole par rapport à la notion de fertilité.
06:25 Alors, ce tableau, c'est ma mère dans les années 80,
06:28 dans une forêt, en fait, qui avait la frontière avec la Pied-de-Roussie.
06:32 Et c'est réellement une photo que ma mère avait dans son tiroir,
06:36 où elle est à poil avec ces deux grands hommes
06:40 dans la forêt de Bouddhau.
06:41 Et donc là, ma mère est nue, mais elle est debout.
06:44 Et ces deux hommes, c'est un peu ses esclaves,
06:48 ils sont là pour la servir.
06:51 Je suis le sujet principal d'un documentaire qui s'appelle "Apollonia, Apollonia".
06:54 J'avais envie de vous montrer ce tableau parce qu'il parle
06:58 de ce qu'on voit aussi dans le film, à savoir le trauma transgénérationnel,
07:04 l'histoire de toutes ces femmes, en fait, parce que dans le film,
07:07 il y a beaucoup de femmes.
07:09 Il y a Oksana, il y a la réalisatrice Léa,
07:12 mais il y a aussi ma mère et ma grand-mère.
07:14 Et toutes ces femmes cherchent à trouver une solution
07:19 pour exister et être dans une société patriarcale, en fait.
07:23 C'est vraiment ça qui se passe.
07:25 Et il y en a une, malheureusement, la seule solution qu'elle va trouver,
07:29 ça va être la mort.
07:31 C'est ça la tragédie, je pense.
07:35 [Musique]

Recommandations