• il y a 8 mois
Avec 600 000 accidents du travail, dont 645 mortels en 2021, - presque deux morts par jour - la France fait partie des plus mauvais élèves des classements européens en matière de sécurité au travail. L’organisation du travail dans certaines entreprises mettrait en danger les salariés.

Nous avons enquêté dans le Cantal, à Paris ou à Dunkerque sur la mort de Maxime, Aimen ou encore Jérôme. Plus qu’ailleurs, le travail blesse et tue en France. Comment l’expliquer ? Qui est responsable lorsque qu’un salarié meurt dans le cadre de son emploi ?

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Transcription
00:00 -A Bayonne, un an après l'accident, le fracas résonne encore dans les esprits.
00:11 -Alors ça, c'est la partie qui est restée à peu près bien.
00:19 -C'était un mercredi, un peu avant 14 heures.
00:24 -Moi j'étais ici en train de faire un sieste.
00:30 -Et là on a senti des vibrations et puis c'est parti, c'est monté, monté, il y a eu des bruits.
00:39 Une grue vient de s'effondrer sur son immeuble.
00:44 L'accident est spectaculaire.
00:49 L'appartement de Daniel Soriano a été coupé en deux.
00:55 -La grue elle est passée entre ce coin là, le coin qu'on voit ici, et elle est passée dans cet axe là.
01:02 -Comme ça elle a tout écrasé.
01:05 Plus de salle de bain, plus de toit.
01:13 L'engin venait d'être monté dans un chantier voisin.
01:24 -Voilà où il y a les fondations de la grue.
01:28 -On voit bien le carré là qui supportait les 4 pieds de la grue et celui du coin là, c'est celui là qui a lâché.
01:40 -C'est votre appartement ? -Oui, j'étais là en train de faire la sieste.
01:46 Accident mortel à Bayonne, une grue s'est effondrée sur une résidence en plein centre ville, boulevard Alsace-Lorraine, peu avant 14h.
01:55 -La grue a terminé sa chute dans la rue, sous les yeux des passants, choqués.
02:04 -Elle a touché le coin de la maison là-bas en haut, elle a écrasé 2 voitures qui étaient stationnées dans la petite rue là.
02:13 -Et il y avait du monde dedans ? -Non, heureusement, ça a été un miracle.
02:17 -Il n'y a pas eu de victime ? -Si, le grutier.
02:20 -Le grutier ? -Oui.
02:21 -Il était où ? -Le grutier, il était dans la cabine de la grue pour faire des essais.
02:26 -Et quand la grue, elle est tombée, on suppose qu'il est passé à travers la parabrise de la cabine de la grue, et il est tombé là.
02:33 -Il est tombé où ?
02:36 -À ma hauteur là, un peu dehors de la poubelle. Pour nous, c'est une horreur.
02:44 La victime était un grutier expérimenté. Il s'appelait Mohamed Keshoui, il laisse derrière lui une femme et 2 enfants.
02:58 -Ce qu'on appelle un accident du travail ? -Oui, un accident du travail.
03:03 -Il avait quel âge ? -Oui, je crois qu'il avait une quarantaine d'années.
03:06 Une enquête judiciaire est en cours pour déterminer les circonstances exactes de ce dramatique accident.
03:14 Le jour du drame, cet inspecteur du travail est l'un des premiers sur place.
03:25 -L'accident s'est produit à 13h53. Moi, j'ai dû être appelé vers 14h10, 15h. On a dû arriver vers 14h30.
03:37 Pour Jérémy Carpentier, c'est le point de départ d'une enquête qui va durer 5 semaines. Son rapport est crucial pour la suite de la procédure.
03:54 -Il faut que quand j'arrive sur une telle scène qui est choquante, que j'ai l'esprit le plus frais possible pour enregistrer un maximum d'informations telles que je les vois.
04:06 Qu'est-ce que je peux voir des fondations de la grue ? Le radier, à quel endroit il est cassé ? OK, qu'est-ce que ça peut mettre en évidence ?
04:15 Je constate qu'il y a une pompe à eau, qu'il y a un petit trou au centre du radier pour pomper de l'eau.
04:23 Ensuite, dans les bungalows de chantier, on peut relever un certain nombre de documents, donc des plans de chantier, et pouvoir interroger le cas échant des témoins ou l'employeur s'il est présent.
04:34 Ce qu'on va chercher à déterminer, c'est si ce qu'on appelle les principes généraux de prévention étaient respectés.
04:43 Notre objectif, c'est si on constate qu'un manquement a été commis, c'est qu'il y ait une condamnation derrière.
04:52 Depuis, une instruction a été ouverte. Elle est toujours en cours.
05:00 Un accident du travail, c'est un accident très particulier.
05:10 Selon la loi, l'employeur doit assurer la sécurité de ses salariés. En cas de problème, il devient en quelque sorte le suspect numéro un.
05:21 Avec 645 morts au travail en 2021, près de deux décès par jour, la France est plutôt mauvaise élève, régulièrement la moins bien classée en Europe.
05:39 Et c'est pareil pour la fréquence des blessures au travail.
05:42 Comment expliquer ces chiffres? Est ce le développement de l'intérim qui accroît les risques?
05:58 Est ce que vous, parfois, il vous arrive d'envoyer des gens sur des chantiers dont vous savez qui peuvent être dangereux?
06:02 Oui, ça arrive. C'est arrivé.
06:06 Ou la sous traitance en cascade qui dilue les responsabilités.
06:12 Je travaille sur les accidents du travail. Est ce que vous avez entendu parler des mènes salies?
06:16 C'est un sous traitant qui est mort en octobre en travaillant pour Orange.
06:23 Face à ces drames quotidiens, que fait la justice? La réponse des tribunaux est elle à la hauteur?
06:30 On a eu un classement sans suite, pas de preuve suffisante pour pouvoir amener l'affaire devant un tribunal.
06:37 Il leur faut quoi comme preuve? Il y a eu un accident mortel.
06:40 Enquête sur une hécatombe silencieuse qui interroge sur les conditions de travail en France.
06:50 En ce matin de décembre, Patricia Goubet et ses filles ont fait plus de 600 kilomètres en voiture.
06:56 Elles se sont levées avant l'aube pour être à l'heure à l'audience.
07:03 Une audience qu'elles attendent depuis la mort de Maxime, leur fils et frère, sur le chantier de la police.
07:13 Sur le banc des accusés, des représentants de la police sont en train de se faire entourer.
