A 20 ans, elle avait déjà tourné avec la crème du cinéma français… A 21 ans, elle était déjà sélectionnée à la Quinzaine des réalisateurs pour son premier long-métrage. Aujourd’hui, à 23 ans, elle sort son deuxième film « Notre Monde » le 24 avril. Luàna Bajrami est la Nouvelle Tête du jour !
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00:00 9h50, les nouvelles têtes. Mathilde Serrel, ce matin une actrice et réalisatrice surdouée.
00:06 Louana Bajrami est dans notre studio. Portrait sonore.
00:10 Dans cet immeuble de Pristina vivent quelques familles serbes, les dernières.
00:14 A la veille d'une indépendance, probable, ils ont peur de devoir fuir.
00:18 C'est terrible, on ne sait pas ce qui va se passer.
00:21 Malgré la fin de la guerre en 1999 qui a fait plus de 10 000 morts,
00:25 la haine entre les deux communautés n'a pas disparu.
00:28 Née en France, elle a grandi au Kosovo, dans un petit village,
00:31 où elle se souvient avoir été heureuse.
00:34 Au moment de l'indépendance en 2008, sur fond de crise économique,
00:37 sa famille décide de rentrer en France et elle de se lancer dans le cinéma.
00:41 Elle a 10 ans pour son premier rôle dans un téléfilm avec Miu Miu.
00:44 On va dire bienvenue à Canucha.
00:47 Bienvenue à Canucha.
00:49 Ça va, tes parents ne sont pas là ?
00:51 Il y a eu un souci avec la petite Canucha.
00:53 Sa famille et son papier.
00:55 Je ne veux pas m'impliquer là-dedans.
00:57 Je suis institutrice, pas assistante sociale.
01:00 Elle tient le rôle de Canucha, une jeune Kosovare sans papiers qui fuit la police
01:04 et comprend qu'elle ne peut pas être plus à sa place que sur un plateau de tournage.
01:09 Ce sera d'abord devant la caméra, pour l'heure de la sortie de Sébastien Marnier,
01:13 fête de famille de Cédric Kahn, puis le décisif portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.
01:18 Comment est votre jeune maîtresse ?
01:20 Je ne sais pas trop, je la connais peu.
01:22 Elle n'est là que depuis quelques semaines.
01:24 Où était-elle ?
01:26 Chez les bénédictines.
01:28 Vous pensez que vous allez y arriver ?
01:31 Arriver à quoi ?
01:33 À la peindre.
01:34 Pourquoi cette question ?
01:36 Il y en a un qui est venu avant vous.
01:38 Il n'a pas réussi.
01:40 Pour son rôle de Sophie, la servante qui s'émancipe dans le sillage d'autres femmes,
01:44 elle décroche un swan d'or au festival de Cabourg et une nomination au César.
01:48 Partie au Kosovo après le tournage, elle en a l'idée de son premier long métrage,
01:52 La Colline, où régissent les Lyonnes.
01:54 Vous n'êtes pas enceinte, vous êtes enceinte.
01:56 C'est bon.
01:57 Je ne suis pas enceinte.
01:59 Tu as créé une bande.
02:03 Tu as pris nos coutures.
02:06 Les Lyonnes sont cette bande de filles qui rêvent d'ailleurs et fuient les traditions de leur village au Kosovo.
02:11 À 21 ans, elle est directement sélectionnée à la quinzaine des réalisateurs avec ce premier film
02:16 et sera 23 ans le deuxième.
02:18 Notre monde parcouru de la même charge électrique, doublée de la colère, des attentes déçues.
02:23 C'est un bijou.
02:24 Louana Bajrami, bonjour.
02:26 Bonjour.
02:27 Bravo pour ce deuxième long métrage à 23 ans, cette fois présenté hors compétition à la Mostra de Venise.
02:32 Ça sort donc aujourd'hui en salle.
02:34 Vous avez pu le montrer au Kosovo.
