• il y a 7 mois
La Nouvelle-Calédonie s'embrase : gendarmes blessés, émeutes, tirs à balles réelles... Ce bout de France à 17.000 kilomètres de la métropole vacille. Quelles sont les raisons de la colère de ses habitants ? Pourquoi la France s'accroche-t-elle à cet archipel de l'Océanie ? Benoît Trépied, anthropologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie nous explique tout.
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 14 mai 2024

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00:00RTL bonsoir, l'émission continue, bonne fin de journée, on accueille maintenant nos invités pour tout comprendre.
00:09La Nouvelle-Calédonie s'embrase, gendarmes blessés, émeutes, couvre-feu, tir à balles réelles, ce bout de France à 17 000 km de la métropole, au cœur de l'océan Pacifique, vacille.
00:19Écoutez le témoignage effarant de cet habitant joué ce matin par Vincent Serrano.
00:23Je suis rentré chez moi à 17h30-18h, il y avait la route principale qui était bloquée, il y avait un feu, des arbres et des barrières au milieu de la route avec une trentaine de jeunes cagoulés autour de moi à hurler.
00:31Ah bah là il y a eu un coup de feu, il y a eu des explosions, il y a eu des sirènes, ils ont bloqué la route, ils ont brûlé un commissariat, c'est inquiétant, je pense qu'on ne se rend pas forcément compte.
00:38Alors quelles sont les raisons de cette colère ? Pourquoi la France d'ailleurs s'accroche depuis des années à cet archipel pour tout nous expliquer ?
00:44On accueille maintenant Benoît Trépied, bonsoir.
00:46Bonsoir.
00:47Vous êtes anthropologue, chargé de recherche au CNRS, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
00:54D'abord Thomas, pourquoi tout d'un coup il y a des émeutes à Nouméa ? C'est quoi le problème ?
00:59En réalité le problème, il ne date pas d'hier, mais ce qui a mis le feu aux poudres, c'est un projet de loi, une réforme de la Constitution voulue par le gouvernement donc pour modifier le corps électoral en Nouvelle-Calédonie.
01:08En clair, savoir qui a le droit ou n'a pas le droit de voter aux prochaines élections provinciales.
01:13Mais c'est-à-dire ?
01:14Parce qu'en Nouvelle-Calédonie, tout le monde ne peut pas participer à toutes les élections.
01:17C'est une règle qui remonte à 1998, au moment des accords de Nouméa.
01:21Seules les personnes arrivées ou nées sur l'île avant cette date ont le droit de vote.
01:26Ça représente 1 inscrit sur 5 qui n'a pas le droit de voter.
01:29Et c'est ça que veut changer le gouvernement, permettre à des personnes arrivées plus récemment, il y a 10 ans, sur l'île, de pouvoir voter.
01:3525 000 nouveaux électeurs à la clé, ce que refusent catégoriquement les indépendantistes qui manifestent en ce moment.
01:40Et pourquoi ils veulent ça les canaques alors ?
01:41Parce que les canaques, la population d'origine, refusent de se faire dépasser par les nouveaux habitants de l'île.
01:46Ce qui a déjà été le cas lors des trois derniers référendums d'indépendance.
01:49Et l'exécutif a quand même l'air très préoccupé par cette situation.
01:52Oui, parce que toujours dans l'histoire, la Nouvelle-Calédonie a eu un lien important avec Paris.
01:56Il y a eu les accords de Matignon, signés après le massacre d'Ovéa.
01:59C'était en 1988.
02:00Puis les accords de Nouméa, 10 ans plus tard.
02:02Et c'est notamment un sujet suivi de très près par Matignon, par le Premier ministre.
02:06Edouard Philippe s'y était rendu à plusieurs reprises.
02:08Gabriel Attal n'y a pas encore mis les pieds.
02:10Mais il a annulé cet après-midi son déplacement prévu en Ile-de-France pour parler des accidents du travail.
02:14Pour suivre de très près tous les derniers développements.
02:17Le gouvernement suit ces incidents comme le lait sur le feu.
02:19Merci Thomas.
02:20On a besoin de vos lumières maintenant, Benoît Trépied, vous le spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
02:24Expliquez-nous pourquoi la situation est si éruptive là-bas.
02:27On a l'impression qu'il suffit d'un rien pour allumer les braises.
02:30Ça reste une situation effectivement très sensible.
02:33Et ça a été presque un miracle politique de parvenir à sortir de l'ornière en 88,
02:38sous l'égide de Michel Rocard avec les accords de Matignon.
02:40Mais on sait que ça n'a pu fonctionner que parce que l'État a pris une position de neutralité
02:47et d'impartialité entre les deux camps pour permettre de faire aboutir des compromis.
02:51C'est-à-dire que dès que l'État sort de cette position de neutralité, il y a danger en quelque sorte ?
02:56Concrètement, c'est ce qui s'est passé depuis 2021.
02:59Et schématiquement, depuis le troisième référendum d'autodétermination
03:02où l'État a refusé de reposer le référendum malgré la demande des indépendantistes
03:06liée aux cérémonies d'œil du Covid.
03:09À partir de ce moment-là, la confiance a été rompue.
03:13Et il y a une partie de la jeunesse canaque qui peut être marginalisée
03:18et qui peut avoir cette tentation de l'émeute en quelque sorte.