07:19 Ils sont en train de se faire entourer.
07:22 Ils sont en train de se faire entourer.
07:25 Ils sont en train de se faire entourer.
07:28 Ils sont en train de se faire entourer.
07:31 Ils sont en train de se faire entourer.
07:34 Ils sont en train de se faire entourer.
07:37 Ils sont en train de se faire entourer.
07:41 Sur le banc des accusés, des représentants de la société Daudin Campenon-Bernard, filiale du géant du BTP Vinci.
07:48 L'entreprise est jugée pour homicide involontaire.
07:52 Ce rendez-vous a lieu pour la deuxième fois, après une audience avortée six mois auparavant.
08:04 Mais au bout de dix minutes, à nouveau.
08:10 - Patricia, qu'est-ce qui s'est passé ?
08:12 - Ça veut dire quoi ?
08:15 - Pourquoi ?
08:17 - Qu'est-ce que vous en pensez ?
08:39 L'audience est repoussée.
08:41 L'entreprise a rendu ses conclusions trop tard.
08:45 Nous tentons d'interviewer la direction.
08:50 - Ça fait quand même deux ans et demi que M. Wagner est mort.
08:53 - Vous rendez vos conclusions une heure avant l'audience ?
08:56 - C'est difficile à assumer une accusation d'homicide involontaire ?
08:59 La famille devra encore attendre plusieurs mois pour obtenir un procès.
09:09 - C'est Maxime ?
09:11 - C'est la plus récente photo qu'on a, elle a été prise en février.
09:16 Et il a eu l'accident le 28 février 2020.
09:20 - Il avait quel âge ? - 37 ans.
09:24 Maxime Wagner était père de deux enfants.
09:32 Il travaillait comme opérateur tunnelier sur l'un des plus gros chantiers de ce début de siècle.
09:38 - Un super métro pour Paris, c'est un projet pharaonique.
09:41 Il serait entièrement automatisé avec 72...
09:45 Le Grand Paris Express.
09:48 200 km de nouvelles lignes de métro autour de la capitale.
09:52 Mais également 6 travailleurs décédés en 3 ans.
09:59 Des affaires médiatisées par nos confrères du site Basta.
10:02 - Le chantier du Grand Paris Express est-il en train de devenir le chantier de l'hécatombe ?
10:07 Maxime Wagner est le premier de ces 6 morts.
10:17 Il travaillait dans cet énorme tunnelier qui avance en continu sous terre pour construire les galeries.
10:28 - Coucou, c'est un peu la galère.
10:30 Il réalisait régulièrement des vidéos pour partager son quotidien.
10:35 - Pour l'instant, je suis encore sur le chantier.
10:39 - Allez, bisous, à tout à l'heure.
10:42 Le boulot était bien rémunéré, mais difficile.
10:49 Des rotations de 8 heures, de jour comme de nuit, à plus de 20 mètres de long.
10:56 À plus de 20 mètres sous terre.
10:58 - Au début, quand on arrive, on se dit "Qu'est-ce qu'on fait là ? C'est quoi, ça ?"
11:04 - Ça, c'est les tapis.
11:11 - Ça ramène la matière à l'extérieur.
11:15 - C'est étroit, déjà.
11:21 - Et il y a de la pression, il y a de l'air, il y a tout.
11:25 Il faut être très prudent, parce qu'à tout moment, il y a un flexible qui peut lâcher.
11:29 Cet ouvrier a peur de témoigner face caméra.
11:35 Il était dans le tunnelier le jour où Maxime est mort, assommé par un tuyau.
11:41 - Ça, c'est le genre de tuyau qui a tué Maxime ?
11:46 - Oui, il y a du béton qui vient là-dedans.
11:48 - Ça, c'est dangereux, ce tuyau ?
11:50 - Bah oui, il pompe, il envoie en l'air.
11:53 - Oui, il pompe, il envoie en pression.
11:54 - Le jour de l'accident, vous étiez tout près de lui, vous l'avez vu, l'accident ?
11:57 - Bah oui, on était tous là. On était un peu en panique.
12:00 Les pompiers sont venus, ça a pris un temps énorme. C'était horrible.
12:05 Comment un tuyau a-t-il pu tuer Maxime Wagner ?
12:12 C'est la question qui obsède sa famille.
12:15 Amel Amari, la mère de sa 1re fille, est partie civile au procès.
12:22 Elle dénonce une série de dysfonctionnements qui auraient eu lieu ce jour-là sur le chantier.
12:27 - C'est ce tuyau le problème, en fait ?
12:31 - Moi, je suppose. C'est la partie-là qui s'aile. C'est le coude. C'est ce tuyau-là, en fait.
12:38 Ce soir-là, le tunnelier a eu un gros problème de bourrage.
12:45 - Le tuyau était bouché, c'est ça ?
12:47 - Voilà, il était bouché complètement.
12:51 Ils lui ont donné ordre de regarder, d'essayer de déboucher ce tuyau.
12:56 Le tuyau, il est parti directement à la tête à Maxime.
13:00 - Il l'a tapé ? - Il l'a tapé à la tête. Et Maxime, il est tombé en tremblant par terre.
13:04 Ça, c'est le casque de chantier qu'il a porté ce soir-là.
13:09 Dans son rapport, l'inspection du travail explique.
13:14 - La victime surveille la finalisation du débouchage.
13:19 Elle est accroupie à quelques dizaines de centimètres du coude métallique, connecté à cette extrémité flexible.
13:28 Lorsqu'un violent à-coup, provoqué par le débouchage total, imprime un mouvement de fouettement à la conduite.
13:36 Le coude métallique vient alors heurter la tête de M. Wagner.
13:45 Selon l'inspecteur du travail, un tel à-coup aurait dû être évité.
13:50 - Nous constatons que cette extrémité de la conduite flexible, qui se termine par un coude métallique, n'est ni fixée à la structure du tunnelier, ni retenue par un autre dispositif.
14:04 Pour Amel, cette absence de fixation serait une négligence coupable.
14:13 - Quand il y a des ouvriers, on doit faire attention à tout.
14:18 On ne doit pas prendre de décisions comme ça, la légère.
14:23 On doit dire qu'il y a des êtres humains qui travaillent, qui sont peut-être en danger.
14:28 Je pense que tout le monde a fermé les yeux sur cette pièce-là.
14:32 Et bien ça, c'est donner du risque à ces ouvriers-là.