02:36 Oui, j'ai pu faire une projection avec plein de jeunes et ça a été bouleversant.
02:43 Je me suis dit enfin, je comprends pourquoi je l'ai fait et j'ai eu raison de le faire.
02:49 Le fil de ce film, c'est un peu la suite finalement de ce qui pouvait se passer dans la colline Rougis-les-Lyonnes.
02:55 Il y a un rêve d'ailleurs et là ce rêve d'ailleurs se concrétise.
02:57 Elles prennent la voiture et vont à Pristina et il y a une révolte qui n'a pas de destinataire.
03:03 C'est ça le point commun pour vous, Louana Bajrami ?
03:05 Oui, vraiment.
03:06 C'est-à-dire qu'on est en colère, on ne sait pas contre qui, on ne sait pas où l'adresser
03:09 et ça se représente sous forme complètement chaotique.
03:12 C'est ça que je voulais mettre en image.
03:14 Vous, quand vous retournez dans le village où vous avez grandi au Kosovo, votre cousine vous dit
03:19 "tu reviens toujours ici alors que nous n'avons qu'une envie, partir".
03:22 C'est quoi ce sentiment ambivalent et c'est ça aussi qu'on voit dans le film ?
03:27 C'est vraiment cette double culture qui m'a donné aussi ce regard un peu particulier
03:33 avec une certaine distance peut-être à l'égard des deux jeunesses que j'ai pu côtoyer.
03:38 Et oui, c'est ça, c'est quelque chose qui m'a marquée très très tôt.
03:41 Je me suis moi-même posé la question "est-ce que je suis légitime finalement à mon niveau ?"
03:46 et je crois que c'est un peu le cœur, en tout cas la jeunesse de tout ce que j'ai pu écrire jusqu'à maintenant.
03:51 Alors vous commencez à tourner déjà vers 17-18 ans, court métrage.
03:55 Il y a ce premier long métrage, "Les Lyonnes".
03:57 Vous êtes fan de Spielberg, Super 8, c'est ça qui vous donne envie de faire du cinéma ?
04:00 Vous dites après tout "les enfants peuvent le faire, pourquoi pas moi ?"
04:04 C'est vraiment ça, je me dis "ok, c'est possible".
04:06 Il y a aussi une sorte de vengeresse en vous, c'est qui le Bill ?
04:11 Ça c'est un personnage qui vous a beaucoup construit ?
04:13 Oui, qui me suit beaucoup et j'en parle très souvent, pour ne pas dire tout le temps.
04:18 Alors vous êtes une surdouée, pardon, mais c'est vrai en plus vous avez votre bac,
04:22 mention très bien avec un nom d'avance, enfin voilà, votre personnage dans l'heure de la sortie de Sébastien Marnier,
04:26 c'est complètement aussi ça.
04:27 Surdouée en actrice aussi, puisque vous allez enchaîner les films.
04:31 On parlait tout à l'heure du film de Selen Sciama qui va déclencher beaucoup de choses,
04:34 mais il y a l'événement avec Audrey Diwan, les deux Alfrèdes de Bruno,
04:38 et je vous laisse le nom de son frère de Bruno, Bruno Podavides et Denis, pardon,
04:45 Samir Ghesby, Michel Aznavissus, Toledano Nakach qui produisent le film cette fois-ci.
04:50 Vous êtes rencontrés sur une année difficile,
04:52 et c'est eux qui ont eu envie de vous accompagner pour le deuxième long métrage ?
04:56 En fait j'étais déjà en préparation du tournage, on finit de tourner,
05:02 je pars au Kosovo, ils me disent "si t'as besoin de quelque chose, tu nous appelles".
05:06 Je m'enquête un producteur français, je les appelle, ils lisent le film, ils adorent,
05:10 et ils montent sur le bateau.
05:11 Donc c'était vraiment complètement improbable.
05:13 Le culot comme d'habitude qui m'a aidée aussi.