03:21C'est une poudrière qui suffit d'une étincelle pour que ça devienne incontrôlable,
03:25y compris par les leaders indépendantistes.
03:27Et c'est ce qui est en train de se passer là.
03:28C'est pour ça que, depuis trois ans, il y a eu d'innombrables mises en garde vis-à-vis du gouvernement
03:33en disant arrêtez le passage en force comme vous le faites.
03:36Faites appel à une mission du dialogue de personnalités indépendantes
03:39pour reprendre les termes du débat parce que la façon dont M. Darmanin
03:43et avant lui M. Lecornu ont mené les négociations, ça nous a amenés dans le mur.
03:47Donc à l'heure actuelle, je ne pense pas qu'il soit possible de sortir de l'ornière
03:51et de l'enflammement général si on n'utilise pas cette voie de la sagesse
03:56qui consiste à prendre un peu de recul avec une mission du dialogue indépendante.
03:59— De façon un peu provocatrice, je vous pose la question.
04:02Pourquoi la France veut absolument garder la Nouvelle-Calédonie ?
04:05Pourquoi on ne la laisse pas prendre son indépendance en fait ?
04:07— Alors il y a deux raisons.
04:09Une raison officielle et démocratique qui est que, précisément,
04:13en dépit de la limitation du corps électoral,
04:16les canards sont minoritaires dans le corps électoral
04:19qui décident, qui votent lors des référendums d'autodétermination.
04:23Donc, malgré tout, ils sont minoritaires.
04:25Et c'est précisément tout le problème de la Calédonie,
04:27c'est que d'un côté, il y a la légitimité du peuple canard
04:29en tant que peuple colonisé qui a droit à l'indépendance et à l'autodétermination
04:33au regard du droit international de l'ONU.
04:35Et de l'autre côté, la France qui dit un homme égal une voix,
04:37donc tout le monde vote, donc vous êtes minoritaire.
04:39— En fait, numériquement, il y a plus de colons que de canards, si je me...
04:42— En quelque sorte, ils utilisent plus...
04:44— 41% de la population.
04:46— Les canards sont environ 40% de la population.
04:49Ça veut dire que les 60%, c'est des non-canards.
04:51D'où l'enjeu crucial de savoir qui fait partie du pays
04:55et est associé au canard pour cette décolonisation inclusive.
04:59Et puis, qui n'en fait pas partie ?
05:01Des fonctionnaires qui sont là-bas pendant trois ans,
05:03des retraités qui ont vécu toute leur vie ici, mais qui vont là-bas
05:05parce que le salaire de la retraite, il est multiplié par deux grâce à l'éloignement.
05:08Est-ce qu'ils ont à se prononcer sur le futur de la Calédonie ?
05:10Ça, c'est un problème.
05:11Et puis, l'autre point que vous souleviez,
05:13il y a aussi derrière ça un vrai enjeu
05:15dont le président Macron ne fait plus mystère,
05:17c'est celui de son fameux axe indo-pacifique,
05:20stratégie, diplomatique, etc.
05:22L'enjeu pour la France,
05:24c'est effectivement de maintenir son influence,
05:26mais en fait, tout dépend de comment on la maintient.
05:28Est-ce qu'on la maintient avec un réflexe autoritaire,
05:30conservateur qui consiste à dire, ici, c'est la France,
05:32bleu, blanc, rouge, point final,
05:34parce que sinon, ça va tomber dans l'escarcelle des autres.
05:36Mais ce que répondent les canards indépendantistes,
05:38ils disent, nous, pour le moment, on n'a eu aucun problème avec la Chine.
05:40Ce n'est pas la Chine qui nous a colonisés jusqu'à présent.
05:42C'est la France. On a un compte reçu avec la France.
05:45L'autre stratégie pourrait être de dire,
05:47on accompagne la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie,
05:50parce que précisément, ce qu'ils demandent aujourd'hui,
05:52c'est une forme d'indépendance-association avec la France,
05:54c'est-à-dire de bâtir un partenariat étroit.
05:56Et peut-être que ce serait cette stratégie
05:58qui serait bien plus pérenne pour la France à long terme.
06:01Et puis, il y a un autre facteur, la Nouvelle-Calédonie,
06:03vous me dites si je me trompe,
06:05mais c'est une grande partie des réserves de nickel de la planète,
06:07et on sait à quel point on a besoin de ces minerais aujourd'hui
06:10dans l'industrie 2.0, 3.0.
06:12Voilà, c'est ça. Il y a effectivement,
06:14l'enjeu du nickel est tout à fait crucial,
06:17notamment dans l'industrie des voitures électriques,
06:19pour les batteries de voitures électriques.
06:21Merci beaucoup Benoît Trépied,
06:22vous le spécialiste de la Nouvelle-Calédonie,
06:24merci aussi à Thomas Desprez de notre service politique.
06:26Dans un instant, toute autre chose,
06:28RTL Bonsoir continue,
06:30et vous allez apprendre en vous amusant,
06:32en tout cas c'est l'idée de cette émission,
06:34avec vos infos pour briodiner le duel d'anecdotes
06:36entre Cyprien et Isabelle,
06:38avant que vous passiez à table.
06:40A tout de suite sur RTL.
06:42RTL Bonsoir. Jusqu'à 20h.

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