14:37 Malheureusement, ce soir-là, c'était Maxime.
14:41 Le 5 avril dernier, le procès a enfin eu lieu au tribunal de Créteil.
14:47 L'audience a duré près de 10 heures.
14:51 Pour sa défense, la société d'Odin Campenon-Bernard affirme que ses procédures et son matériel étaient conformes et que la meilleure façon de se protéger du tuyau était de ne pas s'en dépasser.
15:05 - Bonjour, Laure Paulet, France 2. Pourquoi est-ce que personne n'a vérifié la fixation des tuyaux ce jour-là sur le chantier, messieurs ? Pourquoi ?
15:12 Le procureur a demandé 250 000 euros d'amende à l'encontre de cette filiale de Vinci.
15:20 Une sanction qu'il voudrait exemplaire.
15:24 - Vous savez que je vous avais demandé de faire un petit détail sur le sujet ?
15:30 - Vous savez que je vous avais demandé plusieurs fois des interviews, vous ne voulez pas vous exprimer ?
15:33 - Et ça veut dire quoi pour l'instant ?
15:36 - Chez Vinci, nous ne faisons jamais de déclaration sur des affaires en cours parce que quoi que nous disions, ça risque d'être mal interprété.
15:44 - Il y a une justice qui sera saisie, elle a nos éléments. Nous contestons l'infraction et elle se prononcera.
15:49 - Vous contestez l'infraction ?
15:51 - Bien sûr.
15:53 - C'est-à-dire que M. Wagner est mort de sa propre responsabilité ?
15:56 - Vous êtes juge ?
15:59 - Non, pas plus fort.
16:00 Si elle était condamnée, l'entreprise serait en récidive légale après une autre condamnation pour homicide involontaire en 2015.
16:14 Le dossier Maxime Wagner est aussi emblématique d'une pratique massive dans le BTP, le recours à l'intérim.
16:28 Voici les propos d'un de ses collègues, jouant par téléphone.
16:31 - C'était un chantier qui était très compliqué parce qu'il y avait vraiment beaucoup d'intérimaires.
16:38 - Souvent, ce sont des intérimaires qui viennent d'autres milieux et ils ne se rendent pas compte du milieu dans lequel ils arrivent.
16:48 - Ça ne pose pas de problème de sécurité, mais ça multiplie les risques d'accident.
16:57 Les intérimaires sont les premières victimes d'accidents du travail, deux fois plus que la moyenne.
17:06 Pourquoi ?
17:09 Pour la première fois, des cadres d'un grand groupe d'intérim dénoncent les dérives de leur métier.
17:21 Comme cette directrice d'une agence Randstadt spécialisée dans le BTP.
17:27 Elle a accepté de nous livrer un témoignage choc.
17:47 Elle est anonyme pour ne pas perdre son emploi.
17:50 Elle décrit une entreprise où la sécurité des ouvriers serait loin d'être la priorité.
17:58 - On est tout le temps sur le fil entre "je mets une personne supplémentaire en poste et j'espère qu'il n'arrivera rien".
18:09 - C'est le business qui nécessite en permanence de continuer à mettre du personnel en poste.
18:16 - Parfois, vous êtes inquiète quand vous allez sur certains chantiers ?
18:19 - Oui, des fois, oui, c'est tendu.
18:23 - C'est tendu ?
18:24 - Oui, oui, c'est tendu parce qu'on voit que le responsable de chantier a soit les compétences, soit ne souhaite pas les mettre en oeuvre.
18:32 - Pour lui, la sécurité, c'est plus une contrainte.
18:35 - Et est-ce que vous, parfois, il vous arrive d'envoyer des gens sur des chantiers dont vous savez qu'ils peuvent être dangereux ?
18:40 - Oui, ça arrive. C'est arrivé.
18:43 - Dans ces cas-là, on prévient le salarié d'être très, très attentif à ce qu'on va lui demander de faire.
18:51 Chez Randstadt, selon elle, la pression du chiffre pousserait à bâcler la préparation de l'intérimaire.
18:59 Comme les tests de sécurité qu'il est censé réussir avant d'arriver sur un chantier.
19:06 - Ce qui arrive, c'est qu'on l'aide à faire le test, parce qu'il y a une forme d'incompréhension des questions.
19:15 Le salarié n'a pas un niveau scolaire très, très important et qu'il n'arrive pas, par exemple, à lire les questions
19:22 ou à comprendre la réponse qu'il doit apporter.
19:24 - Et ça vous est déjà arrivé d'envoyer des gens sur des chantiers alors que le test de sécurité était récréé ?
19:28 - Ça nous est déjà arrivé, oui.
19:30 - Et ensuite, quelles sont les obligations, les autres procédures en termes de sécurité quand il arrive sur le chantier ?
19:34 - Alors, il doit être accueilli par le tuteur, qui éventuellement lui fait une nouvelle information à la sécurité
19:42 et qui lui fait signer un livret d'accueil.
19:44 - Ça, ça dure combien de temps, vous pensez ?
19:46 - Je sais pas, ça dure une dizaine de minutes.
19:48 Je n'ai jamais assisté, en fait.
19:51 - Ça veut dire qu'en moins d'une heure de temps, une personne peut être prête à travailler en intérim sur un chantier ?
19:57 - Oui, ça veut dire que... Est-ce qu'elle est prête ? Je ne sais pas, mais elle y travaille, ça, c'est sûr.
20:03 - Randstad, un des leaders mondiaux de l'intérim, basé aux Pays-Bas.
20:11 - 600 000 personnes peuvent travailler dans 38 pays au monde.
20:15 - La multinationale a eu les honneurs du ministre du Travail Olivier Dussopt lors d'un séminaire qu'elle organisait à Paris en octobre dernier.
20:25 - Si ça répond à leur modèle d'organisation, si ça leur permet de garder de la productivité et d'être attractifs, tant mieux.
20:36 Pourtant, un mois plus tôt, le comité social et économique de Randstad Sud-Est a signé sa propre direction en justice pour réclamer une politique de prévention plus rigoureuse.
20:48 L'instance de représentation du personnel alerte sur le taux de fréquence d'accident du travail, un indicateur utilisé par les experts de la santé.
21:01 En bas, la moyenne nationale. Au milieu, la moyenne nationale dans l'intérim, tous salariés confondus.
21:10 En haut, le taux chez les intérimaires de Randstad Sud-Est, essentiellement des cols bleus.