05:17 Ça c'est une phrase qui résonne dans le film,
05:20 l'important c'est pas les choix qu'on fait, c'est comment on les assume.
05:23 C'est votre mantra, c'est comme ça qu'on en arrive là à 23 ans, loin de la Bajrami ?
05:26 Je crois bien, je crois bien.
05:28 Il y a du soutien aussi, il faut beaucoup de soutien je pense.
05:30 Il faut être bien entouré, mais oui c'est le culot.
05:32 Le point de bascule c'est le portrait de la jeune fille en fait avec Céline Sciamma,
05:36 qui vous dit "lance-toi sans te poser de questions".
05:38 Vous aviez envie de réaliser un long, mais vous n'osiez pas à ce moment-là ?
05:42 En fait j'avais même un désir de réalisation depuis le début,
05:45 depuis le premier plateau à 10 ans.
05:47 Et j'en avais jamais parlé, c'était comme un secret en fait.
05:51 Donc le fait qu'elle l'ait remarqué, ça confirmait quelque chose pour moi.
05:56 Vous avez fait le casting à chaque fois des actrices et vous révélez des talents.
06:02 C'était incroyable pour la Colline Origis Lelion.
06:04 C'est encore le cas avec "Notre Monde",
06:06 Albina Krasniki, Elsa Mala, c'est vraiment des personnages puissantissimes, incandescents.
06:13 Comment vous faites et comment vous les dirigez après ?
06:16 Merci d'abord.
06:17 Non mais c'est imprécédent.
06:19 Les personnages et les comédiens, du coup les comédiennes,
06:22 c'est vraiment l'essence je crois de ce que je fais.
06:25 J'ai compris avec le premier film que c'était ça qui m'importait le plus peut-être dans la fabrication.
06:30 Et donc c'est un casting qui se fait un peu spontanément,
06:33 en tout cas, pour ne pas dire à l'arrache,
06:36 c'est-à-dire qu'effectivement c'est moi qui le mène là-bas,
06:38 parce qu'il n'y a pas de cadre au Kosovo, d'agence et de directeur de casting, etc.
06:43 Donc oui, je les ai rencontrés.
06:45 C'est un long casting, ça dure un mois, deux peut-être.
06:49 Et je sais que c'est elle quand je les vois ensemble pour la première fois.
06:54 C'est l'échange qui se crée entre les acteurs,
06:57 entre les personnages qui va être décisif pour vous ?
06:59 Complètement, oui. C'est l'énergie.
07:01 Et il y a aussi ce qu'ils ont amené les uns et les autres,
07:04 parce que vous avez choisi ce moment charnière juste avant l'indépendance.
07:08 Ce n'est pas la génération sacrifiée, celle de la guerre, mais la génération oubliée.
07:13 Oui, complètement.
07:14 Qu'est-ce qu'ils vous ont dit et qu'est-ce qu'ils ont mis d'eux finalement dans ces personnages ?
07:18 Moi je voulais ancrer le film effectivement en 2007,
07:21 avec cette double quête identitaire quelque part.
07:23 Et je me suis dit qu'il faut quand même qu'on reste très actuel dans ce qu'on raconte de cette jeunesse.
07:27 Et moi j'ai été frappée par à quel point ça l'était pour eux.
07:30 C'est-à-dire qu'en tant que personnes, au-delà de ce qu'ils jouaient et de leur travail de comédiens,
07:35 ils ont apporté leur propre vérité actuelle à ces personnages-là.
07:39 Parce que l'attente dont on parle dans le film de l'indépendance,
07:42 c'est en fait l'attente de la libéralisation des visas.
07:46 Merci beaucoup Louana Bajrami.
07:48 Je vous propose de finir sur cette phrase du film qui est très belle.
07:51 "Est-ce qu'on peut nous en vouloir d'avoir rêvé plus grand ?"
07:54 "Notre monde, c'est aujourd'hui en salle."
07:56 Bonne route à vous. Merci beaucoup.
07:58 - Et merci Mathilde.