• il y a 8 mois
Transcription
00:00 Kanye West en décathlon.
00:02 Ça pourrait ressembler à une vanne ou un rêve bizarre,
00:04 c'est pourtant bien arrivé récemment lors de la Fashion Week à Paris. Un style outdoor, technique,
00:09 qu'il est loin d'être le seul à arborer.
00:11 Cette esthétique porte un nom, le "gorpcore", une mode faite de capuches, de poches larges, de pantalons imperméables, tendance survivaliste,
00:19 qu'on a vu sur les podiums, sur les réseaux,
00:21 et aussi bien loin des sentiers de grande randonnée, dans la rue, en ville, chez monsieur et madame tout le monde.
00:28 Enfin on va le voir, surtout chez monsieur et madame CSP+.
00:31 C'est typiquement lié à des personnes qui vivent dans des grandes villes, dans des capitales occidentales.
00:39 Ça va devenir le récit de ces personnes qui sont dans des appartements, qui n'ont plus le goût à la nature.
00:45 Ça devient une espèce de mythologie de reconnexion à la nature.
00:48 "Gorpcore", ça vient d'un acronyme, G-O-R-P.
00:51 Sa signification, bien que débattue, renvoie à "good old raisins and peanuts" ou "granola oat raisins and peanuts".
00:57 Dans tous les cas, on parle d'un mélange fait de flocons d'avoine, de raisins secs, de cacahuètes, prisé des randonneurs.
01:03 Et c'est pas un hasard.
01:06 C'est vraiment une référence à une culture nord-américaine,
01:10 en particulier la côte ouest, où il y a un mélange entre toutes les sphères de vie,
01:15 en particulier une très grande présence de ce qu'on appelle la "outdoor", la vie extérieure.
01:19 Ça rejoint une réduction drastique de l'aspect formel du vêtement.
01:24 Dès la fin des années 2000, la marque de streetwear suprême s'associe à une enseigne de vêtements techniques, The North Face,
01:29 tandis que la marque de plein air canadienne, Arc'teryx, lance une gamme citadine.
01:33 La montagne arrive en ville,
01:35 "Hi"
01:36 "Bonjour"
01:36 et les cool kids s'emparent de ce style fait de base de tons neutres, parsemés de touches vives.
01:41 On assiste même bientôt au retour inespéré de la banane, un accessoire très fonctionnel.
01:45 Les créateurs de mode s'en emparent aussi, avec parfois une préoccupation pour l'idée d'apocalypse,
01:50 qui est d'ailleurs assez présente dans la culture populaire ces dernières années.
01:53 Les marques spécialisées, auparavant prisées des amateurs de trekking ou de ski, touchent un public élargi.
01:59 De quoi en faire un marché juteux, qui pourrait croître de 5 à 6,6% par an jusqu'à 2032 selon des prévisions.
02:06 Même des marques de luxe veulent leur part du gâteau.
02:08 Il y a une dimension plutôt luxe, c'est-à-dire que ce sont quand même des marques qui ne sont pas toutes données,
02:12 donc Arc'teryx, North Face, Montclair, ça c'est des marques assez chères.
02:15 Donc de ce point de vue-là, elles se positionnent au segment luxe et premium de l'industrie.
02:19 Mais si on regarde Decathlon par exemple, toutes les classes sociales se retrouvent.
02:22 À travers la pratique sportive.
02:24 Ça, c'est l'autre extrémité du spectre, popularisé en France entre autres par l'influence de certains rappeurs.
02:29 Alors comment expliquer qu'un style, autrefois méprisé, séduit désormais les faiseurs de mode qui n'ont jamais foulé un GR ?
02:39 Hi !
02:40 La période post-Covid a généré de soudaines envies de marche en nature,
02:44 alors que nombre de lieux de distraction restaient encore fermés.
02:47 La rando et l'escalade sont devenus cools, les déplacements en mobilité douce se sont massifiés.
02:51 Et c'est aussi une manière de communiquer sur sa propre connaissance des marques,
02:55 d'entretenir un culte de la fonctionnalité et de la matière.
02:58 Et donc un élément de distinction sociale.
03:00 Par exemple, à IFM, on a un ni.
03:03 Il y a beaucoup d'étudiants qui ont des chaussures de randonnée.
03:06 C'est plutôt des profils qui vont vouloir se distinguer,
03:10 en montrant qu'ils ont une connaissance très précise de marques niche.
03:13 Achetez moins, achetez mieux.
03:15 Voilà le mantra du consommateur écolo et à l'aise financièrement,
03:18 qui préfère des vêtements plus chers mais résistants,
03:20 vus comme des investissements,
03:22 pour éviter de recourir à la fast fashion et à des vêtements usés en un hiver ou en quelques lavages.
03:27 Une préoccupation qui avait déjà expliqué l'émergence, dès 2013,
03:30 du norme-core, le culte des vêtements basiques,
03:33 le terreau sur lequel a poussé le gorpe-core.
03:35 Il y a un espèce de rejet de l'idée de mode classique,
03:39 qui serait une mode qui change chaque saison, des tendances,
03:42 et qui sont finalement dans un mode de surconsommation.
03:44 On est dans un moment aussi où il y a eu le Rana Plaza qui s'est effondré.
03:48 Un espace s'est donc construit pour des styles qui font office de manifeste contre les tendances.
03:52 Le gorpe-core est d'ailleurs le reflet d'une crise de la créativité.
03:55 Quand on a tout inventé, il ne reste au créateur qu'à réinterpréter ce qui a déjà été fait,
04:00 à créer des styles hybrides en combinant plusieurs esthétiques et plusieurs gammes.
04:04 Pour la mode, une façon de se sortir de ce défi majeur,
04:08 c'est d'étendre sa sphère, et de s'inspirer de plus en plus de sphère sociale, de plus en plus loin.
04:12 Le site of fashion a un rapport annuel prédit pour 2024
04:15 encore plus d'échanges réciproques entre marques spécialisées et marques urbaines,
04:19 floutant la frontière entre fonctionnalités et styles.
04:22 Mais à plus long terme, la survie du gorpe-core n'est pas si certaine
04:24 à en observer certains signes avant-coureurs autour des podiums, comme la cravate.
04:29 On avait dit en 2019, 2018, c'est fini.
04:31 La cravate est morte, personne n'en porte.
04:33 Il y a vraisemblablement un néodendisme qui va émerger,
04:36 qui va être une réponse, si vous voulez, au norme-core, au gorpe-core, à ugly fashion,
04:41 qui était la mode dominante depuis 10-15 ans.
04:44 Un retour à un style plus formel,
04:46 qui alimenterait la théorie de l'éternel renouvellement de la mode.
04:49 [Musique]