21:20 L'assignation parle d'une situation alarmante s'agissant de la politique de prévention des intérimaires et relève des exemples précis.
21:30 Pas de sensibilisation sécurité pour l'un, aucune information sur les risques du poste pour un autre ou encore un contrat de travail ambigu qui laisse la possibilité à l'intérimaire d'utiliser une grue de camion
21:46 alors que le salarié intérimaire n'a pas l'habilitation nécessaire.
21:50 Chez Randstad, la fronde du comité social et économique français est même remontée jusqu'au grand patron.
22:05 Lors de la dernière assemblée générale à Amsterdam, il y a un mois, l'une des actionnaires l'a interrogée.
22:13 J'ai une question sur ce qui se passe en France.
22:16 Là-bas, des salariés de l'entreprise dénoncent le nombre élevé d'accidents du travail parmi vos intérimaires.
22:22 Et ils demandent des comptes à Randstad sur les mesures que vous prenez pour les réduire.
22:27 Évidemment, nous suivons des procédures très strictes en matière de sécurité.
22:33 Vous savez, chez Randstad, il y a des gens qui se déplacent chez le client pour aller y vérifier les conditions de travail.
22:39 Et il a pu nous arriver d'arrêter de travailler avec certains clients si nous jugions ces conditions dangereuses.
22:45 Donc je veux redire que la sécurité est toujours notre priorité.
22:49 C'est très clair.
22:52 Nous aussi, nous aurions aimé poser des questions à la direction de Randstad.
22:59 Mais pour toute réponse, nous avons reçu cet e-mail.
23:03 Le groupe Randstad tient à rappeler son engagement total en matière de prévention des accidents du travail.
23:09 Avec ensuite le détail des actions mises en place, mais aucun commentaire sur la procédure judiciaire en cours.
23:18 Certaines alertes auraient-elles pu permettre d'éviter des morts au travail ?
23:28 Nous allons vous montrer comment, dans de grandes entreprises françaises, le même type d'accident se répète.
23:35 Une série de drames aux pieds de ligne haute tension partout en France.
23:51 Le samedi 15 octobre 2022, il est 11h08 à Saint-Flour dans le Cantal,
23:58 quand les pompiers reçoivent un appel pour un blessé couché au sol sur la voie publique.
24:03 Le lieutenant Gérard Cassagne reste marqué par cette intervention tout à fait inhabituelle.
24:18 Notre arrivée sur les lieux, la personne était allongée, juste à côté du poteau,
24:23 avec un poteau métallique qui a probablement, la quête de gendarmerie le déterminera,
24:29 touché probablement la ligne moyenne tension.
24:32 On a attaqué à faire une réanimation cardiopulmonaire sur cette victime de 29 ans.
24:37 Malheureusement, on n'a pas pu la ramener à la vie.
24:40 - Elle est décédée ? - Elle est décédée, oui.
24:43 - Il faut savoir qu'avec un voltage, là, en l'occurrence, c'est 20 000 volts,
24:48 quand ça passe dans le corps humain, ça fait des dégâts vraiment, on va dire, irréversibles.
24:54 Très vite, le correspondant de la montagne arrive sur place.
25:01 La photo qu'il prend alors atteste de la violence du choc électrique.
25:06 - On voit le point noir de contact entre la main ou une partie du corps de la personne
25:12 et le poteau électrique qui, lui, est entré en contact avec la ligne à moyenne tension.
25:18 Je suis arrivé un peu avant les pompes funèbres,
25:21 donc il y avait le corps qui gisait sous un drap dans le pré.
25:25 J'en sais pas plus sur qui est décédé et qui est la 2e personne avec lui, quoi.
25:31 - Parce qu'il y a une 2e personne ? - Parce qu'il y a une 2e personne, oui,
25:33 qui, à ce moment-là, est prise en charge par les pompiers
25:36 et qui allait être transportée au centre hospitalier de Saint-Flo.
25:41 En discutant avec les gendarmes,
25:43 le journaliste apprend que les 2 hommes étaient venus du Val d'Oise
25:47 pour assurer ce chantier de remplacement de poteau au coeur du Cantal.
25:52 - Très vite, on comprend que c'est un accident du travail, oui, oui, ça laisse peu de doute.
25:57 C'est choquant de voir ça et j'ai tout de suite pensé...
25:59 Voilà, c'était un gars de 30 ans, je sais pas s'il a une famille,
26:03 mais il est venu mourir à 600 km de chez lui pour son boulot.
26:08 C'est pas une mort, quoi.
26:10 On doit pas mourir pour son travail, on doit pas mourir...
26:12 Alors on disait, dans des conditions comme ça, quoi, c'est terrible, quoi.
26:15 La victime s'appelait Emmen Sali, il avait 29 ans.
26:22 Il travaillait comme technicien télécom en sous-traitance pour le géant orange.
26:28 Ce jour-là, il devait changer ses poteaux téléphoniques,
26:32 devenus trop vieux pour supporter la fibre.
26:36 C'est en dressant un poteau tout neuf juste en dessous d'une ligne moyenne tension
26:41 qu'il est foudroyé par un arc électrique.
26:45 Il meurt sur le coup.
26:48 - Normalement, également, il devrait y avoir une étiquette rouge
26:54 pour dire risque électrique.
26:57 Franck Refouvelé a appris l'accident en lisant le journal.
27:02 Cet élu du personnel en charge de la sécurité chez Orange
27:06 s'est alors précipité sur place.
27:09 Pour lui, qui a passé 30 ans dans les télécoms,
27:13 la mort d'Emmen est incompréhensible.
27:15 - Vous avez vu la photo dans le journal ?
27:17 Qu'est-ce qui vous a choqué, vous, en tant que technicien orange ?
27:19 - C'est que c'était un poteau métallique qui était posé sous une ligne moyenne tension.
27:24 - Et qu'est-ce que ça a de choquant, ça ? - Que c'est interdit.
27:31 - À partir du moment que la ligne est sur le même côté de la route
27:35 et qu'on soit, voilà, dans un périmètre proche,
27:38 tous ces poteaux qui sont à changer ici auraient dû être des poteaux en composite,
27:43 sur de plastique.
27:45 Selon cet élu du personnel, ça fait partie du B.A.B.
27:49 Si la ligne téléphonique est proche d'une ligne électrique,
27:52 comme sur cette route,
27:54 jamais de poteaux métal, toujours du composite,
27:58 qui évitent les risques d'électrocution.
28:01 Mais alors, sur ce chantier,
28:06 pourquoi le sous-traitant s'est-il retrouvé à manipuler un poteau en métal ?
28:10 - Il y avait ces poteaux-là.
28:12 Et 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
28:16 - Franck pense avoir trouvé la réponse un peu plus bas,
28:19 à côté du stade de foot.
28:21 - Il manque des poteaux, en fait.
28:23 Il manque les poteaux composites qui auraient dû être posés.
28:25 - Y a qui, qui appartient à ces poteaux-là ? - Orange.
28:27 - Mais qui c'est qui les a livrés ? Je sais pas.
28:29 Mais ils sont orange, c'est des poteaux orange.
28:31 C'est Orange qui les achète.
28:33 Là, c'est marqué "Orange".
28:35 C'est un poteau de 2022 qui fait 7 m.
28:37 De faire travailler, sous une ligne moyenne tension,
28:43 des techniciens avec des poteaux métalliques,
28:47 les conditions étaient réunies pour que le drame qui est arrivé arrive.
28:51 - C'est le faux sous-traitant, c'est pas le choix.
28:55 - J'ai pris des photos de ce que j'ai pu observer,
28:58 notamment ce stock de poteaux,
29:00 et j'ai fait un rapport et commencé à poser des questions à l'entreprise
29:04 sur qui s'occupe de commander les poteaux.
29:07 Qui les amène ici.
29:11 - Et alors ? Vous avez eu des réponses ? - Non.
29:13 Ah non, j'ai aucune réponse à toutes les questions que j'ai pu poser,
29:16 aussi bien sur le stock de poteaux que sur l'ordre de travail.
29:21 J'ai aucune réponse de l'entreprise.
29:25 Difficile d'obtenir des réponses.
29:28 Peut-être parce que le déploiement de la fibre chez Orange
29:34 se fait dans des conditions bien différentes
29:38 de la simplicité de ses publicités.
29:41 - Eh non ! - Bienvenue.
29:45 - C'est une déconnexion totale, ici ! - Vous imaginez même pas.
29:48 - Car son ambition de tirer des lignes jusqu'en haut des montagnes,
29:52 l'entreprise ne la réalise pas avec ses propres salariés.
29:56 - Chaque jour, notre réseau s'étend pour n'oublier personne.
29:59 - Elle passe des contrats avec d'autres entreprises.
30:02 Nous nous sommes procurés le schéma interne qui décrit celui du Cantal.
30:08 Voilà ce qu'on appelle une sous-traitance en cascade.
30:14 Au départ, la région Auvergne Rhône-Alpes veut la fibre.
30:20 Elle charge Orange de construire le réseau.
30:23 Et c'est là que tout se complique.
30:26 La branche sud-est de Orange sous-traite le chantier à effage.
30:30 Mais ce géant de la construction n'intervient pas lui-même.
30:34 Il missionne Intercom, un installateur de la région parisienne,
30:38 qui lui envoie Emène, auto-entrepreneur, sur le terrain.
30:47 - C'était ses gants, le jour de l'accident.
30:50 - C'est les gants que j'ai portés le jour de l'accident ?
30:52 - Ouais.
30:54 Y a des chaussettes, on peut voir les gâts des brodures.
30:58 Et sa tenue.
31:01 Hop.
31:03 Elle avait exactement cette tenue-là.
31:06 Rania Sali est la petite sœur du jeune technicien décédé.
31:12 Elle ne veut pas montrer son visage et témoigne en présence de son avocat.
31:17 Son frère l'a appelée pour la dernière fois, 1 heure avant sa mort.
31:22 - Oui.
31:23 - C'est lui au boulot, en fait.
31:24 - Ouais, c'est lui au boulot, tout ça.
31:26 Il aimait bien son travail, il était heureux, hein. Regardez, il rigole.
31:29 - Il vous envoyait beaucoup de photos, quand il était...
31:31 - Ouais, il était vraiment heureux de... Bah, de travailler.
31:37 Dans les effets personnels de son frère, Rania a retrouvé son téléphone
31:42 avec, à l'intérieur, les conversations entre Emmen et les équipes de la société Intercom
31:48 qui lui avaient confié ce chantier.
31:51 - Vous pouvez voir la pression qu'ils mettent, hein.
31:54 "Bonjour, il nous faut obligatoirement tous les livrables dépotoir en passant aujourd'hui, sans faute."
31:58 - Ah oui ?
32:00 - Et en fait, ça se déroule exactement comme ça.
32:05 On est sur Google Maps.
32:07 - Donc les points bleus, là, c'est des poteaux, c'est ça ?
32:09 - C'est ça, des poteaux à remplacer.
32:11 En fait, ils cliquent dessus et ça leur affiche exactement où est le poteau.
32:17 Voilà. Du coup, ça, c'était le poteau que Emmen devait faire.
32:22 - D'accord. Et donc votre frère, pour aller sur place, il a que ça comme information ?
32:27 - Il a que ça et cette feuille-là.
32:29 La feuille, c'est le détaillé qui a marqué "remplacement" ou "création".
32:33 - À part cette liste, est-ce que Emmen, à un moment donné, on lui dit "il y a une ligne à haute tension, fais attention"...
32:39 - Ah non, rien du tout.
32:41 - Est-ce qu'il a été prévenu de ça ?
32:42 - Ah non, rien du tout. Il l'est pas prévenu.
32:44 La société Intercom a-t-elle omis de prévenir Emmen du risque d'électrocution ?
32:50 Contactée, elle a refusé de répondre à nos nombreuses questions.
32:56 Pour Rania et son avocat, toutes les entreprises impliquées dans ce chantier vont devoir prendre leurs responsabilités.
33:04 - Tout le monde se renvoie la balle. Orange dit "moi, je livre les poteaux à mon sous-traitant, charge à lui de les distribuer correctement".
33:12 Le sous-traitant, en l'occurrence, Effage, dit "mais nous, nous ne sommes pas responsables, c'est pas nous qui stockons les poteaux, c'est Orange qui les met à disposition".
33:22 Et c'est finalement cette chaîne de sous-traitance qui permet de diluer la responsabilité et à chacun de se décharger.
33:29 Mais Orange doit être beaucoup plus attentif. On a quand même une obligation de vigilance d'Orange vis-à-vis des travaux qui sont réalisés par ses sous-traitants.
33:39 Le problème dans une sous-traitance en cascade, c'est que plus personne ne sait qui fait quoi.
33:51 Les comptes rendus des réunions internes qui ont suivi l'accident sont éloquents.
33:56 Chez Orange, d'abord, trois jours après l'accident, la direction locale est embarrassée face aux représentants du personnel.
34:05 - Pourquoi est-il encore préconisé de faire un remplacement de poteau avec un poteau métallique ?
34:15 L'analyse de l'accident est en cours. Aujourd'hui, il est difficile de dire ce que l'ordre de travail stipulait.
34:21 L'entreprise sous-traitante concernée par l'accident a dû s'approvisionner dans un lieu de stockage défage.
34:28 Mais nous n'avons pas cette information à notre disposition.
34:31 Et un mois après le drame, la direction régionale d'Orange ne sait toujours pas pourquoi il n'y avait pas de poteau en composite sur ce chantier.
34:44 Le bond d'enlèvement du poteau est fourni par Orange SA, à Eiffage, qui le transmet à son tour à Intercom.
34:51 - Y a-t-il un problème d'approvisionnement sur les poteaux composites ?
34:57 - Non, pas de problème d'approvisionnement sur ce chantier.
35:02 - Peut-on retracer le bond d'enlèvement ?
35:06 - Le bond d'enlèvement a bien été utilisé, mais je n'ai pas de précision. Cela mérite d'être creusé.
35:13 Et chez Eiffage, lors de la réunion extraordinaire organisée à la suite de l'accident, la direction régionale semble là aussi avoir du mal à répondre aux questions.
35:30 - Qui donne les instructions pour aller récupérer tel ou tel type de poteau ? C'est Eiffage ?
35:38 - Ce n'est pas Eiffage qui gère le site de stockage.
35:42 - Orange vous livre un certain nombre de poteaux. Par exemple, sur ce chantier, il livre 10 poteaux.
35:48 - Non, Orange ne livre pas des poteaux. Orange met à disposition sur un site prédéfini.
35:54 - Qui gère les mouvements de poteaux avec les équipes Eiffage et sous-traitants ?
36:00 - Je ne sais pas vous répondre.
36:06 Nous avons contacté l'entreprise Eiffage. Elle rejette la faute sur son sous-traitant intercom.
36:13 Nous tenons à préciser que le planning établi ne prévoyait aucune intervention à cette date, que l'étude fournie par nos soins spécifiait la pose de poteaux composites fournies par Orange et que les 2 techniciens ne faisaient pas partie des effectifs déclarés par le sous-traitant auprès de nos services.
36:31 Chez Orange, le drame du Cantal a provoqué des remous.
36:41 Car ce n'est pas la première fois qu'un tel accident se produit.
36:47 A Marseille, c'est encore par les syndicats que l'information est sortie.
36:56 Un autre sous-traitant d'Orange est mort ici, 8 mois avant Emmene Sali, exactement dans les mêmes conditions.
37:04 - C'est un accident qui a eu lieu en février 2022 ?
37:06 - Le 16 février à Sainte-Eule.
37:08 - Donc ça c'est 8 mois avant l'accident du Cantal ?
37:10 - Exactement. Le poteau s'est cassé juste au-dessous des lignes haute tension et devait être remplacé par un poteau composite.
37:16 Malheureusement, il a été remplacé par un poteau métal. Il y a eu un arc et le sous-traitant est décédé.
37:21 C'est un jeune sous-traitant de 28 ans avec 2 enfants. C'est exactement le même accident.
37:25 - Qu'est-ce que vous dites quand vous voyez que ça se répète ?
37:27 - Déjà on en veut très fortement à la direction et on monte au créneau pour leur dire que malgré tous les beaux discours, ils ont rien mis en place pour que ça n'arrive plus.
37:37 Pour ces syndicalistes, si ces accidents se répètent, ce serait pour des questions d'argent.
37:43 - Il y a la pression financière, la pression économique que met Orange sur ces sous-traitants.
37:49 Il leur dit voilà, il faut que vous me fassiez tant de poteaux par mois et c'est comme ça.
37:53 Et s'ils n'arrivent pas à faire tant de poteaux par mois, on leur baisse l'enveloppe financière.
37:57 Donc il y a une pression en cascade et plus on descend vers des rangs de 2, 3, 4, plus elle est énorme, cette pression.
38:05 Dans ces conditions, combien de techniciens se retrouvent comme Emen à manipuler des poteaux métalliques sous des réseaux électriques alors que c'est interdit ?
38:18 Depuis ces drames, Orange s'est mise à recenser ses poteaux potentiellement mortels.
38:24 Selon cette audite interne, elle en a trouvé plus de 83 000 dans la France entière.
38:31 La direction de l'entreprise a refusé toutes nos demandes d'interview.
38:39 Par écrit, elle nous indique...
38:42 La sécurité des techniciens est notre priorité. Chaque accident, même mineur, est un accident de trop.
38:49 Nous sommes conscients que les accidents du travail bouleversent des familles entières.
38:54 À propos du décès de Emen Sali, elle indique seulement...
39:01 La victime était un salarié d'une entreprise qui n'avait pas été déclarée à Orange par son sous-traitant.
39:08 En outre, cet accident tragique s'est produit sur une intervention non planifiée par notre partenaire de rang 1,
39:14 de surcroît un samedi, alors que les travaux sont interdits le week-end.
39:19 Mais à nos questions précises, aucune réponse.
39:24 Ce mercredi 12 avril, c'est comité de groupe à la direction financière d'Orange.
39:37 Les syndicats ont sorti les banderoles.
39:41 Ils protestent contre les réductions d'effectifs annoncées par la nouvelle directrice générale, Christelle Heidemann.
39:54 Notre caméraman filme les salariés quand la patronne arrive par une entrée discrète.
40:03 - Bonjour, je suis journaliste pour France 2.
40:07 - Je travaille sur les accidents du travail. Est-ce que vous avez entendu parler d'Emen Sali ?
40:13 C'est un sous-traitant qui est mort en octobre en travaillant pour Orange.
40:16 Il a été électrocuté en changeant un poteau téléphonique.
40:19 Qui est responsable de la mort d'un sous-traitant ?
40:30 La réponse à cette question est très complexe.
40:34 Nous avons découvert qu'il y a 10 ans, Orange a frôlé la condamnation pour un accident similaire.
40:42 - Si les responsabilités étaient remontées, France Télécom, ils continueraient pas.
40:47 Mais bon, 16 ans après, ça reste toujours aussi dur.
40:54 Quand Giseleine David a perdu son mari, Orange s'appelait encore France Télécom.
41:01 - Ça, c'est nous 4.
41:04 Camille, Tony, Claude et moi.
41:10 C'était juste avant l'accident.
41:13 Claude David était technicien sous-traitant.
41:19 En août 2007, déjà, il est mort électrocuté en travaillant sur des lignes téléphoniques.
41:26 Et à l'époque, sa femme avait voulu faire condamner le donneur d'ordre.
41:31 En 1re instance, elle a obtenu gain de cause.
41:35 Et puis, il y a eu appel.
41:38 - Les Français Télécom ont gagné. - C'est bien.
41:41 - Bah, ils ont été relaxés, et puis c'est pas de leur faute ce qui est arrivé, quoi.
41:47 - Eux, ils envoient les ordres.
41:49 Après, à la 1re boîte de sous-traitants, ça a géré ce qui est à gérer.
41:54 Puis après, aux autres, ainsi de suite.
41:56 Et puis c'est le chat qui se met en la queue,
41:58 parce que c'est la responsabilité de chacun qui implique celle de l'autre.
42:01 Et puis finalement, c'est une responsabilité qui n'incombe à personne.
42:05 Mais par contre, qui détruit des familles.
42:08 En 1re instance, le tribunal avait souligné que France Télécom
42:14 n'avait pas suffisamment averti son sous-traitant du risque d'électrocution.
42:18 En conséquence, l'entreprise avait été jugée coupable d'homicide involontaire.
42:32 La magistrate, à l'origine de ce jugement, s'appelait Caroline Barré.
42:40 Aujourd'hui à la retraite, elle a donc été contredite par la cour d'appel.
42:45 - La cour d'appel a relaxé France Télécom et a condamné le sous-traitant.
42:49 C'est le problème de l'interprétation du droit des contrats.
42:56 Nous, nous avons pris le contrat au pied de la lettre.
42:58 Le risque électrique qui n'avait pas été mentionné dans le contrat.
43:01 Donc pour nous, c'était France Télécom qui était responsable.
43:05 La cour est allée plus loin.
43:07 Elle a dit qu'il appartenait au sous-traitant de considérer que ce risque existait
43:12 puisqu'il avait l'habitude de travailler avec France Télécom.
43:15 Et qu'à partir du moment où l'entreprise sous-traitante travaillait sur un chantier,
43:20 il lui appartenait d'envisager la totalité des risques.
43:23 Exactement comme si elle était de l'ordre.
43:26 Et selon cette juge, les entreprises auraient bien compris ces subtilités juridiques.
43:35 On fait de plus en plus appel à la sous-traitance.
43:37 A la fois pour des raisons économiques et à la fois pour des raisons sociales.
43:41 Puisque cela permet d'externaliser ce risque de l'accident du travail.
43:44 On le reporte sur quelqu'un d'autre.
43:46 Sur la mort d'Emmène Sali, l'enquête ne fait que commencer.
43:52 Elle risque de durer des années.
43:55 Face à ces morts au travail, que fait la justice ?
44:03 A Dunkerque, un dossier pose la question de la réponse pénale.
44:10 Cela fait 8 ans que la famille de Jérôme Domaerel attend un procès.
44:15 8 ans depuis la mort de leur frère en 2015 chez ArcelorMittal.
44:22 On se disait qu'il y avait une politique de sécurité chez Arcelor qui faisait que le risque était maîtrisé.
44:32 On se doute bien que s'il est arrivé un accident du travail comme ça,
44:35 c'est qu'il y a eu des manquements à la sécurité.
44:38 Puisque tomber dans une rigole de fonte, ça devrait normalement pas être possible.
44:44 Jérôme Domaerel avait 40 ans. Il était fondeur intérimaire.
44:51 Il est mort le 13 juillet 2015,
44:55 alors qu'il travaillait sur le haut fourneau 4 de l'usine ArcelorMittal de Dunkerque.
45:00 Les circonstances exactes de sa mort sont encore inexpliquées.
45:04 La dernière fois qu'il a été vu vivant,
45:07 il était debout entre le haut fourneau et la rigole où se déversait la fonte.
45:12 L'instant d'après, il était mort, brûlé vif dans la rigole de fonte en fusion.
45:18 L'inspecteur du travail a enquêté près de 2 ans avant de dresser son procès verbal.
45:26 Entre autres conclusions, il indique.
45:30 - Le fait que des mesures appropriées particulières n'aient été prises pour protéger ces travailleurs
45:35 en prévenant tout risque de chute dans la rigole, constitue une infraction.
45:40 Il peut également être qualifié d'homicide involontaire à l'endroit de M. Jérôme Domaerel.
45:47 Pourtant, en 2017, 2 ans après l'accident,
45:53 la famille de Jérôme Domaerel a reçu un courrier du tribunal de Dunkerque.
45:58 Qu'elle ne comprend toujours pas.
46:01 - Il n'y a pas de preuve suffisante pour que l'enquête soit jugée par un tribunal.
46:10 Voilà, tout simplement.
46:12 - Et donc ?
46:13 - Et donc, classement sans suite.
46:15 - Qu'est-ce que vous avez pensé le jour où vous avez reçu ce courrier ?
46:17 - Que le sienne nous tombait sur la tête.
46:19 Il leur faut quoi comme preuve ? Il y a eu un accident mortel.
46:25 Pour classer l'affaire, le procureur évoque une faute de la victime
46:31 qui aurait enfreint une règle de déplacement dans l'usine.
46:35 C'est insupportable pour ses proches.
46:38 - On n'a pas de mots, vraiment, en fait, pour expliquer ce qu'on subit.
46:45 Parce qu'en fait, aujourd'hui, ça va faire 8 ans, mais pour moi, il n'est pas parti en paix.
46:52 Il est parti en tant que fautif, aujourd'hui.
46:55 Il est parti alors qu'il est victime, il n'est pas fautif.
47:00 - Un mètre de là, comme ça, de 1 à 1 mètre.
47:03 Pour comprendre, nous avons sollicité une interview du procureur en vain.
47:10 Nous retentons notre chance par téléphone.
47:14 - J'ai besoin de bien comprendre le classement qui a eu lieu en 2017.
47:19 - Vous parlez d'une faute de la victime alors que l'inspecteur du travail, lui,
47:22 exclut la faute de la victime expressément dans son rapport.
47:25 - Mais je ne comprends pas cette décision.
47:32 Une instruction a été rouverte à la suite d'une plainte de la famille.
47:38 Mais le dossier de Jérôme Domaerel semble toujours à l'arrêt.
47:44 ArcelorMittal nous a indiqué ne pas faire de commentaire.
47:48 A Dunkerque comme ailleurs, des inspecteurs du travail
47:56 dénoncent une insuffisance des poursuites pénales depuis longtemps.
48:00 En 2010, le magazine spécialisé santé et travail
48:05 révélait que 19,3% de leurs procès verbaux
48:09 étaient classés sans suite alors qu'ils établissaient des infractions.
48:14 Pour complément d'enquête, la revue vient d'analyser un nouvel échantillon de 150 PV.
48:19 34% de classement sans suite.
48:23 Elle s'interroge sur un manque de volonté politique.
48:27 A Bobigny, Antoine Haushalter est le substitut du procureur
48:38 en charge des accidents du travail.
48:42 - J'ai 300 enquêtes en cours sur les accidents du travail.
48:45 - C'est beaucoup ?
48:47 - C'est beaucoup. Si vous comptez le nombre de jours travaillés dans l'année,
48:50 vous êtes au-dessus largement.
48:52 Donc autant vous dire qu'on n'a pas le temps de se pencher
48:55 sur toutes les procédures comme on le voudrait.
48:57 S'il reconnaît l'insuffisance des moyens de la justice,
49:01 le magistrat refuse l'idée que les accidents du travail
49:05 ne seraient pas suffisamment sanctionnés.
49:09 - Évidemment qu'on comprend que les familles ne soient pas satisfaites.
49:12 C'est également notre cas.
49:14 On fait en sorte, avec les moyens qu'on a,
49:16 que les enquêtes qu'on mène nous permettent d'identifier les auteurs.
49:20 - Il faut avoir en tête en miroir que vous allez avoir les prévenus,
49:25 les mises en cause, qui font quasiment systématiquement appel
49:28 à toutes les condamnations qui sont prononcées en matière d'accidents du travail
49:31 et qui, au contraire, brandissent quasiment à chaque fois
49:35 un sentiment de persécution des sociétés et des entreprises.
49:39 Agir avant l'accident.
49:51 C'est la mission prioritaire des 1 800 inspecteurs du ministère du Travail.
49:57 Quand Jérémie Carpentier débarque sur un chantier,
50:03 c'est toujours de manière inopinée.
50:06 Mais étonnamment, il y est plutôt bienvenu.
50:11 - Bonjour, Carpentier Jérémie, inspection du travail.
50:15 Dites-moi, il y a un chef de chantier ici, d'Odigeos ?
50:18 Les ouvriers savent que les règles de sécurité sont là pour les protéger.
50:25 - Vous vous appelez comment ?
50:28 - Pour travailler, vous en servez, des échelles ou pas ?
50:32 - Deux vies ?
50:33 - Ce week-end, on a eu un mort, vous n'avez pas entendu parler dans la presse.
50:37 Une chute d'échelle de 6 m sur Bayonne.
50:40 - D'accord.
50:42 - Je téléphonerai à votre employeur, parce qu'effectivement,
50:44 travailler à l'échelle, vous ne pouvez pas.
50:46 Vous pouvez y aller pour monter sur l'échelle de l'âge,
50:48 mais travailler, non, il faut éviter.
50:49 Faites attention à vous.
50:51 Et dorénavant, à Bayonne, l'inspecteur ne fait plus une visite
50:58 sans vérifier la stabilité des grues.
51:02 - Je voulais regarder par rapport au poids des lestes.
51:05 C'est des blocs de combien, ça ?
51:07 3 tonnes ?
51:09 Vous en avez 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
51:14 Donc vous avez 11, 22.
51:16 - Ça, c'est l'information de la grue.
51:22 - D'accord. OK, nickel.
51:24 - Et quand vous avez vu des grues qui n'étaient pas solides, vous avez fait quoi ?
51:27 - Ça m'est arrivé, très concrètement, de faire démonter une grue.
51:31 - Vous vous sentez en stress quand vous le voyez arriver ?
51:33 - Un peu.
51:34 Un peu, on s'en va de même.
51:37 Qu'est-ce qu'il va y avoir ?
51:38 On essaie de faire le bien, mais il y a toujours quelque chose qui va parler.
51:41 - Et vous comprenez pourquoi il y a des visites ?
51:44 - Oui, c'est normal.
51:45 Il faut que tout le monde soit en sécurité.
51:47 On est là pour travailler, pas pour mourir.
51:49 Vous mourrez.
51:50 Donc, on nous délègue le pouvoir de faire ce qu'il faut pour être en sécurité.
51:55 Et donc, on est responsable.
51:57 - Allez, à bientôt.
52:01 L'inspecteur a près de 2 000 entreprises dans son secteur.
52:05 Impossible de les visiter toutes régulièrement.
52:09 Ces 2 charpentiers ont créé leur boîte il y a 5 ans.
52:15 Et ils veulent être irréprochables sur la sécurité de leurs 25 salariés.
52:23 - OK, ça, c'est les garde-corps pour les échappodages.
52:27 Ça, c'est les pieds qui se mettent en bout
52:29 pour mettre des barrières de sécurité autour des toits.
52:33 Mais parfois, ces chefs d'entreprise se sentent bien seuls
52:38 face à des concurrents moins regardants.
52:41 - Aujourd'hui, vous pouvez avoir 2 devis
52:45 avec un charpentier qui aura chiffré la sécurité,
52:48 qui a un coût qui peut représenter jusqu'à 10 % d'un montant de chantier,
52:51 comparé à un autre qui l'aura pas prévu.
52:53 - Ça fait des surcoûts par rapport à vos concurrents ?
52:55 - Par rapport à des concurrents qu'ils prévoient pas, oui.
52:57 Il faut qu'on ait des contrôles qui permettent
52:59 qu'on puisse pas laisser faire des choses qu'on n'a pas le droit.
53:02 Il y aurait plus de chantiers contrôlés,
53:03 il y aurait une prise de conscience généralisée.
53:05 - Vous aimeriez voir plus souvent l'inspecteur du travail ?
53:08 - Moi, oui.
53:09 Depuis 10 ans, le nombre d'inspecteurs du travail a baissé de près de 10 %.
53:16 Le ministère a promis d'en recruter 300 cette année.
53:20 ...

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